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La Mort d’Artus/02

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Plon (4p. 99-102).

II


Il chevaucha toute la nuit à grande hâte, parce qu’il craignait d’arriver en retard aux joutes, si bien qu’au matin il atteignit au village où le roi Artus avait couché et où il se trouvait encore. Lancelot portait des armes déguisées, mais son écuyer menait en main un très beau destrier, taché comme une pie, blanc comme fleur des prés d’un côté, plus rouge que braise de l’autre. Et le roi, qui était justement à la fenêtre en compagnie de Giflet fils de Do, reconnut le cheval d’abord : c’était lui-même, en effet, qui en avait fait don à Lancelot.

— Giflet, dit-il, voyez donc Lancelot qui nous mandait hier qu’il était malade ! Sans doute se propose-t-il d’aller au tournoi secrètement : c’est pourquoi il ne chemine que de nuit. Puisqu’il se veut cacher, gardons de dire à personne que nous l’avons reconnu.

Lancelot s’hébergea chez un riche vavasseur, nommé le sire d’Escalot, dont les deux fils étaient chevaliers depuis peu. Et, en entrant dans la salle, il avisa leurs écus qui étaient vermeils et sans emblèmes, car telle était la coutume en ce temps : tout nouveau chevalier portait durant une année un écu peint d’une seule couleur ; s’il faisait autrement, c’était contre l’ordre de chevalerie.

— Sire, dit Lancelot à son hôte, je vous prie par amour et courtoisie de me prêter un de ces écus avec le haubert et l’armure du cheval. Car, si je portais les miens au tournoi de Winchester, il se pourrait que je fusse plus tôt reconnu que je ne voudrais.

— Sire chevalier, répondit le vavasseur, justement mon fils aîné est malade et ne pourra se rendre à l’assemblée. Prenez ses armes en échange des vôtres si le cœur vous en dit. Or le vavasseur avait une fille, nommée Passerose, qui était la demoiselle la plus curieuse du monde, et sachez que tant plus elle regardait Lancelot, tant plus elle le trouvait beau et le jugeait prud’homme. Durant qu’il causait avec son père, elle s’approcha de l’écuyer et lui demanda le nom de son seigneur. Le valet ne l’éconduisit pas tout à fait : elle était si avenante que toute dureté envers elle eût semblé une vilenie.

— Demoiselle, lui répondit-il, sachez que messire est le meilleur chevalier du siècle : c’est tout ce que je puis vous apprendre sans lui désobéir.

— C’est assez, valet : me voilà satisfaite.

Et aussitôt elle fut s’agenouiller devant Lancelot.

— Gentilhomme, par ce que vous aimez le plus au monde, octroyez-moi un don !

— Ha, demoiselle, levez-vous ! Il n’est rien que je ne fasse pour vous.

— Cent mille mercis, sire ! Je vous requiers donc de porter ma manche à votre heaume ou à votre lance en guise de pennon, et de faire beaucoup d’armes pour l’amour de moi. Et sachez que vous êtes le premier chevalier à qui j’aie réclamé un don ; je ne l’eusse pas fait, ne fût la grande valeur qui est en vous.

Lancelot fut dolent de cette demande, car il savait bien que, si jamais la reine apprenait cela, elle lui en saurait mauvais gré. Toutefois, il lui fallait tenir sa promesse, quoi qu’il advînt : il dit a la pucelle qu’il porterait sa manche. Et elle lui fit, ainsi que son père et son frère, très belle chère tout le jour.

À la nuit tombante, il partit en compagnie du fils cadet du vavasseur, qui lui avait demandé d’aller avec lui, et tous deux chevauchèrent jusqu’à l’aube. Comme il ne voulait point s’héberger à Winchester où il eût risqué d’être reconnu, le nouveau chevalier d’Escalot le mena chez sa tante dont le manoir était à une lieue de la ville. Et là ils se reposèrent et rafraîchirent très bien. Vers le soir, les écuyers examinèrent les armes de leurs seigneurs et veillèrent que rien n’y manquat. Puis tout le monde se coucha dans de bons et riches lits et dormit jusqu’au matin.