La Pierre philosophale/V

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Georges Carré (p. 21-24).


V

l’alchimiste

Nous avons beaucoup parlé de la Pierre Philosophale ; disons maintenant quelques mots de son heureux possesseur : l’Alchimiste.

On se figure généralement cet homme vivant dans une recherche perpétuelle de l’impossible au milieu des fourneaux ardents, des crocodiles empaillés, des hiboux sinistres et des chats ensorcelés. Il suffit cependant d’ouvrir leurs livres, de voir la façon dont eux-mêmes représentent leurs fourneaux et leurs laboratoires pour constater que c’est là une profonde erreur accréditée par les préjugés de la foule[1].

Le véritable alchimiste est un philosophe assez instruit pour traverser sans s’émouvoir les époques les plus troublées et les plus difficiles[2]. Il est le dépositaire sacré de toute cette science merveilleuse enseignée jadis dans les sanctuaires vénérés de l’Inde et de l’Égypte[3]. Il faut qu’il sache assez la voiler pour échapper au regard jaloux du despote clérical qui flaire en lui l’ennemi et qui le surveille étroitement. C’est quand l’Inquisition persécute impitoyablement toute trace de savoir, que le philosophe hermétique voile davantage ses écrits sous les symboles et les mystérieuses figures, pas assez cependant pour que le chercheur consciencieux ne puisse facilement comprendre. Voilà l’origine des obscurités voulues qu’on rencontre dans les ouvrages des adeptes.

Quel usage font-ils des richesses immenses que peut leur procurer la connaissance du merveilleux secret ?

Une des règles élémentaires de la science dite occulte, enseigne que, pour être maître de quelque chose, il faut savoir la considérer avec la plus grande indifférence.

Celui qui désire la Pierre Philosophale pour les richesses qu’elle procure et pour son bien matériel, a des chances considérables pour ne jamais la posséder.

Aussi la tradition ésotérique nous représente-t-elle l’alchimiste simplement vêtu et toujours en voyage, faisant l’aumône aux mendiants et aux rois et par là se montrant supérieur à ces derniers[4].

Si nous en croyons les récits des contemporains, l’alchimiste Nicolas Flamel, possesseur de richesses immenses, les employait uniquement en fondations pieuses ou charitables et mangeait, ainsi que sa femme, des légumes bouillis, dans de la grossière vaisselle de terre.

Nous trouverons ces idées mises en pratique jusqu’en plein xixe siècle où l’alchimiste Cyliani (1832) ayant, raconte-t-il, découvert la pierre philosophale au bout de quarante ans de travaux, vécut en petit rentier bien modeste après avoir eu la tentation d’offrir le précieux secret au roi Louis XVIII ; sa femme l’en détourna[5].

Du reste, il suffit de parcourir l’ouvrage de Figuier pour avoir de nombreux détails sur ce sujet.

La doctrine enseignée par les alchimistes est en grande partie philosophique. L’expérience ne doit que servir de contrôle aux théories spéculatives énoncées dans les livres les plus vénérés. C’est pourquoi les adeptes nomment l’ensemble de leurs connaissances : Philosophie hermétique.

La Philosophie hermétique professe l’unité de substance à la base de toutes ses démonstrations. Il existe un principe universel répandu dans tous les corps quelle que soit leur composition d’autre part. C’est la connaissance de ce principe universel et sa mise en action qui constituent le secret du grand œuvre et qui rend différentes ab initio les expériences alchimiques des travaux des chimistes ordinaires, que les philosophes hermétiques considèrent comme des garçons de laboratoire.

Cette force occulte a reçu une foule de noms dans les ouvrages alchimiques : c’est le Telesme d’Hermès[6], l’Aour des Kabbalistes[7], le Rouah Elohim de Moïse[8], le Mercure universel des alchimistes[9], la Lumière astrale de la Science Occulte[10], le Mouvement de Louis Lucas[11], etc., etc.

Du reste cette théorie, à laquelle sont amenés les philosophes contemporains, vient d’être remise au jour dans toute sa beauté par les travaux de la Société Théosophique sous l’inspiration des adeptes Indous[12].

On trouvera aussi des détails sur ce sujet intéressant dans une très belle étude de M. de Rochas intitulée les Doctrines chimiques au xviie siècle et parue dans le Cosmos en 1888.

Existe-t-il à notre époque quelque trace de cette philosophie hermétique et de ses enseignements ? Cherchons-le.

  1. Voyez la planche en tête de notre étude.
  2. Louis Lucas, le Roman Alchimique.
  3. Papus, Traité élémentaire de Science occulte.
  4. Éliphas Lévi, Histoire de la Magie.
  5. Cyliani, Hermès dévoilé, 1832.
  6. La Table d’Émeraude.
  7. Voy. Éliphas Lévi, la Clef des grands mystères.
  8. Fabre d’Olivet, la Langue hébraïque restituée.
  9. Crosset de la Haumerie, les Secrets les plus cachés (6e traité).
  10. É. Lévi, Dogme et Rituel de Haute Magie.
  11. Louis Lucas, Chimie Nouvelle.
  12. Voy. H. P. Blavatsky, Isis Unveiled et The secret doctrine.