La Place royale/Acte V

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La Place royale
Œuvres de P. Corneille, Texte établi par Ch. Marty-LaveauxHachettetome II (p. 286-301).
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ACTE V.


Scène première.

CLÉANDRE, PHYLIS.
CLÉANDRE.

Accordez-moi ma grâce avant qu’entrer chez vous.

PHYLIS.

Vous voulez donc enfin d’un bien commun à tous ?
Craignez-vous qu’à vos feux ma flamme ne réponde ?
1215Et puis-je vous haïr, si j’aime tout le monde[1] ?

CLÉANDRE.

Votre bel esprit raille, et pour moi seul cruel,
Du rang de vos amants sépare un criminel :
Toutefois mon amour n’est pas moins légitime,
Et mon erreur du moins me rend vers vous sans crime.
1220Soyez, quoi qu’il en soit, d’un naturel plus doux :
L’amour a pris le soin de me punir pour vous ;
Les traits que cette nuit il trempoit de vos larmes[2]
Ont triomphé d’un cœur invincible à vos charmes.

PHYLIS.

Puisque vous ne m’aimez que par punition,
1225Vous m’obligez fort peu de cette affection.

CLÉANDRE.

Après votre beauté sans raison négligée,
Il me punit bien moins qu’il ne vous a vengée.

Avez-vous jamais vu dessein plus renversé ?
Quand j’ai la force en main, je me trouve forcé ;
1230Je crois prendre une fille, et suis pris par une autre[3] ;
J’ai tout pouvoir sur vous, et me remets au vôtre ;
Angélique me perd, quand je crois l’acquérir ;
Je gagne un nouveau mal, quand je pense guérir.
Dans un enlèvement je hais la violence ;
1235Je suis respectueux après cette insolence ;
Je commets un forfait, et n’en saurois user ;
Je ne suis criminel que pour m’en accuser.
Je m’expose à ma peine, et négligeant ma fuite[4],
Aux vôtres offensés j’épargne la poursuite[5].
1240Ce que j’ai pu ravir, je viens le demander ;
Et pour vous devoir tout, je veux tout hasarder.

PHYLIS.

Vous ne me devrez rien, du moins si j’en suis crue[6] ;
Et si mes propres yeux vous donnent dans la vue,
Si votre propre cœur soupire après ma main,
1245Vous courez grand hasard de soupirer en vain.

Toutefois, après tout, mon humeur est si bonne
Que je ne puis jamais désespérer personne.
Sachez que mes desirs, toujours indifférents,
Iront sans résistance au gré de mes parents ;
1250Leur choix sera le mien : c’est vous parler sans feinte.

CLÉANDRE.

Je vois de leur côté mêmes sujets de crainte ;
Si vous me refusez, m’écouteront-ils mieux[7] ?

PHYLIS.

Le monde vous croit riche, et mes parents sont vieux.

CLÉANDRE.

Puis-je sur cet espoir…

PHYLIS.

Puis-je sur cet espoir…C’est assez vous en dire[8].



Scène II.

ALIDOR, CLÉANDRE, PHYLIS.
ALIDOR.

1255Cléandre a-t-il enfin ce que son cœur desire ?
Et ses amours, changés par un heureux hasard,
De celui de Phylis ont-ils pris quelque part ?

CLÉANDRE.

Cette nuit tu l’as vue en un mépris extrême,
Et maintenant, ami, c’est encore elle-même :
1260Son orgueil se redouble étant en liberté,
Et devient plus hardi d’agir en sûreté.
J’espère toutefois, à quelque point qu’il monte,
Qu’à la fin…

PHYLIS.

Qu’à la fin…Cependant que vous lui rendrez conte.

Je vais voir mes parents, que ce coup de malheur
1265À mon occasion accable de douleur.
Je n’ai tardé que trop à les tirer de peine.

ALIDOR, retenant Cléandre qui la veut suivre[9].

Est-ce donc tout de bon qu’elle t’est inhumaine ?

CLÉANDRE.

Il la faut suivre. Adieu. Je te puis assurer
1270Que je n’ai pas sujet de me désespérer.
Va voir ton Angélique, et la compte pour tienne,
Si tu la vois d’humeur qui ressemble à la sienne[10].

ALIDOR.

Tu me la rends enfin ?

CLÉANDRE.

Tu me la rends enfin ? Doraste tient sa foi ;
Tu possèdes son cœur : qu’auroit-elle pour moi ?
Quelques[11] charmants appas qui soient sur son visage,
1275Je n’y saurois avoir qu’un fort mauvais partage :
Peut-être elle croiroit qu’il lui seroit permis
De ne me rien garder, ne m’ayant rien promis ;
Il vaut mieux que ma flamme à son tour te la cède[12].
Mais, derechef, adieu.



Scène III.

ALIDOR.

Mais, derechef, adieu.Ainsi tout me succède[13] ;
1280Ses plus ardents desirs se règlent sur mes vœux :
Il accepte Angélique, et la rend quand je veux.

Quand je tâche à la perdre, il meurt de m’en défaire ;
Quand je l’aime, elle cesse aussitôt de lui plaire.
Mon cœur prêt à guérir, le sien se trouve atteint ;
1285Et mon feu rallumé, le sien se trouve éteint :
Il aime quand je quitte, il quitte alors que j’aime ;
Et sans être rivaux, nous aimons en lieu même.
C’en est fait, Angélique, et je ne saurois plus
Rendre contre tes yeux des combats superflus.
1290De ton affection cette preuve dernière
Reprend sur tous mes sens une puissance entière.
Les ombres de la nuit m’ont redonné le jour[14] :
Que j’eus de perfidie, et que je vis d’amour !
Quand je sus que Cléandre avoit manqué sa proie,
1295Que j’en eus de regret, et que j’en ai de joie !
Plus je t’étois ingrat, plus tu me chérissois ;
Et ton ardeur croissoit plus je te trahissois.
Aussi j’en fus honteux, et confus dans mon âme,
La honte et le remords rallumèrent ma flamme.
1300Que l’amour pour nous vaincre a de chemins divers !
Et que malaisément on rompt de si beaux fers !
C’est en vain qu’on résiste aux traits d’un beau visage ;
En vain, à son pouvoir refusant son courage,
On veut éteindre un feu par ses yeux allumé,
1305Et ne le point aimer quand on s’en voit aimé :
Sous ce dernier appas l’amour a trop de force ;
Il jette dans nos cœurs une trop douce amorce,
Et ce tyran secret de nos affections
Saisit trop puissamment nos inclinations.
1310Aussi ma liberté n’a plus rien qui me flatte ;
Le grand soin que j’en eus partoit d’une âme ingrate,
Et mes desseins, d’accord avecque mes desirs,
À servir Angélique ont mis tous mes plaisirs[15].

Mais, hélas ! ma raison est-elle assez hardie
1315Pour croire qu’on me souffre après ma perfidie ?
Quelque secret instinct, à mon bonheur fatal,
Ne la porte-t-il point à me vouloir du mal[16] ?
Que de mes trahisons elle seroit vengée,
Si, comme mon humeur, la sienne étoit changée !
1320Mais qui la changeroit, puisqu’elle ignore encor
Tous les lâches complots du rebelle Alidor ?
Que dis-je, malheureux ? ah ! c’est trop me méprendre[17],
Elle en a trop appris du billet de Cléandre :
Son nom au lieu du mien en ce papier souscrit
1325Ne lui montre que trop le fond de mon esprit.
Sur ma foi toutefois elle le prit sans lire ;
Et si le ciel vengeur contre moi ne conspire[18],
Elle s’y fie assez pour n’en avoir rien lu.
Entrons, quoi qu’il en soit, d’un esprit résolu[19] ;
1330Dérobons à ses yeux le témoin de mon crime ;
Et si pour l’avoir lu sa colère s’anime[20],
Et qu’elle veuille user d’une juste rigueur,
Nous savons les moyens de regagner son cœur[21].



Scène IV.

DORASTE, LYCANTE.
DORASTE.

Ne sollicite plus mon âme refroidie :
1335Je méprise Angélique après sa perfidie ;
Mon cœur s’est révolté contre ses lâches traits,
Et qui n’a point de foi n’a point pour moi d’attraits.
Veux-tu qu’on me trahisse, et que mon amour dure ?
J’ai souffert sa rigueur, mais je hais son parjure,
1340Et tiens sa trahison indigne à l’avenir
D’occuper aucun lieu dedans mon souvenir.
Qu’Alidor la possède ; il est traître comme elle :
Jamais pour ce sujet nous n’aurons de querelle.
Pourrois-je avec raison lui vouloir quelque mal[22]
1345De m’avoir délivré d’un esprit déloyal ?
Ma colère l’épargne, et n’en veut qu’à Cléandre :
Il verra que son pire étoit de se méprendre ;
Et si je puis jamais trouver ce ravisseur,
Il me rendra soudain et la vie et ma sœur[23].

LYCANTE.

1350Faites mieux : puisqu’à peine elle pourroit prétendre
Une fortune égale à celle de Cléandre,
En faveur de ses biens calmez votre courroux,
Et de son ravisseur faites-en son époux.
Bien qu’il eût fait dessein sur une autre personne,
1355Faites-lui retenir ce qu’un hasard lui donne ;
Je crois que cet hymen pour satisfaction
Plaira mieux à Phylis que sa punition.

DORASTE.

Nous consultons en vain, ma poursuite étant vaine.

LYCANTE.

Nous le rencontrerons, n’en soyez point en peine :
1360Où que soit sa retraite, il n’est pas toujours nuit ;
Et ce qu’un jour nous cache, un autre le produit.
Mais, Dieux ! voilà Phylis qu’il a déjà rendue.



Scène V.

DORASTE, PHYLIS, LYCANTE.
DORASTE.

Ma sœur, je te retrouve après t’avoir perdue[24] !
Et de grâce, quel lieu me cache le voleur[25]
1365Qui, pour s’être mépris, a causé ton malheur ?
Que son trépas…

PHYLIS.

Que son trépas…Tout beau ; peut-être ta colère,
Au lieu de ton rival, en veut à ton beau-frère[26].

En un mot, tu sauras qu’en cet enlèvement
Mes larmes m’ont acquis Cléandre pour amant :
1370Son cœur m’est demeuré pour peine de son crime,
Et veut changer un rapt en amour légitime[27].
Il fait tous ses efforts pour gagner mes parents,
Et s’il les peut fléchir, quant à moi, je me rends ;
Non, à dire le vrai, que son objet me tente[28] ;
1375Mais mon père content, je dois être contente.
Tandis, par la fenêtre ayant vu ton retour,
Je t’ai voulu sur l’heure apprendre cet amour,
Pour te tirer de peine et rompre ta colère.

DORASTE.

Crois-tu que cet hymen puisse me satisfaire ?

PHYLIS.

1380Si tu n’es ennemi de mes contentements,
Ne prends mes intérêts que dans mes sentiments[29] ;
Ne fais point le mauvais, si je ne suis mauvaise,
Et ne condamne rien à moins qu’il me déplaise[30].
En cette occasion, si tu me veux du bien,
1385C’est à toi de régler ton esprit sur le mien[31].
Je respecte mon père, et le tiens assez sage
Pour ne résoudre rien à mon désavantage.
Si Cléandre le gagne, et m’en peut obtenir,
Je crois de mon devoir…

LYCANTE.

Je crois de mon devoir…Je l’aperçois venir.
1390Résolvez-vous, monsieur, à ce qu’elle desire.



Scène VI.

DORASTE, CLÉANDRE, PHYLIS, LYCANTE.
CLÉANDRE.

Si vous n’êtes d’humeur, Madame, à vous dédire[32],
Tout me rit désormais, j’ai leur consentement.
Mais excusez, Monsieur, le transport d’un amant ;
Et souffrez qu’un rival, confus de son offense,
1395Pour en perdre le nom entre en votre alliance.
Ne me refusez point un oubli du passé ;
Et son ressouvenir à jamais effacé,
Bannissant toute aigreur[33], recevez un beau-frère
Que votre sœur accepte après l’aveu d’un père.

DORASTE.

1400Quand j’aurois sur ce point des avis différents,
Je ne puis contredire au choix de mes parents ;
Mais outre leur pouvoir, votre âme généreuse,
Et ce franc procédé qui rend ma sœur heureuse,
Vous acquièrent les biens qu’ils vous ont accordés,
1405Et me font souhaiter ce que vous demandez.
Vous m’avez obligé de m’ôter Angélique ;
Rien de ce qui la touche à présent ne me pique :
Je n’y prends plus de part, après sa trahison.
Je l’aimai par malheur, et la hais par raison.
1410Mais la voici qui vient, de son amant suivie.



Scène VII.

ALIDOR, ANGÉLIQUE, DORASTE, CLÉANDRE, PHYLIS, LYCANTE[34].
ALIDOR.

Finissez vos mépris, ou m’arrachez la vie.

ANGÉLIQUE.

Ne m’importune plus, infidèle. Ah ! ma sœur !
Comme as-tu pu sitôt tromper ton ravisseur ?

PHYLIS, à Angélique.

Il n’en a plus le nom ; et son feu légitime,
1415Autorisé des miens, en efface le crime ;
Le hasard me le donne, et changeant ses desseins,
Il m’a mise en son cœur aussi bien qu’en ses mains.
Son erreur fut soudain de son amour suivie ;
Et je ne l’ai ravi qu’après qu’il m’a ravie.
1420Jusque-là tes beautés ont possédé ses vœux ;
Mais l’amour d’Alidor faisoit taire ses feux.
De peur de l’offenser te cachant son martyre,
Il me venoit conter ce qu’il ne t’osoit dire ;
Mais nous changeons de sort par cet enlèvement[35] :
1425Tu perds un serviteur, et j’y gagne un amant[36].

DORASTE, à Phylis.

Dis-lui qu’elle en perd deux ; mais qu’elle s’en console,
Puisque avec Alidor je lui rends sa parole[37].
(À Angélique.)
Satisfaites sans crainte à vos intentions ;
Je ne mets plus d’obstacle à vos affections.
1430Si vous faussez déjà la parole donnée,

Que ne feriez-vous[38] point après notre hyménée ?
Pour moi, malaisément on me trompe deux fois :
Vous l’aimez, j’y consens, et lui cède mes droits[39].

ALIDOR.

Puisque vous me pouvez accepter sans parjure,
1435Pouvez-vous consentir que votre rigueur dure[40] ?
Vos yeux sont-ils changés, vos feux sont-ils éteints ?
Et quand mon amour[41] croît, produit-il vos dédains ?
Voulez-vous…

ANGÉLIQUE.

Voulez-vous…Déloyal, cesse de me poursuivre ;
Si je t’aime jamais, je veux cesser de vivre.
1440Quel espoir mal conçu te rapproche de moi ?
Aurois-je de l’amour pour qui n’a point de foi ?

DORASTE.

Quoi ! le bannissez-vous parce qu’il vous ressemble ?
Cette union d’humeurs vous doit unir ensemble.
Pour ce manque de foi c’est trop le rejeter :
1445Il ne l’a pratiqué que pour vous imiter.

ANGÉLIQUE.

Cessez de reprocher à mon âme troublée
La faute où la porta son ardeur aveuglée.
Vous seul avez ma foi, vous seul à l’avenir
Pouvez à votre gré me la faire tenir :
1450Si toutefois, après ce que j’ai pu commettre,
Vous me pouvez haïr jusqu’à me la remettre,
Un cloître désormais bornera mes desseins ;
C’est là que je prendrai des mouvements plus sains[42] ;

C’est là que, loin du monde et de sa vaine pompe,
1455Je n’aurai qui tromper, non plus que qui me trompe.

ALIDOR.

Mon souci !

ANGÉLIQUE.

Mon souci ! Tes soucis doivent tourner ailleurs.

PHYLIS, à Angélique.

De grâce, prends pour lui des sentiments meilleurs.

DORASTE, à Phylis.

Nous leur nuisons, ma sœur ; hors de notre présence
Elle se porteroit à plus de complaisance ;
1460L’amour seul, assez fort pour la persuader,
Ne veut point d’autres tiers à les raccommoder[43].

CLÉANDRE, à Doraste.

Mon amour, ennuyé des yeux de tant de monde,
Adore la raison où votre avis se fonde.
Adieu, belle Angélique, adieu : c’est justement
1465Que votre ravisseur vous cède à votre amant.

DORASTE, à Angélique.

Je vous eus par dépit, lui seul il vous mérite ;
Ne lui refusez point ma part que je lui quitte.

PHYLIS.

Si tu t’aimes, ma sœur, fais-en autant que moi[44],
Et laisse à tes parents à disposer de toi.
1470Ce sont des jugements imparfaits que les nôtres :
Le cloître a ses douceurs, mais le monde en a d’autres,
Qui pour avoir un peu moins de solidité,
N’accommodent que mieux notre instabilité[45].
Je crois qu’un bon dessein dans le cloître te porte ;
1475Mais un dépit d’amour n’en est pas bien la porte,

Et l’on court grand hasard d’un cuisant repentir
De se voir en prison sans espoir d’en sortir.

CLÉANDRE, à Phylis.

N’achèverez-vous point ?

PHYLIS.

N’achèverez-vous point ? J’ai fait, et vous vais suivre.
Adieu : par mon exemple apprends comme il faut vivre,
1480Et prends pour Alidor un naturel plus doux.

(Cléandre, Doraste, Phylis et Lycante rentrent.)
ANGÉLIQUE.

Rien ne rompra le coup à quoi je me résous :
Je me veux exempter de ce honteux commerce
Où la déloyauté si pleinement s’exerce ;
Un cloître est désormais l’objet de mes desirs :
L’âme ne goûte point ailleurs de vrais plaisirs.
1485Ma foi qu’avoit Doraste engageoit ma franchise ;
Et je ne vois plus rien, puisqu’il me l’a remise,
Qui me retienne au monde, ou m’arrête en ce lieu :
Cherche une autre à trahir ; et pour jamais, adieu[46].



Scène VIII.

ALIDOR[47].

1490Que par cette retraite elle me favorise !
Alors que mes desseins cèdent à mes amours,
Et qu’ils ne sauroient plus défendre ma franchise,
Sa haine et ses refus viennent à leur secours.

J’avois beau la trahir, une secrète amorce
1495Rallumoit dans mon cœur l’amour par la pitié ;

Mes feux en recevoient une nouvelle force,
Et toujours leur ardeur en croissoit de moitié.

Ce que cherchoit par là mon âme peu rusée,
De contraires moyens me l’ont fait obtenir ;
1500Je suis libre à présent qu’elle est désabusée,
Et je ne l’abusois que pour le devenir.

Impuissant ennemi de mon indifférence,
Je brave, vain Amour, ton débile pouvoir :
Ta force ne venoit que de mon espérance,
1505Et c’est ce qu’aujourd’hui m’ôte son désespoir.

Je cesse d’espérer et commence de vivre ;
Je vis dorénavant, puisque je vis à moi ;
Et quelques doux assauts qu’un autre objet me livre,
C’est de moi seulement que je prendrai la loi.

1510Beautés, ne pensez point à rallumer ma flamme[48] ;
Vos regards ne sauroient asservir ma raison ;
Et ce sera beaucoup emporté sur mon âme,
S’ils me font curieux d’apprendre votre nom.

Nous feindrons toutefois, pour nous donner carrière,
1515Et pour mieux déguiser nous en prendrons un peu,
Mais nous saurons toujours rebrousser en arrière,
Et quand il nous plaira nous retirer du jeu.

Cependant Angélique enfermant dans un cloître
Ses yeux dont nous craignions la fatale clarté,
1520Les murs qui garderont ces tyrans de paroître
Serviront de remparts à notre liberté.

Je suis hors de péril qu’après son mariage[49]
Le bonheur d’un jaloux augmente mon ennui,

Et ne serai jamais sujet à cette rage
1525Qui naît de voir son bien entre les mains d’autrui.

Ravi qu’aucun n’en ait ce que j’ai pu prétendre,
Puisqu’elle dit au monde un éternel adieu,
Comme je la donnois sans regret à Cléandre,
Je verrai sans regret qu’elle se donne à Dieu.


FIN DU CINQUIÈME ET DERNIER ACTE



  1. Var. Et vous puis-je haïr si j’aime tout le monde ? (1637-57)
  2. Var. Les traits que cette nuit il trempoit dans vos larmes. (1637-68)
  3. Var. Je crois prendre une fille, et suis pris par un autre. (1637-52 et 57)
  4. Var. Je m’expose à ma peine et néglige ma fuite. (1660)
  5. Var. Je m’offre à des périls que tout le monde évite.
    Ce que j’ai pu ravir, je le viens demander. (1637-57)
  6. Var. [Nous ne me devrez rien, du moins si j’en suis crue.]
    CLÉAND. Mais après le danger où vous vous êtes vue,
    Malgré tous vos mépris, les soins de votre honneur
    Vous doivent désormais résoudre à mon bonheur.
    La moitié d’une nuit passée en ma puissance
    À d’étranges soupçons porte la médisance.
    Cela su, présumez comme on pourra causer.
    PHYL. Pour étouffer ce bruit il vous faut épouser,
    Non pas ? Mais au contraire, après ce mariage,
    On présumeroit tout à mon désavantage,
    Et vous voir refusé fera mieux croire à tous
    Qu’il ne s’est rien passé qu’à propos entre nous (a),
    [Toutefois après tout, mon humeur est si bonne.] (1637-57)

    (a) Qu’il ne s’est rien passé que de juste entre nous. (1644-57)

  7. Var. Si vous me refusez, m’écouteroient-ils mieux ? (1637-60)
  8. Var.  Il vous faudroit tout dire. (1637-60)
  9. Var. Elle rentre, et Cléandre la voulant suivre, Alidor l’arrête. (1637, en marge.)
  10. Var. Pourvu que son humeur soit pareille à la sienne. (1637-57)
  11. Telle est l’orthographe de ce mot dans toutes les éditions publiées du vivant de Corneille. Voyez le Lexique.
  12. Var. Je m’exposerois trop à des maux sans remède. (1637-57)
  13. Var.  Qu’ainsi tout me succède !
    Comme si ses desirs se régloient sur mes vœux. (1637-57)
  14. Var. Aveugle, cette nuit m’a redonné le jour. (1637-57)
  15. Var. [À servir Angélique ont mis tous mes plaisirs.]
    Je ne m’obstine plus à mériter sa haine :
    Je me sens trop heureux d’une si belle chaîne ;
    Ce sont traits d’esprit fort que d’en vouloir sortir,
    Et c’est où ma raison ne peut plus consentir.
    [Mais, hélas ! ma raison est-elle assez hardie]
    Pour me dire qu’on m’aime après ma perfidie ? (1637-57)
  16. Var. Porte-t-il point ma belle à me vouloir du mal ? (1637-57)
  17. Var. Que dis-je, misérable ? ah ! c’est trop me méprendre. (1637-57)
  18. Var. Et si le ciel vengeur comme moi ne conspire. (1637 et 48-54)
  19. Var. Entrons à tous hasards d’un esprit résolu. (1637-57)
  20. Var. Que si pour l’avoir lu sa colère s’anime. (1637-57)
    Var. Ou si pour l’avoir lu sa colère s’anime. (1660)
  21. Var. Nous savons les chemins de regagner son cœur. (1637-57)
    Var. Cherchons quelques moyens de regagner son cœur. (1660-64)
  22. Var. J’aurois peu de raison de lui vouloir du mal
    Pour m’avoir délivré d’un esprit déloyal. (1635-57)
  23. Var. [Il me rendra soudain et la vie et ma sœur.]
    LYC. Écoutez un peu moins votre âme généreuse :
    Que feriez-vous par là qu’une sœur malheureuse ?
    Les soins de son honneur que vous devez avoir,
    Pour d’autres intérêts vous doivent émouvoir.
    Après que par hasard Cléandre l’a ravie,
    Elle perdroit l’honneur s’il en perdoit la vie.
    On la croiroit son reste, et pour la posséder
    Peu d’amants, sur ce bruit, se voudroient hasarder.
    Faites mieux : votre sœur à peine peut prétendre
    [Une fortune égale à celle de Cléandre : ]
    Que l’excès de ses biens vous le rendent (a) chéri,
    Et de son ravisseur faites-en son mari.
    Encor que son dessein ne fût pour sa personne. (1637-57)

    (a) Le verbe est au pluriel dans toutes les éditions indiquées.

  24. Var. Ma sœur, je te retiens après t’avoir perdue ! (1637)
  25. Var. Et de grâce, quel lieu recèle le voleur. (1637-57)
  26. Var. Au lieu de ton rival, attaque ton beau-frère. (1637-57)
  27. Var. Et veut faire d’un rapt un amour légitime. (1637-57)
  28. Var. Non pas, à dire vrai, que son objet me tente,
    Mais, mon père content, je suis assez contente. (1637-57)
  29. Ce vers a été omis par erreur dans l’édition de 1682.
  30. Var. Eh quoi ! ce qui me plaît, faut-il qu’il te déplaise ? (1637-57)
  31. Var. Règle, plus modéré, ton esprit sur le mien. (1637-57)
  32. Var. Si tu n’es, mon souci, d’humeur à te dédire. (1637-57)
  33. Il y a tout aigreur, au masculin, dans les éditions de 1648-57. Voyez la note relative au mot ardeur, tome I, p. 465, note 2.
  34. Dans l’édition de 1637, ALIDOR, ANGÉLIQUE, DORASTE sont seuls nommés en tête de la scène ; les autres personnages sont remplacés par un etc.
  35. Var. Mais la chance est tournée en cet enlèvement. (1637-57)
  36. Var. Tu perds un serviteur, et je gagne un amant. (1637)
  37. Var. Puisque avec Alidor je lui rends la parole. (1648)
  38. L’édition de 1682 donne seule, et sans doute par erreur : ferez-vous, pour feriez-vous.
  39. Var. Vous l’aimiez, aimez-le : je lui cède mes droits. (1637-57)
  40. Var. Mon âme, se peut-il que votre rigueur dure ?
    Suis-je plus Alidor ? vos feux sont-ils éteints ? (1637-57)
  41. L’édition de 1682 porte par erreur : « Et quand mon cœur croît, etc. »
  42. Var. C’est la que je prendrai des mouvements plus saints. (1637-57)
  43. Var. Ne veut point d’autre tiers pour les raccommoder. (1657)
  44. Var. Si tu m’aimes, ma sœur, fais-en autant que moi. (1654)
  45. Var. N’accommodent que mieux notre fragilité. (1637-57)
  46. Var. Cherche un autre à trahir, et pour jamais adieu. (1637)
  47. Dans l’édition de 1637, on lit au-dessous du nom d’Alidor le titre que voici : stances en forme d’épilogue.
  48. Var. Beautés, ne pensez point à réveiller ma flamme. (1637-57)
  49. Var. Je suis hors du péril qu’après son mariage. (1637-60)