La Pêche de la sardine en Bretagne/I

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R. Le Bour
(p. 1-5).

LA PÊCHE DE LA SARDINE
EN BRETAGNE
Par M. R. LE BOUR



I. — Historique de la pêche de la sardine.

La pêche de la sardine semble avoir été, de tous temps, la principale ressource des pêcheurs bretons.

Au XVIIe siècle, une émigration très importante de pêcheurs méridionaux se produisit en Bretagne.

Elle fut provoquée par Fouquet. Le célèbre surintendant des Finances, après l’acquisition de Belle-Île, y envoya une flotille de 400 barques et 4 chasse-marées. Il détermina une émigration de Languedociens qui instruisirent les Bel-Ilois des procédés de pêche et de fabrication. Cette émigration ne fut pas soudaine et spontanée. Elle revêtit, au contraire, un caractère d’infiltrations continues, réparties sur plusieurs années et qui, des ports du Sud, firent tache d’huile vers le Nord.

Le rapide développement de la pêche de la sardine de Port-Louis jusqu’à Brest attira l’attention du pouvoir royal. Un arrêt de 1715 prohiba l’entrée des sardines étrangères, cette intervention de la législation favorisa puissamment la pêche de la sardine et l’industrie des salaisons.

Mais d’autres facteurs intervinrent encore qui contribuèrent à sa prospérité : l’extrême misère du bas peuple des campagnes et des villes sous l’ancien régime et le niveau très bas de ses moyens d’existence ; l’ouverture des grands débouchés comme les colonies de noirs que l’on nourrissait de salaisons, toujours au meilleur marché possible, et, enfin, le rigorisme des lois canoniques qui prescrivaient le maigre et le carême.

Mais le développement des pêcheries de sardines ne se fit pas sans des hauts et des bas. Deux causes contribuèrent surtout à faire varier les rendements : les différentes guerres maritimes et l’absence ou l’irrégularité des passages de la sardine.

Déjà, en 1745, l’on se servait beaucoup de la « gueldre » ou « menusse », concurremment, d’ailleurs, avec la rogue. Cet appât soulevait de nombreuses récriminations. On lui reprochait de détruire le poisson à venir et de corrompre la sardine pêchée qui fermentait et crevait les barils.

Après la guerre de la succession d’Autriche, en 1748, la pêche de la sardine connut de beaux jours. Des établissements considérables se formèrent en Bretagne, sa production dépassa, de beaucoup, les besoins de la consommation française. Le seul port de Port-Louis exporte, l’année 1749, à destination du Languedoc, près de 17, 000 petits barils. Concarneau, Audierne, Douarnenez, Camaret et autres ports en auraient fourni autant. Après cette période heureuse, la pêche fut nulle dans tous les ports, la sardine avait abandonné les côtes.

De plus, la guerre de Sept ans, de 1756 à 1763, porte un grand préjudice à la pêche qui ne reprit son essor qu’après le traité de Paris. En 1767, les ports de Douarnenez et Audierne, surtout, ont vu s’accroître leur importance ; c’est à cette époque que des industriels, désignés sous le nom de « fabriqueurs de sardines », se sont occupés de saumurer le poisson.

En 1780, on comptait 22 presses de sardines de la rivière d’Etel à celle de Quimperlé ; à Concarneau, 22 autres.

La concurrence étrangère était venue, dans l’intervalle, offrir ses produits dans notre pays. Les Anglais, notamment, débarquaient de la sardine pressée et les marchands languedociens sollicitaient la permission de « tirer » des sardines d’Espagne. Des arrêts probhibitifs étant établis, les pêcheurs bretons réclamaient leur stricte observance.

À la veille de la Révolution, la jauge des bateaux sardiniers, en France, s’élevait à 3, 000 tonneaux. Dans le Finistère, 4, 958 marins se livraient à cette pêche, dont le produit s’élève à 85, 750 barriques du poids de 170 livres et à 870 barriques d’huile.

Après 1789, les principaux centres d’armements et de pêche étaient Concarneau, Douarnenez et Brest. Chaque chaloupe comptait 4 hommes d’équipage. L’on se servait, comme précédemment, pour appâter le poisson, du « frai » de stockfish, de morue, de cabillaud et de maquereau délayé dans de l’eau de mer, mais, détail qui ne se rencontre plus, l’on tirait les sardines des filets au moyen d’une sorte de raquette.

Comme de nos jours, malheureusement, l’apparition de gros poissons venait entraver la pêche.

En l’an X, Douarnenez arme environ 400 chaloupes et Concarneau 300. La sardine n’apparaît plus à l’île de Sieck, tandis qu’autrefois il s’en faisait une pêche assez considérable.

La sardine est consommée fraiche ou exportée par les chasse-marées, mais la plus grande partie de la pêche est déposée dans les magasins des négociants, salée et soumise à l’action de la presse.

Pour affaiblir le commerce de l’Angleterre, un arrêté de septembre 1803 réduisit le droit sur le poisson étranger, pour la durée de la guerre. La pêche anglaise fut seule exceptée de ce régime de faveur.

En 1814, une ordonnance doubla les droits sur tous les poissons de mer, de provenance étrangère.

En 1835, la pêche favorisa Douarnenez, Concarneau, Audierne. Par contre, en 1839, elle traversa une crise générale qui dut être assez aiguë. Le mauvais rendement de la pêche dut être général sur tous les points de la côte bretonne.

L’industrie de la pêche de la sardine n’eût pris, en Bretagne, son extension moderne, sans une invention qui vient lui donner une impulsion extraordinaire et la faire progresser à pas de géant. L’essor de notre industrie actuelle date, en effet, de la découverte des sardines à l’huile, mode de conservation du poisson infiniment supérieur aux modes précédemment employés par le sel et le vinaigre.

La méthode, imaginée par Nicolas Appert, en 1804, et publiée par lui, en 1811, révolutionna les conditions économiques des côtes sardinières.

Des progrès incessants, des perfectionnements ingénieux vinrent, à différents intervalles, compléter l’idée de Nicolas Appert. L’emploi de l’huile d’olive ou d’arachide, l’usage de boîtes métalliques, l’amélioration de l’art de souder, la fabrication de la sardine sans arête, etc., sont venus, tour à tour, améliorer la qualité des produits obtenus en abaissant le prix de revient.

La première « confiserie de sardines » fut fondée aux Sables-d’Olonne, en 1832, par M. Juette.

Un événement imprévu se produisit à l’encontre des desseins du courageux novateur.

L’administration des douanes refusa d’accepter, comme caution, pour cette usine, un négociant recommandable. Ce refus insolite irrita les marins qui se mirent en grève, s’abstenant tous, pendant un jour, d’aller à la pêche. Ils prévoyaient, en effet, tous les services que cet établissement de Juette était appelé à leur rendre.

Tout rentra bientôt dans l’ordre et l’exemple de M. Juette fut suivi. D’autres usines s’élevèrent sur certains points du littoral.

En 1834, M. Lucas fit construire à Belle-Île un établissement et, en 1846, un industriel de Nantes vint le concurrencer.

La maison Pellier frères créa son établissement à La Turballe, en 1841.

Actuellement, Concarneau compte 34 usines, Douarnenez 28, Audierne 15, et Camaret 8. Ces usines emploient environ 2, 000 hommes boîtiers et 6, 000 femmes.

Le prix du mille de sardines varie en raison des quantités de sardines pêchées, de leur qualité et aussi en raison du port sardinier. Le temps est loin d’être également un facteur négligeable. Les premiers bateaux arrivés vendent, d’ordinaire, leur poisson à plus haut prix. À l’approche de la nuit, le prix du mille subit un fléchissement très appréciable. Les mareyeurs, qui expédient la sardine en vert, sont les plus forts enchérisseurs. Dans les années de disette, ils sont les rois du marché et se disputent le mille à 40, 50 et parfois 80 francs ; seules, certaines usines, dont la marque fait prime, peuvent aborder de tels prix.

L’unité d’achat est toujours demeurée le mille.

Les acheteurs se réunissent au même endroit et forment un marché, une « bourse » du poisson. Le poisson est transporté par paniers de 200 à l’usine.

Les prix éprouvent de grandes variations d’une année à l’autre et même d’un mois à un autre mois. En 1900, la moyenne du prix du poisson était de 10 francs le mille ; en 1902, 24 fr. 60, et en 1903, 39 fr. 40.