La Petite Fadette (illustré, Hetzel 1852)/Chapitre 36

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J. Hetzel (Œuvres illustrées de George Sand, volume 1p. 44-45).
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Cependant le père Barbeau avait peur que la petite Fadette ne lui gardât rancune de ses injustices passées, et que, s’étant consolée de l’absence de Landry, elle ne songeât à quelque autre. Lorsqu’elle était venue à la Bessonnière pour soigner Sylvinet, il avait essayé de lui parler de Landry ; mais elle avait fait semblant de ne pas entendre, et il se voyait bien embarrassé. Enfin, un matin, il prit sa résolution et alla trouver la petite Fadette.

— Fanchon Fadet, lui dit-il, je viens vous faire une question à laquelle je vous prie de me donner réponse en tout honneur et vérité. Avant le décès de votre grand’mère, aviez-vous idée des grands biens qu’elle devait vous laisser ?

— Oui, père Barbeau, répondit la petite Fadette, j’en avais quelque idée, parce que je l’avais vue souvent compter de l’or et de l’argent, et que je n’avais jamais vu sortir de la maison que des gros sous ; et aussi parce qu’elle m’avait dit souvent, quand les autres jeunesses se moquaient de mes guenilles : — Ne t’inquiète pas de ça, petite. Tu seras plus riche qu’elles toutes, et un jour arrivera où tu pourras être habillée de soie depuis les pieds jusqu’à la tête, si tel est ton plaisir.

— Et alors, reprit le père Barbeau, aviez-vous fait savoir la chose à Landry, et ne serait-ce point à cause de votre argent que mon fils faisait semblant d’être épris de vous ?

— Pour cela, père Barbeau, répondit la petite Fadette, ayant toujours eu l’idée d’être aimée pour mes beaux yeux, qui sont la seule chose qu’on ne m’ait jamais refusée, je n’étais pas assez sotte pour aller dire à Landry que mes beaux yeux étaient dans des sacs de peau d’anguille ; et pourtant, j’aurais pu le lui dire sans danger pour moi ; car Landry m’aimant si honnêtement, et d’un si grand cœur, que jamais il ne s’est inquiété de savoir si j’étais riche ou misérable.

— Et depuis que votre mère-grand est décédée, ma chère Fanchon, reprit le père Barbeau, pouvez-vous me donner votre parole d’honneur que Landry n’a point été informé par vous, ou par quelque autre, de ce qui en est ?

— Je vous la donne, dit la Fadette. Aussi vrai que j’aime Dieu, vous êtes, après moi, la seule personne au monde qui ait connaissance de cette chose-là.

— Et, pour ce qui est de l’amour de Landry, pensez-vous, Fanchon, qu’il vous l’ait conservé ? et avez-vous reçu, depuis le décès de votre grand’mère, quelque marque qu’il ne vous ait point été infidèle ?

— J’ai reçu la meilleure marque là-dessus, répondit-elle ; car je vous confesse qu’il est venu me voir trois jours après le décès, qu’il m’a juré qu’il mourrait de chagrin, ou qu’il m’aurait pour sa femme.

— Et vous, Fadette, que lui répondiez-vous ?

— Cela, père Barbeau, je ne serais pas obligée de vous le dire ; mais je le ferai pour vous contenter. Je lui répondais que nous avions encore le temps de songer au mariage, et que je ne me déciderais pas volontiers pour un garçon qui me ferait la cour contre le gré de ses parents.

Et comme la pelite Fadette disait cela d’un ton assez fier et dégagé, le père Barbeau en fut inquiet. — Je n’ai pas le droit de vous interroger, Fanchon Fadet, dit-il, et je ne sais point si vous avez l’intention de rendre mon fils heureux ou malheureux pour toute sa vie ; mais je sais qu’il vous aime terriblement, et si j’étais en votre lieu, avec l’idée que vous avez d’être aimée pour vous-même, je me dirais : Landry Barbeau m’a aimée quand je portais des guenilles, quand tout le monde me repoussait, et quand ses parents eux-mêmes avaient le tort de lui en faire un grand péché. Il m’a trouvée belle quand tout le monde me déniait l’espérance de le devenir ; il m’a aimée en dépit des peines que cet amour-là lui suscitait ; il m’a aimée absente comme présente : enfin, il m’a si bien aimée que je ne peux pas me méfier de lui, et que je n’en veux jamais avoir d’autre pour mari.

— Il y a longtemps que je me suis dit tout cela, père Barbeau, répondit la petite Fadette ; mais, je vous le répète, j’aurais la plus grande répugnance à entrer dans une famille qui rougirait de moi et ne céderait que par faiblesse et compassion.

— Si ce n’est que cela qui vous retient, décidez-vous, Fanchon, reprit le père Barbeau ; car la famille de Landry vous estime et vous désire. Ne croyez point qu’elle a changé parce que vous êtes riche. Ce n’est point la pauvreté qui nous répugnait de vous, mais les mauvais propos tenus sur votre compte. S’ils avaient été bien fondés, jamais, mon Landry eût-il dû en mourir, je n’aurais consenti à vous appeler ma bru ; mais j’ai voulu avoir raison de tous ces propos-là ; j’ai été à Château-Meillant tout exprès ; je me suis enquis de la moindre chose dans ce pays-là et dans le nôtre, et maintenant je reconnais qu’on m’avait menti et que vous êtes une personne sage et honnête, ainsi que Landry l’affirmait avec tant de feu. Par ainsi, Fanchon Fadet, je viens vous demander d’épouser mon fils, et si vous dites oui, il sera ici dans huit jours.

Cette ouverture, qu’elle avait bien prévue, rendit la petite Fadette bien contente ; mais ne voulant pas trop le laisser voir, parce qu’elle voulait à tout jamais être respectée de sa future famille, elle n’y répondit qu’avec ménagement. Et alors le père Barbeau lui dit :

— Je vois, ma fille, qu’il vous reste quelque chose sur le cœur contre moi et contre les miens. N’exigez pas qu’un homme d’âge vous fasse des excuses ; contentez-vous d’une bonne parole, et, quand je vous dis que vous serez aimée et estimée chez nous, rapportez-vous-en au père Barbeau, qui n’a encore trompé personne. Allons, voulez-vous donner le baiser de paix au tuteur que vous vous étiez choisi, ou au père qui veut vous adopter ?

La petite Fadette ne put se défendre plus longtemps ; elle jeta ses deux bras autour du cou du père Barbeau ; et son vieux cœur en fut tout réjoui.