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La Mort d’Artus/35

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Plon (4p. 195-197).


XXXV


Ils eurent si bon vent, qu’ils parvinrent en peu de temps devant le château de Douvres, où le roi manda à ceux de la ville de lui ouvrir la porte. Ils répondirent d’abord qu’ils le croyaient mort, mais, quand ils le virent, ils le reconnurent très bien et l’accueillirent comme leur seigneur lige.

Alors le roi fit ensevelir monseigneur Gauvain dans des draps de soie tout ouvrés d’or et de pierreries, puis mettre dans un cercueil très riche ; après quoi il commanda à dix de ses chevaliers de mener le corps à Saint-Étienne de Camaaloth et de le placer dans la tombe de Gaheriet. Et ainsi s’en fut le bon chevalier, convoyé par le roi et une multitude de seigneurs, de bourgeois et de menu peuple, qui tous pleuraient et criaient :

— Prud’homme, chevalier sûr, courtois, débonnaire, maudite soit la mort qui nous prive de vous ! Que ferons-nous maintenant que nous avons perdu celui qui était notre écu ?

Ainsi allèrent-ils jusqu’à trois lieues de la ville ; puis le roi et ses gens s’en revinrent avec le peuple, tandis que les dix chevaliers continuaient leur chemin.

Ils chevauchèrent tout le jour, et le soir leur aventure les mena dans un château qui avait nom Beloc. Comme ils entraient avec le cercueil dans la salle du palais, la dame du château leur demanda quel était ce corps et, quand elle le sut, elle courut se jeter sur la bière, criant :

— Ha, messire Gauvain, quel dommage fait votre mort à toutes les dames et demoiselles que vous aidiez et protégiez mieux que tout autre ! Et moi, j’ai perdu le chevalier du siècle que j’aimais davantage, le seul que j’aie jamais aimé !

À ces mots, le sire de Beloc, son mari, fut si irrité qu’il courut prendre une épée et l’en frappa de telle sorte qu’il lui trancha l’épaule et fit entrer la lame d’un demi-pied dans le cercueil.

— Messire Gauvain, mon doux ami, me voilà morte pour vous ! dit-elle avant d’expirer. En nom Dieu, mettez mon corps en terre auprès du sien !

Cependant, les chevaliers qui convoyaient la bière avaient désarmé le brutal et l’un d’eux lui criait en colère :

— C’est grande honte que vous nous faites, sire chevalier, d’occire devant nous cette dame ! Dieu m’aide ! vous vous en souviendrez !

Ce disant, il haussa l’épée et abattit mort le seigneur de Beloc. Et le lendemain, il repartit avec ses compagnons, emportant le corps de la dame avec celui de monseigneur Gauvain. Et ils chevauchèrent tant qu’ils arrivèrent enfin à Camaaloth, où les deux morts furent enterrés comme ils l’avaient souhaité de leur vivant. Mais le conte à présent retourne au roi Artus.