La Pêche de la sardine en Bretagne/III

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R. Le Bour
(p. 11-15).
III. — Pêche de la sardine de rogue

La durée des campagnes de sardines varie selon la position géographique des ports qui pratiquent cette pêche.

La sardine fait son apparition dans les ports du Sud quelques semaines avant. Les ports du Finistère ne préparent leurs armements pour cette pêche que vers fin mai et commencement de juin. En revanche, ils la continuent jusque fin novembre.

La pêche, dans la baie de Douarnenez, plus abritée contre les tempêtes d’hiver, se prolonge jusqu’à fin décembre.

Lorsque le premier bateau, « le découvreur », a pris de la sardine, les pêcheurs de raies et de maquereaux débarquent leurs engins. Ils remplissent la grande caisse de bois située à l’arrière de leur chaloupe des filets appelés filets de sardines.

Un seul jour suffit pour cette transformation ; le bateau doit être rendu sur les lieux de pêche au premier point du jour. Au lieu de prendre différentes directions et de pêcher sur des bases ou fonds espacés, les bateaux sardiniers naviguent en groupe vers le point de la côte où la sardine a été signalée ou du moins est présumée se tenir.

Plusieurs indices peuvent déceler la présence du poisson : la couleur de la mer, le vol des mouettes, l’intonation de leurs cris, la plongée rapide des oiseaux de mer et surtout la présence des marsouins.

Pour pêcher, on « abat » les mâts et on arme les avirons : deux hommes nagent bout au vent. Lorsque la chaloupe est assurée, le patron se place debout sur la chambre à l’arrière du bateau, il prend un filet du moule qu’il suppose convenable, le jette à la mer et l’attache au moyen d’une corde à l’arrière du bateau. Le filet, par suite de la vitesse imprimée au bateau par les teneurs debout, suit en ligne droite dans le sillage, tout en conservant dans l’eau une position verticale. Le patron jette un mélange de farine et de rogue de droite et de gauche et s’efforce de faire tomber l’appât en véritable pluie. Au bout de quelques jets il s’arrête et observe attentivement la « levée » du poisson. Les rameurs font le moins de bruit possible pour ne pas effaroucher la sardine. Des bulles d’air montent bientôt à la surface de l’eau, c’est le « berven », l’indice certain que la sardine existe à cet endroit et répond à l’appât.

À ce moment, il faut faire usage de rogue de qualité supérieure, car, si la sardine ne trouve pas l’appât à son goût, elle ne tarde pas à disparaître. L’huile de la rogue couvre la surface de l’eau ; c’est le « goulaven », appelé, en certaines localités, « lardon ou graissin ». Lorsque les carrés de liège de la haute corde commencent à s’enfoncer dans l’eau, le patron ramène doucement deux ou trois brasses du filet à bord du bateau ; c’est la visite.

La vue des lièges qui s’enfoncent subitement dans l’eau est loin d’être, en effet, un signe certain de pêche. Trois cas peuvent se produire :

1° La sardine étant trop petite pour le moule du filet, le poisson s’est bien jeté dans le filet, mais a passé au travers. Ce fait est prouvé par les écailles qui surnagent ou qui sont collées au filet.

2° La sardine étant trop grosse, en se heurtant beaucoup d’entre elles ont été étourdies par le choc, elles s’enfoncent lentement au fond de l’eau. Pour le patron qui les voit couler, c’est l’indice de l’étroitesse des mailles du filet qui pêche.

Dans ces deux premiers cas, le pêcheur retire le filet mouillé et le remplace par un autre dont les mailles lui semblent se rapprocher davantage de la grosseur du poisson.

Bien souvent, pour ne pas perdre dans la relève un temps précieux pendant lequel la sardine pourrait bien disparaître, le patron saisit immédiatement le second filet, l’attache au premier filet par un nœud coulant et le laisse glisser à la mer. Le second filet ne donne-t-il pas de meilleurs résultats que le premier ? Le patron recommence la même opération jusqu’à ce qu’il ait mis la main sur le filet du moule nécessaire.

3° Mais il peut se faire, et c’est la généralité des cas, que la coïncidence de la grosseur du moule du filet et du poisson se produise du premier coup. Le poisson maillé, le patron imprime alors au filet des secousses qui aident au « maillage ». Lorsqu’il juge la pêche du filet suffisante, le patron hale à bord son engin que deux hommes, en même temps, saisissent et agitent délicatement pour faire tomber le poisson.

Le démaillage du poisson exige un doigté spécial. Lorsque les marins pratiquent cette opération durant la traversée des lieux de pêche au port, c’est qu’ils n’ont pas eu le temps de le faire sur les lieux de pêche même ; c’est, par conséquent, signe de bonne pêche.

Le patron, selon le nombre de mille pêchés, selon l’heure ou le plus ou moins d’abondance du poisson, peut arrêter sa pêche ou la continuer. Dans ce dernier cas, il remplace le filet qui vient de pêcher par un autre filet du même moule ou bien il exécute l’opération décrite plus haut, c’est-à-dire qu’il laisse le filet rempli à la dérive, à la suite du filet nouvellement installé pour la pêche.

Cette façon de pratiquer la pêche reste la même dans tous les ports sardiniers. Aucun changement notable n’a été apporté. Nous devons d’ailleurs reconnaître que ce moyen donne d’excellents résultats dans les années de pêche moyenne. Dans les fortes années, la production est même trop grande pour la consommation des usines à conserves et on voit assez fréquemment le pêcheur dans la navrante nécessité de jeter à l’eau le produit de son travail.

Pendant la crise sardinière provoquée par l’absence du poisson, les patrons pêcheurs ont adjoint à leurs chaloupes des canots ou « doris » de 12 à 15 pieds, plus facilement maniables, et sur lesquels on pratique la pêche. Le filet est traîné par le canot, puis, lorsque l’on juge le poisson pris, le bateau principal passe un autre filet qui remplace le premier à l’arrière du canot. Pendant ce temps, la chaloupe fait sa relève au premier filet.

Ce procédé ménage le temps et le travail des hommes et est excellent pour les années de petite pêche. Mais, dans les années d’abondance, il permet de prendre trop de poisson.

Il a amené, cette année, dans les ports de pêche, une crise d’un nouveau genre, celle de la surproduction. La loi de l’offre et de la demande qui régit toutes les transactions commerciales a avili les prix de telle façon que le marin, même avec une très forte pêche, recueillait un gain dérisoire.

Cette situation était aggravée par la fermeture d’une grande partie des usines que la crise sardinière avait atteinte et qui n’avaient pas pris leurs dispositions pour travailler cette année.

Une grève de pêcheurs en est résultée dans tous les ports du Finistère. À l’heure actuelle, aucune solution n’est encore intervenue.