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La Parfaite Connaissance des chevaux/2

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Adrien Moetjens (p. v-vii).
PREFACE.



I L en eſt de la Science de la Cavalerie, je ne fais pas difficulté de le dire, comme de la Médecine ; la ſimple Théorie ne fait que des Ignorans, il faut la Pratique, & même une longue et aſſidue Pratique, pour faire un Savant dans la Connoiſſance parfaite des Chevaux, de leurs Défauts, de leurs Maladies, des Cauſes de celle-ci, & des meilleurs Remèdes qu’on peut y appliquer. Un court Détail des Emplois par leſquels j’ai paſſé fera connoitre que j’ai eu plus que perſonne les Occaſions de me perfectionner dans une Science, dont mon Père m’avoit donné d’amples Leçons, & pour l’Etude de laquelle j’étois né.

Après avoir été long-tems Ecuyer du Duc de Lude, Grand-Maître de l’Artillerie de France, ſa Réputation le fit choiſir en 1680. pour remplir la Place d’Inſpecteur de la Grande Ecurie du Roy, lorſque ce Prince quitta S. Germain pour venir habiter à Verſailles. Ce fut alors que mon Pére me mît à l’Academie du Roy ſous Mrs. de Bournonville & du Pleſſis, tous deux Ecuyers de cette Academie. C’eſt ſous eux & ſous Mr. Déno qui ſuccéda à Mr de Bournonville, que j’achevai de me perfectionner dans tout ce qu’on peut nommer l’Art de monter à Cheval & la Théorie de la Connoiſſance des Chevaux.

L’Armée du Roy de France étant entré dans le Palatinat ſous les ordres de Monſeigneur le Dauphin, j’y ſuivis Monsieur le Duc de Bourbon, en qualité de ſon Ecuyer, & après deux Campagnes, où j’eus occaſion de commencer à pratiquer les Leçons, que j’avois reçûës de mon Père, je fus nommé Inſpecteur du Haras, que le Roy établit à St Leger dans le Duché de Monfort l’Amaury ; je reſtai quelques années dans ce Poſte, que je ne quittai que pour entrer Ecuyer chez le Comte de Montchevreuil, Lieutenant-General, qui fut tué à la Bataille de Nerwingue. Je paſſai enſuite au Service du Comte de Guiſcar, Gouverneur de Namur, en la même qualité, & il m’envoya en Friſe faire un achât conſiderable. Quoique j’euſſe eu diverſes occaſions dans ces differens Poſtes, de faire pluſieurs Remarques importantes, il me ſembloit que les ſujèts me manquoient pour faire de nouvelles Expériences ſur ces Animaux ſi utiles à l’Homme. Pour ſatisfaire cette Paſſion, je me jettai dans les Vivres & j’y reſtai jusqu’à la Paix de Ryſwick : Quelle foule d’Expérience ne fis-je pas alors ſur tant de chevaux attaquez de mille Accidens differens ! A la Paix, le Marquis de Courtenvaux, fils aîné de Mr. de Louvois, me fit ſon Ecuyer, & c’eſt alors que je lui établis un Haras à Montmirel en Brie. Je revins enſuite travailler ſous mon Père à la grande Ecurie du Roy juſqu’en 1702. qu’étant entré Ecuyer chez le Comte de Medavi, Lieutenant-General en Italie, j’y fis trois Campagnes, pendant leſquelles, la Mortalité, qui ſe mit parmi les Chevaux, me fournit des occaſions ſans nombre de perfectionner mes connoiſſances, par des Expériences de toutes les eſpèces. Je me remis alors dans les Vivres, où, en qualité d’Inſpecteur general, j’avois ſous ma Direction près de deux mille cinq cens Chevaux qui eſſuïèrent, & en Italie, & en Allemagne, toutes ſortes de Maladies.

Voila les differentes Ecoles où j’ai perfectionné, par une pratique de plus de 27. années, les préceptes que j’avois reçû de mes Maîtres, & où j’ai connu par expérience le bon & le mauvais de tant de Remèdes, dont quelques Auteurs ont fait d’amples Recueils, ſans ſouvent en avoir mis un ſeul en œuvre, & de tant d’autres que la plûpart des Marêchaux, ne ſavent que par tradition, & qu’ils appliquent indifféremment à toutes ſortes de Chevaux ſans examiner ni leur temperament ni leur origine, (car il faut ſouvent traiter différement la même Maladie dans un Cheval d’Eſpagne & dans un Cheval de Friſe,) ni même la véritable cauſe du Mal, qui doit pourtant déterminer la nature du Remède.

L’Ouvrage que je donne au Public eſt donc compoſé des Leçons que j’ai reçûës de mon Père, qui a paſſé pour habile Homme, j’oſe le dire ſan vouloir le trop louër, & du grand nombre d’experiences que j’ai faites ſur toutes ſortes de ſujèts & en toutes ſortes de Maladies ; & je pourrois mettre le fameux Probatum au bas de chaque Recepte, car je ne donne aucun Remède, dont je n’aye fait plus d’une fois l’expérience. Depuis 22. ans que je travaille dans l’Illuſtre Academie à Leide, ſous la Protection de ſes Curateurs & du Vénerable Magiſtrat, mon application m’a ſouvent fait rechercher de divers endroits, pour rendre la ſanté à des Chevaux que d’ignorans Marêchaux auroient conduits à l’Ecorcheur, & j’ai eu le bonheur de réuſſir.

Ce qui ſe ſerviront de cet Ouvrage pourront réuſſir de même. L'Anatomie de toutes les parties du Cheval, que je leur donne, & que j’ai fait deſſiner d’après nature avec foin & avec de grandes dépenſes, n’eſt pas la moindre partie de ce Livre ; car jamais on ne pourra ſe flatter de travailler avec ſuccès ſur un ſujèt, qu’on ne connoit pas : Cette Anatomie eſt donc une des premieres choſes que l’on doit étudier, ſoit pour mieux diſtinguer les Remèdes les plus convenables, & la manière de traiter le mal.

Voila donc, Lecteur, le travail de la Vie entiere de deux Hommes, le fruit de leur application & de leur étude continuelle ; je le ſacrifie volontiers au Public, dans l’eſpérance qu’on m’en ſaura gré & que peut-être j’éguillonnerai par-là les diſpositions naturelles de quelques autres, qui pourront avec le tems faire de nouvelles découvertes.

Je devrois bien faire ici un article du ſtile, dont cet Ouvrage eſt écrit ; mais il me ſuffira de faire remarquer à mes Lecteurs, que je n’écris ni en bel Eſprit ni pour les beaux Eſprits ; Elevé dans l’Ecurie, dans les Haras, dans la Manège, au milieu des Chevaux dans l’Armée, je n’ai point fréquenté l’Academie Françoiſe ; j’écris pour ceux qui, comme moi, font Profeſſion d’être autour des Chevaux, il me ſuffit de me faire entendre d’eux, en me ſervant des termes de l’Art, & c’eſt en quoi je crois avoir réuſſi.