La Mort de la Terre - Contes/La Mort de la Terre/VI

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VI

Les ferromagnétaux

Deux heures avant l’aube, Targ se retrouva dans la plaine, au bord de la crevasse où avait débuté son voyage au pays des ombres. Affreusement las, il contemplait, au fond de l’horizon, la lune écarlate, pareille à une fournaise ronde et prête à s’éteindre. Elle disparut. Dans la nuit immense, les étoiles se ranimèrent.

Alors, le veilleur voulut se remettre en route. Ses jambes semblaient de pierre, ses épaules s’affaissaient douloureusement et, par tout son corps, passait une telle langueur qu’il se laissa choir sur un bloc… Les paupières entrecloses, il revécut les heures qu’il venait de passer dans les abîmes. Le retour avait été épouvantable. Malgré qu’il eût pris soin d’accumuler les traces de son passage, il s’était égaré. Puis, déjà épuisé par les efforts précédents, il avait failli s’évanouir. Le temps semblait d’une longueur incommensurable ; Targ était comme un mineur qui aurait passé de longs mois dans la terre cruelle…

Tout de même, le voici revenu sur la surface où vivent encore ses frères, voici les astres qui, à travers les âges, exaltèrent les rêves de l’homme ; bientôt, l’aube divine va reparaître dans l’étendue

— L’aube ! balbutia le jeune homme… Le jour !

Il étendit les bras vers l’orient, dans un geste d’extase ; puis, ses yeux se refermèrent, et, sans qu’il en eût conscience, il s’étendit sur le sol.

Une lueur rouge le réveilla. Soulevant avec peine les paupières, il aperçut, au fond de l’horizon, l’orbe immense du soleil.

— Allons ! debout…, se dit-il.

Mais une torpeur invisible le clouait au sol ; ses pensées flottaient engourdies, la fatigue lui prêchait le renoncement. Il allait se rendormir, lorsqu’il sentit un léger picotement par tout l’épiderme. Et il vit, sur sa main, à côté des écorchures qu’il s’était faites aux pierres, des points rouges caractéristiques.

— Les ferromagnétaux, murmura-t-il. Ils boivent ma vie !.

Dans sa lassitude, l’aventure ne l’effraya guère. C’était comme une chose lointaine, étrangère, presque symbolique. Non seulement il ne ressentait aucune souffrance, mais la sensation se révélait presque agréable ; c’était une sorte de vertige, une griserie légère et lente qui devait ressembler à l’euthanasie… Soudain, les images d’Érê et d’Arva traversèrent sa mémoire, suivies d’un ressaut d’énergie.

— Je ne veux pas mourir ! gémit-il. Je ne veux pas !

Il revécut obscurément sa lutte, ses souffrances, sa victoire. Là-bas, aux Terres-Rouges, la vie l’attirait, fraîche et charmante. Non, il ne voulait pas périr ; il voulait voir longtemps encore les aurores et les crépuscules ; il voulait combattre les forces mystérieuses.

Et, rappelant sa volonté dormante, d’un effort terrible, il tenta de se redresser.