La Philosophie de René Boylesve/6

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VI

LE STYLE
DE RENÉ BOYLESVE

Il y a deux sortes d’écrivains : ceux qui plaquent du style sur l’idée, et ceux qui cherchent à trouver le style qui adhère à l’idée, qui lui soit le vêtement nécessaire et total. Les premiers arrivent assez facilement à la gloire chez un peuple comme le nôtre, qui aime passionnément l’éloquence. Flaubert, pour qui j’ai une admiration insatiable, n’a pas toujours su éviter l’éloquence. Sa description du siège de Carthage par les Mercenaires, dans Salammbô, est le morceau de bravoure le plus propre à irriter celui qui craint l’abus du verbe, par lequel un avocat habile tourneboule toujours un jury. René Boylesve, on peut le dire, n’a jamais sacrifié aux mots redondants et purement sonores. Il aurait pu le faire, par exemple, dans l’Aretinerie de Nymphes dansant avec des Satyres. Venise y incite en effet beaucoup. Il aurait pu encore s’y laisser aller dans Tu n’es plus rien. C’est un livre que personne n’aurait écrit comme lui, qui tient une merveilleuse noblesse de sa date, et du témoignage qu’il donne d’une sorte de sagesse pensive et désespérée. Il s’abstint de l’ « inanité sonore » dont parle Mallarmé.

Boylesve écrivait simple, ou plutôt voulait écrire simplement. Il travaillait ardemment à dépouiller son style de toute emphase et de toute élévation du ton. Grand exemple, en un temps où les adjectifs les plus lourds sont employés couramment pour qualifier les choses les plus légères : un match de tennis, un prix littéraire, l’exploit d’un policier qui fait son métier, ou n’importe quelle autre bagatelle. On a dit : « Le style c’est l’homme. » Pourvu que l’on donne de cette phrase une interprétation plausible, elle est vraie, et surtout pour René Boylesve. Il a le style hésitant d’un scrupuleux, soigneux d’un artiste aimant son métier, attentif à rester dans le ton d’un penseur qui ne criera pas une formule scientifique du même ton qu’un adjudant commande sa compagnie.

Il déteste la couleur vive, qui dissimule par trop l’idée à laquelle seule il tient. Il écrit brièvement, en pesant chaque vocable au trébuchet de son intelligence vive et avertie. Il maintient ainsi comme une gageure, dans la totalité de chaque livre, une atmosphère verbale, si je puis risquer cette locution, un rythme, une nuance spirituelle qui suivent le lecteur de bout en bout.

Lorsque les professeurs qui ont en charge de déterminer les réussites dans les candidatures à l’immortalité, se seront aperçus de tout cela, René Boylesve deviendra classique. Aux yeux de celui qui aime la forme parfaitement adéquate à une pensée subtile, admirablement douée pour clarifier et simplifier les idées, la forme de Boylesve est un beau sujet d’admiration. Sans doute un jour l’imitera-t-on.

Il serait sans doute possible de faire ici un travail grammatical et de trouver dans l’œuvre du romancier mille révélations techniques à étaler. C’est un jeu facile à qui possède un Littré et une grammaire aussi complète que celle de Napoléon-Landais, avec ses six cents pages in-folio, et juste assez désuète pour être sans appel… Mais je ne me laisserai pas tenter, parce que c’est un jeu fait pour simplement étaler la vanité du critique. Le nombre d’erreurs, de pataquès et d’absurdités qui encombrent les rubriques où l’on étudie le vrai et beau français, doit en effet inciter le commentateur à la prudence. Toutefois était-il intéressant de prouver que le style de René Boylesve, avec un vocabulaire volontairement limité dans le sens purement classique, est de ceux qui nous apparaissent, parmi les contemporains, comme les plus parfaits.