La Muse qui trotte/14

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Calmann Lévy, éditeurs (p. 71-74).


TIR AUX PIGEONS





Une après-midi tiède et grise…
Pas de soleil et nulle brise.

Le ciel, d’un bleu noir incertain,
Semble un grand dôme de satin,


Et l’air, où le corps se dilate,
A des enroulements d’ouate…

Par ce temps câlin et berceur
Tout est repos, calme, douceur.

Seule, une fusillade brève
Trouble ce silence de rêve…

Tir aux pigeons. On aperçoit
Sous la ligne mince du toit,

Ainsi que des marionnettes
Dressant leurs découpures nettes,

Les tireurs corrects, buste droit,
Se succédant au même endroit.

Tache sombre sur l’herbe verte
Sitôt qu’une boîte est ouverte


L’oiseau s’envole épouvanté…
Mais le plomb l’a vite arrêté.

Humble petite chose molle
Tombe la pauvre bestiole…

Le chien l’emporte en gambadant
Et l’achève d’un coup de dent.

Et pendant des heures entières
Ces fusillades régulières

Mettent, par leur bruit sec et clair,
Comme un agacement dans l’air.

De cette inutile tuerie
L’âme vaguement attendrie,

On en veut à l’homme cruel
Qui, sous la douceur du grand ciel,


Fait des hécatombes suivies
De ces pauvres petites vies

Et pour distraire un vague ennui
Sème la mort autour de lui…