La Petite Fadette (illustré, Hetzel 1852)/Chapitre 26

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J. Hetzel (Œuvres illustrées de George Sand, volume 1p. 32-34).
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XXVI.

Tout en devisant et marchant avec elle, il apprit la propriété des herbes et toutes les recettes pour la guérison des personnes et des bêtes, il essaya bientôt l’effet des dernières sur une vache au père Caillaud, qui avait pris l’enflure pour avoir trop mangé de vert ; et, comme le vétérinaire l’avait abandonnée, disant qu’elle n’en avait pas pour une heure, il lui fit boire un breuvage que la petite Fadette lui avait appris à composer. Il le fit secrètement ; et, au matin, comme les laboureurs, bien contrariés de la perte d’une si belle vache, venaient la chercher pour la jeter dans un trou, ils la trouvèrent debout et commençant à flairer la nourriture, ayant bon œil, et quasiment toute désenflée. Une autre fois, un poulain fut mordu de la vipère, et Landry, suivant toujours les enseignements de la petite Fadette, le sauva bien lestement. Enfin, il put essayer aussi le remède contre la rage sur un chien de la Priche, qui fut guéri et ne mordit personne. Comme Landry cachait de son mieux ses accointances avec la petite Fadette, il ne se vanta pas de sa science, et on n’attribua la guérison de ses bêtes qu’aux grands soins qu’il leur avait donnés. Mais le père Caillaud, qui s’y entendait aussi, comme tout bon fermier ou métayer doit le faire, s’étonna en lui-même, et dit :



Assez ! Landry, assez ! on dirait que tu m’embrasses de colère.
(Page 27.)

— Le père Barbeau n’a pas de talent pour le bestiau, et mêmement il n’a point de bonheur ; car il en a beaucoup perdu l’an dernier, et ce n’était pas la première fois. Mais Landry y a la main très-heureuse, et c’est une chose avec laquelle on vient au monde. On l’a ou on ne l’a pas ; et, quand même on irait étudier dans les écoles comme les artistes, cela ne sert de rien si on n’y est adroit de naissance. Or je vous dis que Landry est adroit, et que son idée lui fait trouver ce qui convient. C’est un grand don de la nature qu’il a reçu, et ça lui vaudra mieux que du capital pour bien conduire une ferme.

Ce que disait là le père Caillaud n’était pas d’un homme crédule et sans raison, seulement il se trompait en attribuant un don de nature à Landry, Landry n’en avait pas d’autre que celui d’être soigneux et entendu à appliquer les recettes de son enseignement. Mais le don de nature n’est point une fable, puisque la petite Fadette l’avait, et qu’avec si peu de leçons raisonnables que sa grand’mère lui avait données, elle découvrait et devinait comme qui invente, les vertus que le bon Dieu a mises dans certaines herbes et dans certaines manières de les employer. Elle n’était point sorcière pour cela, elle avait raison de s’en défendre ; mais elle avait l’esprit qui observe, qui fait des comparaisons, des remarques, des essais ; et cela c’est un don de nature, on ne peut pas le nier. Le père Caillaud poussait la chose un peu plus loin. Il pensait que tel bouvier ou tel laboureur a la main plus ou moins bonne, et que, par la seule vertu de sa présence dans l’étable, il fait du bien ou du mal aux animaux. Et pourtant comme il y a toujours un peu de vrai dans les plus fausses croyances, on doit accorder que les bons soins, la propreté, l’ouvrage fait en conscience, ont une vertu pour amener à bien ce que la négligence ou la bêtise font empirer.

Comme Landry avait toujours mis son idée et son goût dans ces choses-là, l’amitié qu’il avait conçue pour la Fadette s’augmenta de toute la reconnaissance qu’il lui dut pour son instruction et de toute l’estime qu’il faisait du talent de cette jeune fille. Il lui sut alors grand gré de l’avoir forcé à se distraire de l’amour dans les promenades et les entretiens qu’il faisait avec elle, et il reconnut aussi qu’elle avait pris plus à cœur l’intérêt et l’utilité de son amoureux, que le plaisir de se laisser courtiser et flatter sans cesse comme il l’eût souhaité d’abord.

Landry fut bientôt si épris qu’il avait mis tout à fait sous ses pieds la honte de laisser paraître son amour pour une petite fille réputée laide, mauvaise et mal élevée. S’il y mettait de la précaution, c’était à cause de son besson, dont il connaissait la jalousie et qui avait eu déjà un grand effort à faire pour accepter sans dépit l’amourette que Landry avait eue pour Madelon, amourette bien petite et bien tranquille au prix de ce qu’il sentait maintenant pour Fanchon Fadet.

Mais, si Landry était trop animé dans son amour pour y mettre de la prudence, en revanche, la petite Fadette, qui avait un esprit porté au mystère, et qui, d’ailleurs, ne voulait pas mettre Landry trop à l’épreuve des taquineries du monde, la petite Fadette, qui, en fin de compte, l’aimait trop pour consentir à lui causer des peines dans sa famille, exigea de lui un si grand secret qu’ils passèrent environ un an avant que la chose se découvrit. Landry avait habitué Sylvinet à ne plus surveiller tous ses pas et démarches, et le pays, qui n’est guère peuplé et qui est tout coupé de ravins et tout couvert d’arbres, est bien propice aux secrètes amours.

Sylvinet, voyant que Landry ne s’occupait plus de la Madelon, quoiqu’il eût accepté d’abord ce partage de son amitié comme un mal nécessaire rendu plus doux par la honte de Landry et la prudence de cette fille, se réjouit bien de penser que Landry n’était pas pressé de lui retirer son cœur pour le donner à une femme, et, la jalousie le quittant, il le laissa plus libre de ses occupations et de ses courses, les jours de fêtes et de repos. Landry ne manquait pas de prétextes pour aller et venir, et, le dimanche soir surtout, il quittait la Bessonnière de bonne heure et ne rentrait à la Priche que sur le minuit ; ce qui lui était bien commode, parce qu’il s’était fait donner un petit lit dans le capharnion. Vous me reprendrez peut-être sur ce mot-là, parce que le maître d’école s’en fâche et veut qu’on dise capharnaum ; mais, s’il connaît le mot, il ne connaît point la chose, car j’ai été obligé de lui apprendre que c’était l’endroit de la grange voisin des étables, où l’on serre les jougs, les chaînes, les ferrages et épelettes de toute espèce qui servent aux bêtes de labour et aux instruments du travail de la terre. De cette manière, Landry pouvait rentrer à l’heure qu’il voulait sans réveiller personne, et il avait toujours son dimanche à lui jusqu’au lundi matin, pour ce que le père Caillaud et son fils aîné, qui tous deux étaient des hommes très-sages, n’allant jamais dans les cabarets et ne faisant point noce de tous les jours fériés, avaient coutume de prendre sur eux tout le soin et toute la surveillance de la ferme ces jours-là ; afin, disaient-ils, que toute la jeunesse de la maison, qui travaillait plus qu’eux dans la semaine, pût s’ébattre et se divertir en liberté, selon l’ordonnance du bon Dieu.

Et durant l’hiver, où les nuits sont si froides qu’on pourrait difficilement causer d’amour en pleins champs, il y avait pour Landry et la petite Fadette un bon refuge dans la tour à Jacot, qui est un ancien colombier de redevance, abandonné des pigeons depuis longues années, mais qui est bien couvert et bien fermé, et qui dépend de la ferme au père Caillaud. Mêmement il s’en servait pour y serrer le surplus de ses denrées, et comme Landry en avait la clef, et qu’il est situé sur les confins des terres de la Priche, non loin du gué des Roulettes, et dans le milieu d’une luzernière bien close, le diable eût été fin s’il eût été surprendre là les entretiens de ces deux jeunes amoureux. Quand le temps était doux, ils allaient parmi les tailles, qui sont jeunes bois de coupe, et dont le pays est tout parsemé. Ce sont encore bonnes retraites pour les voleurs et les amants, et comme de voleurs il n’en est point dans notre pays, les amants en profitent, et n’y trouvent pas plus la peur que l’ennui.