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La Mort d’Artus/17

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Plon (4p. 143-146).


XVII


Tout le jour, dit le conte, le roi Artus fit morne visage et, quand messire Gauvain revint au palais en compagnie de Gaheriet et de Guerrehès, il devina d’abord, à la mine de son oncle que ses frères avaient parlé. Lancelot, Hector et Lionel arrivèrent à l’heure du souper : le roi leur tourna le dos. Les tables ôtées, il invita les chevaliers à se rendre avec lui à la chasse le lendemain ; mais, comme Lancelot lui proposait de l’accompagner, il lui dit qu’il se passerait bien de lui pour une fois. Et le soir, quand Lancelot fut rentré à son hôtel, il demanda à Lionel :

— Avez-vous vu quelle mauvaise chère le roi m’a faite ? Je ne sais de quoi il est ainsi courroucé contre moi.

— Sire, ne doutez pas qu’il n’ait appris quelque chose de vous et de la reine. Et mon cœur me dit qu’il adviendra grand mal de cela.

Or, le lendemain, sitôt que le roi fut parti pour la forêt, la reine envoya prévenir Lancelot qui se mit en devoir d’aller la trouver, non toutefois sans se munir de son épée. Et il eut soin de suivre un petit sentier couvert qui traversait le jardin ; mais Agravain et Mordret avaient placé des espions partout, de sorte qu’un garçon vint les avertir. Cependant, Lancelot entrait au palais secrètement et, passant de chambre en chambre, gagnait celle où la reine l’attendait. S’il eut l’idée d’en verrouiller la porte, c’est que Dieu ne voulait pas qu’il fût occis : en effet, à peine était-il couché avec sa dame, les gens d’Agravain et de Mordret arrivèrent et, trouvant l’huis clos, ils tentèrent de le briser.

— Beau doux ami, s’écria la reine quand elle entendit le bruit qu’ils faisaient, nous sommes trahis ! Bientôt le roi saura tout. C’est Agravain et Mordret qui ont tout fait !

— Par Dieu, ils ont donc pourchassé leur mort ! Avez-vous céans quelque armure ?

— Nenni, beau doux ami ! Las ! notre malechance est si grande qu’il nous faudra mourir, moi et vous ! Et pourtant, si vous pouviez vous échapper, il n’est pas né, celui qui me ferait périr tant que vous seriez en vie ! Partez, si vous pouvez.

Alors Lancelot, qui s’était vêtu en grande hâte, prit son épée et vint crier à la porte.

— Mauvais couards, chevaliers faillis, je vais déclore l’huis : on verra qui osera passer le seuil !

Ce disant, il ouvre et attend, l’épée haute. Un chevalier du nom de Tanneguy entre hardiment ; mais, dans le même temps, il reçoit un coup qui lui fend le heaume et la tête comme une pomme, de sorte qu’il tombe mort dans la chambre. Voyant cela, ses compagnons reculent et dégagent le seuil ; et Lancelot, tirant vivement le corps à lui, referme la porte ; puis il revêt les armes de Tanneguy.

— Maintenant, dame, dit-il, je passerai s’il plaît à Dieu et si vous me donnez mon congé.

Elle le recommanda à Jésus-Christ Notre Sauveur. Et aussitôt il sortit, se rua sur les assaillants comme une tempête, abattit le premier qu’il frappa, coupa d’un entre-deux le poing au deuxième, fendit en se retournant les narines et le visage du troisième jusqu’aux oreilles, si bien que les autres s’enfuirent en désordre. Ainsi s’échappa-t-il du palais et regagna son hôtel, où Lionel et Hector l’attendaient en grande inquiétude. Et deux heures plus tard, les malles troussées sur les sommiers, il quittait la ville avec toute sa gent qui ne comptait pas moins de vingt-huit chevaliers preux et hardis. Mais le conte se tait maintenant de lui, voulant traiter de ce qui advint lorsque Agravain et Mordret, les deux frères de monseigneur Gauvain, se furent emparés de la reine.