La Petite Fadette (illustré, Hetzel 1852)/Chapitre 25

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J. Hetzel (Œuvres illustrées de George Sand, volume 1p. 31-32).
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XXV.

Mais qui la voyait souvent et faisait grande attention à elle, c’était Landry Barbeau. Il en était comme enragé en lui-même, quand il ne pouvait lui parler à son aise ; mais sitôt qu’il se trouvait un moment avec elle, il était apaisé et content de lui, parce qu’elle lui enseignait la raison et le consolait dans toutes ses idées. Elle jouait avec lui un petit jeu qui était peut-être entaché d’un peu de coquetterie ; du moins, il le pensait quelquefois ; mais comme son motif était l’honnêteté, et qu’elle ne voulait point de son amour, à moins qu’il n’eût bien tourné et retourné la chose dans son esprit, il n’avait point droit de s’en offenser. Elle ne pouvait pas le suspecter de la vouloir tromper sur la force de cet amour-là, car c’était une espèce d’amour comme on n’en voit pas souvent chez les gens de campagne, lesquels aiment plus patiemment que ceux des villes. Et justement Landry était un caractère patient plus que d’autres, jamais on n’aurait pu présager qu’il se laisserait brûler si fort à la chandelle et qui l’eût su (car il le cachait bien) s’en fût grandement émerveillé. Mais la petite Fadette, voyant qu’il s’était donné à elle si entièrement et si subitement, avait peur que ce ne fût feu de paille, ou bien encore qu’elle-même prenant feu du mauvais côté, la chose n’allât plus loin entre eux que l’honnêteté ne permet à deux enfants qui ne sont point encore en âge d’être mariés, du moins au dire des parents et de la prudence : car l’amour n’attend guère, et, quand une fois il s’est mis dans le sang de deux jeunesses, c’est miracle s’il attend l’approbation d’autrui.

Mais la petite Fadette, qui avait été dans son apparence plus longtemps enfant qu’une autre, possédait au dedans une raison et une volonté bien au-dessus de son âge. Pour que cela fût, il fallait qu’elle eût un esprit d’une fière force, car son cœur était aussi ardent, et plus encore peut-être que le cœur et le sang de Landry. Elle l’aimait comme une folle, et pourtant elle se conduisit avec une grande sagesse ; car si le jour, la nuit, à toute heure de son temps, elle pensait à lui et séchait d’impatience de le voir et d’envie de le caresser, aussitôt qu’elle le voyait elle prenait un air tranquille, lui parlait raison, feignait même de ne point encore connaître le feu d’amour, et ne lui permettait pas de lui serrer la main plus haut que le poignet.

Et Landry, qui, dans les endroits retirés où ils se trouvaient souvent ensemble, et mêmement quand la nuit était bien noire, aurait pu s’oublier jusqu’à ne plus se soumettre à elle, tant il était ensorcelé, craignait pourtant si fort de lui déplaire, et se tenait pour si peu certain d’être aimé d’amour, qu’il vivait aussi innocemment avec elle que si elle eût été sa sœur, et lui Jeannet, le petit sauteriot.

Pour le distraire de l’idée qu’elle ne voulait point encourager, elle l’instruisait dans les choses qu’elle savait, et dans lesquelles son esprit et son talent naturel avaient surpassé l’enseignement de sa grand’mère. Elle ne voulait faire mystère de rien à Landry, et comme il avait toujours un peu peur de la sorcellerie, elle mit tous ses soins à lui laire comprendre que le diable n’était pour rien dans les secrets de son savoir.

— Va, Landry, lui dit-elle un jour, tu n’as que faire de l’intervention du mauvais esprit. Il n’y a qu’un esprit et il est bon, car c’est celui de Dieu. Lucifer est de l’invention de M. le curé, et Georgeon de l’invention des vieilles commères de campagne. Quand j’étais toute petite, j’y croyais, et j’avais peur des maléfices de ma grand’mère. Mais elle se moquait de moi, car l’on a bien raison de dire : que si quelqu’un doute de tout, c’est celui qui fait tout croire aux autres, et que personne ne croit moins à Satan que les sorciers qui feignent de l’invoquer à tout propos. Ils savent bien qu’ils ne l’ont jamais vu et qu’ils n’ont jamais reçu de lui aucune assistance. Ceux qui ont été assez simples pour y croire et pour l’appeler n’ont jamais pu le faire venir, à preuve le meunier de la Passe-aux-Chiens, qui, comme ma grand’mère me l’a raconté, s’en allait aux quatre chemins avec une grosse trique, pour appeler le diable, et lui donner, disait-il, une bonne vannée. Et on l’entendait crier dans la nuit : Viendras-tu, figure de loup ? Viendras-tu, chien enragé ? Viendras-tu, Georgeon du diable et jamais Georgeon ne vint. Si bien que ce meunier en était devenu quasi fou de vanité, disant que le diable avait peur de lui.



Landry trouva la chose bien mauvaise et attrapa le gamin. (Page 22.)

— Mais, disait Landry, ce que tu crois là, que le diable n’existe point, n’est pas déjà trop chrétien, ma petite Fanchon.

— Je ne peux pas disputer là-dessus, répondit-elle ; mais s’il existe, je suis bien assurée qu’il n’a aucun pouvoir pour venir sur la terre nous abuser et nous demander notre âme pour la retirer du bon Dieu. Il n’aurait pas tant d’insolence, et, puisque la terre est au bon Dieu, il n’y a que le bon Dieu qui puisse gouverner les choses et les hommes qui s’y trouvent.

Et Landry, revenu de sa folle peur, ne pouvait pas s’empêcher d’admirer combien, dans toutes ses idées et dans toutes ses prières, la petite Fadette était bonne chrétienne. Mêmement elle avait une dévotion plus jolie que celle des autres. Elle aimait Dieu avec tout le feu de son cœur, car elle avait en toutes choses la tête vive et le cœur tendre ; et quand elle parlait de cet amour-là à Landry, il se sentait tout étonné d’avoir été enseigné à dire des prières et à suivre des pratiques qu’il n’avait jamais pensé à comprendre, et où il se portait respectueusement de sa personne par l’idée de son devoir, sans que son cœur se fût jamais échauffé d’amour pour son Créateur, comme celui de la petite Fadette.