La Mort d’Artus/36
XXXVI
Le soir, à Douvres, comme il dormait dans son lit, il crut voir son neveu Gauvain venir à lui, plus beau qu’il ne l’avait jamais connu et suivi d’une foule de pauvres gens qui tous criaient :
— Roi Artus, nous avons conquis l’entrée de la maison de Dieu pour ton neveu, à cause du bien qu’il nous a fait de son vivant ! Agis comme lui et tu feras que sage !
Cependant messire Gauvain approchait du roi et lui disait, après l’avoir accolé :
— Sire, gardez-vous de combattre Mordret de votre corps, car vous seriez par lui blessé à mort !
— Dussé-je en périr, beau neveu, je le combattrai, répondait le roi, car je serais recréant si je ne défendais ma terre contre un traître. Par l’âme de mon père Uter Pendragon, je jure que je ne reculerai pas !
À ces mots, messire Gauvain s’éloignait en menant le plus grand deuil du monde.
Et, peu après, le roi sommeillant toujours crut voir une très belle dame qui le prenait par les flancs et l’asseyait sur un siège au sommet d’une roue immense.
— Artus, lui disait la dame, sache que tu es présentement sur la roue de Fortune. Que vois-tu ?
— Dame, il me semble que je découvre le monde entier.
— Tu le vois. Et tu as été l’un des plus puissants de ce monde. Mais il n’est nul, pour haut placé qu’il soit, qui ne doive un jour tomber.
Là-dessus, la belle dame faisait tourner sa roue et choir le roi si traîtreusement qu’il lui semblait être tout brisé.
Au matin, quand il se fut éveillé, il fit le signe de la croix sur son visage et s’écria :
— Beau Père Jésus-Christ qui avez permis que j’eusse tant d’honneurs en ce siècle, ne souffrez pas, doux Sire, que je perde cette bataille, mais donnez-moi la victoire sur mes parjures et déloyaux ennemis !
Puis il alla ouïr la messe et se confesser à un archevêque de tous ses péchés. Après quoi il se mit en marche avec ses gens.
Deux jours plus tard, il parvint dans la plaine de Salisbury ; c’était la plus belle place et la plus grande qu’on pût trouver pour une bataille et il voulait attendre là Mordret. Après souper, tandis que ses hommes dressaient les tentes, il fut se promener dans la lande et, en passant près d’un grand et dur rocher, il vit que des lettres, qui semblaient vieilles, y étaient gravées :
En cette plaine aura lieu la mortelle bataille qui laissera le royaume de Logres orphelin.
Ainsi parlaient les lettres et c’était Merlin qui jadis les avait écrites. Quand le roi les eut lues, il baissa la tête, car il connut bien qu’elles prédisaient ouvertement sa mort ; pourtant il se jura qu’il ne retournerait pas en arrière.