La Petite Fadette (illustré, Hetzel 1852)/Chapitre 05

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V.

Sylvinet revint se pendre aux jupons de sa mère comme un petit enfant, et ne la quitta point de la journée, lui parlant toujours de Landry et ne pouvant pas se défendre de penser à lui, en passant par tous les endroits et recoins où ils avaient eu coutume de passer ensemble. Le soir il alla à la Priche avec son père, qui voulut l’accompagner. Sylvinet était comme fou d’aller embrasser son besson, et il n’avait pas pu souper, tant il avait de hâte de partir. Il comptait que Landry viendrait au-devant de lui, et il s’imaginait toujours le voir accourir. Mais Landry, quoiqu’il en eût bonne envie, ne bougea point. Il craignit d’être moqué par les jeunes gens et les gars de la Priche pour cette amitié bessonnière qui passait pour une sorte de maladie, si bien que Sylvinet le trouva à table, buvant et mangeant comme s’il eût été toute sa vie avec la famille Caillaud.

Aussitôt que Landry le vit entrer, pourtant, le cœur lui sauta de joie, et s’il ne se fût pas contenu, il aurait fait tomber la table et le banc pour l’embrasser plus vite. Mais il n’osa, parce que ses maîtres le regardaient curieusement, se faisant un amusement de voir dans cette amitié une chose nouvelle et un phénomène de nature, comme disait le maître d’école de l’endroit.

Aussi, quand Sylvinet vint se jeter sur lui, l’embrasser tout en pleurant, et se serrer contre lui comme un oiseau se poussant dans le nid contre son frère pour se réchaulfer, Landry fut fâché à cause des autres, tandis qu’il ne pouvait pourtant pas s’empêcher d’être content pour son compte ; mais il voulait avoir l’air plus raisonnable que son frère, et il lui fit de temps en temps signe de s’observer, ce qui étonna et fâcha grandement Sylvinet. Là-dessus, le père Barbeau s’étant mis à causer et à boire un coup ou deux avec le père Caillaud, les deux bessons sortirent ensemble, Landry voulant bien aimer et caresser son frère comme en secret. Mais les autres gars les observèrent de loin ; et mêmement la petite Solange, la plus jeune des filles du père Caillaud, qui était maligne et curieuse comme un vrai linot, les suivit à petits pas jusque dans la coudrière, riant d’un air penaud quand ils faisaient attention à elle, mais n’en démordant point, parce qu’elle s’imaginait toujours qu’elle allait voir quelque chose de singulier, et ne sachant pourtant pas ce qu’il peut y avoir de surprenant dans l’amitié de deux frères.

Sylvinet, quoiqu’il fût étonné de l’air tranquille dont son frère l’avait abordé, ne songea pourtant pas à lui en faire reproche, tant il était content de se trouver avec lui. Le lendemain, Landry sentant qu’il s’appartenait, parce que le père Caillaud lui avait donné licence de tout devoir, il partit de si grand matin qu’il pensa surprendre son frère au lit. Mais malgré que Sylvinet fût le plus dormeur des deux, il s’éveilla dans le moment que Landry passait la barrière de l’ouche, et s’en courut nu-pieds comme si quelque chose lui eût dit que son besson approchait de lui. Ce fut pour Landry une journée de parfait contentement. Il avait du plaisir à revoir sa famille et sa maison, depuis qu’il savait qu’il n’y reviendrait pas tous les jours, et que ce serait pour lui comme une récompense. Sylvinet oublia toute sa peine jusqu’à la moitié du jour. Au déjeuner, il s’était dit qu’il dînerait avec son frère ; mais quand le dîner fut fini, il pensa que le souper serait le dernier repas, et il commença d’être inquiet et mal à son aise. Il soignait et câlinait son besson à plein cœur, lui donnant ce qu’il y avait de meilleur à manger, le croûton de son pain et le cœur de sa salade ; et puis il s’inquiétait de son habillement, de sa chaussure, comme s’il eût dû s’en aller bien loin, et comme s’il était bien à plaindre, sans se douter qu’il était lui-même le plus à plaindre des deux, parce qu’il était le plus affligé.