La Philosophie de René Boylesve/7

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VII

LA PLACE ET L’ACTION
DE RENÉ BOYLESVE

J’ai raillé, au début de ce travail, ceux qui classent les écrivains dans des boîtes plus ou moins vastes et plus ou moins élevées sur la pyramide de gloire. Je ne me donnerai pas le ridicule d’annoncer l’avenir de René Boylesve. Néanmoins je puis tenter de l’imaginer.

Dans la série des romanciers sortis de la Comédie humaine balzacienne, avec une œuvre moins fortement centrée et groupée que celle de Zola, avec des dons très différents, opposés et même complémentaires, je placerai René Boylesve à hauteur du maître des Rougon-Macquart. Il m’apparaît au-dessus, très nettement, d’Alphonse Daudet, et de ses imitateurs dans les effusions pompeuses ou lacrymatoires. Il est très supérieur à toute la queue du naturalisme, qu’elle soit orthodoxe ou hérétique.

Son action, moins puissante que celle de Zola, sera, je ne dirai pas plus durable, ce qui est incertain, mais plus certainement croissante. Il n’en a, en effet, aucune sur la jeunesse d’aujourd’hui. Qu’on me comprenne, j’aime cette jeunesse violente et exaltée qui correspond à des tendances trop profondes en moi pour que je les désavoue. Personnellement, il m’est même facile de supposer des contingences qui m’eussent éloigné de René Boylesve. Beaucoup d’intelligences exquises et savantes que je sais, l’ignorent absolument. Nous vivons une époque dure et farouche, qui ne peut dissimuler aux regards perspicaces ses cancers et ses ignominies, soigneusement camouflés pourtant, et qui n’a d’hommes représentatifs que parmi les violents, les cruels et les escrocs.

René Boylesve, et c’est ce qui nous fit longtemps correspondre puis converser en camarades, comprenait fort bien ce que nous sommes et où nous allons. Mais il ne voulait rien dire qui pût trahir un parti pris dans le déroulement des intrigues romanesques qu’il aimait à combiner. D’où son divorce présent avec une génération qui ne distingue pas l’art d’écrire de celui de dynamiter.

Je n’ai guère d’espoir de voir jamais le monde meilleur. Il se pourrait pourtant qu’un changement très possible, assez plausible, quoique encore lointain, donnât satisfaction à ceux qui haïssent le pharisaïsme et l’hypocrisie. Alors, la nouvelle jeunesse comprendra René Boylesve : elle verra en cet homme, qui ne voulut être que romancier, un des plus nobles efforts spirituels du monde pour apporter romanesquement une pierre au progrès — quel que soit d’ailleurs le nom dont il se nomme — et bien des pierres à l’amour des hommes sans lequel nul progrès ne durera.

Et comme il a traduit en une prose parfaite une période de temps qui sera sous peu définitivement morte, en ses mœurs et ses coutumes, on dira sans doute un jour l’époque René Boylesve, comme on dit de certaines choses qu’elles sont « de l’Hugo » ou « du Balzac ».

Quand verra-t-on cela ? Stendhal est mort quarante ans avant le terme que lui-même se fixait pour être compris. Je ne suis pas assurée qu’il le soit pourtant encore, ou plutôt l’est-il moins qu’il ne semble. À la mort de Balzac, le ministre Baroche, que l’on avait prié de venir aux obsèques, y accourut sans savoir qui on enterrait. Et il demanda à Victor Hugo si le mort était « un homme distingué ». Voilà qui doit nous apprendre le peu qu’est la gloire devant nos contemporains.

Je donne vingt ans, avec un vaste bouleversement économique et idéologique, modifiant brutalement les règles morales et les conceptions artistiques actuellement réduites à une simple mode, pour voir René Boylesve devenir lui-même aux yeux des Français. Lui-même, c’est-à-dire une des gloires les plus authentiques de notre race.