La Mystification fatale/Deuxième Partie/IV

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Texte établi par Léandre d’André, Imprimerie André Coromilas (p. 118-126).
§ IV. — Aveux et inepties de M. Læmmer.


Venons-en au fait. Tout d’abord nous remarquons que M. Laemmer, dans le paragraphe sixième de ses prolégomènes, avoue nettement que l’ouvrage attribué à saint Athanase sur l’unité de la nature divine, où est soutenue la procession dyadique, est supposé. Supposés sont encore les ouvrages suivants attribués à saint Athanase, où est soutenue la même procession ; le sermon trente-huitième sur le Temps, le dialogue sur les soixante-cinq questions, le livre de la Trinité et de l’Unité[1]. Voici M. Laemmer réduit à nous faire ces tristes aveux ! Il y est bien obligé : car ces œuvres de fraude et de mensonge ont été stigmatisées comme telles par les Bénédictins eux-mêmes. Si l’on avait eu confiance dans l’authenticité des écrits de ce Père, où l’on prétend que le Filioque est énoncé ou formellement ou par induction, si l’on avait eu foi à l’état immaculé d’autres textes, où le Filioque est énoncé en propres termes, quel besoin aurait-on eu de toutes ces forgeries ? Aucun, et c’est pourquoi on les a fabriquées. Cependant, c’est au moyen de ces fraudes, que cette croyance a été soutenue et a pris racine dans les esprits, dont on ne peut plus l’extirper aujourd’hui.

En second lieu, M. Laemmer avoue encore, quoique d’assez mauvaise grâce, que dans l’ouvrage de saint Jean Damascène intitulé : Histoire de Barlaam et de Josaphat, et dans celui de Raban Maur sur l’Univers, on a commis des falsifications pour soutenir le Filioque[2]. Quant au reste des falsifications signalées par Zernicavius, il entasse des ambages et des faux-fuyants, le tout exposé avec une ire véhémente contre les schismatiques, qui osent se prévaloir de ces vétilles. Nous allons les produire ici, ces vétilles.

Si les fauteurs de la procession dyadique ont commis des altérations dans le texte de l’ouvrage de Rufin presbytre d’Aquilée intitulé : Explication du symbole apostolique ; s’il en est de même pour l’Exposition de la Foi, adressée par saint Jérôme au pape Damase ; pour l’Épître de saint Augustin, adressée à Maximus Medicus ; pour l’ouvrage supposé de saint Athanase sur l’Unité de nature de la Divinité, pour les actes du VII concile œcuménique : tout cela ne constitue pas des falsifications, ce sont des variétés (varietates) d’écriture, ou comme l’on dit ordinairement des variantes[3]. On appelle variantes, de petites ou même de grandes diversités qui se rencontrent dans divers manuscrits, mais qui ne se contredisent point, ou du moins s’il y a contradiction ne laissent point soupçonner qu’il y ait eu préméditation de la part du copiste. Mais lorsqu’on voit un propos pris et suivi d’altérations si accentuées, lorsque tout converge au même but, lorsque surtout on a affaire avec des gens pris cent et cent fois en flagrant délit de falsification, qui pourrait douter qu’on se trouve ici encore dans le même cas ?

Les éditeurs postérieurs d’un écrivain diffèrent-ils des éditions incunables par des altérations qu’on y a commises dans le même but ? C’est la faute des schismatiques qui attribuent cela à la mauvaise foi des éditeurs, tandis qu’ils devraient l’attribuer à une simple erreur de bonne foi[4]. Or, d’après M. Laemmer, la bonne foi consiste à commettre un faux par altération d’un texte, la mauvaise foi, au contraire, consiste dans la dénonciation de cet attentat. Saisit-on quelques flagrantes et hurlantes interpolations, comme par exemple celle d’une phrase entière dans le sermon de saint Cyprien sur la descente du Saint-Esprit ? Ce ne sont pas des falsifications, mais des notes marginales qui se sont avisées de descendre bénévolement de la marge et de s’incorporer spontanément au texte, par amour pour le Filioque. D’autres fois c’est la légèreté des copistes ou des typographes qui les a entraînés jusque là.

Falsifie-t-on l’ouvrage précité, attribué à saint Athanase ? en fait-on de même pour l’épître du pape Hormisdas à l’empereur Justin ? Ce ne sont là que des lapsus calami des distractions de plume. Mais pourquoi ces distractions de plume n’arrivent-elles jamais en faveur de l’opinion contraire ? Je n’y vois d’autre réponse que celle-ci : l’esprit souffle où il veut[5] ! Falsifie-t-on la profession de foi adressée par Eugène évêque de Carthage à Hunéric roi des Vandales, en y interpolant le Filioque ? la preuve irrécusable de cette falsification se trouve-t-elle dans l’ouvrage d’un auteur postérieur qui cite ce passage sans l’interpolation ? Ce sont des copistes antérieurs qui ont éliminé ces mots qui devaient indubitablement s’y trouver ! Comment le savez-vous ? Comment, des copistes latins auraient-ils éliminé ces mots ? serait-ce pour complaire aux schismatiques ? Je m’étonne de la parcimonie avec laquelle M. Laemmer use de cet expédient si avantageux, qui pourrait être si facilement invoqué dans tous les cas qui ressemblent à celui-là. Des éditeurs postérieurs retranchent-ils, ajoutent-ils des mots et des phrases entières au texte d’un auteur ? comme, par exemple, dans la Disputation du cardinal-diacre Rusticus contre les Acéphales, dans la traduction latine de la liturgie éthiopienne ou dans l’histoire de Barlaam et Josaphat par saint Jean Damascène ; ces éditeurs ne falsifient pas les textes qu’ils reproduisent, des gens si honnêtes commettre de telles infamies ? Qui pourrait le croire ? Non, ils ne font qu’expliquer plus clairement le sens du passage en question, le rendre conforme aux autres conceptions du même auteur, et réfuter par ces moyens les vétilles des schismatiques. Cependant ils usent de ce stratagème en divers cas, sans avertir le lecteur du service signalé qu’ils lui rendent ; d’ailleurs si les autres conceptions de l’auteur soutenaient si bien le Filioque, quel besoin avait le copiste ou l’éditeur d’altérer le texte en cet endroit ? Pourquoi ne pas guider le lecteur par une note au lieu de le tromper ? En quelle asphyxiante gêne devait se trouver M. Laemmer pour recourir ainsi à de telles niaiseries ! Reprenons un à un tous ces cas que nous venons de signaler.


  1. XXIII. Nomine D. Athanasii falso circumfertur opus de unita natura divinitatis. Ex eo Ratramnus Corbeiensis (Contra Graecorum Opposita Romanam Ecclesiam infamantium Libr. III cap. 6) nonnulla profert verba („sane alius est Spiritus hic principalis Paracletus a Patre et Filio, qui in Pentecoste in Apostolos effusus est, quia vere de unita divinitate Patris et Filii procedit“), quae ab Aenea Episcopo Parisiensi (adv. Graecos) omittuntur nec in hodiernis Athanasii editionibus habentur. Hac ex diversitate Codicis Ratramni concludit Sernikavius iam saeculo IX scripta Patrum a Latinis corrupta esse. Atvero verba ista, de quibus quaeritur, nihil exhibent quod auctor anonymus libri de unita natura non quavis fere pagina contextus, sicuti nunc imprimitur, repetat et inculcet. Cfr. v. gr. pag. 576 („sicut procedit a Deo patre, ita procedit a filio, ut tota Trinitas unus credatur Deus“) cum pag. 581.

    XVI. Quantum attinet ad Sermonem 38 de tempore, cuius auctor polemicam Nestorii errorum habere videtur rationem, is in Benedictina Augustini recensione monacho Baturinensi ignota omni iure omissus est, quia totus ex Alcuini libro de Trinitate excerptus.

    XVIII. Sernikavio Dialogum questionum sexaginta quinque Qu. XI impugnanti opponere sufficit editorem tractatuum Theophanis Procopowicz (§ 253 not.) Gottingensem, qui : „Censura haec,“ ait „forte abfuisset, si auctor editionem Benedictinorum prae manibus habuisset. Nam totus Dialogus ille 65 quaestionum a Benedictinis inter supposititia Augustini scripta relatus est, quia, inquiunt, ex diversis auctoribus decerptus.“

    XX. XXI. XXII. Missas facimus duas παραφθορὰς ex Libri de Trinitate et Unitate capitibus 5 et 10 derivatas. Libellum istum editores Benedictini probarunt non esse S. Augustini nec quid aliud, nisi excerpta eaque turpiter deformata. At quae notant Sernikavius eiusque interpres et epitomator verba, ea sanam continent doctrinam, nec possunt istis non displicere, quia cohaerentiam inter missionem ac processionem urgent. Prorsus ridicula denique est exceptio ex libre contra sermonem Arianorum c. 23 deprompta, ubi S. Doctorem adversarii fingunt clarissime docere Spiritum S. a solo Patre procedere, dum verba eius sic sonant : „Cum ambo a Patre, ille nascatur, hic procedat.“

  2. XVII. In S. Ioannis Damasceni Historia Barlaami et Iosaphati, Barlaamus discipulum instruens, iubet eum credere „in Spiritum Sanctum, ex Patre et Filio procedentem.“ Versionem istam latinam emendatione indigere, non Sernikavius vidit primus, sed ante eum iam Billius et Bellarminus adverterunt. Nec minus Leo Allatius, qui : „Quod dicit Bellarminus,“ ait, „illud ex Filio additum esse ab aliquo, veram est : idque interpretatione Billii, et MScr. Codicibus, qui illud non habent, palam fit. Solent nonnuli, dum nimis cauti videri volunt, parum se cautos divendere. Quare, quisquis ille fuerit, cum legisset, Spiritum S. a Patre procedere, quasi hisce verbis eorum Graecorum, qui tantum a Patre Spiritum procedere asserunt, error induceretur, pro sua religione ac pietate, de suo illud Filioque adiecit.“

    Caeterum iam Nicephorus Blemmida, Bessarion, Gennadius aliique Damascenum bene et cum Catholica Ecclesia sensisse demonstrarunt nec unquam negasse, Spiritum S. a Filio procedere ; imo hoc ipsum evidenter admodum expressisse Lib. I de fide orthodox. cap. XV, ubi de Patre loquens subinfert : ϰαὶ προϐολεὺς διὰ λόγου ἐϰφαντοριϰοῦ πνεύματος.

    XXX. Iuxta Collectionem Conciliorum Regiam Parisiis a. 1644 editam (XIII, 107) in Concilio Toletano a. 589 celebrato Rex Reccaredus Symbolum Constantinopolitanum refertur cum additamento recitasse. Discrepant veteres Actorum Synodalium editiones, v. gr. Coloniensis a. 1530 fol. 107 et Parisiensis a. 1535 Tom. I fol. 114, in quibus illud symbolum absque vocula Filioque legitur. Quae lectio prae priore palmam meretur. Favent ei Bellarminus necnon Codex Vallicellanus D. 18, in quo „et Filio“ deest.

    XLIII. Rhabanus Maurus lib. I de Universo cap. 3 : „Spiritus S.,“ inquit, „ideo praedicatur Deus, quia ex Patre Filioque procedit, et substantiam eius habet. Neque enim aliud de Patre procedere potuit, quam quod ipse est Pater.“ Procul dubio loco voculae, „eius“ legendum videtur „eorum.“ Sin autem Rhabanus deinceps solius patris meminit, hoc inde factum est, quia simili atque S. Augustinus modo in Patrem principaliter refert processionem, quin tamen unicam utriusque personae actionem excludat.

  3. VIII. Rufini Presbyteri Aquileiensis Explicatio Symboli Apostolici (Cod. Vatican. 4248) una cum Operibus tam D. Hieronymi quam S. Cypriani solet imprimi. Dum autem penes priorem haec habet : „Spiritus S. tanquam de utroque procedens et cuncta sanctificans,“ in editionibus Cypriani (Romana a. 1563, Antverpiensi a. 1568, Coloniensi a. 1617) verba illa ita leguntur : „Spiritus S. tanquam de Dei ore procedens et cuncta sanctificans.“ Sernikavius crimine τῆς παραφθορᾶς id inurit, quod nil aliud nisi varietas scripturae est. Neque veto obstat una alteri ratione contradictoria.

    X. XI. XII. „Credimus et in Spiritum S., verum Deum ex Patre procedentem, aequalem per omnia patri et filio, voluntate, potestate, aeternitate, substantia.“ Ita S. Hieronymus in expositione fidei Damaso inscripta. Variant Codices S. Doctoris, quibus tam Ioannes Disputator Florentinus, quam Legati Aquisgranensis Synodi ad Leonem Papara missî in libello suo de processione Spiritus S. sunt usi, ita tamen, ut illa varietate genuina Hieronymi sententia non mutetur.

    XIII. Eo usque insaniae progrediuntur Sernikavius, Bulgar et Procopowicz, ut etiam D. Augustino schismaticas de processione opiniones obtrudere conentur. Ac primum quidem id frustra deducunt ex discrepantia scripturae, quae in Epistola 66 Maximo Medico nuncupata obviam fit. Sive enim cum editione Basileensi legatur : „Spiritus S. non sicut creatura ex nihilo est factus, sed sic a Patre Filioque procedit, ut nec a Filio sit factus,“ sive lectio editionis Venetae praeferatur : „Spiritus S. non sicut creatura ex nihilo est factus, sed sic a Patre procedit, ut nec a patre nec a filio sit factus,“ — utraque contextus forma ecclesiasticum stabilit dogma.

  4. Confutationem absolvimus duorum Sernikavii Tractatuum, qui de falsatis per Latinos SS. Patrum ac Conciliorum monumentis tam occidentalibus quam orientalibus agunt. Singulas corruptelas a Schismaticorum triade insinuatas dum recensuimus, criminationes in Catholicos impudentissime vibratas sumus amoliti. Etenim vidimus istas quae figuntur παραφθορὰς haud semel nil aliud concernere, nisi varie tatem scripturae in diversis Codicibus obviam et ab editoribus fideliter expressam. Alteram corruptelarum quas notat monachus Baturinensis categoriam, constituunt errores levitati typographorum vel transscribentium attribuendi. Tertio schismatici discrepantiam urgent versionis latinae a graeco autographo, quae tamen in verbis, non iu re subsistit. Quarto sine testibus Latini arguuntur falsatorum textuum, quum e contrario documenta authenfica accusationem in Graecos retorquendam esse efflagitent. Quinto perperam argumentationes ex modo interpungendi desumuntur. Sexto de notis agitur marginalibus, qui in textum irrepserunt. Septimo differentiae inter principem et posteriores eiusdem auctoris recensiones in malam contorquentur fidem. Octavo mendae vel corruptelae, quas Latini fassi restituerunt primi decantantur. Plerumque autem schismatici absque ullis auctoritatibus doli mali notam inurunt, ubi effata SS. Patrum et Conciliorum perspicua ipsorum de Processione Spiritus Sancti commentis adversari intelligunt. Rem exploratissimam super additione in Symbolo saec. VII facta negant ; de dualitate principiorum queruntur ; ad legem Synodi Ephesinae provocant ; cohaerentiam singulorum dictorum non vident et hinc calumniis effugium sibi querunt ; notiones „propie“ et „principaliter“ ad Patrem relatas perverse interpretantur ; antitheses in locis Patrum sibi videntur invenire, quaestionum speculativarum ignorantia insignes ; actis denique synodalibus falsissimas obtrudunt intentiones. Sic nulla veritate nituntur nec ulla veritatis specie gaudent, quae Sernikavius unacum graeco Tractatuuni interprete ac epitomatore Novogrodensi contra Latinos deblaterant.
  5. Ce révérend tenait un harem de jeunes filles, dans un couvent de religieuses dont il était le directeur. Traduit devant le tribunal de l’Inquisition, où siégeait aussi l’auteur de cette histoire, il alléguait entre autres choses pour sa justification, que Jésus-Christ lui avait apparu dans la sainte hostie et lui avait accordé dispense sur ce point. Quoi de plus favorable à la religion, disait-il, que de tranquilliser treize âmes pieuses et de les préparer ainsi à une union parfaite avec l’essence divine ? Lhorente lui ayant objecté qu’il était bien étonnant que de pareilles grâces fussent départies seulement pour les plus belles nonnes du couvent et qu’il n’y eût rien pour les autres ! Croyez-vous que ce capucin fut déconcerté par cette objection inattendue ? Nullement. « L’esprit, répondit-il, en parodiant l’Évangile, souffle où il veut. » Mais il ne m’est pas permis de rapporter ici, en quelle occasion cela fut dit. (Lhorente, Histoire de l’Inquisition, tome III, chap. 18.)