La Place royale/Acte II

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La Place royale
Œuvres de P. Corneille, Texte établi par Ch. Marty-LaveauxHachettetome II (p. 239-254).
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ACTE II.


Scène première.

ANGÉLIQUE, POLYMAS.
ANGÉLIQUE, tenant une lettre ouverte[1].

De cette trahison ton maître est donc l’auteur ?

POLYMAS.

300Assez imprudemment il m’en fait le porteur[2].
Comme il se rend par là digne qu’on le prévienne,
Je veux bien en faire une en haine de la sienne ;
Et mon devoir, mal propre à de si lâches coups,
Manque aussitôt vers lui que son amour vers vous[3].

ANGÉLIQUE.

305Contre ce que je vois le mien encor s’obstine[4].
Qu’Alidor ait écrit cette lettre à Clarine,
Et qu’ainsi d’Angélique il se voulût jouer !

POLYMAS.

Il n’aura pas le front de le désavouer.
Opposez-lui ces traits, battez-le de ses armes[5] :

310Pour s’en pouvoir défendre il lui faudroit des charmes ;
Mais surtout cachez-lui ce que je fais pour vous[6],
Et ne m’exposez point aux traits de son courroux ;
Que je vous puisse encor trahir son artifice,
Et pour mieux vous servir, rester à son service.

ANGÉLIQUE.

315Rien ne m’échappera qui te puisse toucher[7] :
Je sais ce qu’il faut dire, et ce qu’il faut cacher.

POLYMAS.

Feignez d’avoir reçu ce billet de Clarine,
Et que…

ANGÉLIQUE.

Et que…Ne m’instruis point, et va, qu’il ne devine[8].

POLYMAS.

Mais…

ANGÉLIQUE.

Mais…Ne réplique plus, et va-t’en.

POLYMAS.

Mais…Ne réplique plus, et va-t’en.J’obéis.

ANGÉLIQUE, seule.

320Mes feux, il est donc vrai que l’on vous a trahis ?
Et ceux dont Alidor montroit son âme atteinte[9]
Ne sont plus que fumée, ou n’étoient qu’une feinte ?
Que la foi des amants est un gage pipeur !
Que leurs serments sont vains, et notre espoir trompeur !

325Qu’on est peu dans leur cœur pour être dans leur bouche !
Et que malaisément on sait ce qui les touche !
Mais voici l’infidèle. Ah ! qu’il se contraint bien !



Scène II.

ALIDOR, ANGÉLIQUE.
ALIDOR.

Puis-je avoir un moment de ton cher entretien ?
Mais j’appelle un moment, de même qu’une année
330Passe entre deux amants pour moins qu’une journée.

ANGÉLIQUE.

Avec de tels discours oses-tu m’aborder[10],
Perfide, et sans rougir peux-tu me regarder ?
As-tu cru que le ciel consentît à ma perte,
Jusqu’à souffrir encor ta lâcheté couverte ?
335Apprends, perfide, apprends que je suis hors d’erreur ;
Tes yeux ne me sont plus que des objets d’horreur ;
Je ne suis plus charmée, et mon âme plus saine,
N’eut jamais tant d’amour qu’elle a pour toi de haine.

ALIDOR.

Voilà me recevoir avec des compliments[11]
340Qui seroient pour tout autre un peu moins que charmants.
Quel en est le sujet ?

ANGÉLIQUE.

Quel en est le sujet ?Le sujet ? lis, parjure ;
Et puis accuse-moi de te faire une injure !

ALIDOR, lit la lettre entre les mains d’Angélique.
LETTRE SUPPOSÉE D’ALIDOR À CLARINE.

Clarine, je suis tout à vous ;
Ma liberté vous rend les armes :
Angélique n’a point de charmes
Pour me défendre de vos coups ;
Ce n’est qu’une idole mouvante ;
Ses yeux sont sans vigueur, sa bouche sans appas :
Alors que je l’aimais, je ne la connus pas[12] ;
350Et de quelques attraits que ce monde vous vante[13],
Vous devez mes affections
Autant à ses défauts qu’à vos perfections.

ANGÉLIQUE.

Eh bien, ta perfidie est-elle en évidence[14] ?

ALIDOR.

Est-ce là tant de quoi ?

ANGÉLIQUE.

Est-ce là tant de quoi ?Tant de quoi ? l’impudence !
355Après mille serments il me manque de foi,
Et me demande encor si c’est là tant de quoi !
Change, si tu le veux ; je n’y perds qu’un volage ;
Mais en m’abandonnant, laisse en paix mon visage ;
Oublie avec ta foi ce que j’ai de défauts ;
360N’établis point tes feux sur le peu que je vaux ;
Fais que, sans m’y mêler, ton compliment s’explique,
Et ne le grossis point du mépris d’Angélique.

ALIDOR.

Deux mots de vérité vous mettent bien aux champs !

ANGÉLIQUE.

Ciel, tu ne punis point des hommes si méchants !

365Ce traître vit encore, il me voit, il respire,
Il m’affronte, il l’avoue, il rit quand je soupire.

ALIDOR.

Vraiment le ciel a tort de ne vous pas donner
Lorsque vous tempêtez, sa foudre à gouverner[15] ;
Il devroit avec vous être d’intelligence.

(Angélique déchire la lettre et en jette les morceaux,
et Alidor continue[16].)

370Le digne et grand objet d’une haute vengeance !
Vous traitez du papier avec trop de rigueur.

ANGÉLIQUE.

Que n’en puis-je autant faire à ton perfide cœur[17] !

ALIDOR.

Qui ne vous flatte point puissamment vous irrite.
Pour dire franchement votre peu de mérite,
375Commet-on des forfaits si grands et si nouveaux[18]
Qu’on doive tout à l’heure être mis en morceaux ?
Si ce crime autrement ne sauroit se remettre,

(Il lui présente aux yeux un miroir qu’elle porte à sa ceinture[19].)

Cassez : ceci vous dit encor pis que ma lettre.

ANGÉLIQUE.

S’il me dit mes défauts autant ou plus que toi,
380Déloyal, pour le moins il n’en dit rien qu’à moi :
C’est dedans son cristal que je les étudie ;

Mais après il s’en tait, et moi j’y remédie ;
Il m’en donne un avis sans me les reprocher,
Et, me les découvrant, il m’aide à les cacher.

ALIDOR.

385Vous êtes en colère, et vous dites des pointes.
Ne présumiez-vous point que j’irois, à mains jointes,
Les yeux enflés de pleurs, et le cœur de soupirs,
Vous faire offre à genoux de mille repentirs ?
Que vous êtes à plaindre étant si fort déçue !

ANGÉLIQUE.

390Insolent ! ôte-toi pour jamais de ma vue.

ALIDOR.

Me défendre vos yeux après mon changement,
Appelez-vous cela du nom de châtiment ?
Ce n’est que me bannir du lieu de mon supplice ;
Et ce commandement est si plein de justice,
395Que bien que je renonce à vivre sous vos lois[20],
Je vais vous obéir pour la dernière fois.



Scène III.

ANGÉLIQUE.

Commandement honteux, où ton obéissance
N’est qu’un signe trop clair de mon peu de puissance,
Où ton bannissement a pour toi des appas,
400Et me devient cruel de ne te l’être pas !
À quoi se résoudra désormais ma colère,
Si ta punition te tient lieu de salaire ?
Que mon pouvoir me nuit ! et qu’il m’est cher vendu !
Voilà ce que me vaut d’avoir trop attendu[21] :

405Je devois prévenir ton outrageux caprice ;
Mon bonheur dépendoit de te faire injustice.
Je chasse un fugitif avec trop de raison,
Et lui donne les champs quand il rompt sa prison.
Ah ! que n’ai-je eu des bras à suivre mon courage !
410Qu’il m’eût bien autrement réparé cet outrage !
Que j’eusse retranché de ses propos railleurs !
Le traître n’eût jamais porté son cœur ailleurs :
Puisqu’il m’étoit donné, je m’en fusse saisie ;
Et sans prendre conseil que de ma jalousie,
415Puisqu’un autre portrait en efface le mien,
Cent coups auroient chassé ce voleur de mon bien.
Vains projets, vains discours, vaine et fausse allégeance !
Et mes bras et son cœur manquent à ma vengeance !
Ciel, qui m’en vois donner de si justes sujets,
420Donne-m’en des moyens, donne-m’en des objets.
Où me dois-je adresser ? qui doit porter sa peine ?
Qui doit à son défaut m’éprouver inhumaine ?
De mille désespoirs mon cœur est assailli ;
Je suis seule punie, et je n’ai point failli.
425Mais j’ose faire au ciel une injuste querelle[22] ;
Je n’ai que trop failli d’aimer un infidèle,
De recevoir un traître, un ingrat, sous ma loi,
Et trouver du mérite en qui manquoit de foi.
Ciel, encore une fois, écoute mon envie :
430Ôte-m’en la mémoire, ou le prive de vie ;
Fais que de mon esprit je puisse le bannir[23],
Ou ne l’avoir que mort dedans mon souvenir.
Que je m’anime en vain contre un objet aimable !
Tout criminel qu’il est, il me semble adorable ;

435Et mes souhaits, qu’étouffe un soudain repentir,
En demandant sa mort n’y sauroient consentir.
Restes impertinents d’une flamme insensée,
Ennemis de mon heur, sortez de ma pensée,
Ou si vous m’en peignez encore quelques traits,
440Laissez là ses vertus, peignez-moi ses forfaits.



Scène IV.

ANGÉLIQUE, PHYLIS.
ANGÉLIQUE.

Le croirois-tu, Phylis ? Alidor m’abandonne.

PHYLIS.

Pourquoi non ? je n’y vois rien du tout qui m’étonne,
Rien qui ne soit possible, et de plus fort commun.
La constance est un bien qu’on ne voit en pas un :
445Tout change sous les cieux, mais partout bon remède[24].

ANGÉLIQUE.

Le ciel n’en a point fait au mal qui me possède.

PHYLIS.

Choisis de mes amants, sans t’affliger si fort,
Et n’appréhende pas de me faire grand tort :
J’en pourrois, au besoin, fournir toute la ville,
450Qu’il m’en demeureroit encor plus de deux mille[25].

ANGÉLIQUE.

Tu me ferois mourir avec de tels propos ;
Ah ! laisse-moi plutôt soupirer en repos,
Ma sœur.

PHYLIS.

Ma sœur.Plût au bon Dieu que tu voulusses l’être !

ANGÉLIQUE.

Eh quoi, tu ris encor ! c’est bien faire paroître…

PHYLIS.

455Que je ne saurois voir d’un visage affligé
Ta cruauté punie, et mon frère vengé.
Après tout, je connois quelle est ta maladie :
Tu vois comme Alidor est plein de perfidie ;
Mais je mets dans deux jours ma tête à l’abandon,
460Au cas qu’un repentir n’obtienne son pardon.

ANGÉLIQUE.

Après que cet ingrat me quitte pour Clarine ?

PHYLIS.

De le garder longtemps elle n’a pas la mine,
Et j’estime si peu ces nouvelles amours,
Que je te plége[26] encor son retour dans deux jours ;
465Et lors ne pense pas, quoi que tu te proposes,
Que de tes volontés devant lui tu disposes.
Prépare tes dédains, arme-toi de rigueur,
Une larme, un soupir te percera le cœur[27] ;
Et je serai ravie alors de voir vos flammes
470Brûler mieux que devant, et rejoindre vos âmes.
Mais j’en crains un succès à ta confusion[28] :
Qui change une fois change à toute occasion ;
Et nous verrons toujours, si Dieu le laisse vivre,
Un change, un repentir, un pardon, s’entre-suivre.
475Ce dernier est souvent l’amorce d’un forfait,
Et l’on cesse de craindre un courroux sans effet.

ANGÉLIQUE.

Sa faute a trop d’excès pour être rémissible,
Ma sœur ; je ne suis pas de la sorte insensible ;

Et si je présumois que mon trop de bonté
480Pût jamais se résoudre à cette lâcheté,
Qu’un si honteux pardon pût suivre cette offense,
J’en préviendrois le coup, m’en ôtant la puissance.
Adieu : dans la colère où je suis aujourd’hui,
J’accepterois plutôt un barbare que lui.



Scène V.

PHYLIS, DORASTE.
PHYLIS[29].

485Il faut donc se hâter qu’elle ne refroidisse.

(Elle frappe du pied à la porte de son logis et fait sortir son frère.)

Frère, quelque inconnu t’a fait un bon office[30] :
Il ne tiendra qu’à toi d’être un second Médor[31] ;
On a fait qu’Angélique…

DORASTE.

On a fait qu’Angélique…Eh bien ?

PHYLIS.

On a fait qu’Angélique…Eh bien ?Hait Alidor.

DORASTE.

Elle hait Alidor ! Angélique !

PHYLIS.

Elle hait Alidor ! Angélique !Angélique.

DORASTE.

490D’où lui vient cette humeur ? qui les a mis en pique ?

PHYLIS.

Si tu prends bien ton temps, il y fait bon pour toi.
Va, ne t’amuse point à savoir le pourquoi ;
Parle au père d’abord : tu sais qu’il te souhaite ;
Et s’il ne s’en dédit, tiens l’affaire pour faite.

DORASTE.

495Bien qu’un si bon avis ne soit à mépriser,
Je crains…

PHYLIS.

Je crains…Lysis m’aborde, et tu me veux causer !
Entre chez Angélique, et pousse ta fortune :
Quand je vois un amant, un frère m’importune.



Scène VI.

LYSIS, PHYLIS.
LYSIS.

Comme vous le chassez !

PHYLIS.

Comme vous le chassez ! Qu’eût-il fait avec nous ?
500Mon entretien sans lui te semblera plus doux :
Tu pourras t’expliquer avec moins de contrainte,
Me conter de quels feux tu te sens l’âme atteinte,
Et ce que tu croiras propre à te soulager.
Regarde maintenant si je sais t’obliger.

LYSIS.

505Cette obligation seroit bien plus extrême,
Si vous vouliez traiter tous mes rivaux de même ;
Et vous feriez bien plus pour mon contentement,
De souffrir avec vous vingt frères qu’un amant.

PHYLIS.

Nous sommes donc, Lysis, d’une humeur bien contraire :

510J’y souffrirois plutôt cinquante amants qu’un frère[32] ;
Et puisque nos esprits ont si peu de rapport,
Je m’étonne comment nous nous aimons si fort.

LYSIS.

Vous êtes ma maîtresse, et mes flammes discrètes[33]
Doivent un tel respect aux lois que vous me faites,
515Que pour leur obéir mes sentiments domptés
N’osent plus se régler que sur vos volontés.

PHYLIS.

J’aime des serviteurs qui pour une maîtresse
Souffrent ce qui leur nuit, aiment ce qui les blesse.
Si tu vois quelque jour tes feux récompensés,
520Souviens-toi… Qu’est-ce-ci ? Cléandre, vous passez ?

(Cléandre va pour entrer chez Angélique, et Phylis l’arrête[34].)



Scène VII.

CLÉANDRE, PHYLIS, LYSIS.
CLÉANDRE.

Il me faut bien passer, puisque la place est prise.

PHYLIS.

Venez ; cette raison est de mauvaise mise.
D’un million d’amants je puis flatter les vœux[35],
Et n’aurois pas l’esprit d’en entretenir deux ?

525Sortez de cette erreur, et souffrant ce partage,
Ne faites pas ici l’entendu davantage.

CLÉANDRE.

Le moyen que je sois insensible à ce point ?

PHYLIS.

Quoi ! pour l’entretenir, ne vous aimé-je point ?

CLÉANDRE.

Encor que votre ardeur à la mienne réponde,
530Je ne veux plus d’un bien commun à tout le monde.

PHYLIS.

Si vous nommez ma flamme un bien commun à tous,
Je n’aime, pour le moins, personne plus que vous ;
Cela vous doit suffire.

CLÉANDRE.

Cela vous doit suffire.Oui bien, à des volages
Qui peuvent en un jour adorer cent visages ;
535Mais ceux dont un objet possède tous les soins,
Se donnant tous entiers, n’en méritent pas moins.

PHYLIS.

De vrai, si vous valiez beaucoup plus que les autres,
Je devrois dédaigner leurs vœux auprès des vôtres[36] ;
Mais mille aussi bien faits ne sont pas mieux traités,
540Et ne murmurent point contre mes volontés.
Est-ce à moi, s’il vous plaît, de vivre à votre mode ?
Votre amour, en ce cas, seroit fort incommode ;
Loin de la recevoir, vous me feriez la loi :
Qui m’aime de la sorte, il s’aime, et non pas moi.

LYSIS, à Cléandre

545Persiste en ton humeur, je te prie, et conseille
À tous nos concurrents d’en prendre une pareille.

CLÉANDRE.

Tu seras bientôt seul, s’ils veulent m’imiter.

PHYLIS.

Quoi donc ! c’est tout de bon que tu me veux quitter ?
Tu ne dis mot, rêveur, et pour toute réplique
550Tu tournes tes regards du côté d’Angélique :
Est-elle donc l’objet de tes légèretés[37] ?
Veux-tu faire d’un coup deux infidélités,
Et que dans mon offense Alidor s’intéresse ?
Cléandre, c’est assez de trahir ta maîtresse ;
555Dans ta nouvelle flamme épargne tes amis,
Et ne l’adresse point en lieu qui soit promis.

CLÉANDRE.

De la part d’Alidor je vais voir cette belle :
Laisse-m’en avec lui démêler la querelle,
Et ne t’informe point de mes intentions.

PHYLIS.

560Puisqu’il me faut résoudre en mes afflictions,
Et que pour te garder j’ai trop peu de mérite,
Du moins, avant l’adieu, demeurons quitte à quitte ;
Que ce que j’ai du tien je te le rende ici :
Tu m’as offert des vœux, que je t’en offre aussi[38] ;
565Et faisons entre nous toutes choses égales.

LYSIS.

Et moi, durant ce temps, je garderai les balles[39] ?

PHYLIS.

Je te donne congé d’une heure, si tu veux.

LYSIS.

Je l’accepte, au hasard de le prendre pour deux.

PHYLIS.

Pour deux, pour quatre, soit ; ne crains pas qu’il m’ennuie.



Scène VIII.

CLÉANDRE, PHYLIS.
PHYLIS arrête Cléandre qui tâche de s’échapper pour entrer chez Angélique[40].

570Mais je ne consens pas cependant qu’on me fuie ;
Tu perds temps d’y tâcher, si tu n’as mon congé[41].
Inhumain ! est-ce ainsi que je t’ai négligé ?
Quand tu m’offrois des vœux, prenois-je ainsi la fuite,
Et rends-tu la pareille à ma juste poursuite ?
575Avec tant de douceur tu te vis écouter,
Et tu tournes le dos quand je t’en veux conter !

CLÉANDRE.

Va te jouer d’un autre avec tes railleries ;
J’ai l’oreille mal faite à ces galanteries[42] :
Ou cesse de m’aimer, ou n’aime plus que moi.

PHYLIS.

580Je ne t’impose pas une si dure loi ;
Avec moi, si tu veux, aime toute la terre,
Sans craindre que jamais je t’en fasse la guerre.
Je reconnois assez mes imperfections ;
Et quelque part que j’aie en tes affections,
585C’est encor trop pour moi ; seulement ne rejette
La parfaite amitié d’une fille imparfaite.

CLÉANDRE.

Qui te rend obstinée à me persécuter ?

PHYLIS.

Qui te rend si cruel que de me rebuter[43] ?

CLÉANDRE.

Il faut que de tes mains un adieu me délivre.

PHYLIS.

590Si tu sais t’en aller, je saurai bien te suivre ;
Et quelque occasion qui t’amène en ces lieux,
Tu ne lui diras pas grand secret à mes yeux.
Je suis plus incommode encor qu’il ne te semble.
Parlons plutôt d’accord, et composons ensemble.
595Hier un peintre excellent m’apporta mon portrait :
Tandis qu’il t’en demeure encore quelque trait,
Qu’encor tu me connois, et que de ta pensée
Mon image n’est pas tout à fait effacée,
Ne m’en refuse point ton petit jugement.

CLÉANDRE.

Je le tiens pour bien fait.

PHYLIS.

600Je le tiens pour bien fait.Plains-tu tant un moment ?
Et m’attachant à toi, si je te désespère,
À ce prix trouves-tu ta liberté trop chère ?

CLÉANDRE.

Allons, puisque autrement je ne te puis quitter,
À tel prix que ce soit il me faut racheter[44].


FIN DU SECOND ACTE.



  1. Var. Tenant une lettre déployée. (1637-60)
  2. Var. Son choix mal à propos m’en a fait le porteur.
    Mon humeur y répugne, et quoi qu’il en advienne (a),
    J’en fais une, de peur de servir à la sienne. (1637-57)

    (a) L’édition de 1637 donne avienne.

  3. Var. Manque aussitôt vers lui comme le sien vers vous. (1637-57)
  4. Var. Contre ce que je vois mon fol amour s’obstine. (1637-60)
  5. Var. Opposez-lui ses traits, battez-le de ses armes. (1637-63)
  6. Var. Surtout cachez mon nom, et ne m’exposez pas
    Aux infaillibles coups d’un violent trépas. (1637-57)
  7. Var. Ne crains rien de ma part : je sais l’invention
    De répondre aisément à ton intention. (1637-57)
  8. Var.  [Ne m’instruis point, et va, qu’il ne devine :]
    S’il t’avoit ici vu, toute la vérité
    Paroîtroit, en dépit de ma dextérité.
    POL. C’est d’elle désormais que je tiendrai la vie.
    ANG. As-tu de la garder encore quelque envie ?
    Ne me réplique plus, et va-t’en. (1637)
  9. Var. Et ceux dont Alidor paroissoit l’âme atteinte. (1637-57)
  10. Var. Traître, ingrat, est-ce à toi de m’aborder ainsi,
    Et peux-tu bien me voir sans me crier merci ? (1637)
  11. Var. [Voilà me recevoir avec des compliments…]
    ANG. Bien au-dessous encor de mes ressentiments.
    ALID. La cause ? ANG. En demander la cause ! lis, parjure. (1637-57)
  12. Var. Quand je la crus d’esprit, je ne la connus pas. (1637-57)
  13. Var. Et de quelques attraits que le monde vous vante. (1637-68)
  14. Var. Eh bien ! ta trahison est-elle en évidence ? (1637-57)
  15. Var. Lorsque vous tempêtez, son foudre à gouverner. (1637-68)
  16. Les mots : et Alidor continue, manquent dans les éditions de 1637-60.
  17. Var. Je voudrois en pouvoir faire autant de ton cœur. (1637-57)
  18. Var. Commet-on envers vous des forfaits si nouveaux
    Qu’incontinent on doive être mis en morceaux ? (1637-57)
  19. Var. Qu’elle porte pendu à sa ceinture. (1637-57) — Ces miroirs à la ceinture étaient au dix-septième siècle d’un usage général. Dans la fable de la Fontaine intitulée l’Homme et son image (ivre I, fable xi), on trouve à ce sujet une curieuse énumération :

    Afin de le guérir, le sort officieux
    Présentoit partout à ses yeux
    Les conseillers muets dont se servent nos dames :
    Miroirs aux poches des galants,
    Miroirs aux ceintures des femmes.

  20. Var. Qu’encore qu’Alidor ne soit plus sous vos lois,
    Il va vous obéir pour la dernière fois. (1637-57)
  21. Var. Voilà, voilà que c’est d’avoir trop attendu :
    Je devois dès longtemps te bannir par caprice ;
    Mon bonheur dépendoit d’une telle injustice. (1637-57)
  22. Var. Mais, aveugle, je prends une injuste querelle. (1637-57)
  23. Var. Fais que de mon esprit je le puisse bannir. (1637-52)
  24. Var. Tout se change ici-bas, mais partout bon remède. (1637-57)
  25. Var. Qu’il m’en demeureroit encore plus de mille. (1637-57)
  26. Pléger, garantir. Voyez tome 1, p. 156, note 3.
  27. Var. Une larme, un soupir te perceront le cœur. (1637-57)
  28. Var. Mais j’en crains un progrès à ta confusion. (1637-57)
  29. Var. PHYLIS, frappant du pied à la porte de son logis, et faisant sortir Doraste. (1634-60) — Dans l’édition de 1637, on lit en marge : Elle frappe à sa porte, et Doraste sort. — Ce jeu de scène remplace, dans les éditions indiquées, celui qui, dans notre texte, suit le vers 485.
  30. Var. Frère, quelque inconnu t’a fait un bon service. (1637)
  31. Amant préféré d’Angélique, dans le Roland furieux de l’Arioste.
  32. Var. Je souffrirois plutôt cinquante amants qu’un frère. (1637)
  33. Var. Vous êtes ma maîtresse, et moi, sous votre empire,
    Je dois suivre vos lois, et non y contredire (a),
    Et pour vous obéir mes sentiments domptés
    Se règlent seulement dessus vos volontés.
    PHYL. J’aime des serviteurs avec cette souplesse,
    Et qui peuvent aimer en moi ce qui les blesse. (1637-57)

    (a) Je dois suivre vos lois, encor que j’en soupire. (1644-57)

  34. Les mots : et Phylis l’arrête, manquent dans l’édition de 1637.
  35. Var. D’un million d’amants je puis nourrir les feux. (1637-57)
  36. Var. Je devrois rejeter leurs vœux auprès des vôtres. (1637-1657.)
  37. Var. Est-ce là donc l’objet de tes légèretés ? (1637-57)
  38. Var. Tu m’as offert des vœux, que je t’en rende aussi. (1637)
  39. Locution proverbiale tirée du jeu de paume.
  40. Var. PHYLIS, arrêtant Cléandre, etc. (1644-60) — On lit en marge, dans l’édition de 1637, où il n’y a point ici de distinction de scène : Lysis rentre et Cléandre tâche de s’échapper et d’entrer chez Angélique.
  41. Var. On ne sort d’avec moi qu’avecque mon congé. (1637-57)
  42. Var. Je ne puis plus souffrir de ces badineries :
    Ne m’aime point du tout, ou n’aime rien que moi. (1637-57)
  43. Var. Qui te rend si cruel que de me rejeter ? (1637-57)
  44. Var. À quel prix que ce soit il me faut racheter. (1660)