La Mort d’Artus/16

La bibliothèque libre.
Plon (4p. 141-143).


XVI


Lorsque Lancelot et sa dame se furent retrouvés de la sorte, ils s’entr’aimèrent plus qu’ils n’avaient jamais fait ; même ils en vinrent à se conduire si follement que plusieurs découvrirent leur secret, et parmi eux messire Gauvain et ses frères.

Un jour qu’ils en causaient tous les cinq dans l’embrasure d’une fenêtre, le roi Artus vint à passer près d’eux.

— Voici messire ; taisez-vous ! dit tout bas Gauvain.

Mais le roi entendit Agravain répondre qu’il ne se tairait point et demanda de quoi il s’agissait.

— Ha, sire, ne vous souciez pas de cela ! répondit messire Gauvain. Vous n’en tireriez nul profit, ni autrui.

— Par mon chef, je veux le savoir !

— Sire, ce n’est pas possible ; ce ne sont que fables et contes rapportés par Agravain. Je vous conseille comme à mon seigneur lige de laisser là ce propos.

— En nom Dieu, je vous requiers, de par la foi que vous m’avez jurée, de me dire pourquoi vous étiez ainsi en conseil tous les cinq !

— C’est merveille que de vous voir à ce point curieux de nouvelles ! Dussiez-vous me jeter hors du royaume, je ne vous dirais pas de quoi nous parlions. D’ailleurs, c’est le plus grand mensonge du monde.

Là-dessus, messire Gauvain quitta la chambre en compagnie de Gaheriet et de Guerrehès, et vainement le roi les rappela.

Quand il vit qu’ils ne revenaient point, il emmena Agravain et Mordret dans une chambre et les conjura de lui apprendre ce qu’il avait si grand désir de savoir. Et comme ils répondaient encore qu’ils ne le feraient point, il courut à une épée qui gisait là, sur un lit, la tira du fourreau et en menaça Agravain, criant qu’il le tuerait s’il ne parlait, tant qu’enfin, le voyant échauffé à ce point, l’autre se décida :

— Sire, je disais à mes frères que c’est déloyal à nous, de souffrir si longuement la honte et le déshonneur que Lancelot vous fait : car il connaît charnellement votre femme, nous en sommes certains et assurés.

À ces mots, le roi changea de couleur ; mais il se contint et resta silencieux.

— Sire, fit Mordret, nous vous avons caché cela tant que nous avons pu ; mais il convient qu’enfin votre honte soit vengée.

— Si vous m’aimez, répondit enfin le roi, aidez-moi à prendre Lancelot sur le fait, et alors, si je ne le punis comme un traître qu’il est, que jamais plus je ne porte couronne !

— C’est une dure entreprise que de faire mourir Lancelot, sire : il est fort et hardi et sa parenté puissante ; ils vous feront une rude guerre.

— Beaux neveux, ne vous souciez point de cela ! Mettez-vous au guet et surprenez-les ensemble, je vous en requiers sur le serment que vous me fîtes en devenant compagnons de la Table ronde.

Alors ils lui conseillèrent d’emmener, le lendemain, tous ses gens à la chasse ; Lancelot en profiterait sans doute pour se rendre chez la reine. Et ainsi fut-il convenu.