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La Mort d’Artus/14

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Plon (4p. 135-137).


XIV


Quand le jour du tournoi fut arrivé, vous eussiez pu voir dans la prairie de Camaaloth jusqu’à cent vingt Chevaliers, tant d’un parti que de l’autre, dont il n’y avait pas un qui ne fût vaillant et prud’homme. Et lorsqu’elle apprit que Lionel au cœur sans frein était là avec toute la parenté de Lancelot, la reine dit joyeusement à l’une de ses demoiselles :

— Ceux-là mettraient leur âme et leur corps en aventure plutôt que de me laisser recevoir un affront ! Je suis bien sûre maintenant de ne pas mourir. Béni soit Dieu qui les a amenés !

Lionel fit tant d’armes qu’il remporta le prix, et le roi Artus, qui l’avait bien reconnu, s’avança à sa rencontre et lui demanda de rester à la cour.

— Sire, répondit Lionel, je n’y demeurerai en aucune manière tant que messire Lancelot, mon cousin, n’y sera point. Sachez que je ne serais pas venu à ce tournoi, si je n’eusse espéré de l’y trouver. Ha, je crains fort que vous ne le voyiez de longtemps !

— Pourquoi ? Est-il donc courroucé contre nous ?

— Sire, si vous voulez en savoir davantage, interrogez quelque autre.

Là-dessus, il s’en fut trouver la reine qui l’avait mandé ; et jamais, certes, elle ne fit plus joyeux accueil à personne ! Elle lui conta qu’elle ne trouvait nul prud’homme pour défendre son droit ; mais il lui répondit rudement que ce n’était pas merveille si les chevaliers lui manquaient, quand elle avait elle-même failli sans raison au meilleur du monde.

— Lionel, quoi que j’aie fait, vous me protégerez, vous, je le sais bien !

— Dame, vous m’avez fait perdre celui que j’aimais plus que tous, mon seigneur et mon cousin ; je ne sais ce qu’il est devenu. Non, je ne vous aiderai point !

À ces mots, la reine se prit à pleurer. Mais Lionel sortit sans plus l’écouter.

Le roi, de son côté, s’était fort mis en peine de lui avoir un champion ; mais chacun lui répondait qu’elle avait tort et Mador droit.

— Sire, lui dit messire Gauvain lui-même, vous savez bien que madame a occis Gaheris et que Gaheris a été tué par trahison : je l’ai vu, ainsi que beaucoup d’autres. Puis-je soutenir sa cause loyalement ? Si vous me jurez, comme roi, que je le puis, je suis prêt à faire la bataille. Sinon, fût-elle ma mère, je ne commettrais pas une déloyauté pour elle.

Le roi ne put rien tirer de plus de son neveu ni des autres prud’hommes. Tout dolent et angoissé, il vint dire à la reine :

— Dame, je ne sais que penser de vous, car tous les chevaliers de ma cour vous abandonnent. Ha, j’aimerais mieux d’avoir perdu mon royaume que de voir de telles choses arriver de mon vivant ! Car je n’ai rien aimé en ce monde comme vous, et je veux que vous sachiez que je vous aime encore. À ces mots la reine se mit à pleurer et lamenter plus fort qu’auparavant.