La Philosophie de Lamennais/02

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La Philosophie de Lamennais
Revue des Deux Mondes, 3e périodetome 92 (p. 156-183).
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LA
PHILOSOPHIE DE LAMENNAIS

II.[1]
LAMENNAIS LIBÉRAL ET RÉVOLUTIONNAIRE.

La vie de Lamennais se partage en deux parties bien tranchées. Dans la première, il s’appelle l’abbé de Lamennais ; il est l’apologiste passionné de la religion, et le défenseur déclaré de l’autorité pontificale au spirituel et au temporel ; il fait cause commune avec les royalistes et même avec les ultra ; il collabore avec M. de Chateaubriand et M. de Bonald au Conservateur ; il est l’allié de Joseph de Maistre dans sa tentative de restauration ultramontaine. Dans la seconde, il ne s’appelle plus que F. Lamennais tout court ; il passe au service de la démocratie, il arbore le drapeau révolutionnaire, se fait pamphlétaire, combat avec les armes les plus violentes le gouvernement de Louis-Philippe, et se met à la tête du parti républicain ; en même temps, il se sépare de l’église et passe du côté de la philosophie. Mais, entre ces deux périodes, il y en a une intermédiaire qui sert de transition de l’une à l’autre ; c’est encore l’abbé de Lamennais, mais un Lamennais libéral, réconcilié lui-même et cherchant à réconcilier l’église avec les principes de la liberté moderne : c’est le rédacteur du journal l’Avenir et l’initiateur du mouvement considérable appelé depuis le catholicisme libéral.

Comment cette phase nouvelle a-t-elle pris naissance ? Comment l’ennemi aveugle et fanatique des principes de la révolution est-il arrivé à invoquer ces principes dans l’intérêt de sa cause, comment l’apôtre déclaré de l’église s’est-il fait l’associé du libéralisme ? Il y a là un problème des plus intéressans à résoudre. On a cru généralement que ce changement était dû à la révolution de Juillet, que la vive imagination de Lamennais avait été frappée et entraînée par cette révolution qui avait fait en Europe une impression si profonde. Ayant vu la chute des rois, il se serait tourné vers les peuples, c’est-à-dire vers la puissance nouvelle qui se manifestait. Les choses ne se sont pas passées ainsi ; il n’y a pas eu dans la vie et dans la pensée de Lamennais le changement brusque et la rupture absolue que l’on suppose. Il s’est fait en lui un changement lent et gradue !, dont les premières traces se font sentir bien avant la révolution de Juillet, et déjà dans les dernières années de la restauration ; et l’on peut dire que la phase nouvelle qui a tant étonné les contemporains n’a été que le développement logique de sa pensée.

Au début du gouvernement de 1814 et de 1815, il y eut de fait deux restaurations ; deux pouvoirs oubliés, l’un proscrit, l’autre opprimé pendant toute la durée de la révolution et de l’empire, étaient à la fois rétablis. C’était ce que l’on a appelé le trône et l’autel. À l’origine, ils avaient un intérêt commun ; ils durent nécessairement s’unir, et le triomphe de la royauté parut être en même temps le triomphe de l’église. Mais cette union des catholiques et des royalistes n’était point du tout l’identification des deux élémens. Les uns se montrèrent plus royalistes que catholiques, les autres plus catholiques que royalistes. Lamennais fut de ces derniers. Ce qu’il appelait restauration n’était pas seulement ni même surtout le rétablissement du pouvoir royal. C’était la restauration morale et spirituelle de la société. Pour lutter contre la libre pensée, principe de toutes les révolutions, il croyait que le catholicisme devait redevenir le maître des âmes, le principe moteur de tout l’ordre politique et civil, et il comptait pour cela sur le gouvernement qui devait être purement et simplement l’instrument de l’église et le ministre de Dieu. Mais le pouvoir civil, même royal, même légitime, même catholique, n’était pas trop disposé à entrer dans cette voie au-delà d’une certaine limite. Il était d’abord lié et retenu par les conditions mêmes de la société nouvelle ; la liberté religieuse, la tolérance, l’ordre civil établi par la révolution (mariage, état civil, droits des protestans, etc.), et enfin par le concordat, qui avait établi une sorte d’alliance entre les deux pouvoirs, mais non la subordination de l’un à l’autre, ou même qui avait mis le pouvoir civil dans une condition de protecteur, plutôt que de serviteur obéissant. Mais indépendamment de ces nécessités de l’ordre nouveau, la royauté elle-même avait encore dans ses propres traditions des raisons de ne pas s’abandonner entièrement au pouvoir ecclésiastique. Aussi, malgré les attaches religieuses du gouvernement des Bourbons, s’engagea-t-il une certaine lutte entre l’église et l’état, même sous la restauration. Lamennais dut renoncer à l’espoir d’une monarchie chrétienne, telle qu’il l’entendait, c’est-à-dire d’une monarchie gouvernée par l’église. De là un détachement de plus en plus manifeste à l’égard de la royauté, qui d’ailleurs en elle-même et indépendamment de ses rapports avec l’église lui était parfaitement indifférente. Le ministère Villèle, qui dura sept ans, et qui manœuvra habilement entre toutes les tendances de l’époque, en essayant de fonder une sorte de monarchie administrative, acheva de dégoûter entièrement Lamennais de ce gouvernement terre à terre, qu’il commença à juger, comme il fit, du reste, de tous les gouvernemens ultérieurs, avec le plus profond mépris. D’un autre côté, ayant quitté sa vieille Bretagne pour venir vivre à Paris, au sein du mouvement des idées et dans l’atmosphère d’une presse plus ou moins libre, mais dans laquelle, malgré tous les obstacles, toutes les idées cependant parvenaient à se faire jour, il est visible que Lamennais se laissa de plus en plus séduire par les idées libérales ; il les comprit chaque jour davantage, en vit mieux la vérité relative, la légitimité, et se trouva prêt à demander à ces idées nouvelles un appui qu’un vieux pouvoir vermoulu et délabré se montrait impuissant à lui prêter. C’est ce travail curieux de son esprit que nous voudrions étudier en détail, et qui se manifeste déjà dans son dernier écrit de 1829 : les Progrès de la révolution, mais qui est bien plus visible encore dans sa correspondance de cette époque.


I.

Au début de l’Esai sur l’indifférence en 1818, Lamennais disait que les gouvernemens sont tout-puissans « pour le bien comme pour le mal, » et que pour faire rentrer le peuple dans la voie du christianisme, il suffirait que l’autorité le voulût ; car « en mal comme en bien, on n’agit sur les peuples que par l’autorité. » Mais, en 1829, il ne comptait plus sur les gouvernemens, et dans la préface de son livre sur les Progrès de la révolution, il ne demandait pour l’église que la liberté, « liberté de conscience, liberté de la presse, liberté de l’éducation. » Il demandait que les catholiques ne fussent pas mis « hors la loi. » À quoi faisait-il allusion par ces étranges revendications ? Les catholiques hors la loi ! sous la restauration ! Qui pourrait le croire ? C’est pourtant ce qu’ils disaient alors à propos des ordonnances de 1828, qui avaient renouvelé les anciennes interdictions contre les congrégations religieuses, et en particulier contre les jésuites. C’est surtout à partir de cette époque que Lamennais, s’apercevant que l’autorité, même chrétienne, peut devenir gênante pour l’église, a commencé à faire appel à la liberté[2].

En même temps, Lamennais commençait à reconnaître que le mouvement libéral était trop étendu, trop puissant pour pouvoir s’expliquer uniquement par des préjugés et par des passions. Il rattachait le libéralisme au christianisme ; il rappelait tout ce que le christianisme et le catholicisme avaient fait pour l’émancipation des hommes ; et même il faisait remarquer que, si les peuples catholiques, en Europe, étaient les plus agités, les plus troublés, « les plus exposés à l’impulsion révolutionnaire, c’est qu’ils étaient les plus vivans. » Il affirmait que les libertés européennes ont été sauvées par les souverains pontifes, sans le secours desquels les peuples auraient été complètement opprimés par les rois. Le christianisme, en fondant le pouvoir sur Dieu, n’abandonne pas les peuples et reconnaît au-dessus des pouvoirs humains une loi de justice et de vérité. Dans ce même écrit de 1829, Lamennais allait plus loin encore. Il manifestait des tendances, non-seulement libérales, mais démocratiques. Il renouait l’alliance de la démocratie et de la théocratie, qui avait été essayée au XVIe siècle par le parti de la ligue. Ainsi, en se détachant de la cause du pouvoir royal, il trahissait déjà un fonds de tendances révolutionnaires. Il présentait la ligue comme son idéal et il en citait le Manifeste avec enthousiasme. Il distinguait la ligue et la tyrannie des seize : « Les seize, disait-il, à la tête d’une troupe de brigands, exercèrent, comme les membres du comité de salut public, un despotisme populaire. La ligue, malgré les passions et les intérêts privés qui s’y mêlèrent, dirigée par les maximes du droit public reçu, replaça la monarchie sur ses bases ébranlées. C’est cet ancien droit, ce droit chrétien, aujourd’hui presque ignoré, que nous voulons faire renaître dans cette grande confédération catholique dont il fut le principe et la règle. »

Dans le même ouvrage, nous avons vu que Lamennais opposait l’un à l’autre, en les mettant sur la même ligne, le royalisme et le libéralisme, disant que l’un et l’autre soutenaient un principe vrai, mais sans l’appuyer sur de solides fondemens. Ce fondement, c’est la foi chrétienne. Il n’y a de salut pour les peuples que dans le retour au christianisme. C’est ici que Lamennais, désespérant du pouvoir royal, commençait à se tourner vers la liberté. Bien loin de faire appel au pouvoir civil en faveur de la religion, il demandait au contraire que cette intervention fut tout à fait écartée. La contrainte, au lieu de hâter cette réconciliation des peuples et du christianisme, ne ferait que la retarder. Il s’agit de changer non l’état matériel des choses, mais l’état des intelligences. « L’unité, disait-il, ne peut plus renaître qu’à la suite d’un libre combat. » À quoi servirait-il d’enchaîner la parole, puisque l’on ne peut enchaîner la pensée ? Pour ramener les âmes à la vérité, il ne faut plus se servir que d’armes toutes spirituelles. On voit combien Lamennais s’éloignait du temps où il considérait la tolérance comme une persécution de l’église. Il allait plus loin même que la tolérance ; il demandait la liberté, mais une liberté pleine et entière pour les catholiques comme pour les autres. Il faisait voir le danger de trop associer le sort de l’église à celui de l’état. Les avantages que l’état peut assurer à l’église sont loin de compenser les dangers qu’il fait courir à son indépendance. « Elle a bien plus à craindre qu’à espérer des princes. » Il reconnaissait même qu’il y avait quelque chose de légitime dans les appréhensions exagérées qu’inspire le prétendu envahissement du parti prêtre, à savoir l’intention qu’on lui attribue d’usurper le pouvoir civil. Déjà on entrevoit la thèse de la séparation de l’église et de l’état : « Le véritable appui de l’église est dans la confiance des fidèles… Ce sont eux plus que les rois qui la dotèrent dans les temps antiques ; et leurs offrandes, qui forment le patrimoine du pauvre, suffiront à ses besoins toutes les fois qu’un despotisme persécuteur n’interposera point ses volontés arbitraires et tyranniques entre elle et la piété des peuples. »

Lamennais prévoyait de la manière la plus nette la révolution qui s’approchait, et l’on voit clairement qu’il se désintéresse à l’avance du sort d’un pouvoir qui n’était ni chrétien ni populaire. « Le pouvoir sans règle, disait-il, flotte au hasard ; il a perdu son affinité native avec l’ordre. Ne pouvant subsister tel qu’il est, il ne peut réparer ni les ruines qu’il a faites, ni sa propre ruine. Un changement fondamental est devenu nécessaire, et ce changement ne saurait s’opérer sans des commotions violentes. » Cependant il ne pense pas qu’il faille coopérer à son renversement. Il se tient pour ainsi dire en dehors du mouvement. Sans doute il n’y a plus de royauté chrétienne ; mais on n’en doit pas moins au pouvoir une véritable soumission, comme maintenant encore un ordre partiel dans la société. « Mais quand le désordre, atteignant l’essence même du pouvoir, a envahi l’état entier, une autre loi se développe, loi de destruction indispensable pour préparer le renouvellement futur. On a voulu l’erreur, on a voulu le mal ; et le mal et l’erreur agissent selon leur nature. En renversant violemment, on dissolvait peu à peu ce qui forme un obstacle à l’action réparatrice du principe vital. C’est la tempête qui purifie l’air, c’est la fièvre qui sauve le malade en expulsant ce qu’il y a de vicié dans son organisation. Il est donc conforme aux lois de la Providence que les fausses doctrines qui égarent les peuples continuent de prédominer jusqu’à ce qu’elles aient accompli, au degré nécessaire que Dieu connaît, la destruction qui doit précéder l’œuvre de la régénération sociale. »

On voit manifestement, par ces textes de 1828-1829, que Lamennais, dès cette époque, se détachait des doctrines autoritaires et royalistes pour se rallier de plus en plus aux doctrines libérales et démocratiques, qu’il s’éloignait des princes pour se tourner vers les peuples. Ces doctrines nouvelles se manifestent d’une manière bien plus claire encore dans sa Correspondance, où il peut s’exprimer avec plus de liberté. Déjà, en 1827, il abandonnait complètement la cause de l’ancien régime et il rêvait un état complètement nouveau : « Jamais on ne relèvera l’ancien édifice, disait-il, et sous presque aucun rapport il ne serait à désirer qu’on le relevât (septembre 1827j. » Il se sépare complètement de M. de Bonald, qui s’était peu à peu rallié à M. de Villèle, et qui continuait à soutenir des doctrines absolutistes. Bonald avait dit dans un écrit récent : « Nul état ne peut subsister avec la liberté de la presse. » Lamennais proteste : « Tout état, dit-il, est aujourd’hui révolutionnaire et antichrétien. Que serait la censure dans de telles mains ? » Au contraire, selon lui, « il y a des vérités à établir et des erreurs qui doivent s’épuiser. La liberté de la presse est nécessaire à ce double but (novembre 1827). » Comme dans le livre Des Progrès de la révolution, il confond le gallicanisme avec le royalisme, et le royalisme avec l’absolutisme : « Cette doctrine dégradante pousse les peuples à la république par une théorie de la royauté qui répugne à la conscience du genre humain (janvier 1828). » Il reconnaît que « le libéralisme a pour lui cette conscience universelle qui est la plus grande des forces (ibid.). » Comme dans le même livre, mais avec bien plus de hardiesse encore, il déclare que « le royalisme se dissout. Le principe de vie ayant été détruit, il faut que cette société meure. » Le libéralisme a pour lui les institutions existantes, et quand il en demande les conséquences et les développemens, on n’a rien de sensé à lui objecter. D’ailleurs, les jeunes générations arrivent enivrées des doctrines nouvelles (ibid.). Parlant de son livre Des Progrès de la révolution, il dit qu’il y combat tout le monde, parce qu’il n’y a plus rien à ménager dans ce temps de dissolution universelle (novembre 1828). « Aucun bien ne peut plus s’opérer sans de graves catastrophes. Pour établir les vérités qui doivent sauver le monde, une immense liberté est indispensable [ibid.). » — « Aucun changement moral et spirituel n’est possible avant qu’un grand changement se soit opéré dans l’ordre extérieur de la société (janvier 1829). » — « Tout se prépare pour de grands ébranlemens. Les hommes seront emportés comme la paille par la tempête. Une destruction entière, absolue, est inévitable (11 janvier 1829). » Pour arrivera ce renouvellement, deux choses sont nécessaires : « éclairer les esprits par la discussion, fortifier les âmes par le combat, d’où il suit que la liberté est aujourd’hui le premier besoin des peuples. »

Un événement important vint confirmer Lamennais dans ses nouvelles aspirations et lui donner une forte impulsion du côté du libéralisme. Ce fut la protestation des catholiques belges contre le gouvernement hollandais. On sait que, par les traités de 1815, la Belgique avait été annexée au royaume des Pays-Bas. Cette annexion violente d’un peuple à un autre, d’une race à une autre toute différente, et surtout d’une religion à une autre, souleva deux sortes de protestations : d’une part, celle des libéraux, qui réclamaient, comme en France, contre la réaction antilibérale du pouvoir, avec un élément national en plus ; d’autre part, celle des catholiques, qui réclamaient la liberté de conscience. De là une alliance naturelle entre les principes libéraux et les principes catholiques. Cette alliance, commandée par la situation, fit taire les préjugés réciproques, et les deux partis, étroitement unis, s’élevèrent à la fois contre une même tyrannie. Ce sont ces principes communs qui inspiraient le Manifeste des catholiques pour lequel Lamennais exprime sa profonde admiration et qu’il propose en modèle aux catholiques de notre pays. « C’est, disait-il, un des plus beaux et des plus grands spectacles que l’on ait vus depuis longtemps. « Il se fait l’illusion que, dans cette alliance du libéralisme et du catholicisme, le premier de ces deux élémens sera absorbé par le second ; mais cette illusion était naturelle à un catholique, car comment croire que la vérité n’a pas par elle-même une vertu attractive et absorbante ? Au lieu d’opposer sans cesse le catholicisme aux instincts modernes, il faut s’emparer de ces instincts à son profit ; et, comme il s’exprimait alors, il faut « catholiciser le libéralisme (décembre 1829). » Ainsi parlait Lamennais près d’une année avant la révolution de 1830.

Ainsi, Lamennais, bien avant 1830, se montrait de plus en plus désabusé du côté du royalisme ; ce qui est plus grave, c’est qu’on entrevoit déjà qu’il pourrait bien un jour être désenchanté et désabusé d’un autre pouvoir tout autrement respectable et qu’il mettait au-dessus de tout, mais dont il commençait déjà à déplorer la faiblesse et l’incurie : « Rome ! Rome ! où es-tu ? » disait-il à un moment où l’on croyait que Rome désapprouvait lâ protestation des évêques contre les ordonnances de 1828. Il se plaint de l’ingratitude de l’église à son égard : « Défendez donc la religion, l’église… L’église était dans l’arène, livrée aux bêtes… J’ai senti le besoin de combattre pour elle. Aussitôt on lapide le téméraire sans mission. « Il se plaint d’un évêque qui ne veut entendre parler de liberté que dans un sens spirituel, et qui ne comprend pas que Jésus-Christ a aboli l’esclavage politique et domestique. Enfin, il déplore que l’opposition vienne de ceux mêmes dont on devait attendre le soutien : « l’église, dit-il, en est arrivée à un véritable protestantisme de fait. »

Le livre Des Progrès de la révolution contenait donc déjà une proposition d’alliance du catholicisme et du libéralisme, et il fut ainsi interprété par les catholiques : c’est ce qui résulte d’une lettre d’un catholique belge, à la fois libéral et catholique, et qui souffrait profondément de la contradiction de ces deux opinions : « Votre ouvrage, lui écrivait-il, a rendu le repos à mon esprit et la paix à ma conscience. Catholique plein de foi, j’étais libéral en politique ; et cependant presque tous les catholiques que je voyais faisaient de l’autel et du trône une cause commune, et je voyais presque toujours l’incrédulité l’apanage du libéralisme. Cette contradiction a été pour moi la source de combats bien pénibles ; et cependant je ne pouvais me soumettre à regarder les peuples comme de vils troupeaux livrés légitimement en proie à la houlette imbécile d’un berger ou au couteau d’un bourreau. Votre livre a paru, monsieur, et a été pour moi une vive lumière, qui a subitement éclairé ce coin obscur où je tâtonnais depuis si longtemps ;.. depuis ce temps, j’ai retrouvé la tranquillité… Votre ouvrage a fait une sensation immense dans ce pays ; trois contrefaçons en sont épuisées ; nos vieilles entrailles flamandes ont tressailli en reconnaissant les principes qui ont guidé nos pères dans leur si longue résistance au pouvoir. » L’événement depuis longtemps prévu par Lamennais arriva. La restauration succomba dans une lutte de quelques heures. Lamennais annonce cet événement à son amie la comtesse de Senft en lui apprenant en même temps que le duc d’Orléans va recevoir la couronne. « Le plus grand nombre, dit-il, préféreraient une république franchement déclarée, et je suis de ceux-là. Mais j’espère que la royauté sera purement nominative (6 août 1830). » C’était une illusion de croire que la république avait pour elle la majorité de l’opinion ; c’était une autre illusion de croire que la royauté serait purement nominative. Mais ce passage nous montre que Lamennais n’a pas attendu les Paroles d’un croyant pour être républicain : ce ne fut pas la conséquence extrême et déréglée de sa rupture avec Rome, ce fut la conséquence logique de ses opinions. Désabusé d’une royauté qui avait pour elle une longue et respectable tradition, et qui, malgré sa faiblesse, était encore une royauté chrétienne, il ne pouvait guère sympathiser avec une demi-royauté, dont le premier acte devait être d’abolir la religion d’état, et qui, préoccupée de se conserver, devait accorder la liberté d’une main parcimonieuse. Ne reposant ni sur la souveraineté du peuple, ni sur le droit divin, la quasi-légitimité portait en elle-même une cause radicale de faiblesse, et elle ne pouvait séduire Lamennais par aucun côté. C’était cependant une erreur grave de croire qu’un pouvoir quelconque, auquel on donne le prestige de la royauté, puisse se résigner volontairement à n’être que nominatif. Peut-être une royauté qui se fût contentée de régner sans gouverner, ou plutôt qui eût affecté le rôle d’arbitre entre les partis, au lieu de se mettre à la tête d’un parti, aurait-elle eu plus de chances de durée. Mais pour se décider à cette conception, il fallait les lumières d’une expérience. que l’on n’avait pas encore.

Tout ce que nous venons d’exposer est antérieur au journal l’Avenir, et même à la révolution de Juillet ; et, cependant, toute la doctrine de l’Avenir y est contenue en principe. Ce ne fut donc pas le contre-coup brusque d’une révolution inattendue qui porta Lamennais jusqu’au catholicisme libéral : il y arriva graduellement, naturellement et sans soubresaut. L’étonnement, mêlé de défiance, que cette évolution produisit dans le public, s’explique par ce fait qu’on n’avait pas été attentif à ces changemens. On avait toujours devant les yeux un abbé de Lamennais ultra et théocrate ; on ne pouvait croire à son libéralisme ; on n’y voyait qu’un jeu pour ressaisir sous cette forme nouvelle le pouvoir de l’église. On vit bientôt que ce n’était pas un jeu ; car Lamennais sacrifia à cette nouvelle croyance sa vie, son état ecclésiastique, sa foi, son âme entière. Ses plus grands ennemis, les plus opposés à ses nouvelles convictions, doivent reconnaître qu’il a fallu des raisons bien profondes pour expliquer un tel sacrifice. Dans le camp abandonné, on a tout rapporté à l’orgueil, qui est d’ordinaire l’explication dont on se sert pour qualifier toute tentative d’indépendance. Satan lui-même est tombé par orgueil. C’est là, à notre avis, une explication bien superficielle. Il est plus probable que la désillusion avait atteint le fond même de l’âme, et que, si Lamennais fût resté fidèle, comme la sagesse le conseillait, ce n’eût été qu’aux dépens de la sincérité. Il ne s’agit pas de condamner ceux qui ont pris une autre route que lui, et qui ont laissé un nom pur et une mémoire des plus respectables ; mais Lamennais était une âme autrement profonde. Croire à demi lui était impossible. Les premières assises emportées, il vit, comme le disait plus tard Jouffroy, « qu’il ne restait plus rien qui fût debout. » Sans doute il eût pu mettre moins de violence et moins de haine dans sa déclaration d’indépendance. Mais tous ceux qui ont mis leur foi dans la liberté de l’esprit humain ne peuvent avoir trop de respect et de compassion pour les douleurs de ce grand Prométhée enchaîné et déchaîné.

Mais nous n’en sommes pas encore au moment tragique de la crise ; nous ne sommes qu’au début, dans la période de l’audace et de l’espoir. C’était le moment où, avec ses jeunes amis, Lacordaire, Montalembert, l’abbé Gerbet, Lamennais fondait le journal l’Avenir, vers la fin de 1830. Quelle allait être l’attitude de ce nouveau journal ? Dans son premier article d’octobre, Lamennais exposait l’esprit de cette publication. Dans la dissolution universelle, il ne reste que deux principes debout : Dieu et la liberté. Unissez ces deux principes, et les deux grands besoins de l’âme seront satisfaits. Jusqu’ici, les catholiques se sont défiés de la liberté, parce qu’elle était défendue par une philosophie impie ; mais cette philosophie elle-même n’était impie que parce que la religion s’était associée au despotisme. On combattait la religion pour combattre l’absolutisme ; mais le vrai christianisme, le christianisme compris dans son essence et dans son esprit, n’est pas incompatible avec la liberté, car il en est la base. La liberté a besoin du catholicisme pour fonder le droit sur quelque chose de divin, et les catholiques ont besoin de la liberté pour répandre leurs doctrines. Toutes les grandes forces sociales ayant été l’une après l’autre minées et ruinées, la liberté individuelle, la liberté de tous, est la seule garantie possible. Donc point d’autre issue que l’alliance de la liberté et de l’église.

Liberté par l’église, mais aussi liberté pour l’église, voilà la formule nouvelle que venait proposer l’abbé de Lamennais. Ni l’un ni l’autre ne seront possibles tant que l’église restera enchaînée au pouvoir civil. En principe, sans doute, l’église et l’état ne doivent faire qu’un : il n’y a qu’une société. Mais pour qu’une telle société existe, il faut une croyance commune et des principes acceptés. Mais si les croyances sont divisées, si les principes sont mis en question, comme aujourd’hui, aucune de ces croyances, aucun de ces principes ne peut prétendre à absorber en sa faveur la force de l’état pour l’imposer aux autres. Cet emploi de la force retarde le triomphe de la vérité au lieu de l’accélérer. La violence profane le sanctuaire de l’âme. L’église elle-même, dans cette union, fait un marché de dupes ; car, pour s’assurer l’empire, elle perd sa propre liberté. Lamennais donc proposait comme remède ce que l’on appelle aujourd’hui « la séparation de l’église et de l’état. » Cette formule, depuis si célèbre, lui appartient. C’est lui qui, le premier, l’a introduite dans la controverse politique. C’est la formule que M. de Cavour a reprise en la traduisant en ces termes : l’église libre dans l’état libre[3]. Ainsi, cette thèse de la séparation, soutenue aujourd’hui par les écoles radicales les plus opposées au christianisme et par haine du christianisme, a été primitivement l’invention du parti catholique, ou du moins de la portion de ce parti qui ne voyait plus de salut pour l’église que dans la liberté. Suivant Lamennais, la séparation des deux puissances est la conséquence de la liberté de conscience ; Ou l’état protège l’église, ou il l’opprime ; dans les deux cas, il y a Violation de la liberté. Si l’église obéit, elle est suspecte de servilité ; si elle résiste, de rébellion. Comme conséquence de cette réforme, Lamennais demande que le gouvernement ne soit plus rien dans le choix des évêques ni des curés, qu’il ne se mêle ni du culte, ni de l’enseignement, ni de la discipline, que la liberté de communication avec Rome soit entière. Au fond, il s’agit d’instituer un gouvernement en face des gouvernemens, et, comme on disait autrefois, un état dans l’état. Les avantages pour l’église, selon Lamennais, seraient bien supérieurs aux inconvéniens. Le seul sacrifice que l’église aurait à faire en compensation serait le sacrifice du salaire des prêtres. Mais ce salaire est contraire à leur dignité et à leur indépendance. Ils achètent leur subsistance par l’abandon de leur liberté. D’ailleurs, qu’y a-t-il à craindre ? La charité viendrait au secours du sacerdoce, comme elle le fait en Irlande, dans ce pays de pauvreté et même de détresse, et où cependant les pauvres aiment mieux tout souffrir que de laisser leur clergé sans ressources. Enfin, il faut revenir au christianisme primitif, pauvre, nu, se recrutant parmi les faibles et les misérables, donnant l’exemple du sacrifice et de l’humilité ; à ce prix, le christianisme peut espérer un avenir nouveau de gloire et de renaissance. Telle est l’idée fondamentale du journal l’Avenir, idée qui, conçue d’abord dans l’intérêt du catholicisme, a été plus tard retournée contre lui. Ce n’est pas le lieu de juger cette conception. Ce n’en est pas moins un grand honneur pour Lamennais et son école d’avoir introduit dans la question si complexe des rapports de l’église et de l’état une solution nouvelle, qu’il appartient à l’avenir de mûrir et de mitiger.

Indépendamment de cette thèse extrême et radicale, qui peut être sujette à discussion, l’Avenir posait les bases d’une réconciliation entre l’église et la liberté. Voici quelles étaient les bases de cette sorte de traité de paix : I. Nous restons catholiques liés à l’unité et à la hiérarchie ; II. Nous repoussons les doctrines gallicanes ; III. Nous demandons toutes les libertés, notamment la liberté de conscience, la liberté d’enseignement, la liberté de la presse, la liberté d’association ; IV et V. Enfin, nous demandons l’extension des droits de suffrage et la suppression de la centralisation.

Si nous cherchons ce que le parti catholique apportait de nouveau dans ce catalogue de libertés, ce qu’il ajoutait à nos anciennes déclarations de droit et aux principes de 1789, nous trouvons surtout deux libertés nouvelles que le libéralisme ne revendiquait que rarement, parce qu’il croyait y voir une arme contre la révolution plutôt qu’une conséquence de cette révolution même. Ce sont la liberté d’enseignement et la liberté d’association. En effet, l’état moderne s’étant affranchi de l’église a d’abord pris ses précautions contre elle, en se réservant l’enseignement et en refusant le droit d’association. Cependant l’église a le plus haut intérêt à ces deux libertés ; c’est à elle qu’il appartenait de les réclamer : car on ne réclame en général que les libertés dont on a besoin pour soi-même. Il faut donc (en partie du moins, et sans méconnaître les réclamations antérieures) rattacher au journal l’Avenir l’origine de ces deux grandes questions. L’Avenir abordait en outre la question de la souveraineté, et, s’appuyant sur la tradition théologique, il se prononçait pour la souveraineté du peuple. C’était, en effet, la doctrine de saint Thomas d’Aquin et de la plupart des scolastiques. C’est, au contraire, dans l’école des légistes, des défenseurs du pouvoir laïque contre les prétentions sacerdotales, que la doctrine moderne du droit divin et du pouvoir absolu a pris naissance. Enfin, pour ce qui concernait la forme du gouvernement, le journal se prononçait pour la république, mais en déclarant que le gouvernement nouveau, issu de 1830, était une république de fait, et qu’il n’y avait pas lieu de trop se préoccuper de la forme abstraite et théorique du gouvernement. L’église réclamant ainsi pour elle-même et pour tous toutes les libertés n’était plus suspecte d’alliance avec le despotisme ; elle n’avait plus d’autre arme que la vérité seule, il est impossible que cette vérité ne se fasse pas reconnaître et obéir ; la société redeviendra chrétienne par la force des choses, et l’unité morale du genre humain se rétablira spontanément. Tel est le rêve que Lamennais caressait dans ce premier moment d’enthousiasme qui suivit la révolution de Juillet, et dont l’Avenir fut l’expression pure, naïve, désintéressée. L’ardeur du vieux prêtre se communiquait aux hommes généreux et candides qui, groupés autour de lui et inspirés par lui, croyaient travailler, comme de nouveaux apôtres, au renouvellement de l’église, à la résurrection de la foi ; et, cependant, quelque brillantes que fussent ces espérances, quelque talent, quelque foi, quelque enthousiasme qu’apportassent à cette œuvre les rédacteurs de l’Avenir les idées précédentes trouvèrent peu d’écho dans le monde catholique. Le journal fut obligé de suspendre sa publication. Mais, en le suspendant, on ne voulut pas cependant avouer au monde ni s’avouer à soi-même qu’on s’était trompé. On crut avoir trouvé un moyen de salut et de force en allant soumettre la nouvelle doctrine à la plus haute des autorités, à celle que l’abbé de Lamennais avait toujours proclamée l’autorité suprême et infaillible. Il crut que, si le clergé se défiait, s’il se tenait à distance, c’est qu’il craignait de déplaire aux grands dignitaires de l’église ; et ceux-ci eux-mêmes étaient tenus en respect par la crainte de Rome. Si donc on pouvait obtenir de Rome elle-même quelque adhésion, quelque encouragement, au moins quelque témoignage de sympathie, on retrouverait auprès du clergé l’appui qu’il n’osait pas donner. De là la funeste résolution d’aller à Rome, suggérée par Lacordaire, acceptée avec empressement par Lamennais, acte trop peu médité, qui était, en apparence, un acte de soumission, mais qui devait devenir plus tard l’occasion de la crise terrible qui coupa en deux la vie de Lamennais. Jusqu’ici, malgré l’entraînement des idées modernes qui l’envahissaient chaque jour de plus en plus, il était resté l’abbé de Lamennais, le catholique fervent, l’une des lumières de l’église. Il allait revenir bientôt l’un de ses plus cruels ennemis.

Terminons le récit de cette première période en rappelant les mots touchans par lesquels se termine le dernier numéro de l’Avenir, dans lequel Lamennais annonçait à ses lecteurs son prochain voyage à Rome, et l’appel qu’ils allaient faire à l’autorité paternelle du souverain pontife : « Nous quittons un instant le champ de bataille pour un autre devoir également pressant. Le bâton du voyageur à la main, nous nous acheminerons vers la chaire éternelle ; et là, prosternés aux pieds du pontife que Jésus-Christ a préposé pour guide et pour maître à ses disciples, nous lui dirons : « O père, daignez abaisser vos regards sur quelques-uns d’entre les derniers de vos enfans, qu’on accuse d’être rebelles à votre infaillible et douce autorité ; les voilà devant vous : lisez dans leur cœur, il ne s’y trouve rien qu’ils veuillent cacher ; si une seule de leurs pensées, une seule, s’éloigne des vôtres, ils la désavouent, ils l’abjurent. Vous êtes la règle de leurs doctrines ; jamais, non jamais, ils n’en connaîtront d’autres. O père, prononcez sur eux la parole qui donne la vie, parce qu’elle donne la lumière, et que votre main s’étende pour bénir leur obéissance et leur amour. » En parlant ainsi, Lamennais était sincère ; il se croyait l’âme docile et se persuadait que la foi surmonterait tout. Il comptait sans les passions humaines, sans l’amertume des malentendus, sans les irritations d’une longue et stérile attente, sans la force de plus en plus entraînante de ses convictions nouvelles, sans les retours menaçans de l’incrédulité de sa jeunesse jusqu’ici conjurée par la chaleur de la lutte, mais que la douleur d’une grande cause perdue ferait reparaître à la surface. Il ne connaissait pas le saint-siège, il ne se connaissait pas lui-même. La politique glacée d’un pouvoir vieilli mise en présence des brûlantes ardeurs d’un génie tourmenté d’idéal jeta Lamennais dans un trouble profond et dans un véritable désespoir. Ses amis, plus jeunes que lui, purent se sauver, grâce aux espérances et à la souplesse de l’âge. Mais atteint dans sa pleine maturité, il n’avait plus assez de ressort pour recommencer sa vie dans le même ordre d’idées, ni assez de lassitude pour s’éteindre dans le silence. Il ne pouvait vivre que dans la foi. Désabusé d’un côté, il se tourna de l’autre. Les vastes espérances humanitaires qui agitaient son époque s’emparèrent de son imagination et substituèrent un nouveau mirage à celui qui l’avait déçu. Telle fut à peu près son histoire, que nous comprendrons mieux en la suivant pas à pas dans les différentes phases de la crise qui allait se précipiter de plus en plus pour aboutir à la plus douloureuse catastrophe.


II.

Lamennais venait de partir pour Rome avec ses deux amis, Lacordaire et Montalembert. Le récit de ce voyage, des causes qui l’ont amené, des incidens qui l’ont signalé, des conséquences qu’il a eues, est le sujet d’un des livres les plus intéressans de l’auteur et l’un de ses meilleurs ouvrages, les Affaires de Rome (1836). Cet ouvrage est intéressant non-seulement par le fond, mais encore par la forme. Le talent pittoresque et descriptif s’y joint à la verve du polémiste. On y trouve des peintures de mœurs, des portraits, des récits d’une langue souple et naturelle. Toute déclamation a disparu. L’écrivain s’est dégagé de l’école de Jean-Jacques Rousseau. Il rentre dans les meilleures traditions françaises, et l’ouvrage est aussi agréable pour nous qu’il est fort et cruel pour ses adversaires.

Lamennais commence naturellement par expliquer la question, y par résumer l’entreprise qu’avaient tentée les rédacteurs de l’Avenir, et dont ils venaient soumettre le plan à l’autorité du pape. Cette entreprise était celle-ci : le fait d’une aspiration universelle à la liberté étant donné, ils avaient essayé une réconciliation du christianisme et de la liberté. D’une part, ils voulaient ramener le libéralisme à sa source pure et primitive, c’est-à-dire au christianisme : en effet, la source du despotisme n’est autre chose que l’égoïsme ; renversez les despotes, vous n’aurez rien fait si l’égoïsme subsiste ; ils seront remplacés par d’autres despotes. On ne peut donc combattre le despotisme qu’en combattant l’égoïsme, et on ne peut combattre l’égoïsme que par l’amour et la charité. À la cause du mal il faut substituer la cause efficace du bien ; or, la charité, c’est la loi évangélique qui l’a introduite dans le monde. La liberté et l’esprit chrétien sont donc inséparables.

D’un autre côté, il faut réconcilier le christianisme et le libéralisme. Pourquoi ? Lamennais touchait ici un point délicat, et sa franchise n’avait rien qui pût plaire à Rome. Il signalait comme un fait évident que le christianisme avait perdu du terrain dans le monde. Comment le reconquérir ? Est-ce en s’associant à la cause du pouvoir, c’est-à-dire d’un principe fragile qui partout recule devant le principe de liberté ? Non ; le christianisme doit se régénérer en plongeant ses racines dans le principe nouveau qui anime le monde. En unissant sa cause à celle des peuples, le christianisme peut retrouver sa vigueur éteinte. Il s’agit de quelque chose de semblable à ce qui s’est passé lors de la première prédication de l’évangile. Le vieux monde croulait de toutes parts. Le christianisme a pris la défense des faibles contre les forts, des pauvres contre les riches. Le titre de serviteur est devenu la dénomination du pouvoir. C’est ce qu’il faut imiter et renouveler. D’où vient le délaissement des peuples ? C’est que l’église a pris parti pour les puissans et pour les forts. Il s’agit de regagner la confiance populaire, de venir en aide aux besoins de l’humanité, de la seconder dans ses nouvelles aspirations, de faire régner enfin le principe chrétien de l’égalité des droits.

Voilà la thèse de la nouvelle école catholique. Cette thèse, disait Lamennais, pouvait bien au premier abord ne paraître ni trop absurde ni trop choquante. Elle méritait examen et sympathie, et, en tout cas, quelque indulgence, car elle venait d’un désir sincère du bien. Cependant mille obstacles s’élevèrent ; mille oppositions et entraves enrayèrent cette entreprise ; on faisait parler Rome, qui n’avait rien dit. Les intéressés voulurent savoir ce qu’elle pensait. C’est à elle-même qu’ils étaient venus soumettre leurs doutes et leurs espérances. Ils attendaient une parole de bonté et de direction. « Sans doute, dit Lamennais avec un esprit de soumission que l’on doit croire sincère, si, à cette époque, les écrivains de l’Avenir avaient pu savoir d’une manière certaine qu’il étaient désapprouvés, ils seraient rentrés dans le silence. » Peut-être en parlant ainsi, l’auteur des Affaires de Rome se croit-il après coup plus de douceur, d’humilité et de résignation qu’il n’en avait au fond. L’âpreté de cette nature énergique laisse quelque doute sur cette soumission éventuelle à laquelle il paraît croire. Cependant, il est en effet probable que, si la désapprobation fût venue plus tôt, plus franche, plus cordiale, lorsque les esprits n’étaient pas encore engagés, et n’avaient pas encore ce levain d’amertume qui fermente dans une lutte irritante, il est probable, dis-je, que la soumission eût été plus facile et plus complète, et peut-être n’eût-on pas vu la fatale rupture qui allait bientôt éclater. D’autre part cependant, si Lamennais et ses amis eussent eu plus d’expérience des hommes, plus de sens pratique, au lieu d’apporter, dans un temps d’affaires comme le nôtre, les sentimens d’apôtre d’un saint Paul ou d’un Pierre l’Ermite, ils auraient compris que, si Rome ne disait rien, c’est qu’elle n’approuvait pas. Ce qu’elle pouvait faire de mieux à l’égard d’une entreprise aussi nouvelle, c’était de se taire ; et ses amis auraient dû se contenter du silence. Le journal ne faisant plus ses frais, il fallait renoncer à la publicité quotidienne et continuer à soutenir la cause, non encore condamnée, et qui ne l’eût peut-être pas été, par des écrits individuels ou par tout autre moyen. Vouloir aller trop vite, trop presser le saint-siège, dont la situation était délicate, puisqu’il était lui-même un de ces pouvoirs dont on voulait détacher le christianisme, c’était trop demander. Eu exigeant trop, on compromettait tout ; en demandant une parole expresse, on forçait le saint-siège à prendre parti ; et qu’il pût dire oui, c’est ce qui était bien peu probable, étant données les tendances connues de la cour de Rome. On se mettait donc soi-même d’avance dans la triste alternative d’une pénible soumission ou d’une dangereuse révolte.

Lamennais ne méconnaissait pas cependant que son entreprise entraînait beaucoup de difficultés, précisément par le mélange de temporel et de spirituel qui constituait alors la souveraineté pontificale. Le pape était à la fois évêque et souverain. La question, si grave en elle-même, l’était en outre beaucoup plus à Rome qu’à Paris. Lamennais, avec son esprit absolu et son tempérament d’apôtre, n’hésitait pas et il s’écriait, en s’adressant au pape : « Abandonnez les débris terrestres de votre grandeur ruinée. Reprenez la houlette des premiers pasteurs. » Cela était plus facile à dire qu’à faire. Il disait encore avec une grande vérité : « Qu’aucune institution ne déchoit que par l’affaiblissement de son principe et ne se relève que par le retour à l’esprit qui lui est propre. » Mais lorsque avec le temps une institution s’est mêlée au réseau d’une société compliquée, est-il si facile de revenir à la simplicité primitive ? Sans doute le christianisme à l’origine était une doctrine essentiellement populaire ; mais, comme toutes les puissances, il s’était organisé avec le temps ; la hiérarchie avait remplacé la simplicité première. Il s’était combiné avec des intérêts sociaux innombrables dont il n’était pas facile de le dégager. Pour redevenir ce qu’il avait été à l’origine, était-ce simplement l’alliance avec les pouvoirs politiques qu’il fallait dénouer ? N’était-ce pas tout le système de la hiérarchie constituée par le moyen âge ? et ne devait-on pas se rappeler que c’était ce retour à l’église primitive qui avait été le mot d’ordre du protestantisme ? L’établissement d’un catholicisme libéral ne pouvait donc se faire que peu à peu, par le fait des transactions nécessaires que le temps amène avec lui, mais non par une brusque évolution, comme celle qui captivait l’imagination et répondait aux passions ardentes de l’abbé de Lamennais. Mais dans le feu de la lutte, d’aussi froides réflexions avaient peu de chances d’être accueillies par lui, comme ses propositions révolutionnaires en avaient peu de l’être par la souveraine autorité.

Sans méconnaître cependant la valeur plus ou moins plausible des argumens qu’on pouvait lui opposer, Lamennais croyait pouvoir se plaindre au moins de ce qu’à Rome sa doctrine n’avait pas même été examinée. Il ne put d’abord obtenir aucune audience, et lorsqu’il réussit enfin à en avoir une, c’était à la condition qu’il n’y serait question de rien. En attendant, il insistait, et, à défaut d’entretien oral, il envoyait au saint-père un Mémoire qu’il a reproduit dans les Affaires de Rome. Dans ce mémoire, il examinait en détail les deux systèmes de conduite qui étaient possibles en France pour le clergé après la révolution de 1830 : ou rester attaché au pouvoir et se perdre avec lui, comme on l’avait fait sous la restauration, et cela en faveur d’un gouvernement nouveau essentiellement hostile, et qui, sans aller jusqu’à la persécution, voulait l’asservissement de l’église ; ou, au contraire, s’unir au parti de la liberté pour obtenir une liberté de conscience entière, la liberté d’enseignement pour les catholiques et la liberté d’association pour les congrégations religieuses. Entre ces deux systèmes, Lamennais pensait qu’il était impossible d’hésiter. Il montrait que l’église en soi n’est incompatible avec aucune liberté, que l’abandon du salaire des prêtres ne compromettait en rien ni leur dignité ni leur sécurité. La séparation de l’église et de l’état était, suivant Lamennais, la conséquence nécessaire des doctrines romaines qu’il avait toujours soutenues. Car l’association de l’église et de l’état, sous quelque forme qu’elle se présente, c’est toujours le gallicanisme, la suprématie de l’état sur l’église, par la nomination des évêques, par la limite de son enseignement, par les entraves mises à la libre communication avec Rome. Rome, en s’opposant aux doctrines nouvelles, s’opposait donc à ses propres doctrines. Tel était le mémoire rédigé et présenté par l’abbé de Lamennais. On ne lui fit même pas l’honneur de l’examen. On ne l’invita pas, on ne l’autorisa pas à se défendre et à s’expliquer. Ici, Lamennais est véritablement intéressant et touchant. Peut-être encore une fois se fait-il illusion, en se persuadant qu’il eût cédé à un mot paternel ; mais on ne peut pas dire que cela n’eût pas eu lieu ; et le silence humiliant gardé à son égard, lui, le plus grand apologiste de l’église à cette époque, semble autoriser ses plaintes ; on est tenté de lui donner raison lorsqu’il s’écrie : « Je me suis souvent étonné que le pape, au lieu de cette sévérité silencieuse, ne nous eût pas dit simplement : Vous avez cru bien faire, mais vous vous êtes trompés. Placé à la tête de l’église, j’en connais mieux que vous les besoins et les intérêts, et seul j’en suis juge. En désapprouvant la direction que vous avez donnée à vos efforts, je rends justice à vos intentions. Allez, et désormais, avant d’intervenir en des affaires aussi délicates, prenez conseil de ceux dont l’autorité doit être voire guide. » Ce peu de paroles, ajoute Lamennais, aurait tout fini. Cela n’est peut-être pas aussi certain qu’il le croit ; mais au moins tous les torts eussent été de son côté. L’église aurait usé de maternité envers une grande et généreuse nature, entraînée seulement par un excès d’idéal. Mais rien ne fut dit : on resta de part et d’autre dans cette attitude de froide réserve et de silencieuse défiance qui envenimait tout et qui brisait l’âme de Lamennais ; car les natures sensibles et nerveuses comme la sienne sont par-dessus tout incapables de supporter l’attente, l’incertitude, les sous-entendus, les équivoques de la politique, et les lentes et froides résolutions de la vieillesse timide et circonspecte. Mille émotions contradictoires traversaient et ébranlaient son âme. Il eût peut-être aimé lui-même à être forcé de couper court à ses desseins par un mot décisif ; et si ce mot eût été accompagné de bonté, c’eût été sans doute une délivrance ; mais céder sans savoir pourquoi, sans même qu’on le lui demandât, sans qu’on parût y tenir, sans être averti autrement que par des intermédiaires dont le langage était vague et hésitant, c’était une sorte d’humiliation qu’un saint Bernard eût peut-être été capable d’accepter, mais qu’un homme qui n’était qu’homme n’avait pas le courage de s’imposer à lui-même.

Cependant Lamennais fut reçu par le pape, et il reconnaît qu’il le fut avec bonté ; mais pas un mot ne fut dit, aucune explication ne fut demandée, aucune ne fut donnée. Dans cette audience, qui dura un quart d’heure, le pape ne voulut parler que d’art ; il montra à Lamennais une statuette de Michel-Ange, en lui disant : « Reconnaissez-vous la griffe du lion ? » Puis, après quelques mots du même genre, dans lesquels le pape éluda toute allusion à la question en litige, il lui dit : « Adieu, monsieur l’abbé[4]. » Cette courte et froide réception fut tout ce que Lamennais put obtenir. L’ambassade avait échoué. Lamennais resta encore quelque temps à Rome ; ses amis Lacordaire et Montalembert partirent les premiers. Il attendait toujours une réponse, un examen. Cette réponse arriva enfin sous une forme indirecte, mais, il faut le dire, sous la forme la plus maladroitement malheureuse que l’on eût pu choisir. La papauté eût voulu de gaîté de cœur provoquer un schisme qu’elle ne s’y fût pas prise autrement. Ce fâcheux incident fut le Bref aux évêques de Pologne. Pour bien comprendre combien ce bref a pu contribuer à arracher de l’âme de Lamennais les derniers vestiges d’amour et de respect qui y restaient encore pour la chaire pontificale, il faut se transporter à cette époque, se mettre au diapason des sentimens d’alors ; il faut se rappeler quelle était alors la sympathie ardente du public libéral européen pour la cause de la Pologne. Elle représentait une nation écrasée, une patrie détruite, violemment spoliée et violemment maintenue dans la servitude ; elle représentait, en outre, la cause de la liberté religieuse, de la liberté catholique. La cause de la Pologne n’était donc pas la même que celle du libéralisme en général ; ce n’était pas une cause révolutionnaire. Elle représentait deux choses, que l’église elle-même avait toujours déclarées inviolables : la patrie et la religion. Ces deux causes avaient triomphé en Belgique, et le succès avait obtenu l’adhésion de la cour de Rome. La Pologne était vaincue, écrasée sous une réaction sanglante et décimée par d’affreux supplices : c’est le moment que choisissait la cour de Rome pour l’accabler et lui porter le dernier coup, et cela, trop évidemment, par des raisons purement politiques et temporelles, et parce que le pouvoir pontifical avait besoin de l’appui de la Russie. « Nous avons été informés, disait le bref de 1832, de la misère affreuse dans laquelle ce royaume a été plongé, et que cette misère avait été causée uniquement par les menées des malveillans, qui, sous prétexte de l’intérêt de la religion, se sont élevés contre la puissance des souverains légitimes. » Le bref soutenait, à l’aide de l’Écriture, « la soumission absolue au pouvoir institué par Dieu, » sans expliquer si cette soumission peut s’appliquer à un peuple conquis et qui cherche à reconquérir son indépendance. On se demande comment, avec ce principe, on pourrait justifier les Machabées, qui ont cependant été toujours cités comme exemple à tous les fidèles. On comprend que Lamennais ait été profondément froissé par ce bref, qui condamnait indirectement toutes ses doctrines et même plus encore, et qui lui ôtait toute illusion sur le rôle spirituel, fraternel, chrétien, de la papauté. Sans cependant combattre directement le bref, il s’en prend au Journal officiel, qu’il censure amèrement en ces termes : « Tant que l’issue de la lutte entre la Pologne et ses oppresseurs demeura douteuse, le Journal officiel romain ne prononça pas un mot qui pût blesser le peuple vainqueur en tant de combats. Mais à peine eut-il succombé, à peine les vengeances eurent-elles commencé le supplice d’une nation dévouée au glaive, à l’exil, à la servitude, que le même journal ne trouva pas d’expressions assez injurieuses pour flétrir ceux que la fortune avait abandonnés. » Je le répète, il nous est difficile de comprendre aujourd’hui les sentimens de Lamennais. La question polonaise a perdu de son acuité. La France a commencé à trouver ridicule le rôle de donquichottisme qu’elle s’était attribué dans le monde. Mais, à cette époque, la Pologne représentait, sous sa forme la plus aiguë, la lutte du despotisme et de la liberté. Les sentimens les plus amers durent atteindre, les âmes catholiques, en voyant un peuple catholique flétri par le pape pour avoir, comme les Machabées, soutenu la patrie et la religion les armes à la main.

Las d’attendre un jugement qui n’arrivait pas, Lamennais se décida à partir. Mais, en parlant, il fit une démarche grave, qu’on lui a reprochée, et qui contribua à envenimer le débat. Il déclara publiquement que, puisqu’on ne voulait ni le juger ni l’examiner, il allait reprendre la publication interrompue et recommencer l’Avenir. C’était une faute, étant donné qu’il voulût éviter la rupture et rester soumis au saint-siège. De fait, le silence pontifical équivalait à un désaveu. Lamennais reconnaît lui-même qu’il eût cédé à de bonnes paroles ; ce n’était là qu’une question de procédés. Le monde ne peut pas changer d’un jour à l’autre, par cette seule raison qu’un vieux pape timide et entêté n’ose pas traiter franchement une question délicate avec un adversaire redoutable, et n’a pas assez de bonne grâce pour envelopper son mécontentement dans une douce remontrance. En fait, c’était bien la même chose, à savoir la désapprobation, moins l’adresse et la bonté. La cour de Rome n’a rien de sentimental ; elle ne peut pas traiter d’égal à égal avec un fils rebelle. Elle ne dit rien, cela suffit, c’est à lui à comprendre ; car, si on avait voulu l’approuver, pourquoi ne le lui eût-on pas dit ? Déclarer ouvertement, malgré ce silence désapprobateur, que l’on allait reprendre l’Avenir, c’était un défi : c’était provoquer un jugement beaucoup plus grave que celui qu’on avait demandé. Le silence pouvait encore, à la rigueur, autoriser, sinon un journal à tendances déclarées, au moins une défense indirecte et mitigée d’un catholicisme libéral ; ce qui le prouve, c’est que les amis de Lamennais ont pu continuer à suivre cette ligne sans encourir ouvertement aucun blâme. Ce n’est que beaucoup plus tard que le catholicisme libéral s’est vu tout à fait désavoué à Rome, lors du Syllabus de Pie IX, et encore, sous une forme tellement équivoque, que ses partisans, tout en se soumettant, ont trouvé moyen de garder toutes leurs opinions. Mais une telle latitude de conduite n’est pas le fait d’un apôtre. Un apôtre ne pactise pas. Il va droit devant lui. Lamennais, en partant de Rome, avait donc semé le germe de la tempête qui devait éclater bientôt. L’auteur d’un récit récent sur l’École ménaisienne, l’abbé Ricard, nous raconte, sur des renseignemens qui paraissent pris à de bonnes sources, tout le détail de cette nouvelle phase des affaires de Rome. À Munich, par où Lamennais avait passé en revenant en France, afin de se mettre en rapport avec la petite église catholique de cette ville, il revit Lacordaire, dont il était séparé depuis plusieurs mois. Celui-ci, paraît-il, par ses pressantes objurgations, avait fini, — c’est lui-même qui le raconte, — par persuader son vieux maître. « La paix était faite, ajoute l’abbé Ricard. C’était le 29 août ; le lendemain, 30 août 1832, devait être la grande date de la seconde vie de Lamennais. C’est au milieu d’un dîner que la foudre éclata. Les écrivains et les artistes les plus éminens de Munich avaient offert un banquet aux trois voyageurs. La réunion était animée, cordiale. L’un des présidens de la table venait de boire à l’union des catholiques de France et d’Allemagne. Un domestique s’approche de Lamennais, lui dit quelques mots à voix basse. Lamennais quitte la table. On fait silence. Peu d’instans s’écoulent. Lamennais revient, la figure bouleversée, l’œil en feu, tenant à la main un pli dont le sceau avait dû être brisé fiévreusement. On le regardait ; il se tut. Les conversations essayèrent de se renouer, mais en vain. On sort de table. En sortant, le maître, d’une voix saccadée, avait dit à ses deux compagnons : « Je viens de recevoir une encyclique du pape contre nous. Nous ne devons pas hésiter à nous soumettre. »

Ainsi, la réponse du saint-siège arrivait enfin. Elle était accablante pour l’abbé de Lamennais et pour ses amis ; est-il permis de dire, accablante aussi peut-être pour le catholicisme et pour le christianisme lui-même. La papauté rompait tout lien avec la pensée moderne, et, ce qui était plus grave encore, avec les principes libéraux inhérens au christianisme ; car il y avait une part de vérité dans ce que disait Lamennais, à savoir que le christianisme, à son origine, était le parti des faibles, des pauvres, des misérables ; qu’au moyen âge les papes avaient souvent protégé les peuples contre les rois ; enfin, que le principe libéral, à sa source, était un principe chrétien. L’encyclique de 1832 fut une rupture déclarée avec tous les besoins et tous les principes de la société moderne. Cette encyclique, renouvelée en 1867 par cette autre encyclique connue sous le nom de Syllabus, a créé le grave conflit dont les conséquences sont sous nos yeux et qui met en face deux doctrines intolérantes dont aucune ne peut triompher que par l’extermination de l’autre. S’il est vrai de dire que Lamennais avait poussé trop loin ses idées, qu’il avait trop engagé le catholicisme dans la voie de la démocratie et de la révolution, le fond de sa thèse, cependant, qui recommandait la réconciliation de l’église et de la liberté, était plus sage, plus pratique, plus chrétien même que la politique à outrance qui a prévalu dans l’église.

Quoi qu’il en soit, l’encyclique proclamée, il fallut prendre un parti. Une lutte sourde s’engage alors entre la papauté et Lamennais et continue pendant près de deux ans. Il serait trop long de suivre en détail les incidens compliqués de cette lutte. Rappelons seulement, de la part de Lamennais, les actes suivans : d’abord, une renonciation publique au journal l’Avenir puis une lettre adressée au pape, dans laquelle il se soumet à l’encyclique, sauf ce qui concerne la politique ; enfin, une dernière déclaration de Lamennais, obtenue par les soins de l’archevêque de Paris, M. de Quélen, et conçue en ces termes : « Je, soussigné, déclare, dans les termes mêmes de la formule contenue dans le bref du souverain pontife Grégoire XVI, du 5 octobre 1833, suivre uniquement et absolument la doctrine exposée dans l’encyclique du même pape, et je m’engage à ne rien écrire ou approuver qui ne soit conforme à cette doctrine. — Paris, 11 décembre 1833. — LAMENNAIS. » — Ces différens actes avaient été obtenus, l’un après l’autre, par les sommations directes ou indirectes de la cour de Rome. Ainsi, en dernière analyse, Lamennais avait cédé ; il avait cédé sans réserve ; il renonçait même aux réserves qu’il avait ajoutées à ses premières renonciations. Il semblait que tout était fini et consommé, lorsqu’un acte nouveau, inattendu, vint tout remettre en question, ou plutôt tout détruire, et à une soumission finale substituer une révolte absolue et une rupture définitive.

Sans nous prononcer sur cette nouvelle déclaration de guerre ni même sur le fond des choses, il nous semble que dans cette lutte de dix-huit mois entre l’église et un homme, il nous semble, dis-je, que la cour de Rome a été bien dure, bien impérieuse, bien exigeante pour un grand homme, qui, en définitive, n’avait jusque-là, comme catholique, commis aucun péché. Car la conception de la politique catholique défendue par l’Avenir était une thèse libre, au moins tant que Rome n’avait pas parlé ; même l’annonce de la reprise du journal pouvait bien être une faute ; mais enfin ce n’était pas une faute catholique, puisque l’église n’avait encore rien dit : c’était une imprudence et un manque d’égards, mais ce n’était pas encore un acte de révolte. Dans ces conditions, quelques ménagemens eussent peut-être été dus au plus énergique, au plus éloquent défenseur que le catholicisme et l’église romaine eussent eu dans notre siècle. Quand on songe aux adresses, aux ménagemens, aux souplesses, à l’esprit de patience que l’église catholique manifeste envers les puissances de ce monde, quand elle est en conflit avec elles, on se demande si quelque chose de cette douceur et de cette patience n’aurait pas pu être employée à l’égard d’un grand génie et d’une grande âme. Nous sommes loin de blâmer la condescendance de l’église envers les pouvoirs humains : car les choses humaines sont les choses humaines ; les affaires sont les affaires. Mais parmi les affaires humaines, ne faut-il pas compter aussi l’état des cœurs ? Atteindre un cœur dans ses plus chères convictions, briser une volonté qui ne demande qu’à se soumettre, mais demande aussi à ne pas être accablée, foulée aux pieds, est-ce bien conforme à la mansuétude chrétienne ? Ce que l’on demandait à Lamennais, ce n’était pas la soumission, mais une soumission absolue, illimitée, sans aucune réserve. La soumission, Lamennais l’avait faite. Dans une lettre écrite au pape, le 5 novembre 1833, il déclarait se soumettre à l’encyclique : 1° en tant qu’elle déclarait la tradition apostolique ; 2° en tant qu’elle réglait les points de discipline. De plus, il avait déclaré dans une lettre antérieure qu’il resterait désormais en dehors des affaires de l’église. C’était bien renoncer à la thèse de la séparation de l’église et de l’état. Mais il faisait ses réserves sur l’ordre politique, donnant à entendre qu’à titre de citoyen français, il devait rester juge de la politique à laquelle il lui conviendrait de donner son adhésion. Malheureusement, c’était précisément de l’ordre politique qu’il s’agissait. C’est ici le lieu de demander si, en faisant cette réserve, Lamennais n’était pas en contradiction avec lui-même et avec toute sa doctrine antérieure, c’est-à-dire avec le système d’autocratie spirituelle qu’il avait réclamée pour Rome dans la première période de sa vie. Il avait donné pour règle suprême l’autorité, et l’autorité de Rome. L’autorité le condamnait ; donc il avait tort. Reste à savoir si l’autorité elle-même en exagérant son propre dogme, et en poussant à bout son ancien défenseur, ne le mettait pas précisément en face de la contradiction radicale de son système. C’est ainsi que les systèmes se retournent contre leurs auteurs et viennent se briser devant leurs propres conséquences. Est-il bien vrai, d’ailleurs, que le système de l’ultramontanisme, tel que Lamennais l’avait conçu, conduisît logiquement à de telles extrémités ? Non ; car lui-même avait jadis fait des réserves ; il avait dit qu’une autorité absolue du saint-père allant jusqu’au temporel était une invention absurde des adversaires de l’église, que jamais les défenseurs de la papauté, que Boniface VIII lui-même, n’étaient pas allés jusque-là ; et il se bornait à réclamer l’autorité du pape sur la part de spirituel mêlée au temporel. À la vérité, la limite était difficile à fixer ; mais, si loin qu’on la poussât, il y en avait une ; et la soumission absolue et sans réserve qu’on voulait lui imposer n’en fixait pus. Quoi qu’il en soit, Rome ne fut pas satisfaite ; et de plus en plus pressé par ses amis, Lamennais, qui avait un fond de faiblesse, malgré sa violence, finit par céder, et remit entre les mains de l’archevêque de Paris la renonciation absolue qu’on lui demandait et que nous avons citée.

Mais on sait ce qui arrive aux natures faibles, lorsqu’elles ont été obligées de céder à des obsessions trop pressantes. On se rappelle ce qui arriva à Lamennais lui-même lorsque des obsessions semblables, brisant sa volonté, en avaient fait un prêtre malgré lui. Le vieil homme se révolta ; un cri de désespoir s’échappa de son âme. Nous avons cité la lettre étrange, pressante, passionnée qu’il écrivit à son frère dans cette occurrence. Ce n’avait été alors qu’une révolte secrète et intérieure dont personne n’avait eu la confidence. Il n’en fut pas de même en 1833. Vaincu et humilié, Lamennais se laissa aller, par une réaction facile à comprendre, mais moins facile peut-être à excuser, à un acte de révolte et de colère qui retentit dans le monde entier. Il est difficile de justifier cet acte si l’on songe à la rétractation précédente ; il est difficile de comprendre cette rétractation si l’on songe que le brûlot qui allait mettre l’incendie dans l’église était déjà tout prêt. Il est probable que Lamennais se satisfit la conscience en déclarant, comme il l’avait déjà fait, et comme il le fait encore dans une lettre à l’un de ses amis, le marquis de Coriolis (3 février 1834), qu’il était résolu à ne plus se mêler des affaires de la religion et de l’église. Or le livre qui allait paraître ne parlait pas des affaires de la religion et de l’église, mais seulement des affaires des peuples et des rois. Il était donc, il croyait être dans les limites de la soumission précédente. Quelques jours même avant cette renonciation finale, obtenue par l’archevêque de Paris, il écrivait à un ami : « La question est maintenant nettement posée. Il s’agit de savoir si les catholiques doivent reconnaître dans le pape l’unique souverain au spirituel et au temporel… Rome essaiera de nouveau d’envelopper la question politique dans la question religieuse, et moi je les séparerai de nouveau (22 novembre 1833[5]. » N’était-ce pas là encore un subterfuge ? N’était-ce pas précisément cette réserve qui avait été condamnée à Rome, et qu’il allait abandonner définitivement dans sa renonciation du 11 décembre 1833 ?

Le sort en était jeté. Lamennais voulut « en finir. » C’est lui-même qui s’exprimait ainsi en confiant à Sainte-Beuve son manuscrit des Paroles d’un croyant en le chargeant de le faire imprimer. Ce livre fit un effet prodigieux. À l’imprimerie même où on le composait, les ouvriers interrompaient leur tâche pour le lire tout haut. Sainte-Beuve raconte qu’étant allé à l’imprimerie pour suivre les phases de l’impression, « il trouva les compositeurs qui avaient quitté leurs cases et s’étaient réunis en rond autour de l’un d’eux, qui déclamait avec un enthousiasme indescriptible le feuillet de copie qu’il tenait en main[6]. » L’impression produite par ce livre étrange est merveilleusement résumée dans une lettre[7] d’un des plus fidèles amis de Lamennais, M. de Vitrolles, qui lui rapportait en ces termes les jugemens recueillis autour de lui (11 mai 1834) : « Mais comment avez-vous laissé écrire et publier un pareil ouvrage ? — Et comment aurais-je pu l’empêcher ? — Mais c’est une œuvre abominable, tous les principes de la société y sont attaqués ; quelle violence, quel talent ! — Il n’y a plus de gouvernement possible, si les lois sont impuissantes pour faire condamner l’auteur par les cours d’assises. — C’est sublime, et puis c’est vrai. La légitimité est un dogme impie. Il n’y a que Dieu de légitime. — Vous ne me direz plus que l’abbé de Lamennais soit religieux et croyant ? Tous les dogmes de la religion sont renversés dans son ouvrage. — Le conseil des ministres a été réuni. Guizot était pour les poursuites ; de Rigny était contre, non qu’il ne trouvât l’œuvre exécrable, mais parce qu’il craint le scandale et l’inutilité. — Chateaubriand disait en confidence : Concevez-vous que dans mon article j’ai cru aller au-delà de tout ce qu’on pouvait dire, et en voilà un qui me laisse bien loin en arrière ? — Mais enfin, dit Castelbajac, si l’abbé de Lamennais avait lu l’évangile… — Quelle beauté de pensée, quelle perfection de style ! La langue n’avait pas encore offert de pages semblables à l’élégie de la mère et de la fille ! — Quelle fureur dans le chapitre des Rois !.. L’auteur a out-heroded Hérode, comme Shakspeare fait dire à Hamlet. — Ce qu’il y a d’heureux, c’est qu’il est prouvé qu’il est fou, et qu’il sera incessamment aux Petites-Maisons, et j’espère bien que Chateaubriand ne tardera pas à l’y suivre. — C’est un bonnet rouge planté sur une croix ! — C’est l’apocalypse de Satan ! — C’est Babeuf débité par Ezéchiel ! En voilà assez ! et j’en pourrais remplir encore quatre pages. » Après avoir rappelé tous ces jugemens pris sur le vif, et qui éclataient dans toutes les conversations, le baron de Vitrolles poursuivait sur le ton d’une admiration profonde et d’une tendre amitié : « Vous subissez, mon ami, les conditions de votre génie. Il est enfant de la tempête, et vous la suivez au loin sans le savoir. Il y a dans tout cela quelque chose de mystérieux, d’inexplicable pour nous, pour vous-même. Votre cœur et votre esprit ont été dupes de votre imagination ; et quel funeste présent qu’une telle imagination ! Que je bénis le ciel de ma simple et médiocre raison en voyant à quels excès peut conduire ce don fatal qu’on appelle le génie ! Hélas ! les gémissemens, les reproches de mon amitié sont inutiles ; la parole échappée ne saurait revenir. Que Dieu en écarte les terribles conséquences ! »

Telle fut l’impression produite par les Paroles d’un croyant. Ce livre extraordinaire, écrit en style biblique, dont certaines parties, pour l’horreur, peuvent être comparées à l’Enfer de Dante, et d’autres, pour la douceur, à l’Imitation de Jésus-Christ, est un des plus étonnans de notre siècle. Les parties noires ont vieilli, mais les parties pures et sereines sont restées intactes et sont aussi exquises qu’à l’origine. Ce livre est si connu qu’il n’y a rien à en citer. Rappelons seulement que, dans notre littérature chrétienne et évangélique, il n’y a rien au-dessus de la page qui commence en ces termes : « Vous n’avez qu’un jour à passer sur la terre ; faites en sorte de le passer en paix, » et qui contient celle admirable apostrophe : « Oh ! si vous saviez ce que c’est qu’aimer ! » Comment celui qui sentait si vivement les beautés de l’amour et de la paix a-t-il passé ses jours dans la haine et dans la guerre ? Serait-ce le rêve d’un bien extrême dépassant la nature humaine qui lui a fait voir partout un excès de mal qui n’existe pas davantage ? Au fond, il n’y a pas de doctrine précise dans les Paroles d’un croyant. C’est un poème et non un traité. Ce que l’on peut y découvrir, c’est la doctrine des millénaristes, quelque chose d’analogue à l’Évangile éternel de Joachim de Flore au moyen âge. C’est l’illusion d’une société parfaite, idéale, paradisiaque, gouvernée par l’amour, empêchée par la méchanceté des despotes, et qui sera obtenue par la liberté. Pour reconnaître ce qu’il y a d’illusoire dans ce point de vue, il suffit de comparer les griefs de l’auteur contre la société de son temps avec la peinture idéale et idyllique dont il nous fait la peinture. Tous ces griefs ont cessé d’être légitimes. Restriction du suffrage, monopole de l’enseignement, législation compressive de la presse, absence de liberté de réunion, de liberté des grèves, etc., tels sont les maux contre lesquels il déclame. Depuis ce temps, tous ces griefs ont disparu ; et, cependant, sommes-nous dans le paradis plus qu’auparavant ? Le progrès est vraiment impossible, si l’on ne commence pas par jouir des biens relatifs que l’on possède ; car tous ceux que l’on acquerra ne seront jamais que des biens relatifs ; et, comparés à un absolu indéfinissable, ils seront toujours des maux. On peut sans doute demander sans cesse plus que l’on a, mais c’est à la condition de ne point méconnaître ce que l’on a. Employer un langage qui serait à peine juste appliqué à un Néron contre des gouvernemens modérés qui ne vont pas tout de suite à l’extrémité de leurs principes, c’est un défaut de justesse qui gâte la plus grande éloquence. Il est vrai de dire, pour atténuer les torts de Lamennais, que s’il y avait en France à cette époque une liberté relative, il restait encore en Europe une grande part de vraie tyrannie ; des peuples entiers étaient opprimés, et l’ancien régime était encore tout-puissant dans beaucoup d’états ; mais Lamennais ne faisait pas cette distinction. Il combattait tout sans réserve, et il livrait à la haine et au mépris tous les pouvoirs du monde. Il croyait trop aux vertus du peuple ; il croyait trop aussi à la nécessité d’une dissolution universelle pour faire éclore la société qu’il rêvait. Il avait franchi les limites qui séparent le libéralisme de la démocratie, et la démocratie réglée de la démagogie et de l’anarchie.

Nous ne suivrons pas Lamennais dans toute sa carrière démocratique. Il se fit pamphlétaire, luttant de popularité avec Timon (de Cormenin) dans sa guerre contre le gouvernement de Juillet. Il contribua pour sa part à la chute de ce gouvernement. Tous les livres qu’il écrivit à cette époque, le Livre du peuple, Une Voix de prison etc., ne sont plus que de faibles imitations des Paroles d’un croyant ; on n’y trouve aucune idée personnelle : ce sont les lieux-communs démocratiques, mêlés çà et là de socialisme vague. Un seul doit être signalé comme caractéristique, ce sont les Amschaspans et les Darcans. Ces mots représentent les génies bienfaisans et les génies malfaisans, les bons et les méchans. Toute sa vie, Lamennais a ainsi divisé les hommes en deux classes : d’un côté, le parti du bien ; de l’autre, le parti du mal ; et toute sa vie aussi il a assimilé les méchans à ceux qui ne partageaient pas ses opinions. Seulement ceux qui étaient les bons dans la première période de la vie sont devenus les méchans dans la seconde, et réciproquement. Mais c’était toujours la même intolérance. Jusqu’au bout il fut l’ennemi du tolérantisme ; jusqu’au bout il eut des anathèmes. Il fut toujours l’homme de l’Essai sur l’indifférence. Telle fut la malheureuse unité de sa vie.

Nous en avons fini avec le politique ; nous allons rentrer dans la philosophie. Au moment où Lamennais semblait le plus fini, le plus épuisé, au point de vue politique et polémique, il se renouvelait en publiant la plus sereine et la plus noble de ses œuvres, l’Esquisse d’une philosophie, ouvrage trop oublié et auquel le nom même de Lamennais a fait tort. On était tellement habitué à être troublé ou révolté par ses écrits qu’un livre de pure philosophie, absolument désintéressé, sans passion, tout scientifique, parut quelque chose d’ennuyeux. Les philosophes n’en firent pas de cas parce qu’ils y virent une concurrence, et le public n’y comprit rien. C’est aujourd’hui un livre à exhumer ; nous y consacrerons la fin de cette étude.


PAUL JANET.

  1. Voyez la Revue du 1er février.
  2. Il ne faut pas oublier qu’une portion du parti libéral, le journal le Globe par exemple, le plus hardi de tous au point de vue philosophique, s’unissait aux catholiques pour protester contre les ordonnances de 1828. Voir notre article : le Globe de la Restauration, dans la Revue du 1er août 1879.
  3. Cette formule de Cavour peut bien s’entendre même d’un pays où il existe un clergé salarié ; mais, prise à la rigueur, elle conduit à la séparation.
  4. Ce récit est emprunté à l’abbé Ricard, que nous avons lieu de croire bien informé (l’Ecole ménaisienne) : d’après le même auteur, le pape aurait offert à Lamennais une prise de tabac : « l’abbé accepta en maugréant, dit l’abbé Ricard, et en se disant qu’il n’était pas venu là pour priser. »
  5. Cette lettre se trouve dans les Confidences de Lamennais, publiées par M. de La Ville-Radel (1886).
  6. Sainte-Beuve, Constitutionnel, 23 septembre 1861.
  7. Correspondance inédite, par Eug. Forgues, p. 247.