La Navigation aérienne (1886)/II.II

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II

LES MACHINES VOLANTES ARTIFICIELLES
OU ORTHOPTÈRES


Les aviateurs désignent sous le nom d’orthoptères des appareils de vol mécanique qui ont pour organes principaux des surfaces animées de mouvements à peu près verticaux ; ce sont en un mot des systèmes à ailes battantes artificielles. On les distingue des hélicoptères, qui se soutiennent à l’aide d’hélices en rotation autour d’un axe, et des aéroplanes formées de surfaces plates inclinées d’un petit angle sur l’horizon et poussées à l’aide de propulseurs.

En 1783 et en 1784, quand les premières ascensions aérostatiques surexcitèrent l’esprit public, il ne manqua pas d’aviateurs pour proposer différents systèmes de machines volantes. — Gérard dès 1784, publia son Essai sur l’art du vol aérien[1], où il donne le naïf dessin que nous reproduisons d’une machine volante (fig. 13), oubliant de parler des organes essentiels de l’appareil : le mécanisme proprement dit et le moteur.

La même année, C. F. Meerwein, architecte du prince de Galles, proposa de construire un grand appareil destiné à un homme volant[2]. Cet appareil devait être formé de deux grandes ailes qu’un
Fig. 13. — Machine volante de Gérard (1784).
homme fixé au milieu, à l’aide de courroies, aurait fait fonctionner lui-même. Nous donnons l’aspect de l’appareil, vu en dessous et de côté par l’avant (fig. 14), d’après la figure même qu’en a publiée l’auteur en 1784.

Ce que des écrivains plus ou moins compétents, s’étaient bornés à proposer à la fin du siècle dernier, après la découverte des aérostats, des hommes de hardiesse ont voulu parfois le réaliser à une époque plus récente.

Au commencement de ce siècle, le public se préoccupa très vivement de l’aviation par le vol artificiel à tire-d’ailes, à la suite de deux entreprises qui eurent un très grand retentissement. La première est celle d’un nommé Calais qui, en 1801, annonça qu’il s’élèverait dans les airs au moyen d’un appareil volant de son invention ; l’expérience se fit au jardin Marbeuf, à Paris : elle fut malheureuse et ridicule et nous n’avons rien à en dire.


Fig. 14. — Projet d’homme volant de C. F. Meerwein (1781).

La seconde tentative attira l’attention de l’Europe entière et produisit une grande émotion. Elle eut pour acteur un horloger de Vienne nommé Degen, qui commença à faire parler de lui en 1809. À cette époque tous les journaux annoncèrent que Degen s’était élevé dans les airs, à Vienne, au moyen d’une machine de son invention.

On comprend combien la curiosité publique dut être tenue en éveil par cette nouvelle, et on ne tarda pas à publier à Paris quelques détails sur le système du mécanicien viennois.

Il était difficile de bien juger l’invention de Degen, parce que les détails qu’on en donnait, étaient très incomplets. Voici ce qu’on avait lu dans une feuille allemande :

M. Jacques Degen[3], habile horloger de Vienne, vient de s’élever dans l’air comme un oiseau, par un procédé de son invention. Il s’applique deux ailes artificielles faites de petits morceaux de papier, joints ensemble avec de la soie la plus fine. En battant de ces ailes, il s’élève avec beaucoup de rapidité, et dans une direction soit perpendiculaire, soit oblique, jusqu’à la hauteur de cinquante-quatre pieds. Son expérience, qui eut lieu devant une société nombreuse, lui valut les plus vifs applaudissements.

Un savant de Leipsick, M. Zacharie, avait publié les gravures que nous reproduisons ci-contre, en les réduisant (fig. 15 et 16), et qui ne tardèrent pas être exposées chez tous les marchands d’estampes de Paris. Il avait ajouté quelques pages de texte où il faisait des restrictions prudentes. M. Degen s’est élevé. Pourquoi oublie-t-on de dire quel jour et à quelle heure ? La société était nombreuse pourquoi ne nomme-t-on personne ? Quoi qu’il en soit de ces réserves, le savant Allemand donne la description du mécanisme. Nous allons en reproduire les passages les plus saillants.

Les deux ailes présentent une carcasse probablement de jonc ou de baleine, à peu près comme celle d’un parasol, et dont les parties, pour réunir à la plus grande ténuité la plus grande raideur, sont combinées par en haut, ainsi que par en bas, par de


Fig. 15. — Appareil volant de Degen (1812).

petites cordes, attachées au-dessus et au-dessous de l’aile, à une forte baguette qui passe comme un axe par le milieu. On voit à chaque aile plusieurs systèmes de cordes dont l’effet devait être


Fig. 16. — Appareil de Degen, figuré en plan.

de donner à chaque parasol beaucoup de solidité. Un point important se trouvait caché dans ces descriptions, Degen n’en parlait pas : c’est que le système, avec l’aviateur, devait être attaché à un petit ballon gonflé de gaz hydrogène. L’inventeur avait la prétention, à l’aide de ses ailes, d’entraîner l’aérostat qui le soulevait, et de le diriger dans l’atmosphère. Le projet n’était pas réalisable, l’aérostat sphérique destiné à enlever le poids d’un homme offrant déjà un volume et une surfaces considérables.

Nous résumerons d’une façon complète l’histoire malheureuse des expériences exécutées par Degen à Paris en 1812, en reproduisant les articles qui ont successivement été publiés à ce sujet dans le Journal de Paris.

Le premier article que l’on va lire est d’autant plus intéressant, qu’il a été écrit par Garnerin, le célèbre expérimentateur du parachute.

Extrait du Journal de Paris du 9 juin 1812.
M. DEGEN
Volera-t-il ? Ne volera-t-il pas ?

Voilà ce qu’on se dit depuis quelques jours, dans les places publiques, dans les promenades, dans les salons dorés, dans les boutiques des marchands : volera-t-il, ne volera-t-il pas ? à quoi servent les journalistes s’ils ne parlent jamais qu’après l’événement ? à quoi servent-ils surtout, si, imitant certain critique de théâtre, ils ne nous disent pas même la vérité après l’événement, et s’ils prennent, suivant leur intérêt personnel, les applaudissemens pour des sifflets, et les sifflets pour des applaudissemens ?

Moi, j’oserai prendre franchement l’initiative, au risque de faire rire de pitié ces ignorans orgueilleux qui se disent sceptiques par principe et qui ne le sont que par sottise.

Avant que les hommes aient trouvé une substance spécifiquement plus légère que l’air atmosphérique prête à les soutenir dans l’espace, on a pu douter du succès de semblables tentatives ; mais aujourd’hui que le gaz inflammable est employé avec tant de facilité pour élever les corps, on conçoit qu’une semblable expérience offre beaucoup de chances de succès.

Il est certain que plusieurs animaux, sans avoir rien de commun avec les oiseaux ; du moins quant à l’organisation, peuvent s’élever dans les airs et même voler : c’est ce que font les chauves-souris, et quelques espèces d’écureuils qui sont des animaux à poils et à mamelles. Certains lézards volent d’un arbre à l’autre, des poissons même s’élèvent pendant quelques instans dans les airs en se servant de leurs nageoires comme les volatiles se servent de leurs ailes ; nul doute que la mécanique seule ne pût parvenir à faire des espèces d’ailes avec lesquelles on pourrait quelque tems se soutenir dans les airs et même aller d’un lieu à un autre.

Il ne faut donc pas être surpris que quelques têtes ardentes aient tenté l’entreprise. Dans le siècle dernier, Bacqueville et Blanchard eurent l’intention de voler ; l’un vola aussi bien et presque aussi longtemps que l’espèce de lézard connu sous le nom de dragon ; l’autre s’occupait depuis longtemps de la construction d’un bateau à ailes, que j’ai vu, il y a environ 25 ans, chez l’abbé Viennai, au faubourg Saint-Germain. La découverte des aérostats par Montgolfier, l’application du gaz inflammable la formation des ballons, le détourna de son projet, et Blanchard trouva plus commode et plus sûr de suspendre sa nacelle a un ballon aérostatique.

Il y quelques années qu’un M. Pauly construisit ce qu’il appelait un poisson volant, avec lequel on m’a dit qu’il obtint des résultats assez heureux et qui faisaient du moins prévoir la possibilité de louvoyer dans les airs : je ne parle pas de ce prétendu mécanicien qui se fit hisser au haut d’un mât pour retomber de tout son poids ; les tentatives d’un tel homme n’offrent rien de décourageant pour ceux qui ont quelques connaissances réelles.

Au surplus, de ce que des mécaniciens n’ont pas encore réussi complètement dans la construction d’ailes propres à les soutenir dans les airs, on ne doit pas conclure que cela est physiquement impossible ; lorsqu’un projet ne répugne pas absolument à la raison et aux lois bien connues de la physique, il faut se rappeler ces beaux vers :

« Croire tout découvert est une erreur profonde ;
« C’est prendre l’horizon pour les bornes du monde. »

La belle et audacieuse expérience des parachutes prouverait seule qu’on peut se soutenir dans les airs par des moyens à peu près semblables à ceux des écureuils volants, des dragons, etc. ; mais j’avoue que ces moyens, qui doivent consister dans une ingénieuse combinaison de leviers, me paraissent offrir les plus grandes difficultés, et qu’un homme de génie pourra seul les trouver. Cependant, aujourd’hui qu’on peut s’aider du gaz hydrogène, comme le fait M. Degen, la possibilité de se diriger m’est démontrée.

M. Degen a-t-il trouvé les moyens mécaniques dont la combinaison peut faire mouvoir des ailes propres à le diriger dans l’espace ? c’est ce que nous saurons bientôt, car je déclare qu’au moment où j’écris cette note, je n’ai encore vu ni M. Degen, ni son appareil mécanique ; mais je déclare aussi que quand son expérience n’aurait pas tout le succès que sa réputation semble promettre, cela ne devrait point ralentir le zèle de ceux qui voudraient tenter une semblable entreprise.

J’ajouterai que d’après ce qu’on m’a dit des moyens ingénieux employés par M. Degen, je crois qu’il est possible de perfectionner ce qu’il a fait, et je suis persuadé que tous les physiciens seront de mon avis.

Mais, volera-t-il, ne volera-t-il pas ? diront encore les incrédules. Je pourrais répondre comme ces bonnes gens : je vous dirai cela ce soir ; mais je réponds franchement : je crois qu’il volera ; mais, je le répète, s’il ne vole pas il ne m’en sera pas moins démontré qu’il est possible de se diriger dans les airs.

Après ce premier article, le public eut quelques renseignements plus précis dans une notice spécialement consacrée au mécanisme de l’inventeur.

Extrait du Journal de Paris du mercredi 10 juin 1812.

À côté de la grande affiche de Tivoli, on en avait placé hier une seconde que les curieux lisaient avec beaucoup d’attention, et qui contient quelques renseignemens sur les moyens employés par M. Degen, et sur le degré de gloire auquel il aspire comme mécanicien. Nous allons transcrire textuellement cette affiche :

« C’est après avoir fait une étude profonde et réfléchie du mécanisme naturel du vol des oiseaux, que M. Degen a imaginé ce qu’il appelle sa machine à voler.

« Son travail est absolument calqué sur celui de la nature, et ses ailes ont la même forme et la même légèreté, proportion gardée, que celles des oiseaux. Il leur imprime le même mouvement et en obtient le même résultat, enfin il se dirige dans tous les sens, monte et descend à volonté et plane dans les airs avec une facilité et une vitesse telles qu’il peut faire 14 lieues en une heure, lorsqu’il n’est pas trop contrarié par le vent ; car alors son travail devient plus pénible et il est obligé de louvoyer. Tous ces mouvements s’exécutent sans aucune espèce de danger pour lui ni pour son appareil. Il arrive à terre aussi lentement qu’il le désire et repart de nouveau pour reprendre une nouvelle direction ; il vole ou s’arrête à volonté.

« Ses ailes, car on peut leur donner ce nom, ont 22 pieds d’envergure et 8 pieds et demi dans leur plus grande largeur. Chaque mouvement qu’il leur imprime déplace 150 pieds carrés d’air atmosphérique, et à chacun des battemens il pourrait enlever un poids de 160 livres, tandis que la force ascensionnelle du ballon dont il se sert n’est que de 90 livres environ : ce qui donne en faveur de ses ailes quand elles sont en mouvement une différence de 70 livres. Ce mécanicien observe que ce ballon ne lui est d’aucune utilité pour sa direction, mais il est obligé de l’employer comme contrepoids, pour le maintenir en équilibre et le soulager en même tems dans sa manœuvre ; du reste, il en est parfaitement le maître, et le force à suivre tous ses mouvemens.

« M. Degen, laisse aux Français l’honneur de la découverte sublime des ballons ; mais il réclame pour lui celle de la direction à volonté, que personne n’a encore pu trouver jusqu’à présent.

« En conséquence, il prie le public qui voudra bien l’honorer de sa présence, de ne considérer son expérience que sous le seul rapport de la direction, le ballon n’étant qu’un faible accessoire qui n’entre pour rien dans la composition ni dans le mécanisme de la machine dont il est l’inventeur. »

À ces détails, nous ajouterons que chacune de ses ailes déployée, et vue en dessus ou en dessous, a la forme de certaines feuilles d’arbres très connus, tels que le peuplier et le tremble.

Ces ailes sont formées de parties séparées destinées à imiter les plumes des oiseaux ; ce sont des bandes de taffetas montées sur des baguettes de rotang ou jonc, une foule de cordages bien déliés les font mouvoir au moyen de pièces principales.

Ces ailes sont fixées à une espèce de collier qui fait partie de l’ensemble de la machine ; ainsi, elles sont situées un peu au-dessus de ses épaules. Les traverses auxquelles aboutissent tous les cordages sont placées en avant et en arrière du mécanicien, il la hauteur des hanches ou environ : c’est sur ces traverses qu’il pose de chaque côté une de ses mains pour imprimer le mouvement aux ailes. Les pieds du mécanicien sont posés sur une traverse inférieure ; et comme tout cet appareil est suspendu au ballon, M. Degen est dans une situation verticale ; situation que la nature semble prescrire à l’homme, tandis que les animaux qui ont des ailes, des membranes, ou des peaux pour s’élever dans les airs, se tiennent dans une situation horizontale. On dit que tout cet appareil mécanique, en apparence compliqué mais en effet fort simple, ne pèse par vingt livres.

Le ballon qui sert à favoriser l’ascension a un diamètre à peu près égal à l’envergure des ailes. Nous rendrons compte demain du résultat de cette expérience.

On va voir que la première expérience de Degen n’eut qu’un bien piètre succès.

Extrait du Journal de Paris du vendredy 12 juin 1812.

Nos lecteurs auront facilement corrigé deux mots dans l’article inséré hier dans le feuilleton sur M. Degen, en substituant avant-hier à hier dans le second et le troisième paragraphe et commençant le quatrième par le mot hier ; en effet, tout le monde sait que c’est mardi qu’on a affiché, ainsi que nous l’avons dit, la remise de l’expérience au lendemain.

C’est à huit heures un quart, mercredi, que M. Degen est parti de Tivoli. Hier, à quatre heures de l’après-midi, nous avons appris qu’il était arrivé sans accident après s’être accroché, en rasant la terre, au mur du parc de Sceaux, côté du sud, près la route de Versailles à Choisy, et était descendu à Chatenay, où il a été accueilli par Mme Pinon et M. Grivois, propriétaires. On dit que pendant l’expérience de M. Degen, deux auteurs du Théâtre des Variétés faisaient le plan d’une pièce intitulée Vol-au-vent, destinée à ce théâtre. On ajoute que le Vaudeville compte aussi célébrer le départ de M. Degen.

L’inventeur ne perdit pas confiance, et la presse continua à lui prêter son concours, pour lui permettre de reprendre sa revanche.

Extrait du Journal de Paris du mardi 16 juin 1812.
VARIÉTÉS
Donnons-lui sa revanche

Nos pères ont bien mal fait de mourir si vite. Pourquoi se sont-ils tant pressés ? que de belles choses ils auraient vues, s’ils avaient voulu se donner la peine d’attendre un instant ! Pauvres gens ! je les plains, ils marchaient : nous volons aujourd’hui. Cette découverte aurait dû être faite par un Français ; nous sommes si légers mais la gloire en était réservée aux Allemands. C’est grâce à M. Degen qu’il est reconnu que l’homme est un volatile. L’illustre inventeur, fort de sa conscience et de ses ailes de 22 pieds d’envergure, s’est élevé majestueusement dans les airs, où je crois qu’il serait encore, s’il ne s’était souvenu qu’il avait un petit compte à régler avec le caissier de Tivoli. Cependant, il faut bien en convenir, M. Degen n’a pas tenu ce qu’il nous avait promis ; il devait, si j’ai bien lu son affiche, se diriger contre le vent et de fort honnêtes gens prétendent que c’est le vent qui a dirigé M. Degen ; en vérité, ce vent du nord est trop honnête ; il a cru, sans doute, rendre un service au mécanicien de Vienne en le secondant de son mieux : ce n’était point là ce qu’on lui demandait. De son côté, M. Degen, en homme qui sait vivre, n’a point voulu contrarier un hôte aussi obligeant, et il a consenti pour cette fois seulement à faire toutes ses volontés ; mais il ne faut pas que le vent du nord s’y habitue, sinon M. Degen partira par un vent du midi, et au lieu d’aller de Tivoli à Chatenay, il pourrait bien venir de Chatenay à Tivoli, ce qui changerait sa direction.

Quoi qu’il en soit, et malgré toutes les plaisanteries qu’on a pu faire sur le vol à tire-d’ailes, il serait souverainement injuste de juger le mérite d’une invention d’après une seule expérience ; M. Degen a perdu la partie, donnons-lui sa revanche. Tant de gens marchent ici-bas en tâtonnant qu’il est bien permis de tâtonner dans les airs. Les premiers essais, d’ailleurs, sont toujours très faibles, et je tiens d’un savant très distingué que le premier vaisseau qui fut lancé n’était point un vaisseau de 74. L’important dans les découvertes est de faire un pas, le temps se charge du reste.

L’eussiez-vous jamais deviné ? certes, celui qui trouva la gravitation n’était pas un sot, au moins je le présume. Mais que doit-on penser du savant mécanicien dont le génie fait de l’homme un oiseau, et nous apprend à planer dans les airs contre vent et marée ? Depuis cette admirable découverte, il ne faut plus regarder les pieds que d’un air de dédain, et comme une de ces superfluités dont on sait bien se passer au besoin, car lorsqu’on peut voler ce n’est que par complaisance que l’on consent à marcher. Mais voyez donc toutes ces personnes qui s’offrent à votre rencontre : ne leur trouvez-vous pas une démarche plus légère, plus vive et plus animée ? ne diriez-vous pas qu’elles sont prêtes à s’envoler ? elles effleurent à peine la terre qui n’est plus leur seul élément ; il y a dans leur allure, dans leurs mouvemens, quelque chose d’aërien n’en soyez pas surpris ;

« Même quand l’oiseau marche, on sent qu’il a des ailes. »

Chacun va s’empresser de profiter de cette heureuse invention.

Pour en venir à M. Degen, je crois très fermement qu’il fera à Paris tout ce qu’il a fait à Vienne, mais je l’invite a bien prendre ses mesures. Nous avons ici des gens bien prudens, bien avisés, qui regardent toujours d’où le vent souffle.

Le deuxième essai de l’infortuné Degen ne fut pas plus heureux que le premier.

Extrait du Journal de Paris 8 juillet 1812.

La deuxième expérience aérostatique de M. Degen a eu lieu hier soir, par un très beau temps, devant une grande affluence de curieux ; elle n’a pas été moins contrariée que la première ; les personnes qui avaient été chargées de remplir le ballon avaient mal préparé et employé le gaz, il en est résulté que le ballon s’est chargé dans son intérieur de beaucoup d’eau, et qu’il n’a pu s’élever d’abord qu’à 15 pieds de terre. Bientôt il s’est dégagé d’une grande partie de son lest, et il s’est élevé majestueusement dans les airs. Au mouvement de ses ailes on eût dit, un oiseau colossal ; son ballon, dominé par le vent, a suivi la direction du nord-est ; pendant quelques instans il a résisté au courant qui l’entraînait, et il a parti stationnaire, mais il a disparu. Ces différentes circonstances peuvent faire croire qu’avec un ballon mieux préparé, il obtiendra plus de succès.

Les extraits suivants, qui donnent le funeste dénouement de la troisième expérience de Degen, termineront l’histoire de ce malheureux homme volant.

Extrait du Journal de Paris du 4 octobre 1812.

La troisième expérience de M. Degen aura lieu au champ de Mars demain 5 octobre, à 3 heures après-midi, si le tems le permet, sinon, le premier beau jour suivant. Prix des places : premières 10 francs, deuxièmes 5 francs, troisièmes 2 francs. On trouve tous les jours des billets chez M. Degen, Avenue du Champ de Mars, numéro 10 ; chez M. Cardinaux, horloger, boulevard Poissonnière, numéro 18 ; chez M. Auger, parfumeur, rue de la Michodière, numéro 12 ; et au café de la Rotonde (Palais-Royal). Les billets de 2 francs on les aura dans ces 4 endroits à 1 fr. 50, pour la facilité du public et pour prévenir la foule à la caisse mais on les payera 2 francs dans les bureaux qui seront établis à l’entrée du champ de Mars.

Extrait du Journal de Paris du 6 octobre 1812.

M. Degen, qui a été accueilli en France avec indulgence, a prouvé hier qu’il n’était qu’un misérable charlatan qui ne cherchait qu’à tromper le public ; ne pouvant remplir ses promesses, il a été exposé à l’indignation des spectateurs, et l’intervention de la police a été nécessaire pour prévenir les désordres auxquels il avait donné lieu. La recette a été saisie et envoyée au bureau de bienfaisance, de sorte que M. Degen n’a volé en aucune manière.

On voit que ce dernier article était d’une sévérité extrême. Le malheureux Degen, lors de sa troisième expérience au champ de Mars, fut roué de coups par la foule, et il fut ensuite bafoué, caricaturé et chansonné. L’acteur Brunet le représenta avec grand succès sous le nom de Vol-au-Vent, dans une pièce comique du théâtre des Variétés, intitulée Le Pâtissier d’Asnières.

Il paraîtrait cependant, d’après Dupuis Delcourt, que Degen était un honnête homme, plein de sincérité et de bonne foi. Il aurait fait à Vienne quelques expériences d’étude, à l’aide de son système d’ailes artificielles équilibré par une corde soutenue par des contrepoids.

Voici l’appréciation que nous trouvons sur Degen dans les notes inédites de Dupuis Delcourt :

En examinant à distance les travaux de Jacob Degen, on en vient à lui rendre plus de justice. M. Degen, dans les ascensions publiques qu’il a faites à Paris, non plus que dans celles qu’il avait exécutées précédemment (1809, 1810) à Vienne et à Luxembourg, n’avait point exécuté le vol à tire-d’ailes qu’il avait annoncé ; son expérience n’était pas complète mais il y serait parvenu, je n’en doute pas, s’il avait été convenablement encouragé et soutenu. Sa machine, très ingénieuse, était imparfaite encore sans doute ; n’en est-il pas ainsi de tous les travaux humains ? Rien ne vient à sa perfection du premier jet. Minerve, dit la Fable, sortit un jour tout armée du cerveau de Jupiter. Mais Jupiter était un dieu, et nous ne sommes que des hommes.

M. Degen était un habile horloger, fort expert en mécanique[4].

La force d’un homme est assurément impuissante à faire fonctionner des ailes capables de l’enlever dans l’atmosphère. Nombre de physiciens ont essayé de recourir à la mécanique pour lui emprunter une force motrice suffisante.


Fig. 17. — Machine volante de Kaufmann (1860).

Lors de l’exposition aéronautique qui eut lieu à Londres en 1860, on a beaucoup parlé d’une grande machine volante à vapeur imaginée par M. Kaufmann. Cette machine que nous représentons ci-dessus (fig. 17) était destinée à pouvoir se mouvoir sur terre au moyen de roues, sur l’eau en flottant comme un bateau, et dans l’air à l’aide de grandes ailes qu’un mécanisme puissant devait mettre en mouvement. Un modèle de petite dimension fut construit par M. Kaufmann ; l’appareil fonctionna sur terre et sur l’eau, mais il se trouva absolument incapable de s’élever dans l’air au moyen de ses ailes.

Le poids de l’appareil de M. Kaufmann était de 3 175 kilogrammes sous un volume de 7 mètres cubes. Il devait avoir pour moteur une machine à vapeur de 50 chevaux. Il ne fut jamais construit en grand et n’aurait assurément pas fonctionné.


Fig. 18. — Appareil volant d’Edison.

Dans ces derniers temps, les journaux américains ont prétendu que leur célèbre inventeur Edison s’était préoccupé de construire une machine volante de grande dimension. Quelques-uns d’entre eux ont même donné l’aspect de la machine que le physicien aurait imaginée. Nous reproduisons ce dessin à titre de curiosité (fig. 18), non sans ajouter qu’il s’agit probablement d’une fantaisie, due à quelque reporter à court de nouvelles.

Ce qu’il a été jusqu’ici impossible de réaliser en grand, quelques habiles constructeurs ont pu le faire en petit, sous forme d’appareils très légers et fonctionnant pendant un temps très court.

En 1857, Le Bris construisit un petit oiseau artificiel dont nous donnons l’aspect (fig. 19), et qui, paraît-il, permit de réaliser quelques essais intéressants.


Fig. 19. — Oiseau artificiel de Le Bris (1857).

L’auteur produisait l’abaissement des ailes au moyen de leviers articulés, que des ressorts relevaient avec une grande énergie ; mais le système en définitive ne quittait pas le sol pour s’élever dans l’air.

Nous avons vu que dès 1870, M. Marey a pu faire faire un premier pas très remarquable au problème du vol artificiel en faisant fonctionner des insectes artificiels attelés à un petit manège ; il restait encore, après ces essais, à gagner les deux tiers restants du poids en perfectionnant l’action de l’aile, et à faire emporter aux appareils leur moteur au lieu de les mettre en mouvement par une force extérieure. C’est ce que réalisa Alphonse Pénaud vers la fin de l’année 1871, en employant le caoutchouc tordu, comme moteur de petits oiseaux artificiels. Nous reproduisons ici une partie d’un remarquable mémoire de M. Pénaud, travail considérable qui a été couronné par l’Académie des sciences :

Au milieu des théories diverses de l’aile que donnaient Borelli, Huber, Dubochel, Strauss-Durckeim, Liais, Pettigrew, Marey, d’Esterno, de Lucy, Arlingstall, etc., et des mouvements si compliqués qu’ils assignaient à cet organe et à chacune de ses plumes, mouvements dont la plupart étaient inimitables pour un appareil mécanique, nous nous décidâmes à chercher nous-même par le raisonnement seul, appuyé sur les lois de la résistance de l’air et quelques faits d’observation la plus simple, quels étaient les mouvements rigoureusement nécessaires de l’aile. Nous trouvâmes : 1o une oscillation double, abaissement et relèvement, transversale à la trajectoire suivie par le volateur ; 2o le changement de plan de la rame pendant ce double mouvement ; la face inférieure de l’aile regardant en bas et en arrière pendant l’abaissement, de façon à soutenir et à populser ; cette même face regardant en bas et en avant pendant le relèvement, de façon que l’aile puisse se relever sans éprouver de résistance sensible et en coupant l’air par sa tranche, tandis que l’oiseau se meut dans les airs. Ces mouvements étaient d’ailleurs admis par un grand nombre d’observateurs, et fort nettement exposés, en particulier, par Strauss-Durckeim et MM. Liais et Marey.

Mais, en considérant la difficulté de la construction de notre oiseau mécanique, nous dûmes, malgré notre désir de faire un appareil simple et facile à comprendre, chercher perfectionner ce jeu un peu sommaire. Il est évident d’abord que les différentes parties de l’aile, depuis sa racine jusqu’à son extrémité, sont loin d’agir sur l’air dans les mêmes conditions. La partie interne de l’aile, dénuée de vitesse propre, ne saurait produire aucun effet populsif à aucune période du battement, mais elle est loin d’être inutile, et l’on comprend que pendant la rapide translation de l’oiseau dans l’espace elle peut, en présentant sa face inférieure en bas et un peu en avant, faire cerf-volant pendant le relèvement comme pendant l’abaissement, et soutenir ainsi d’une façon continue une partie du poids de l’oiseau. La partie moyenne de l’aile a un jeu intermédiaire entre celui de la partie interne de l’aile et celui de la partie externe ou rame. De la sorte, l’aile, pendant son action, est tordue sur elle-même d’une façon continue depuis sa racine jusqu’à son extrémité. Le plan de l’aile à sa racine varie peu pendant la durée des battements ; le plan de l’aile médiane se déplace sensiblement, de part et d’autre de sa position moyenne ; enfin la rame, et surtout sa portion extrême, éprouvent des changements de plans notables. Ces gauchissements de l’aile se modifient à chaque instant du relèvement et de l’abaissement, dans le sens que nous avons indiqué ; aux extrémités de ses oscillations l’aile est à peu près plane. Le jeu de l’aile se trouve ainsi intermédiaire entre celui d’un plan incliné et celui d’une branche d’hélice pas très long et incessamment variable.

Malgré les différences de leurs théories entre elles et avec celle-ci, divers auteurs nous donnaient, tantôt l’un, tantôt l’autre, des confirmations de la plupart de ces idées. Ainsi la torsion de l’aile avait été déjà très bien signalée par Dubochet et M. Pettigrew, qui a longuement insisté à son égard ; il a seulement pris, selon nous, le galbe du relèvement pour celui de l’abaissement, et vice versa. Ces auteurs ont bien vu comment les articulations osseuses, les ligaments de l’aile, l’imbrication et l’élasticité des pennes concouraient à cet effet. M. d’Esterno avait expliqué l’effet continu de cerf-volant de la partie interne de l’aile pendant son abaissement et son relèvement, et M. Marey avait donné il cette partie de l’aile l’épithète heureuse de « passive », tout en accordant un rôle prépondérant, dans le vol, à un changement de plan général de l’aile, dû à la rotation de l’humérus sur lui-même.

Selon nous, il y a une distinction complète à établir entre le vol sur place et le vol avançant ordinaire, et l’amplitude des changements de plans de la rame est essentiellement fonction de la vitesse de translation du volateur. À l’extrémité de l’aile, où se produisent les changements de plans les plus considérables, ils atteignent 90 degrés et plus dans le vol sur place, mais ils sont bien moindres dans le vol avançant. D’après nos calculs, les portions extrêmes de la surface de la rame du corbeau ne sont, en plein vol, inclinées vers l’avant pendant l’abaissement que de 7 à 11 degrés au-dessous de l’horizon, et de 15 à 20 degrés au-dessus pendant le relèvement. Le plan de l’aile a sa racine fait d’ailleurs, pendant ce temps, cerf-volant sous un angle, de 2 à 4 degrés seulement.

Il est facile de vérifier la petitesse des inclinaisons de l’aile et, par suite, de ses angles d’attaque sur l’air, en regardant voler un oiseau qui se meut sur un rayon visuel horizontal. On ne voit, en effet, alors, à peu près que la tranche de ses ailes. Il est, en somme, inexact de dire que l’aile change de plan ; à peine pourrait-on dire qu’elle change de plans. La vérité est qu’elle passe d’une façon continue par une série de gauchissements gradués et d’une intensité généralement assez faible. C’est du reste ainsi que l’avait compris un auteur anglais, dont nous avons retrouvé les travaux depuis la construction de notre oiseau, et dont la connaissance nous eût évité plusieurs recherches. La théorie de sir G. Cayley, publiée en 1810, ne diffère de la nôtre que par un petit nombre de points ; il pensait que la rame remontante a toujours une action populsive, et attribuait aux parties populsives et cerf-volant de l’aile des proportions relatives inverses de celles que nous avons été conduit par le calcul à leur attribuer.

C’est avec ces idées, qui ont été jugées favorablement par l’Académie au dernier concours de mathématiques, que nous entreprîmes, en septembre 1871, l’application du caoutchouc tordu au problème de l’oiseau mécanique. Les ailes de notre oiseau battent dans un même plan par l’intermédiaire de bielles et d’une manivelle. Après quelques essais grossiers, nous reconnûmes la nécessité d’avoir, pour cette transformation de mouvement, un mécanisme très solide relativement à son poids, et je m’adressai à un habile mécanicien, M. Jobert, pour la construction d’un mécanisme d’acier, que mon frère, M. E. Pénaud, avait imaginé.

Fig. 20. — Oiseau artificiel d’Alphonse Pénaud (1871).

Nous représentons ci-dessus (fig. 20) l’appareil qu’Alphonse Pénaud est arrivé à construire. Le caoutchouc moteur est placé au-dessus de la tige rigide qui sert de colonne vertébrale à l’appareil. Le mécanisme des battements des ailes est disposé au-dessus d’un volant régulateur. À la partie postérieure est une queue régulatrice formée par une longue plume de paon, que l’on peut incliner vers le haut, le bas ou par le côté, et que l’on peut aussi charger de cire, de façon à amener le centre de gravité de tout l’appareil au point convenable.

Les gauchissements des ailes sont obtenus par la mobilité du voile de l’aile et de petits doigts qui le supportent autour d’une grande nervure. Un petit tenseur en caoutchouc part de l’angle intéro-postérieur de la surface de l’aile, et vient s’attacher d’autre part vers le milieu de la tige centrale de l’appareil.

Cet appareil fut présenté le 20 juin 1872 à la Société de navigation aérienne. Quand le caoutchouc était bien tendu, on abandonnait le système à lui-même, les ailes battaient, et l’oiseau artificiel franchissait la salle des séances, de 7 mètres de longueur, en s’élevant d’une façon continue par un vol accéléré, suivant une rampe de 15 à 20 degrés. En espace libre, l’oiseau artificiel d’Alphonse Pénaud parcourait 12 à 15 mètres et parvenait à 2 mètres environ au point le plus haut de sa course.

MM. le docteur Hureau de Villeneuve, Jobert, Gauchot, Crocé-Spinelli, et d’autres expérimentateurs exécutèrent des petits appareils du même genre. Un peu plus tard la question fut reprise avec une grande ardeur par M. Victor Tatin, qui ne construisit pas seulement de petits oiseaux à ressorts de caoutchouc, mais qui entreprit de faire fonctionner un oiseau artificiel de plus grande dimension, actionné par un moteur à air comprimé.

En 1874, cet habile et ingénieux mécanicien commença ses études expérimentales sur le vol artificiel dans le laboratoire de M. Marey, et il parvint, en 1876, à réussir dans des conditions particulièrement intéressantes, ses premiers essais réalisés en petit.


Fig. 21. — Oiseau mécanique de M. Victor Tatin (1870).
Les efforts de M. Tatin ont sans cesse tendu à la reproduction du vol de l’oiseau sur des schémas plus ou moins compliqués ; il a recherché, sur de petits appareils mis en mouvement par un ressort de caoutchouc, quelles étaient les meilleures formes d’ailes, afin de les adapter à un grand appareil fonctionnant par l’air comprimé. Après plusieurs essais, il s’est arrêté à l’emploi d’ailes longues et étroites. Wenham avait montré qu’une aile peut avoir une aussi bonne fonction quand elle est étroite que lorsqu’elle est large, et M. Marey avait signalé ce fait, que « les oiseaux dont l’amplitude des battements est faible, ont toujours l’aile très longue ». Avec ces ailes étroites et longues (fig. 21), M. Tatin a rendu aussi court que possible le temps pendant lequel le voile prend la position. convenable pour agir sur l’air pendant l’abaissée.

Étant donné ce fait depuis longtemps établi, qu’un oiseau vole plus facilement s’il peut appuyer son aile sur une grande masse d’air en peu de temps, on comprend que la vitesse de translation maxima sera l’allure la plus avantageuse au point de vue de la réduction de la dépense de force. L’auteur ne pouvant empêcher que ses oiseaux mécaniques dépensent précisément des forces considérables pour obtenir la vitesse utile, a remédié à cet inconvénient en portant en avant le centre de gravité. Dès lors l’oiseau en plein vol conserve le même équilibre que l’oiseau qui plane, et sa vitesse est en quelque sorte passive, de nouvelles couches d’air inertes venant se placer comme d’elles-mêmes sous ses ailes : toute la dépense de force peut alors être utilisée pour la suspension. C’est ainsi que M. Tatin a pu augmenter le poids de ses appareils sans en augmenter la force motrice, et obtenir un parcours double.

Le mouvement que fait l’aile autour d’un axe longitudinal, et qui lui permet de présenter toujours la face inférieure en avant pendant la relevée, a été obtenu par un organe de l’appareil schématique.

Cet appareil, vu latéralement et par derrière, se compose d’un bâti en bois léger, à l’avant duquel sont implantés deux petits supports traversés par un arbre coudé et contre-coudé, de façon à former deux manivelles en vilebrequin, à 90 degrés l’une de l’autre. Cet arbre reçoit un mouvement circulaire d’un ressort de caoutchouc (fig. 22). La manivelle placée sur le plan le plus avancé produit l’élévation et l’abaissée des ailes, qui sont mobiles autour d’un axe commun. Ce même axe est fortement incliné en bas et en arrière par la seconde manivelle, lorsque la première passe au point mort et que les ailes sont au bas de leur course.


Fig. 22. — Appareil de M. Victor Tatin pour l’étude du mouvements des ailes.
Mais l’aile ne doit pas seulement changer de place dans son ensemble ; chaque point de l’aile doit avoir, surtout pendant la relevée, une inclinaison d’autant plus marquée qu’il est plus voisin de l’extrémité ; la partie voisine du corps doit seule conserver sensiblement la même obliquité. M. Tatin a pensé que c’était par le carpe qu’il fallait commander le mouvement de torsion venant s’éteindre graduellement près du corps, et pour obtenir avec toutes ses transitions, il avait substitué aux ailes de soie qui se plissent, des ailes entièrement construites en plumes très fortes, disposées de telle façon qu’elles arrivassent à glisser un peu l’une sur l’autre pendant les mouvements de torsion la fonction de cette nouvelle voilure était parfaite ; mais, adaptée au grand oiseau, ces ailes ne donnèrent que des résultats médiocres. L’auteur a donc dû revenir aux ailes de soie, qu’il semble avoir définitivement adoptées.

Grâce à certaines modifications qu’il a fait subir à son grand appareil (léger changement de forme des ailes, variation de l’amplitude des battements, renouvellement de quelques organes de la machine), M. Tatin a pu réaliser un grand progrès l’oiseau à air comprimé, qui, attelé à un manège, ne soulevait d’abord que les trois quarts de son poids, est arrivé à soulever son poids entier. Malheureusement ce résultat n’a pu être dépassé[5].

Nous donnerons en terminant quelques-unes des conclusions présentées par M. Tatin dans son mémoire :

Pour que l’oiseau puisse se soulever par ses coups d’aile, il faut théoriquement, d’après M. Marey, que le moment de la force motrice soit un peu supérieur à celui de la résistance de l’air, ce dernier ayant pour valeur, sous chaque aile, la moitié du poids de l’oiseau multipliée par la distance qui sépare le centre de pression de l’air sur l’aile du centre de l’articulation scapulo-humérale. Mes expériences montrent que, pour les appareils mécaniques, il faut un plus grand excès de la force motrice sur la résistance de l’air. Peut-être cet écart entre la force théorique et la force pratiquement nécessaire existe-t-il également chez l’oiseau, dont on n’a pu encore mesurer la dépense de travail pendant le vol.

J’ai essayé de donner la mesure expérimentale du travail dépensé par une machine qui vole. J’insiste pour rappeler que de pareilles mesures ne représentent pas le minimum de force nécessaire, mais la dépense actuellement faite par nos appareils[6].

On ne saurait croire combien d’efforts ont été tentés, souvent de la part des hommes les plus distingués, pour réaliser une machine volante. En 1845, un mécanicien nommé Duchesnay, avait exposé dans l’intérieur de la grande salle de l’ancien cloître de Saint-Jean de Latran, à Paris, un grand oiseau mécanique dont les ailes recouvertes de plumes avaient plus de dix mètres d’envergure. Dupuis Delcourt a vu cette machine, mais il ne l’a pas vue fonctionner.

Fig. 23. — Oiseau mécanique de Brearey (1879).

Marc Seguin, vers 1849, étudia l’aviation avec beaucoup de persévérance. Il parvint à se soulever du sol au moyen d’ailes battantes qui se trouvaient fixées sur un châssis[7]. Mais ce résultat n’offre pas une grande importance s’il n’est obtenu que pendant un temps très court ; l’homme en sautant, quitte également le sol par le seul effort de ses jarrets.

Depuis les expériences plus heureuses des Pénaud et des Tatin, on essaya souvent encore de construire des appareils de vol mécanique à battements d’aile. En 1879, M. Brearey, en Angleterre, étudia un système de ce genre, que nous représentons (fig. 23). Il s’agissait d’un oiseau à ailes flexibles mues par la vapeur. L’appareil devait être monté sur roues, et le centre de gravité était variable pour l’ascension ou la descente. Ce projet ne fut pas réalisé. M. le docteur Hureau de Villeneuve et M. Clément Ader, l’ingénieux inventeur électricien, ont également tenté de construire de grands oiseaux artificiels. Ces deux aviateurs ont fait chacun isolément les plus louables efforts pour arriver aux résultats qu’ils croyaient pouvoir atteindre.

Ces tentatives ont échoué ; on n’a jamais obtenu jusqu’ici aucun résultat dans le vol artificiel, dès que l’on a abandonné les minuscules appareils à ressort de caoutchouc.

  1. Essai sur l’art du vol aérien, avec figures, 1 vol. in-32. Paris, 1784.
  2. L’art de voler à la manière des oiseaux, par Charles Meerwein. À Basle, 1784, in-8o de 48 pages avec 2 planches hors texte.
  3. Le vrai nom de l’inventeur était Jacob Degen. Depuis on a presque toujours écrit Deghen. Nous avons conservé l’orthographe primitive du nom.
  4. Collection Tissandier. Manuscrits.
  5. Voy. notice de M. le docteur François Franck, publiée dans la Nature. 1877, premier semestre, p. 148.
  6. Comptes rendus des travaux du laboratoire du professeur Marey, 1 vol. in-8o. G. Masson, 1876.
  7. Mémoire sur l’aviation, par M. Seguin aîné. 1 broch. in-8. Extrait du Cosmos, Paris. A. Tremblay, 1866.