La Mort d’Artus/27

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Plon (4p. 170-171).


XXVII


Chaque jour, messire Gauvain l’excitait contre Lancelot, si bien qu’il jura de détruire les forteresses de Benoïc et de Gannes, de manière qu’il n’en restât pierre sur pierre. Après Pâques, lorsque la froidure fut passée, il remit à Mordret le royaume de Logres en baillie : ah ! quelle folie il fit là ! Sachez qu’il fit jurer à tous ses hommes d’obéir à Mordret comme à lui-même et de faire ce qu’il leur commanderait ; puis il chargea son neveu de lui envoyer l’or et l’argent dont il aurait besoin quand il serait en Gaule, et il lui remit les clés de son trésor, à ce déloyal ! Enfin il lui confia sa femme épousée en lui recommandant de la garder comme son propre corps. Et certes la reine Guenièvre fut bien dolente de cela.

— Sire, dit-elle à son seigneur quand elle le vit au point de monter dans sa nef, Dieu vous conduise et vous ramène ! Mais mon cœur me dit que nous ne nous reverrons plus.

— Dame, répliqua le roi, il en sera ce qu’il plaira à Notre Seigneur. À vous chagriner, vous ne pourriez rien gagner.

Là-dessus, les maîtres mariniers firent tendre les voiles, que la brise frappa, et les nefs gaillardes gagnèrent la haute mer. Or, les vents furent si bons, si forts et si favorables qu’elles atteignirent saines et sauves le rivage de la Gaule, où les chevaliers débarquèrent après avoir remercié Dieu. Puis, tandis que les valets mettaient à terre les harnais et les chevaux et dressaient les tentes, le roi tint conseil avec ses barons.

— Sire, dit messire Gauvain, allons droit à la cité de Gannes où le roi Hector et le roi Lionel demeurent avec Lancelot.

— Par Dieu, messire Gauvain, c’est folie ! fit le roi Carados Biébras. Il nous faut auparavant détruire les forts châteaux de ce pays, que Lancelot a fait nouvellement réparer et qui sont très bien garnis.

— Lancelot et ses hommes n’oseront pas sortir de leurs forteresses, répondit messire Gauvain.

— Allons donc assiéger Gannes, puisque vous le voulez, dit le roi.