La Plante/Partie I, chapitre XVII
XVII
Mouvements des Feuilles.
À l’animal revient le mouvement volontaire ; à la plante, l’immobilité. Le premier se déplace, s’agite au gré de ses instincts ; la seconde persiste dans un continuel repos. Cette opposition entre l’activité d’une part et l’inertie de l’autre semble tellement nette, qu’on l’a proposée comme caractère différentiel entre l’animal et la plante. Dans une vue d’ensemble, la différence est fondée ; dans les détails, elle comporte de frappantes exceptions qui démontrent l’étroite analogie des deux règnes quant aux propriétés générales. Sœur de l’animal et son aînée, la plante a parfois, comme lui, la faculté de se mouvoir spontanément ; en présence de certains faits, l’on se demande même si la sensibilité lui est vraiment refusée, cette sensibilité vague, inconsciente, apanage des derniers échelons de l’animalité. Ce chapitre est consacré à l’exposé des principaux documents sur cette grave et difficile question.
Une feuille comprend deux faces : l’une supérieure, plus lisse et plus verte ; l’autre inférieure, plus pâle et plus rugueuse, à cause du relief des nervures. Leur structure anatomique n’est pas exactement la même, leur rôle dans le travail de la végétation ne l’est pas davantage ; la face qui regarde la lumière du ciel a d’autres fonctions que la face ayant devant elle l’ombre du sol. Qu’adviendra-t-il donc si la feuille est artificiellement mise dans une position inverse, si l’on tourne vers le ciel son dessous et vers la terre son dessus ? Avec ce retournement, qui donne de l’ombre à la face faite pour la lumière, et de la lumière à la face faite pour l’ombre, la feuille ne peut accomplir son habituel travail.
D’un mouvement très-lent, mais obstiné, continu, la feuille se retourne alors d’elle-même en tordant son pétiole et remet dessus ce qui doit être dessus, dessous ce qui doit être dessous. Si, à diverses reprises, la main de l’homme intervient pour rétablir la position renversée, chaque fois, par une nouvelle torsion du pétiole, la feuille remet les choses en l’état normal. « J’ai incliné, dit Ch. Bonnet, le botaniste philosophe de Genève, j’ai incliné ou courbé des jets de plus de vingt espèces de plantes, soit herbacées soit ligneuses, et je les ai tenus fixés dans cette situation. Les feuilles de ces jets ayant été mises ainsi dans une position contraire à celle qui leur est naturelle, j’ai eu bientôt le plaisir de les voir se retourner et reprendre leur position ordinaire. J’ai réitéré l’expérience sur le même jet jusqu’à quatorze fois consécutives, sans que cet admirable retournement ait cessé de s’y opérer. » Cette persistance de la feuille à se tordre sur sa base, se détordre, se retordre encore pour déjouer les obstacles et reprendre la position conforme à sa nature, rappelle l’invincible opiniâtreté de la plante en germination, qui brusquement se coude toutes les fois qu’on dérange la graine, et remet la racine en bas, la tige en haut. Cependant, comme si la fatigue la gagnait, la feuille est plus lente à se retourner à mesure que l’épreuve se répète. Dans les expériences de Ch. Bonnet, une feuille de vigne mettait un jour pour revenir à sa position naturelle après la première inversion ; elle en mettait quatre après la quatrième, et huit après la sixième. C’est sous le stimulant de la lumière solaire que le retournement se fait dans le plus court délai. En deux heures, aux rayons d’un soleil ardent, l’ingénieux expérimentateur de Genève a vu se retourner une feuille d’arroche. Cette promptitude n’a été dépassée par aucune autre plante.
En dehors des renversements artificiels, œuvre de l’homme, la plante est parfois dans la nécessité de retourner toutes ses feuilles. Certains végétaux, au lieu de diriger leurs ramifications de bas en haut, les dirigent en sens inverse, de haut en bas. Cette marche rétrograde est tantôt le résultat purement mécanique de la longueur et de la faiblesse des rameaux, qui pendent suivant la verticale faute d’une rigidité suffisante pour résister à la pesanteur ; le saule pleureur en est un exemple. Tantôt elle n’a d’autre cause que les propensions mêmes du végétal, dont les jets vigoureux s’infléchissent, non sous leur poids, mais par l’effet d’une tendance naturelle. Ainsi le sophora du Japon, arbre assez fréquent dans nos jardins, recourbe en crosse à leur base toutes ses branches et dirige ses rameaux faibles ou forts de haut en bas, en formant à distance, autour de la tige, une enceinte de verdure. Le renversement de tout le feuillage est la conséquence de cette direction inverse ; mais les feuilles savent reprendre, à mesure qu’elles se développent, la situation qui leur convient. Elles sont composées pennées, comme celles de notre acacia vulgaire. Le pétiole commun porte à la base un vigoureux renflement qui se tord sur lui-même, entraîne la feuille entière malgré son poids et la remet dans la position normale.
L’alstrémère pélégrine, vulgairement lis des Incas, est une élégante amaryllidée originaire du Pérou. On la cultive dans les serres. Son feuillage nous présente la plus singulière des anomalies. Les feuilles se composent d’un limbe ovulaire et allongé, qui se rétrécit en un pétiole ayant la forme d’un étroit ruban. Or ce ruban pétiolaire est toujours tordu sur lui-même, de manière que la feuille présente en haut ce qui serait en bas sans la torsion, et en bas ce qui serait en haut. Si l’on détord le pétiole pour ramener la feuille à ce qui semblerait devoir être sa régulière situation, on reconnaît, avec une profonde surprise, que la face supérieure est pâle et ridée tandis que la face inférieure est lisse et verte. Voilà donc une plante qui, par une étrangeté inexplicable, a toutes ses feuilles mises sens dessus dessous bien que la tige n’ait rien d’exceptionnel et se dresse verticalement. Les pétioles rubannés, en effectuant un demi-tour sur eux-mêmes, rétablissent les feuilles dans la position voulue, et tournent en haut la face inférieure lisse et verte, en bas la face supérieure pâle et rugueuse. S’il était permis de comparer l’œuvre de la création à l’œuvre de l’homme, ne dirait-on pas, dans les feuilles du lis des Incas, un vice de mise en place, résultat de quelque distraction qui aurait tourné en dessus ce qui devait être tourné en dessous ? Mais la défectuosité est aussitôt reconnue et les pétioles y remédient par leur torsion.
À ces mouvements d’une lente ténacité par lesquels les feuilles renversées seront ramenées dans leur régulière situation, la plante en associe d’autres, amples et brusques, qui rappellent mieux ceux de l’animal. Trois plantes surtout sont renommées sous ce rapport : le sainfoin oscillant, la dionée gobe-mouches et la sensitive.
Le sainfoin oscillant fut observé pour la première fois, il y a un siècle, dans les plaines les plus humides et les plus chaudes du delta du Gange, par milady Monson, qui parcourait l’Inde pour en étudier l’histoire naturelle. Depuis lors, la singulière légumineuse a été introduite dans les serres d’Europe, où l’on a pu vérifier les récits de la savante exploratrice. Ses feuilles, comme celles de notre trèfle, sont composées chacune de trois folioles, avec cette différence que les folioles du sainfoin oscillant sont très-inégales, celle du milieu grande et ovale, atteignant jusqu’à un décimètre de longueur, les deux latérales fort petites en proportion et mesurant au plus une paire de centimètres.
La grande foliole est soumise à une alternative de redressement et d’abaissement que provoque la présence ou l’absence du soleil. Dans la nuit, elle est pendante et appliquée contre la tige par sa face inférieure. Aussitôt le jour paru, elle se meut lentement et se redresse peu à peu à mesure que le soleil monte. À l’heure de midi, par un jour bien vif, elle est en ligne droite avec le pétiole. On la voit alors, si la chaleur est ardente, s’animer d’un tremblotement très-appréciable. Puis le soleil décline, et la foliole décline aussi pour reprendre, à la nuit, sa position pendante. Outre cette oscillation générale réglée par le cours de l’astre, elle en accomplit d’accidentelles d’après l’état lumineux du ciel. Un nuage vient-il à projeter de l’ombre, la foliole descend ; le jour reprend-il sa sérénité, la foliole remonte. Elle est enfin tellement sensible à l’influence de la lumière, qu’à toute heure du jour elle change de direction, s’élève ou s’abaisse, suivant que l’illumination de l’atmosphère s’active ou s’affaiblit.
Le mouvement des deux folioles latérales est bien plus remarquable et indépendant de l’excitation lumineuse. Dans l’obscurité comme à la lumière, de nuit ainsi que de jour, pourvu que la température soit convenablement élevée, ces deux folioles s’abaissent et se relèvent à tour de rôle sans discontinuer, semblables à deux ailes qui lentement battraient l’air en sens inverse. Dès que celle de droite est parvenue au terme de son ascension, la foliole de gauche descend, reste un moment stationnaire au point le plus bas de sa course, puis remonte, tandis que la foliole opposée redescend. Il suffit d’une paire de minutes pour l’aller et le retour. L’ascension est plus lente que la descente et s’effectue quelquefois par secousses pareilles à celles d’une aiguille de montre à secondes. Le nombre de ces petits élans saccadés est d’une soixantaine par minute. Ce perpétuel jeu de balançoire est d’autant plus actif que le temps est plus humide et plus chaud ; il persiste sur les feuilles détachées de la plante et ne cesse qu’à la mort des folioles. Dans nos serres, le sainfoin indien a des oscillations moins promptes ; il lui arrive même de tromper ses longues heures d’exil par une immobilité prolongée.
Des mouvements analogues, mais bien plus faibles, s’observent dans les feuilles du pois et du haricot. Il est donc à croire que beaucoup de végétaux, même de ceux qui nous sont le plus familièrement connus, offriraient des mouvements spontanés comme ceux du sainfoin oscillant, si nous les examinions avec le soin nécessaire. En général, ils nous échappent à cause de leur extrême faiblesse et de leur lenteur.
La dionée gobe-mouches est une petite herbe des marais de la Caroline du Nord. Ses feuilles se composent d’un pétiole dilaté sur les côtés en larges ailes, et d’un limbe arrondi dont les deux moitiés peuvent jouer autour de la nervure médiane comme autour d’une charnière et s’appliquer l’une contre l’autre. Ce limbe est en outre bordé de longs cils pointus et raides. Si quelque insecte vient à s’y poser, la feuille rapproche vivement ses deux moitiés et saisit la bestiole dans le filet de ses cils entrecroisés. Plus l’insecte s’agite pour se libérer, plus le piége végétal se contracte, excité par les mouvements du captif. Alors se passe un fait plus étrange encore, et que volontiers l’on relèguerait au nombre des fables s’il n’était affirmé par les
Fig. 95. Dionée gobe-mouches.témoins les plus dignes de foi. Autour de l’insecte mort, la feuille transpire une humeur qui convertit le petit cadavre en un putrilage liquide. Le suc de cette purée animale est enfin absorbé par la feuille, qui s’en imbibe et en nourrit la plante. Il y a donc des végétaux carnivores, chassant la proie pour s’en alimenter. La dionée, entre autres, de ses feuilles fait des traquenards pour y prendre le gibier.
La sensitive est une plante herbacée originaire de l’Amérique méridionale, recherchée à cause de son extrême irritabilité, qui l’a rendue célèbre et lui a valu son nom. On la cultive en pots dans nos jardins. Elle a des feuilles deux fois pennées, une tige armée d’aiguillons crochus et des fleurs disposées en petites houppes globuleuses. La plante, je suppose, est au soleil, toutes les feuilles pleinement étalées. On touche légèrement une foliole, une seule, celle par exemple de l’extrémité. Aussitôt cette foliole se redresse obliquement, sa compagne du côté opposé en fait de même, et les deux viennent s’appliquer l’une contre l’autre par la face supérieure, au dessus du pétiole. L’impulsion donnée se propage plus loin. La seconde paire de folioles se meut comme la première, la troisième en fait autant, puis la quatrième, la cinquième, si bien que, de proche en proche
Fig. 96. Deux feuilles de Sensitive, l’une étalée, l’autre ployée.et chacune à son tour, d’après l’ordre de succession, toutes se redressent et se couchent l’une sur l’autre.
La propagation de l’ébranlement peut suivre une marche inverse. Si l’on touche une foliole à la base de la double rangée, les autres se replient par ordre, d’arrière en avant de la feuille. L’impression est donc transmise, dans un sens comme dans l’autre, de la foliole ébranlée aux folioles suivantes. Si l’événement a peu de gravité, les trois ou quatre paires voisines du point atteint se replient, les autres ne remuent pas. Si le choc est plus rude, les folioles se replient d’un bout à l’autre, les pétioles partiels se rassemblent en un faisceau, le pétiole commun pivote sur son point d’attache et s’infléchit sur la terre. Enfin si la secousse est violente, toutes les feuilles se ferment à la hâte, prennent un aspect fané et pendent, comme mortes, le long de la tige. Dans tous les cas, le trouble est momentané. Le calme revenu, les pétioles tournent lentement sur leur base, les feuilles se redressent et les folioles s’étalent. Dans les brûlantes plaines du Brésil, où la sensitive couvre de grandes étendues de terrain, il suffit parfois du galop d’un cheval ou même de la marche d’un passant sur la route pour provoquer l’extrême irritabilité de la plante. Le faible ébranlement que le pas du voyageur imprime au sol suffit pour faire refermer leurs feuilles aux sensitives les plus rapprochées ; celles-ci, en se mouvant, secouent les voisines, et de l’une à l’autre l’impulsion se propage à la ronde. Sans cause apparente, le tapis de verdure s’agite et prend un aspect flétri.
La sensitive n’est pas seulement impressionnée par le choc ou l’ébranlement, elle est encore sensible aux divers excitants qui mettraient en jeu l’irritabilité animale, comme l’étincelle électrique, le changement brusque de température, l’action de la chaleur ou du froid, l’effet corrosif des agents chimiques. Étalée dans la tiède atmosphère d’une serre, une sensitive se replie brusquement si l’on ouvre le vitrage pour laisser entrer l’air frais de l’extérieur ; elle se replie encore quand, épanouie à l’ombre, elle reçoit sans transition les rayons ardents du soleil. Il suffit d’un nuage qui rafraîchit la température en voilant un instant le soleil, pour lui faire fermer son feuillage. La décharge d’une étincelle électrique la commotionne brutalement, mais l’action la plus violente est celle de la chaleur ou d’un corrosif chimique. Si l’on concentre les rayons du soleil sur une foliole avec une lentille de verre, ou bien si l’on brûle légèrement cette foliole avec une mêche de papier allumé, la plante, en quelques minutes, ferme et rabat toutes ses feuilles à partir du point brûlé. On obtient le même résultat en déposant sur une foliole, avec toutes les précautions nécessaires pour éviter le moindre ébranlement, une gouttelette d’un liquide corrosif, tel que l’acide sulfurique. L’une et l’autre de ces deux épreuves, quoique ne blessant qu’un point de la sensitive, sans aucune secousse, causent une impression très-profonde et durable, car la plante expérimentée met jusqu’à une dizaine d’heures pour revenir à l’épanouissement. Si même l’épreuve est répétée plusieurs fois de suite, le pied le plus vigoureux devient languissant et finit par périr. De tels faits mettent en mémoire l’animal, qui revient vite d’une émotion légère, reste accablé longtemps par une douleur aiguë, et succombe enfin quand l’organisme est trop violemment ébranlé par la répétition de la souffrance.
L’analogie ne s’arrête pas là. Chez l’animal, tout point est apte à percevoir l’impression de la douleur et à la transmettre à l’ensemble, qui souffre de concert avec le point blessé et lui vient en aide ou du moins se contracte et se crispe. Entre toutes les parties du corps, il y a communauté de douleur ; pour un point quelconque atteint, l’irritation se propage en tous les sens et l’inquiétude est générale. Pareille solidarité des organes et pareille faculté de transmettre suivant toutes les directions une impression locale se retrouvent dans la sensitive. Nous venons de voir l’impression se propager, d’une foliole à l’autre, du sommet à la base d’une feuille ou de la base au sommet indifféremment ; elle se propage aussi, avec la même facilité, d’une extrémité quelconque de la plante à l’autre. Mettons à nu, en évitant toute secousse, un point des racines de la sensitive, et sur le point découvert, déposons une goutte d’acide sulfurique. Nous verrons la plante replier précipitamment ses feuilles de bas en haut, comme elle les aurait repliées de haut en bas si la goutte d’acide avait agi sur l’une des feuilles supérieures. Enfin si le point blessé est au milieu de la tige, l’irritation marche dans les deux sens à la fois, les feuilles se ferment de proche en proche en dessus et en dessous.
Chez l’animal, l’habitude émousse la sensibilité, et telle excitation légère qui provoquait au début des signes de malaise n’en provoque plus quand elle est longtemps continuée. La sensitive, elle aussi, subit l’ascendant de l’habitude. On cite à ce sujet l’expérience suivante. Une sensitive bien épanouie est mise dans une voiture. Aux premiers cahots du départ, les feuilles s’ébranlent et se ferment. Comme le voyage est de longue durée, la plante peu à peu se rassure en quelque sorte, se remet de son émotion, et finit par étaler son feuillage comme si elle était dans un complet repos. Les heurts des roues contre les cailloux, les soubresauts, dont le moindre au début l’aurait commotionnée, restent maintenant sans effet : la sensitive y est habituée. La voiture s’arrête, et l’épanouissement ne s’affirme que mieux. La marche reprend. Nouvelle contraction soudaine du feuillage mais de moindre durée que la première, comme si l’épreuve passée avait aguerri la sensitive contre l’épreuve présente. Enfin le parcours se continue et s’achève avec la plante épanouie en plein.
Certaines substances, telles que l’éther et le chloroforme, ont la propriété d’engourdir la sensibilité, de la suspendre momentanément et de produire ce qu’on nomme l’anesthésie. On utilise cette merveilleuse propriété pour supprimer la douleur dans de graves opérations chirurgicales. Rendu insensible pour quelques minutes, le patient est indifférent au bistouri qui lui taille les chairs. Mettons sous une cloche un oiseau avec une éponge imbibée d’éther. Dans cette atmosphère imprégnée de vapeurs éthérées, l’animal ne tarde pas à être pris d’une torpeur profonde ; bientôt il vacille, il tombe, en apparence mort. Retirons alors l’oiseau de dessous la cloche, car, si cet état se prolongeait trop, le retour à la vie ne serait plus possible. On reconnaît que le cœur lui bat comme d’habitude, que la respiration s’accomplit d’une façon régulière. L’animal est donc en vie, et cependant on peut le pincer, le piquer, le blesser grièvement sans amener le moindre frisson signe de douleur. La vie est là entière, moins la sensibilité. Puis cet état se dissipe comme une ivresse passagère, l’oiseau reprend ses sens, son aptitude à la douleur, et se retrouve enfin ce qu’il était avant l’expérience.
Soumettons la sensitive à une épreuve pareille. Au bout d’un certain temps, bien plus long que pour l’oiseau, l’irritabilité de la plante est engourdie. La sensitive est retirée de la cloche à éther avec son feuillage étalé comme il l’était au début ; mais pour quelque temps ce feuillage est insensible. On peut choquer les folioles, les brûler, les traiter de telle façon que l’on voudra, sans parvenir à les faire fermer. Comme pour l’animal, cette impassibilité est passagère : si le séjour sous la cloche à éther n’a pas été de trop longue durée, ce qui amènerait, pour la plante ainsi que pour l’oiseau, la perte complète de la vie, la sensitive redevient peu à peu impressionnable et finit par fermer son feuillage au moindre attouchement.
Après ce court exposé des faits, quelle différence voyons-nous entre la sensibilité de l’étrange plante et la sensibilité de l’animal, j’entends de l’animal placé aux derniers échelons de la vie, le polype, par exemple, qui, fixé à sa roche sous-marine, épanouit ses tentacules en manière de fleur, ou les ferme et se crispe ? Nous n’en voyons aucune. Entre l’animal et la plante, il n’existe pas de ligne de démarcation absolue ; tous les attributs du premier, même le mouvement et l’impressionnabilité, se retrouvent dans la seconde, du moins à l’état de vague ébauche.