La Petite Fadette (illustré, Hetzel 1852)/Chapitre 35

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XXXV.

La mère Barbeau fut bien étonnée de voir Sylvinet sans fièvre, et elle lui donna vitement à manger, dont il profita avec un peu d’appétit. Et, comme il y avait six jours que cette fièvre ne l’avait point lâché, et qu’il n’avait rien voulu prendre, on s’extasia beaucoup sur le savoir de la petite Fadette, qui, sans l’éveiller, sans lui rien faire boire, et par la seule vertu de ses conjurations, à ce que l’on pensait, l’avait déjà mis en si bon chemin. Le soir venu, la fièvre recommença, et bien fort. Sylvinet s’assoupissait, battait la campagne en rêvassant, et, quand il s’éveillait, avait peur des gens qui étaient autour de lui.

La Fadette revint, et, comme le matin, resta seule avec lui pendant une petite heure, ne faisant d’autre magie que de lui tenir les mains et la tête bien doucement, et de respirer fraîchement auprès de sa figure en feu. Et, comme le matin, elle lui ôta le délire et la fièvre ; et quand elle se retira, recommandant toujours qu’on ne parlât point à Sylvinet de son assistance, on le trouva dormant d’un sommeil paisible, n’ayant plus la figure rouge et ne paraissant plus malade.

Je ne sais où la Fadette avait pris cette idée-là. Elle lui était venue par hasard et par expérience, auprès de son petit frère Jeanet, qu’elle avait plus de dix fois ramené de l’article de la mort en ne lui faisant pas d’autre remède que de le rafraîchir avec ses mains et son haleine, ou le réchauffer de la même manière quand la grand’fièvre le prenait en froid. Elle s’imaginait que l’amitié et la volonté d’une personne en bonne santé, et l’attouchement d’une main pure et bien vivante, peuvent écarter le mal, quand cette personne est douée d’un certain esprit et d’une grande confiance dans la bonté de Dieu. Aussi, tout le temps qu’elle imposait les mains, disait-elle en son âme de belles prières au bon Dieu. Et ce qu’elle avait fait pour son petit frère, ce qu’elle faisait maintenant pour le frère de Landry, elle n’eût voulu l’essayer sur aucune autre personne qui lui eut été moins chère, et à qui elle n’eût point porté un si grand intérêt : car elle pensait que la première vertu de ce remède-là, c’était la forte amitié que l’on offrait dans son cœur au malade, sans laquelle Dieu ne vous donnait aucun pouvoir sur son mal.

Et lorsque la petite Fadette charmait ainsi la fièvre de Sylvinet, elle disait à Dieu, dans sa prière, ce qu’elle lui avait dit lorsqu’elle charmait la fièvre de son frère : — Mon bon Dieu, faites que ma santé passe de mon corps dans ce corps souffrant, et, comme le doux Jésus vous a offert sa vie pour racheter l’âme de tous les humains, si telle est votre volonté de m’ôter ma vie pour la donner à ce malade, prenez-la ; je vous la rends de bon cœur en échange de sa guérison que je vous demande.

La petite Fadette avait bien songé à essayer la vertu de cette prière auprès du lit de mort de sa grand’mère ; mais elle ne l’avait osé, parce qu’il lui avait semblé que la vie de l’âme et du corps s’éteignaient dans cette vieille femme, par l’effet de l’âge et de la loi de nature qui est la propre volonté de Dieu. Et la petite Fadette qui mettait, comme on le voit, plus de religion que de diablerie dans ses charmes, eût craint de lui déplaire en lui demandant une chose qu’il n’avait point coutume d’accorder sans miracle aux autres chrétiens.

Que le remède fut inutile ou souverain de lui-même, il est bien sûr, qu’en trois jours, elle débarrassa Sylvinet de sa fièvre, et qu’il n’eût jamais su comment, si en s’éveillant un peu vite, la dernière fois qu’elle vint, il ne l’eût vue penchée sur lui et lui retirant tout doucement ses mains.

D’abord il crut que c’était une apparition, et il referma les yeux pour ne la point voir ; mais, ayant demandé ensuite à sa mère si la Fadette ne l’avait point tâté à la tête et au pouls, ou si c’était un rêve qu’il avait fait, la mère Barbeau, à qui son mari avait touché enfin quelque chose de ses projets et qui souhaitait voir Sylvinet revenir de son déplaisir envers elle, lui répondit qu’elle était venue en effet, trois jours durant, matin et soir, et qu’elle lui avait merveilleusement coupé sa fièvre en le soignant en secret.

Sylvinet parut n’en rien croire ; il dit que sa fièvre s’en était allée d’elle-même, et que les paroles et secrets de la Fadette n’étaient que vanités et folies ; il resta bien tranquille et bien portant pendant quelques jours, et le père Barbeau crut devoir en profiter pour lui dire quelque chose de la possibilité du mariage de son frère, sans toutefois nommer la personne qu’il avait en vue.

— Vous n’avez pas besoin de me cacher le nom de la future que vous lui destinez, répondit Sylvinet. Je sais bien, moi, que c’est cette Fadette qui vous a tous charmés.

En effet, l’enquête secrète du père Barbeau avait été si favorable à la petite Fadette, qu’il n’avait plus d’hésitation et qu’il souhaitait grandement pouvoir rappeler Landry. Il ne craignait plus que la jalousie du besson, et il s’efforçait à le guérir de ce travers, en lui disant que son frère ne serait jamais heureux sans la petite Fadette. Sur quoi Sylvinet répondait :

— Faites donc, car il faut que mon frère soit heureux.

Mais on n’osait pas encore, parce que Sylvinet retombait dans sa fièvre aussitôt qu’il paraissait avoir agréé la chose.