La Petite Dorrit/Tome 1/Chapitre 36

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Traduction par William Little Hughes sous la direction de Paul Lorain.
Librairie Hachette (Livre I - Pauvretép. 411-418).


CHAPITRE XXXVI.

La prison de la Maréchaussée devient orpheline.


Voici enfin le jour où M. Dorrit et sa famille doivent quitter la prison et dire un éternel adieu à ces cours dont leurs pieds ont usé les pavés.

Quoique l’intervalle eût été fort court, il avait semblé bien long à l’ex-Doyen, qui s’était plaint vivement à M. Rugg de ce délai. Il s’était montré fort hautain envers M. Rugg et avait même menacé d’employer un autre homme d’affaires. Il avait prié M. Rugg d’oublier l’endroit où il le trouvait et de ne pas se permettre de le traiter en prisonnier, mais de faire son devoir, monsieur, et de le faire avec promptitude. Il avait dit à M. Rugg qu’il connaissait de longue date les avocats et les agents d’affaires, et qu’il n’était pas homme à s’en laisser imposer. Celui-ci ayant humblement prié M. Dorrit de remarquer qu’il allait aussi vite que possible, Mlle Fanny l’avait relevé d’importance, demandant s’il pouvait faire moins, lorsqu’on lui avait répété vingt fois qu’on ne regardait pas à la dépense, et déclarant qu’elle le soupçonnait fort d’oublier à qui il parlait.

M. Dorrit ne se montra pas moins sévère envers le directeur de la prison, qui était là depuis bien des années déjà, sans que le vieux détenu eût jamais eu avec lui le moindre différend. Ce fonctionnaire, en présentant à M. Dorrit ses félicitations personnelles, lui avait offert, par la même occasion, la libre disposition de deux chambres de son logis particulier jusqu’au jour où il quitterait la prison. M. Dorrit l’avait remercié en disant qu’il y réfléchirait ; mais le directeur n’avait pas eu plus tôt le dos tourné, qu’il s’était assis et lui avait adressé un billet sarcastique, où il remarquait que c’était la première fois qu’il avait eu l’honneur de recevoir les félicitations du directeur (rien de plus vrai, au fond ; mais il est vrai aussi que jusqu’alors personne n’avait eu aucun motif pour le féliciter), et qu’en son propre nom et au nom de sa famille, il croyait devoir répudier l’offre du directeur, tout en le priant d’agréer les remerciements que méritait une politesse aussi désintéressée, aussi pure de toute arrière-pensée mondaine.

Frédéric semblait s’intéresser si peu à ce changement de fortune qu’on aurait pu croire qu’il ne le comprenait pas. Cela n’empêcha pas M. Dorrit de faire mesurer son frère par les lingers, tailleurs, chapeliers, bottiers et autres fournisseurs qu’il avait convoqués pour son propre compte, et de commander qu’on livrât aux flammes l’ancienne défroque du musicien, dût-on la lui enlever de force. Quant à Mlle Fanny et à M. Tip, il n’était besoin d’aucune violence pour les engager à devenir des personnages fashionables et élégants. Tous les trois habitaient provisoirement le meilleur hôtel du voisinage… et le meilleur, disait Mlle Fanny, ne valait pas grand’chose. En outre, M. Tip loua un cheval, un groom et un cabriolet, équipage d’assez bon goût, qui stationnait pendant deux ou trois heures consécutives dans la grande rue, aux abords de la prison. On y voyait presque aussi fréquemment une petite remise à deux chevaux, dont Fanny ne descendait jamais, et où elle ne remontait jamais sans agacer les filles du directeur de la prison par le spectacle de ses chapeaux d’un prix inabordable pour elles.

On expédia une masse d’affaires durant cette courte période. Entre autres choses, MM. Peddle et Pool, avoués, de Monument Yard, furent chargés par leur client Édouard Dorrit, Esquire, d’adresser à M. Arthur Clennam une lettre renfermant un mandat de vingt-quatre livres sterling, neuf shillings et huit pences, formant le capital et l’intérêt (à 5 pour 100) de la somme que leur client croyait devoir à M. Clennam. En faisant cette communication et cette remise, MM. Peddle et Pool furent aussi chargés par leur client de rappeler à M. Clennam qu’on n’avait pas prié M. Clennam d’avancer la somme qui lui était remboursée, et qu’on aurait refusé ladite avance si elle avait été offerte directement. Après quoi MM. Peddle et Pool demandèrent un reçu sur papier timbré en bonne et due forme, et se dirent les très-humbles serviteurs de M. Clennam. M. Dorrit lui-même eut aussi beaucoup d’affaires à régler, entre les murs mêmes de cette prison qui allait devenir orpheline, par suite d’un grand nombre de pétitions que lui adressèrent ses enfants pour solliciter diverses petites sommes. Il répondait à ces demandes avec une libéralité extrême, mais avec beaucoup de cérémonie ; commençant par adresser au pétitionnaire une lettre d’audience pour lui indiquer l’heure à laquelle il pouvait se présenter, le recevant au milieu d’une masse de documents, et accompagnant son cadeau (car il ne manquait jamais de dire : « C’est un cadeau et non un prêt ») d’une foule de bons conseils. Il terminait presque toujours en disant qu’il espérait que les détenus n’oublieraient pas leur ex-Doyen, qui leur avait prouvé qu’on pouvait se respecter et se faire respecter, même dans une prison.

Les détenus ne montrèrent pas du tout de basse envie. Outre qu’ils avaient un respect personnel et traditionnel pour leur Doyen, l’événement en lui-même faisait honneur à la communauté en attirant sur eux l’attention des journaux. Peut-être beaucoup de ces pauvres diables (la plupart sans s’en douter) se consolaient-ils par la conviction intime que ce bonheur aurait tout aussi bien pu arriver à chacun d’eux, et que rien ne prouvait qu’il ne leur arriverait pas un jour ou l’autre. Enfin, ils prirent très-bien la chose. Quelques-uns s’attristèrent en songeant qu’ils allaient rester là et y rester avec leur misère ; mais les plus attristés même ne se montrèrent pas jaloux du bonheur de la famille Dorrit. Ce bonheur eût peut-être excité plus d’envie dans une sphère plus fashionable. Il est même assez probable que des gens de fortune médiocre eussent fait preuve de moins de magnanimité que ces détenus vivant au jour le jour et n’ayant d’autre banquier que le prêteur sur gages du coin.

Une assemblée générale des détenus vota au Doyen une adresse de félicitations qu’on lui présenta sous verre, ornée d’un beau cadre ; malgré cela, ce document ne figura pas dans la galerie Dorrit ni dans les archives de la famille. M. Dorrit, néanmoins, rédigea une réponse des plus aimables, où il déclarait, avec une solennité toute royale, qu’il était bien convaincu de la sincérité de leur attachement, les exhortant, en termes généraux, à suivre son exemple… Recommandation dont ils ne demandaient pas mieux que de profiter, surtout en ce qui concernait l’héritage d’une grande fortune. Le Doyen saisit cette occasion pour inviter la communauté à un festin d’adieu qui devait être servi dans la cour, en leur signifiant qu’il voulait avoir l’honneur de boire le coup de l’étrier à la santé et à la prospérité de tous ceux qu’il laissait derrière lui.

Il ne prit point part en personne à ce repas public, parce que le banquet avait lieu à deux heures de l’après-midi, tandis qu’il se faisait apporter maintenant son dîner de l’hôtel à six heures. Mais son fils eut la bonté de présider à la table principale, où il se montra fort affable. Le Doyen se contenta de circuler parmi les convives, daignant reconnaître çà et là certains individus, s’assurant que les mets étaient bien de la qualité requise, et qu’on n’avait rien oublié du menu. En somme, il avait l’air d’un puissant baron du bon vieux temps dans un accès de belle humeur. Vers la fin du repas, il but en l’honneur de ses hôtes un verre de madère sec, leur disant qu’il espérait que ses invités avaient trouvé le repas à leur goût, et, qui plus est, qu’ils passeraient agréablement par souvenir le reste de la soirée ; il ajouta même qu’il leur souhaitait bonheur et bienvenue. Alors on but à sa santé au milieu des acclamations ; et le vieillard, après tout, au lieu de continuer à ressembler à un haut et puissant baron, eut l’air d’un simple serf qui sentait battre un cœur dans sa poitrine, car il se laissa émouvoir au point de verser des larmes devant tout le monde. Après ce grand succès (qu’il regardait comme une défaite), il proposa la santé de M. Chivery et de ses dignes collègues, à chacun desquels il avait, au préalable, présenté un billet de dix livres sterling et dont aucun ne manquait à l’appel. M. Chivery, chargé de répondre à ce toast s’exprima en ces termes : « Quand vous vous engagez à tenir quelqu’un sous clef, ne lui ouvrez pas la porte ; mais n’oubliez jamais que votre prisonnier, comme le nègre de la romance, tout enchaîné qu’il est, n’en est pas moins votre semblable et votre frère. » La liste de toasts étant épuisée, M. Dorrit poussa la condescendance jusqu’à faire, pour la forme, un partie de quilles avec le détenu le plus ancien après lui ; puis il laissa les orphelins se divertir à leur guise.

Mais tout cela n’était encore que l’aurore du départ. Voici venir ce grand jour où M. Dorrit et sa famille doivent quitter la prison, et dire un éternel adieu à ces cours dont leurs pieds ont usé les pavés !

Midi était l’heure fixée pour le grand événement. À mesure que l’heure approchait, tous les détenus, tous les guichetiers accoururent, pas un n’était absent. Ces derniers fonctionnaires avaient revêtu leur habit des dimanches et la plupart des prisonniers s’étaient faits aussi pimpants que leurs ressources le leur permettaient. On alla jusqu’à arborer un ou deux drapeaux, et les enfants portaient à la boutonnière de petits bouts de rubans. Quant à M. Dorrit, il conserva, à ce moment critique, une dignité sérieuse mais affable. Son attention était surtout absorbée par son frère, dont le maintien lui causait un peu d’inquiétude

« Mon cher Frédéric, dit-il, si tu pouvais bien me donner le bras, nous traverserons ainsi les rangs de nos amis. Je crois qu’il est convenable que nous partions bras dessus bras dessous, mon cher Frédéric.

— Ah ! répondit Frédéric… oui, oui, oui, oui.

— Et si tu pouvais, mon cher Frédéric… si tu pouvais, sans trop te contraindre, répandre un peu de — pardonne ma franchise, Frédéric, — un peu de distinction dans ta démarche.

— William, William, répliqua l’autre, hochant la tête, ces choses-là te regardent. Quant à moi, je ne sais plus. J’ai oublié tout cela, j’ai tout oublié.

— Mais, mon bon, riposta William, c’est justement pour cela qu’il faut chercher à sortir de ta torpeur habituelle. Il faut tâcher de te rappeler ce que tu as oublié, mon cher Frédéric. Ta position…

— Hein ? fit Frédéric.

— Ta position, mon cher Frédéric.

— Ma position ? Il se regarda d’abord lui-même, puis dirigea les yeux sur son frère, et, poussant un profond soupir, s’écria : « Ah oui, c’est juste ! Oui, oui, oui !

— Ta nouvelle position, mon cher Frédéric, n’est pas à dédaigner. La position de mon frère n’est nullement à dédaigner. Et je sais que tu as le cœur trop bien placé pour ne pas chercher à t’en rendre digne, mon cher Frédéric, au lieu de la déshonorer.

— William, répondit l’autre d’une voix affaiblie et avec un soupir, je ferai tout ce que tu voudras, mon frère, mais ne me demande pas l’impossible. Sois seulement assez bon pour te rappeler combien mes moyens sont limités. Que désires-tu que je fasse aujourd’hui, frère ? Dis-moi seulement ce que tu désires de moi.

— Rien, mon cher ami, rien. Il est inutile de tracasser un cœur comme le tien pour si peu de chose.

— Tracasse-le tant que tu voudras, William ; je ne demande pas mieux que de faire quelque chose pour t’obliger. »

William passa la main sur ses yeux et murmura avec une auguste satisfaction :

« Dieu te bénisse, mon pauvre cher Frédéric ! »

Puis il reprit plus haut :

« Eh bien, mon ami, si tu veux seulement essayer, tandis que nous sortons d’ici, d’avoir l’air de comprendre que ce jour est un grand jour pour toi… que tu y penses un peu…

— Et que me conseilles-tu d’en penser ? interrompit le frère d’un ton de soumission.

— Mon cher Frédéric, que veux-tu que je réponde à cela ? Je puis seulement te dire ce que je pense moi-même en quittant ces braves gens.

— C’est cela ! s’écria William. Cela m’aidera.

— Je me demande, mon cher Frédéric, avec un mélange d’émotions diverses où prédomine une douce pitié, je me demande ce qu’ils vont devenir sans moi ?

— Bien, répondit le frère. Oui, oui, oui. Je me demanderai cela en nous éloignant. Que vont-ils devenir sans mon frère ! Pauvres prisonniers ! Que vont-ils devenir sans lui ! »

Sur le coup de midi, on annonça que la voiture de M. Dorrit stationnait dans la première cour, et les deux frères descendirent bras dessus bras dessous. Édouard Dorrit, Esquire (naguère Tip), et sa sœur Fanny suivirent, se donnant aussi le bras ; M. Plornish et Maggy, auxquels on avait confié le soin de déménager les effets qui valaient la peine d’être emportés, fermaient le cortège, chargea de divers paquets qu’on devait emballer dans une carriole…

Dans la cour se trouvaient les détenus et les guichetiers. On y voyait aussi M. Pancks et M. Rugg qui venaient assister au dénouement de la pièce à laquelle ils avaient mis la main. On y voyait aussi le jeune John en train de rédiger une nouvelle épitaphe où il déclarait qu’il était mort le cœur brisé. On y voyait aussi le patriarcal Casby qui avait l’air si extrêmement bienveillant que, dans leur enthousiasme, un grand nombre de détenus lui donnaient de chaleureuses poignées de main et que leurs femmes et leurs enfants lui baisaient les mains, convaincus que c’était le vénérable patriarche qui avait tout fait. On voyait aussi le chœur obligé composé des gens de la localité ; le prisonnier qui formulait sans cesse une plainte ténébreuse concernant certains fonds empochés par le directeur ; ce monomane s’était levé à cinq heures du matin afin d’achever de mettre au net une histoire parfaitement inintelligible de cette escroquerie supposée, et il confia à M. Dorrit cette importante pétition qui, disait-il, ne pouvait manquer d’abasourdir le gouvernement et de déterminer la chute du directeur. On y voyait aussi l’insolvable qui employait toute son énergie à faire des dettes, qui se donnait autant de peine pour se faire coffrer en prison que d’autres s’en donnaient pour en sortir, et que les syndics acquittaient avec force compliments ; tandis que l’insolvable qui se tenait auprès de lui (un piteux petit négociant plein de courage et de bonnes intentions, qui s’était tué le corps et l’âme pour éviter de faire des dettes), avait peine à ne pas passer pour un banqueroutier frauduleux. On y voyait aussi le père d’une nombreuse famille, avec des charges considérables, dont la faillite avait étonné tout le monde ; on y voyait aussi le riche dissipateur sans enfant ni charge d’aucune sorte, dont la faillite n’avait étonné personne. On y voyait des gens qui comptaient toujours partir le lendemain et qui remettaient toujours leur départ ; on y voyait des gens arrivés de la veille, qui se montraient beaucoup plus exaspérés contre la fortune que les vieux piliers de prison. On y voyait quelques-uns qui, par pure bassesse, s’abaissaient et s’inclinaient devant le détenu enrichi et sa famille ; d’autres les imitaient tout bonnement parce que leurs yeux, habitués aux ténèbres de la prison et de la pauvreté, étaient incapables de supporter l’éclat d’une pareille fortune. Il y en avait beaucoup dont les shillings avaient été empochés par le Doyen et avaient servi à lui acheter de quoi manger et boire, mais qui ne songeaient pas le moins du monde à s’en faire un titre pour traiter de pair à compagnon avec leur ex-Doyen. Au contraire, on eût plutôt dit que ces pauvres oiseaux en cage s’effarouchaient de voir l’heureux oiseau qui reprenait son essor, et ne s’en sentaient que plus disposés à se réfugier du côté des barreaux, tout tremblants, tandis que M. William Dorrit passait devant eux avec son cortège.

La petite procession, les deux frères en tête, s’avança lentement vers la grille. M. Dorrit, accablé par la grave question de savoir ce que ces pauvres diables allaient devenir sans lui, fut majestueux et triste, sans toutefois se laisser absorber dans sa tristesse. Il caressa les petits enfants au passage, à l’instar de sir Roger de Coverley se rendant à l’église, il appela par leurs noms de baptême diverses personnes timides restées sur le second plan, il fut affable pour tout le monde et sembla vouloir les consoler en marchant au milieu d’eux entouré d’une auréole où on lisait en lettres d’or cette légende : « Ne te laisse pas abattre, ô mon peuple ! supporte cette rude épreuve ! »

Enfin, trois hourrahs bien francs vinrent annoncer que le Doyen avait franchi le seuil et que la prison était orpheline. Les échos de la cour n’avaient pas encore fini de répéter ces chaleureuses acclamations, que la famille s’était installée dans son équipage provisoire, dont le domestique allait relever le marchepied.

Alors alors seulement, Mlle Fanny s’écria tout à coup.

« Bonté divine… Mais où donc est Amy ? »

Le père avait pensé qu’elle était avec sa sœur. La sœur avait pensé qu’elle était « quelque part. » Tous avaient compté la voir se glisser tout doucement à sa place au moment opportun, ainsi que cela lui arrivait toujours. Ce départ était peut-être la seule action dont la famille se fût tirée jamais sans l’aide de la petite Dorrit.

On avait perdu environ une minute à se communiquer cette découverte, lorsque Mlle Fanny, qui, de son siège dans la voiture, pouvait plonger le regard dans l’étroit et long couloir conduisant à la loge, rougit d’indignation.

« Vraiment, papa, s’écria-t-elle, c’est honteux ! c’est déshonorant.

— Qu’est-ce qui est déshonorant, Fanny !

— Je le répète, continua l’ex-danseuse, c’est vraiment infâme !… Il y a presque de quoi, même un jour comme celui-ci, me faire désirer d’être morte ! Ne voilà-t-il pas cette petite Amy dans sa vieille robe fripée et fanée qu’elle a mis tant d’obstination à garder ; papa, cent fois je l’ai priée et suppliée de la changer, et cent fois elle a refusé, promettant de la changer aujourd’hui, parce qu’elle désirait la porter tant qu’elle resterait ici avec vous, papa ce qui est une stupidité romanesque du dernier trivial… Voilà cette petite Amy qui nous déshonore, au dernier moment, en se faisant porter jusqu’ici vêtue de sa vieille robe… et par ce M. Clennam, encore ! »

Il n’y avait pas moyen de nier le crime. Au moment où Fanny formulait l’acte d’accusation, M. Clennam parut à la portière de la voiture, tenant dans ses bras la petite Dorrit, qui avait perdu connaissance.

« Elle a été oubliée, dit Arthur d’un ton de compassion qui n’excluait pas le reproche. J’ai couru à sa chambre (que M. Chivery m’a indiquée) et j’ai trouvé la porte ouverte. Elle s’était évanouie, la pauvre enfant. Apparemment, elle aura perdu connaissance en allant changer de robe. Peut-être a-t-elle été effrayée par les acclamations de ces bonnes gens, peut-être était-ce auparavant. Réchauffez cette pauvre petite main, mademoiselle Dorrit, elle est bien froide. Ne la laissez pas tomber comme cela.

— Merci, monsieur, répondit Mlle Fanny, fondant en larmes, je crois que je sais ce que j’ai à faire, si vous voulez bien me le permettre… Ma chère, ouvre les yeux, je t’en prie !… Amy, Amy, si tu savais comme je suis vexée et honteuse ! Reviens à toi, ma chérie !… Mais pourquoi ne partons-nous pas ?… Papa, je vous en supplie, dites-leur donc de partir ! »

Le domestique, passant entre Arthur et la portière, avec un permettez, monsieur, aigre-doux, releva le marchepied et les voilà partis.



fin du premier volume.