Or donc à la belle youtresse,
Bérénice aux cheveux de nuit,
reine en exil et sa maîtresse
Titus écrivit ce qui suit :
— « Madame, sans doute votre ire
« va me traiter de galvaudeux,
« néanmoins, il faut vous l’écrire :
« madame, c’est fini nous deux !
« comme chante la Périchole,
« je vous aime de tout mon cœur
« mais — on vous l’a dit à l’école ? —
« le devoir doit rester vainqueur !
« J’aime votre face poupine,
« votre fessier au double mont,
« vos… hélas ! vous êtes youpine
« et j’ai peur de monsieur Drumont ;
« vos yeux brillent comme une paire
« d’escarboucles sous vos sourcils,
« mais enfin monsieur votre père
« n’en était pas moins circoncis !
« Les doctrines anti-sémites
« ont fait dans le peuple Romain
« (Dieu tout-puissant vous le permîtes !)
« un épouvantable chemin !
« Parbleu, c’est de l’intolérance !
« Je sais qu’au faubourg Saint-Germain,
« un jour, les plus grands noms de France
« des juifs rechercheront l’hymen :
« on pourra voir une Turenne
« épouser Meyer : mais aussi,
« notez bien cela, grande reine
« ce sera dans mille ans d’ici.
« Quant à moi, devancer la mode
« me paraît d’assez mauvais goût ;
« mon peuple n’est pas très commode,
« fichtre ! il s’en faut du tout au tout !
« Si je concevais le caprice
« à mon sénat peu folichon
« d’exhiber une impératrice
« qui ne mangeât pas de cochon
« ouais ! cette populace vile
« me dégommerait sans façon
« et puis moi, sans liste civile,
« je resterais joli garçon !
« Tenez, il me vient une idée :
« (il en vient même aux potentats !)
« ne croyez-vous pas qu’en Judée
« vous seriez mieux qu’en mes états ?
« Petite absence temporaire !
« D’ailleurs, c’est si beau l’Orient !
« Lisez plutôt l’Itinéraire
« par Monsieur de Chateaubriand !…
« Allons partez et pas de bile !
« Installez-vous bien à Sion,
« achetez une automobile,
« prenez de la distraction !
« Jouez au golf, au polo, faites
« de l’escrime et la charité,
« pour les pauvres donnez des fêtes :
« l’aumône est un sport bien porté !
« Amusez-vous, ma Bérénice,
« patinez, montez à cheval,
« pourquoi n’iriez-vous pas à Nice
« passer le temps du carnaval ?
« Suivez de la philosophie
« les préceptes réconfortants ;
« vous avez ma photographie :
« regardez-la de temps en temps !
« Dans mon cœur reste votre image !…
« Sous ce pli votre passe-port,
« auquel je joins un humble hommage,
« franco d’emballage et de port ! »
Alors pour simuler des larmes,
il répand quelques gouttes d’eau
sur le vélin, scelle à ses armes,
affranchit,… et court au bordeau
ribauder pour une pistole !
Quand la pauvre fille eut reçu
la très malplaisante épistole
où tant d’espoir était déçu,
elle fit la dyablesse à quatre,
gueula : « Partir ! jamais ! jamais ! »
tempêta, jura, voulut battre
le facteur qui n’en pouvait mais,
cassa douze plats dans sa rage,
nomma Titus voyou, lascar,
muffle, et puis ma foi ! prit courage
et l’express. Un beau sleeping-car
la conduisit en Palestine
Suétone avec grand succès,
mit l’histoire en prose latine
et Jean Racine en vers français !
|