La Poésie de Rudyard Kipling/01

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La Poésie de Rudyard Kipling
Revue des Deux Mondes6e période, tome 56 (p. 871-901).
II  ►
LA
POÉSIE DE RUDYARD KIPLING

La poésie de Kipling est peu connue en France, et cela est naturel. La poésie ne se traduit guère, toute la magie tenant à l’ordre et au pouvoir de certains mots choisis non seulement pour les accents, rythmes et sonorités que l’oreille perçoit, mais pour les résonances que chacun éveille dans l’âme, pour les harmoniques qui frémissent, se dégradent autour de la signification fondamentale. Par quel hasard les coupures du réel auxquelles correspondent les mots d’une langue se superposeraient-elles exactement à celles que nous représentent ceux d’une autre langue ? Une telle coïncidence est particulièrement rare quand il s’agit de deux idiomes comme le français et l’anglais, l’un analytique, dépouillé, et qui oblige à penser exactement, l’autre si riche en signes évocateurs, si puissant à rendre les états, les prolongements indéfinis de la sensation et du sentiment. Et quand il est question de poésie anglaise, où de tels mots sont les plus nombreux, où leurs valeurs s’exaltent de leurs reflets mutuels, la tâche peut désespérer.

Il faut essayer pourtant, même en se réduisant au simple tracé des idées, de connaître un peu celle de Kipling. Non seulement l’œuvre poétique de ce maître s’étend sur un tiers de siècle, non seulement elle est parallèle à toute l’œuvre de prose dont une grande partie enchante, comme les Mille et une Nuits, des publics de toutes races, mais elle se lie à la vie de l’Angleterre pendant cette période si diverse, elle en suit, elle en annonce les grands moments, les crises, les dangers ; elle est comme l’expression directe de cette vie au cours de toutes ces années, de ses triomphes, pressentiments, inquiétudes, angoisses — car tel est ici l’ordre de l’histoire. Dès le début, vers 1890, elle est clairement orientée par l’idée de l’événement auquel tend obscurément le monde.

C’est hier, en 1919, que Rudyard Kipling, qui, depuis quinze ans, n’avait donné aucun recueil de vers vraiment nouveaux[1], en a réuni la dernière partie, la plus émouvante de toutes ; et il y a quelques semaines, il la rassemblait tout entière, cette œuvre, en un seul volume (près de huit cents grandes pages). L’impression fut profonde en Angleterre, où l’opinion, comme ailleurs, tend à fixer un artiste à un métier. Kipling avait pour métier de conter. On savait bien qu’il était poète à ses heures, que de loin en loin, aux jours fastes et néfastes, par des strophes publiées en quelque grand journal, il avait remué son pays jusqu’en ces dessous populaires que l’art atteint peu. Mais le public anglais, d’esprit jeune, ne cultive pas ses émotions, et vit dans la minute présente. Ce fut comme une découverte quand, au lendemain de la guerre, apparurent, liés, soutenus, expliqués les uns par les autres, les poèmes de toute une vie. D’abord le destin accompli leur prêtait des significations et des valeurs nouvelles. On admirait que Kipling eût pressenti, annoncé le danger de si loin ; on s’étonnait de cette certitude, d’une si persistante, insistante divination ; on parlait d’un don de seconde vue, — moins surprenant peut-être, pour qui se rappelait la faculté visionnaire, le pouvoir du vates, déjà révélé par tant d’inventions du prosateur. Surtout, à la lueur tombante et rouge encore des flammes qui venaient de désoler le monde et de menacer le pays de si près, le sens général de l’œuvre s’éclairait. On en reconnaissait la continuité, la logique, la ferveur de plus en plus pressante, à mesure qu’avait approché « le Jour, » — toute la haute valeur pratique, vitale, pour l’Angleterre, pour l’ensemble des peuples anglais. On comprenait que l’âme d’où cette poésie avait jailli, reflétait, concentrait en soi la vie et la conscience d’une certaine famille humaine, que, pour les aventures, efforts, triomphes, périls de la famille anglaise, elle n’avait cessé de se passionner, —.et de cette passion sans doute sa clairvoyance s’est accrue. Aux Anglais, Kipling pouvait apparaître vraiment comme le poète des Anglais. Et c’est bien ainsi que lui-même, dans son langage allégorique, il y a vingt ans, s’est défini : « J’étais chanteur de mon clan dans la trouble et rouge aurore de l’Homme. — Je chantais tous nos combats et nos craintes, et tout ce que nous sentions. — Oui, je chantais comme je chante aujourd’hui. » — Et quand il a dit cette mystérieuse existence antérieure, il ajoute : « Alors le silence se referma sur moi, jusqu’à l’instant où Ils me revêtirent d’une nouvelle enveloppe, — chair plus blanche, plus faible, sur de plus frêles os, — et, sous le doigt du Temps, je sortis à la lumière, de nouveau chanteur d’une tribu[2]. »


I. LES INFLUENCES DE JEUNESSE

Comment reparait-il, ce chanteur ? Par quels croisements de leurs fils les Destinées le ramènent-elles en l’adaptant à son clan d’aujourd’hui — un clan qui se disperse sous tous les cieux du monde ? Il faut en prendre une brève idée. On comprend mieux cette poésie si diverse en son unité, ce qu’elle signifie non seulement dans l’histoire de la littérature anglaise, mais dans l’histoire anglaise, si l’on voit d’où vient Kipling, et le mode à part de sa formation.

Ce n’est pas un Anglais d’Angleterre, c’est un Anglais de l’Empire. La lumière à laquelle se sont ouverts ses yeux est celle de l’Inde : il est né à Bombay (1865), « entre les palmes et la mer. » Une nature, une humanité étranges l’enveloppent et le prennent tout de suite. Imaginez un petit garçon pâli par la moiteur de serre du grand port asiatique. Il grandit en quelque bungalow, sous les franges des hautes palmes où les perroquets sont nombreux comme des fruits, où les lucioles, à la tombée subite de la nuit, semblent d’errantes, flottantes étoiles. Comme tous les enfants anglo-indiens, il vit beaucoup avec les serviteurs de la maison : Hindous et musulmans hiérarchisés, blanc vêtus, pieds nus, et dont la salutation est si grande et cérémonieuse. Sans doute, il y a le sien (body servant), spécialement attaché à sa personne, marqué entre les yeux des signes jaunes et blancs de Vichnou ou de Siva, et qui, suivant l’usage, se tient debout, aux repas, derrière la haute chaise de l’enfant. Il y a aussi son ayah, une de ces graves et tendres nourrices de l’Inde (visage classique de bronze, joyau à l’aile du nez, prunelles de velours), qui prennent facilement devant ces petits la posture de l’adoration : il les chantera un jour, les sombres nourrices indigènes. De la bouche de celle-ci, il apprend, et plus vite que ses parents ne le forment à l’anglais, les mêmes mots que parlent les bébés nus du bazar, les mêmes chansons où reviennent les noms de Shiv et de Hari, les mêmes contes où le Tigre, mangeur d’hommes, s’appelle Shere Khan. Pour promenade, aux heures les moins chaudes, il a les allées et les bois de cocotiers qui fusent, verts et lisses, comme des herbes prodigieuses, et puis la plage où s’écrasent les splendides houles, où les Parsis, au lever et au coucher du soleil, les pieds dans l’eau chargée de reflets rouges, viennent adorer l’Astre. Parfois, à la brusque aurore (clameur énergique des corbeaux gris, à cette heure-là, tandis que la ville s’anime sous des fumées roses) on l’emmène au merveilleux marché aux fruits. L’ayah est catholique : souvent, au passage, on pénètre sous un porche marqué d’une croix, et l’on s’agenouille devant la statue de Beebee Myriam (la sainte Vierge), — ce qui n’empêche pas (telle est l’Inde) de s’arrêter plus loin devant quelque sanctuaire de Ganesh obèse, à trompe d’éléphant, dont on pare dévotement le cou d’une guirlande de fleurs jaunes. Ainsi, à cinq ans, un petit Anglo-Indien est à son aise au milieu de plusieurs religions. Cependant, mêlé à la foule indigène, il entend les conversations de philosophie vécue, naïvement sagace, qui l’initient tout de suite, comme Kim, comme tous les marmots de l’Inde, à tout ce que l’on tient si longtemps voilé aux enfants d’Occident. Plus tard, il ne se rappellera pas avoir jamais ignoré ces mystères. Voilà deux traits qui expliquent certaines singularités de l’œuvre de Kipling. Devant les religions différentes, et plus évidemment encore devant les questions de sexe, son attitude n’est pas celle de ses compatriotes. Elle a même, en des années encore victoriennes, commencé par scandaliser un peu les Insulaires. Il leur restait à le connaître pour le plus rigoureux poète du devoir.

Sans doute, à Bombay, l’enfant apprend d’autres choses, dont le souvenir sera profond. Il voit les beaux soldats de la Reine. Il voit les cipayes qui présentent aux Européens les armes. Il voit dans les bazars, autour des temples, des étangs sacrés, la foule obscure et demi-nue qui s’écarte devant le cheval de l’Anglais. Il voit les salaams, les mains portées au cœur, aux lèvres, au front qui s’incline. Lui-même doit savoir déjà qu’il est de l’espèce qui commande. Sa nourrice ou le« serviteur du corps » lui ont dit qu’il est un sahib. Et peut-être a-t-il déjà quelque idée dei devoirs et de l’honneur d’un sahib[3].

Tout ceci jusqu’à six ans. Les Anglais ont le sens de la race, et le même instinct qui leur défend de se métisser aux colonies, ne les y laisse pas devenir des créoles. De bonne heure, les enfants sont soustraits aux influences tropicales et vont se tremper et former, âme et corps, dans la froide Angleterre. Sur le grand bateau de la P. and O. qui l’emmène avec beaucoup d’autres de son âge, qu’est-ce que celui-ci voit et comprend de la traversée ? Des jours bleus, la mer bleue, des poissons volants, des jeux sur le pont, peu à peu le froid qui vient (on le sent déjà vers le haut de la Mer-Rouge), et puis, un matin, le premier mauvais tumulte du Nord. Kipling, dans une de ses charmantes chansons de nursery, en dira le souvenir :


Quand le hublot devient sombre et vert — sous le coup de houle qui passe au dehors, y- quand le bateau fait un houp-la ! en se tortillant de côté, — que le garçon tombe dans la soupière — et que les malles se mettent à glisser ; — quand Nounou reste affalée sur le plancher— et que maman vous dit de la laisser dormir, — quand personne ne vous réveille, ne vous lave, ne vous habille : — alors vous savez que vous êtes « par le cinquantième nord… »


….. et que vous approchez de l’Angleterre. Et tout d’un coup la voici : une vaporeuse falaise coupée ras sur un ciel sans lumière, une blême muraille fantôme, et puis des grèves, des rangs de maisons pareilles, si ternes, comme mortes sur un fond de grisaille. Comme le soleil traîne ! Le froid augmente. Un petit garçon frissonne.

Alors cinq années d’une assez sombre expérience, que Dickens eût longuement contée, avec son tendre et pitoyable humour, que Kipling laisse entrevoir brièvement au début de La Lumière qui s’éteint[4]. C’est à Portsmouth, qui ne ressemble guère à Bombay. Pensez plutôt à Brest, triste, pluvieuse et militaire : des remparts, des forts, des canons, des bateaux de guerre, de longues sonneries de clairons, le ferraillement d’un arsenal, des faubourgs, des plans d’eaux qui blêmissent et s’éteignent au loin dans la brume ; des ouvriers, des marins, des retraités de l’Etat, de vieux officiers de vaisseau. Il habite chez l’un d’eux, dont la femme reçoit en pension les petits garçons de son espèce. Elle est piétiste, d’âme rigide, durement, strictement disciplinaire. On se sent bien seul, le soir, chez elle, — bien loin de sa maman. Si peu de tendresse et tant de Bible ! La Bible, c’est là qu’il se pénètre pour toujours de son âpre essence, l’enfant qui, jadis, au milieu de la foule et de l’effluve hindous, enguirlandait le monstrueux Ganesh. On verra ce que fut sur la poésie de Kipling, — vocabulaire, mouvements, accents — l’impérieuse influence du Livre.


Onze ans maintenant : l’âge où un petit Anglais passe aux mains des hommes pour devenir un homme. Pour les enfants de cette catégorie sociale, presque toujours, c’est l’internat, — mais ne pensez pas à tout ce que le mot éveille en nos esprits français. L’école est à la campagne, souvent au bord de la mer, avec prairies, terrains de jeu, où les jeunes garçons ne sont pas confinés : les limites (bounds) assignées à leurs libres courses sont à plusieurs kilomètres de la maison. Une école anglaise est d’abord un lieu d’élevage. Le corps d’un « petit homme » serait-il moins précieux que celui d’un jeune poulain ? — l’intégrité de ses énergies sans valeur pour lui-même, pour le pays et pour la race ? Mais ici l’élevage est aussi des âmes. Par son enseignement de religion, d’honneur et de morale, par son insistance à viriliser les caractères, par ses disciplines et libertés qui dressent l’enfant à la surveillance, la conduite et la responsabilité de soi-même, par ses « jeux éducateurs, » répétés trois après-midi par semaine, où l’on apprend à obéir pour apprendre à commander, par le système qui enrôle les grands du côté de la règle et leur confère une autorité, par ses châtiments mêmes : les verges, que l’honneur commande de recevoir sans donner signe de sensibilité, par ses traditions de vie et d’activité communes, une telle école veut façonner des Anglais du beau type exact et régulier, des hommes sains, résistants, capables de joie et d’action, spontanément appliqués au devoir, bien intégrés dans le groupe, et de valeur pour le groupe. Le point de vue est ici pratique, non de la connaissance, mais de la vie : vie de ce groupe, auquel le jeune être apprend, en même temps que la fidélité aux tâches quotidiennes, à se subordonner. De cet ordre d’idées, que tout suggère en ces établissements, l’influence commence à pénétrer Kipling à l’âge où la sève de la pensée se prépare. Elles se mêleront à ses idées, à sa substance spirituelle, à tout ce qui se projettera de lui-même en ses créations. Là est l’origine de l’éthique, on peut dire de la foi, qui fera le fond de sa poésie.

De cette école, si bien adaptée aux besoins, instincts de l’adolescence, et qui pourtant la dresse si fortement aux disciplines viriles et aux formes anglaises, le poète a gardé un heureux et profond souvenir. Il en a conté longuement les jeux, les travaux, les coutumes, la joie, la folie, le sérieux dans un de ses romans. Il en a résumé l’âme dans une chanson, — la Chanson de l’École, — dédiée à ses anciens maîtres :


Louons donc ces fameux hommes, — hommes d’un aspect modeste ! — Gloire à l’œuvre qui persiste, — à leur œuvre qui persiste, — large et profonde persiste, — par-delà leur ambition !

Libres vents et libre houle — nous ont volés à nos mères — et jetés sur une plage — (dix maisons nues sur la plage — sept années sur une plage) — au milieu de deux cents frères.

En ce lieu, ces fameux hommes, — chargés de nous gouverner, — nous frappaient avec des verges, — à coups fidèles de verges, — tous les jours avec des verges, — pour l’amour qu’ils nous portaient.

Tout degré de latitude — qui se tend autour du globe — voit l’un ou l’autre de nous — (d’un seul type sommes-nous ! ) — vigilant à son travail, — ardent à sa vocation.

C’est que tous ces fameux hommes, — sans nous dire à quelle fin, — nous montraient en nos besognes : — qu’il faut finir sa besogne, — sa quotidienne besogne, — que nulle excuse ne vaut.

Nos maîtres en nos frontières — démontraient que c’est le mieux, — le plus sûr, simple, le mieux, — le plus opportun, le mieux, — d’obéir exactement, — quand on a reçu ses ordres.

Aujourd’hui certains des nôtres, — sous de lointaines étoiles, — portent le plus lourd fardeau, — servant là où ils commandent — (s’il ne sert, nul ne commande) — servant ceux-là qu’ils commandent, — sans espoir et sans désir — d’éloge ou de récompense.

C’est ce que ces fameux hommes — autrefois nous ont appris, — sans nous révéler pourquoi. — Mais au courant des années, — des solitaires années, — quand eurent fui les années, — nous l’avons bien mieux compris[5]. »

Comme cette chanson nous dit le principe d’une telle école ! — former des âmes, et dans le sens social. Elle nous dit en outre le caractère spécial de celle-ci, — décisif pour l’orientation du poêle. La plupart de ces « deux cents frères » sont aussi venus de l’au-delà des Océans. Chaque malle leur apporte des lettres de leurs pères — civil servants, administrateurs, officiers, — presque tous charges des tâches impériales ; et c’est aux mêmes tâches que se destinent les enfants. Ainsi, par-delà l’horizon des Insulaires, par-delà l’étroite terre anglaise, pays des clôtures, cadastré depuis huit cents ans, ils conçoivent d’autres espaces, des continents où se prolongent la puissance et la volonté de l’Angleterre, de vieux mondes orientaux où son devoir propre est d’établir la justice et la loi. Surtout ils conçoivent l’idée du service, dominante, plus tard, chez le poète des Cinq Nations, principe de son éthique et de sa philosophie sociale. Déjà ils devancent le précepte de Joseph Chamberlain et, sans penser beaucoup, « ils pensent impérialement. »

Vers 1880, Kipling, si précoce, est de ceux qui pensent. Ce qu’est l’esprit qui l’environne, et déjà sa tendance, on en peut juger par un poème qu’il écrit à seize ans. A la Reine qui venait d’échapper aux coups d’un assassin (mars 1882) il adresse l’hommage de l’Ecole :


… l’hommage que te doivent ceux-là, — dont les pères ont fait face aux hordes des cipayes, — ou t’ont servie dans les neiges russes, — et puis, mourant, léguèrent à leurs fils leurs épées. — Déjà plusieurs des nôtres se sont battus pour loi, — dans la passe afghane ou bien dans le Veldt, — où, presque invisibles, les boules de fumée — jaillissaient des fusils boers.

Et tous sont formés pour obéir à tes ordres, — sur terre, sur mer, en tous lieux où vole le drapeau, — pour lutter et pour suivre à leur tour — et accomplir les destinées de ton Empire…


Soulignons ce dernier mot d’un écolier. Pour la première fois, il prenait le sens qu’il a gardé dans les bouches anglaises depuis les grands poèmes populaires de Kipling. Cela s’appelait Ave Imperatrix. A quarante ans bientôt de distance, c’est la conviction de l’auteur que, sous les influences spéciales de Westward Ho, là fut décidée la direction générale de son œuvre.

Son œuvre, la pressent-il déjà ? Simplement il écrit, il écrit pour lui, il écrit beaucoup : des monceaux de manuscrits. Ses maitres, eux, entrevoient les présages. Il est clair qu’il n’est pas comme les autres ; le monde de la « représentation » est prépondérant en lui. Qu’il est durèrent, on se garde bien de le lui dire : pour un Anglais, ce serait un mauvais compliment, et l’éducation nationale tend plutôt à supprimer les différences, (« d’un seul type sommes-nous ! ») Mais tel est ici le don qui se révèle que le Principal ne peut s’empêcher, sans en avoir l’air, sans rien en dire, de s’y intéresser. Sous prétexte que le jeune rédacteur a besoin de temps, de calme pour le Journal de l’École, par une exception inouïe quand le médecin n’intervient pas, il le dispense de certains « jeux obligatoires, » et lui ouvre sa bibliothèque particulière.

Là le jeune Kipling a lu librement, profondément, à la soif de son esprit, et non seulement les maitres de sa langue, surtout ceux de la magnifique Renaissance anglaise, mais les Français (il va tout droit aux plus puissants, qui l’enivrent : Rabelais, Balzac, Hugo), et même les grands Russes. Car il s’est mis de bonne heure au russe, poussé sans doute par son patriotisme anglo-indien, par la vieille idée que l’ennemi de l’Inde anglaise, c’est le Moscovite. Il compte étudier, surveiller l’ennemi.


A seize ans et demi, fini le temps d’école, et on lui donne le choix : passer par Oxford ou Cambridge, s’acheminer par la voie traditionnelle vers une grande carrière anglaise, ou bien rentrer dans l’Inde, quittée il y a dix ans. Il choisit l’Inde, et il choisit sa destinée. Parce qu’il y est revenu vivre de si bonne heure, il est devenu le Kipling que nous connaissons. A partir de ce choix, tout conspire à préciser, fortifier la tendance que l’école de Westward Ho a éveillée en lui.

Et d’abord le voyage, en septembre 1882, à l’âge où l’âme neuve aspire à tout sentir et s’imprégner de tout. Sortie par la sombre Tamise, entre les paquets et chapelets de grands vapeurs venus de toutes les parties du globe, entre les files spectrales de silhouettes industrielles ; wharves, usines, chantiers, grues géantes dans la brume, où le soleil malade s’empourpre, blanchit, s’éteint ou se ronge. Et puis la première pulsation du large, la côte anglaise qui se déroule, les troupeaux de steamers que l’on croise, la procession des phares : quelle première vision de la place de l’Angleterre dans les trafics du monde, et comme, un jour, il dira tout cela ! A l’avant d’un grand navire anglais, un jeune homme anglais, dont les narines se gonflent au souffle du large, se sent prendre possession de l’héritage de sa race. Bientôt le dernier éclair d’Ouessant, la grande houle qui s’établit, les eaux plus sombres et, chaque jour, chargées d’un bleu plus riche. Et un matin, le pâle et superbe éperon de Gibraltar, la puissance anglaise qui reparait sous les diagonales tricolores du drapeau : cuirassés, canons, forts, casemates qui partout terraquent la falaise. Route au Sud de l’Europe maintenant (à Malte, encore les canons britanniques), d’une porte à l’autre de cette Méditerranée dont l’Angleterre, en septembre 1882, tient déjà l’autre clef. Lent passage du canal : elle en contrôle l’entrée et la sortie ; — de la Mer-Rouge : elle en possède l’autre issue.

Et, de jour en jour, c’est la lumière oubliée qui revient, qui flamboie sur les eaux torpides, qui frémit sur l’ardente blancheur des sables. Et puis, au débouché, après Aden (pitons couleur de houille par-dessus la houille encore une fois retrouvée du Cardiff), l’entrée dans les immensités libres, des splendeurs plus vastes et plus claires, l’étendue comme élargie, réveillée au grand souffle de la mousson, des nuits prodigieuses, de saisissantes aurores, le soleil jaillissant tout droit, et, à peine envolé du bord enflammé des eaux, éblouissant et brûlant déjà. Enfin, un soir, une bande verte dans l’Est, et peu à peu des corbeilles de feuillage, des palmes, et, par-dessus, les coupoles, les rouges tours impériales. C’est la ville natale du poète qui revient se lever de l’Océan. Sans doute sent-il alors ce qu’il écrira dans son prélude aux Sept-Mers : « Je ne suis pas d’une cité méprisable. »

Il vient de débarquer sous le crépuscule rouge ; l’odeur de l’Inde l’enveloppe, avec la chaleur d’étuve, le glissement, pieds nus, de la foule multicolore. Soudain quel sentiment du déjà vu ! C’est comme un rêve très lointain qui se reforme. Brusque, étrange et tout-puissant afflux ! Une vie antérieure remonte en nous, un autre nous-même renaît et nous envahit. Souvenirs inachevés, venus on ne sait d’où… Et maintenant des mots, des phrases d’une autre langue, et qu’on ne comprend plus, qui vous reviennent[6]


Seize ans et neuf mois, c’est presque encore l’enfance. Les impressions que l’on reçoit du milieu resteront plus définies dans le souvenir et moins mystérieuses que celles qu’il vous communique à six ans, mais elles s’enfoncent aussi dans l’être en croissance, et contribuent à le déterminer pour la vie. Cette Inde que revoit Kipling va le reprendre, exercer sur lui des influences continues (il ne la quittera plus jusqu’à vingt-quatre ans). Son âme d’Orient qui renaît va grandir et se préciser, mais elle ne se mêlera pas à celle qu’il rapporte d’Angleterre, pas plus que ne se mêlent deux langues qu’apprend un enfant. On dirait qu’il en est de ces formes de l’esprit comme souvent de deux types ethniques éloignés qui se laissent rapprocher, non combiner, et dont les produits sont de l’une ou de l’autre race. En Kipling, les deux âmes se juxtaposent et demeurent indépendantes. Il sait bien cette dualité, et dans une chanson de son Kim, il en a remercié les dieux :


Je réfléchis fort au Bien, au Vrai, dans les religions qui sont sous le soleil, — mais surtout à Allah, qui fit différents les deux côtés de ma tête.

Disciples de Wesley, troupeau de Calvin, blancs, jaunes ou couleur de bronze, — Chamans, Guèbres ou Schiites, — ministres, brahmes ou talapoins.

Je bois à vos santés, mes frères, — de quelque façon que vos prières soient dites, — et loué soit Allah, qui fit différents les deux côtés de ma tête !

Moi je pourrais bien me passer de chemise et de souliers, — d’ami, de pain et de tabac, — mais pas pour un seul jour je ne renoncerais — à la différence entre les deux côtés de ma tête !


Une grande différence, c’est que l’un des côtés de l’être est lesté, et que l’autre ne l’est pas. Peu importe la couleur, et même la matière orientale du premier : c’est sur le second que l’être toujours retombera. Dix ans de discipline anglaise ont donné au jeune Kipling sa substance profonde, son métal inaltérable. Par-dessous tout ce qui se reflète et se prolonge en lui de l’Inde et de ses suggestions, persiste, latente, au cours des besognes quotidiennes, se révèle, aux jours où il faut choisir, la foi dans la rigoureuse loi qui commande l’effort et le dévouement.

Cette loi, tout ce qui est anglais dans ce morceau d’Asie va le lui rappeler, en même temps que la grandeur anglaise. D’abord son métier. Tout de suite il est journaliste, à la Civil and Military Gazette, de Lahore, et pour rédiger cette feuille, il est seul, avec le directeur qui l’a engagé sur la vue de quelques numéros du Journal de l’École. A côté d’eux, dans les bureaux, à l’imprimerie, cent soixante indigènes. Son métier, il l’aime (aujourd’hui, il s’émeut encore au bruit, à l’odeur d’une salle décomposition) : c’est le travail personnel, c’est l’indépendance. A dix-sept ans, à côté de ses parents dont il gardera le culte (c’est à son père, dit-il, qu’il doit le meilleur de lui-même et de son art), il a déjà ses serviteurs, son cheval, sa charrette, son club, ses amis, vraiment sa vie à lui[7]. Mais au bureau, où il passe des nuits, où la chaleur dépasse pendant des mois trente degrés, quelle continuité de l’attention et de l’effort ! « Dans mon propre petit monde, dira-t-il, la première leçon que j’appris fut de fidélité à mon journal : obligation de le servir, qu’il fit chaud ou froid, que je fusse bien portant ou malade. » On n’évite pas toujours la fièvre, la dysenterie.

À cette leçon s’en ajoute une autre, continuant celle qu’il a reçue des choses. À cette époque, la presse anglo-indienne vivait surtout de télégrammes du dehors, de morceaux d’articles empruntés, suivant des arrangements d’échange, aux grands journaux de la métropole et des Dominions. C’est Kipling qui reçoit tout cela, qui découpe, colle, résume, commente. Sur une âme préparée, orientée comme la sienne, imaginez l’effet de toutes les heures passées dans cet office où vient vibrer la vie de tout le monde anglais. Les nouvelles arrivent par courants lancés de l’Est et de l’Ouest, des deux côtés de la terre, et l’on peut dire que dans cette âme, à chaque éclair de leur rencontre, la conscience de l’Empire se produit. De temps à autre, il voyage, de l’Himalaya à la mer du Deccan, d’abord pour sa gazette de Lahore, plus tard pour le grand Pioneer d’Allahabad, car le succès est venu. Il voit les choses, les hommes, les races, les castes. Son titre de journaliste, le nom de son père, respecté par toute l’Inde, bientôt la réputation que lui font ses vers, ses premiers contes, l’introduisent partout, et devant sa jeunesse, les chefs, civils, militaires, qui le sentent, par son origine et son éducation, de leur espèce, parlent sans peser leur mots. Il cause avec des gouverneurs, des vice-rois, avec un lord Roberts. Il prend une idée directe, concrète, des tâches de gouvernement, et de cette large expérience, acquise si jeune, et qui fait déjà la substance diverse et la profonde vérité de ses nouvelles, ce qui le frappe, et qu’il retiendra surtout, c’est qu’en chacun de ceux qui représentent l’Angleterre dans l’Inde, reparait, actif et prépondérant, le principe dont l’école anglaise l’a déjà pénétré : loyalisme aux tâches prescrites, don total et tacite de soi-même au devoir quotidien. La même leçon dont il avait appris la pratique à dix-sept ans, dans son bureau de Lahore, toute l’Inde anglaise la lui répète, et il le dira : « Quant à ma conception de « l’Impérialisme » (nous verrons quel sens il attache à ce mot), elle me fut donnée par des hommes qui souvent maudissaient leurs besognes, mais qui les menaient jusqu’au bout, sans secours, sans espoir de récompense, dans des circonstances hostiles. » C’est en propres termes ce que dit sa Chanson de l’École, de l’école qui veut former des hommes maîtres d’eux-mêmes et serviteurs de l’Empire. Toute la poésie de Kipling nous répétera cette forte religion du devoir. Bien plus que le culte de l’énergie, elle fait le fond si grave de son œuvre éblouissante.

Dès ces années-là, cette œuvre a commencé d’éblouir. Certains contes, publiés par ses deux journaux, et que réunissent en minces volumes les éditeurs d’Allahabad et de Bombay, sont parmi ses plus beaux. Sa puissance créatrice, la grandeur et la force de sa vision s’y attestent avec sa sûreté de trait, ses raccourcis, l’énergie de son noir et blanc, sa science des effets, sa connaissance immédiate et ses profondes intuitions de tant d’âmes, types, réalités. Déjà, à Londres, quelques personnes, bientôt un petit public averti suivent la rapide montée du nouvel astre. Mais, vers 1888, le poète ignore ses pouvoirs et ne s’est pas encore déployé. Dans ses Départemental Ditties (1886), écrits à ses moments perdus, et qui chantent surtout les histoires de la grande potinière anglo-indienne, celles qui courent les mess, les bureaux, les jardins de tennis, depuis le Maidàn et le Great Eastern de Calcutta jusqu’au Jokko de Simla, il n’a voulu qu’amuser les coloniaux de l’Inde. Il ne parle pas encore au vaste monde anglais. Le grand dessous sérieux, le fervent rêve moral, patriotique et quasi religieux qu’il accumule, et que traduiront ses principaux poèmes, ne s’est pas encore révélé.


C’est son voyage de 1889 qui semble l’exciter à sa mission. A vingt-quatre ans, il part pour Londres, où il veut prendre sa mesure, et qu’il regardera avec les mêmes yeux, presque étrangers et qui jugent, que ceux de son Dick Heldar revenant de Haute-Egypte, — des yeux habitués aux grands espaces, à la toute-puissante lumière où la vie et la mort semblent plus amples et plus simples.

Ce voyage achève de lui montrer le monde, et ce qu’y sont, ce qu’y ont fait les hommes de sa race. Route à l’Est cette fois, avec escales à Rangoon, Moulmein, Penang (où il apprend, dans les mess, les clubs, les histoires de la récente guerre birmane), et puis à Singapour, Hong-Kong, — et chaque fois, comme jadis sur la route de l’Ouest, reparaît « le vieux haillon » aux croix de trois couleurs. Il arrive au Japon, où sa langue est la seconde langue : il l’entend d’abord sur les quais de Yokohama, chez les phoquiers de Frisco, de Glascow, de Vancouver, dont il contera de terribles histoires. Et puis, sur un grand navire canadien, il traverse le Pacifique. Coloniaux à bord, fonctionnaires de l’Inde, Écossais de Manille, Américains de Californie, missionnaires de Londres ; et, au fumoir, ces anecdotes qui sont la monnaie de la vie sociale chez les Anglo-Saxons, et supposent l’univers anglo-saxon.

En Amérique, il retrouve cet univers. Sans doute, bien des choses l’y étonnent : le rythme précipité de la vie, une insouciance, un désordre apparents, des âmes tournées vers le dehors et soudain traversées par des, courants d’émotion collective, une inquiétante instabilité nerveuse, un certain cynisme de l’humour, une certaine fanfaronnade, une étrange grandeur de la conception et de l’entreprise, une âpreté générale aux affaires, d’admirables élans d’altruisme enthousiaste, et, suprême contraste avec la roideur britannique, la faculté d’improviser et de s’adapter à tout. Mais, tout de même, ce n’est là qu’une variante de l’humanité anglo-saxonne, comme, par l’effet du climat sec, de conditions analogues de vie, il s’en prépare en Australie, au Cap, au Canada. Une espèce nouvelle, issue de l’ancienne. Même langue, même religion, même littérature, mêmes ancêtres. C’est d’Angleterre qu’était venu tout le germe de cette civilisation : individualisme, conscience puritaine, Bible et libre concurrence, self government du groupe comme de l’individu. Et si la matière humaine commençait déjà de changer, affluant maintenant de l’Europe continentale, le germe originel continuait d’agir et de déterminer le type. Dans ce monde américain, Kipling reconnaît une œuvre de sa race, et c’est en le traversant qu’il conçoit l’une des grandes idées de sa poésie. Cette idée, il la définit au courant de la plume, dans une de ses lettres au Pioneer, avec la gaité de la jeunesse en liberté, avec l’humour d’un Anglais que l’Amérique met en verve un peu comme Marseille nous amuse. Mais c’est sa mission même qui lui apparaît quand il écrit les paroles suivantes :


Il faut que naisse un poète qui donnera aux Anglais la vraie chanson de leur terre, — laquelle est environ la moitié du monde. Reste donc à composer la plus grande de toutes les chansons, la Saga des Anglo-Saxons autour du globe, un péan qui combinera le lent, terrible mouvement du Chant de Guerre de la République (si vous l’ignorez, faites-vous chanter cette mélopée-là) avec celui de Britannia n’a pas besoin de remparts ; le bourdon du Grenadier Britannique avec le rythme de ce parfait pas redoublé : A travers la Géorgie ; et, pour terminer, la lamentation de la Marche Funèbre. Car nous, oui, nous-mêmes, qui partageons entre nous le monde comme ne firent jamais les dieux, nous sommes mortels en nos êtres particuliers. Qui est-ce qui veut signer le contrat ?


Ces lignes sont de l’été de 1889. En automne, il est à Londres, et de sa haute fenêtre, au-dessus de l’Embankment, il voit l’infini serré des petits toits noirs se perdre au loin dans la brume, comme un banc de madrépores dans le trouble de l’ombre sous-marine. Mais à l’Est, par-dessus les étendues de brique fumante, on devine de hautes croix fantômes, des mâts, des vergues, suggérant les au-delà du globe et les lointains trafics. Non loin, au long de la fuligineuse Tamise, règnent les tours gothiques du Parlement, portant haut l’étendard dont les fières couleurs fondent, s’engrisaillent dans l’espace. Et par derrière, c’est Westminster, — sanctuaire de la race, où dorment les poètes et héros de l’Angleterre, les rois-chevaliers du moyen âge, — « l’Abbaye qui fait que nous disons Nous. »

Rudyard Kipling est là au cœur ancien du monde anglais, au centre d’où s’est épandu peu à peu l’Empire. Et l’année suivante, en 1890, il a déjà écrit la Chanson des Anglais.


II. LA POÉSIE DE L’IMPÉRIALISME

Des Anglais : il faut s’arrêter à ce dernier mot. En un temps où l’on commence, de l’autre côté du détroit, à ne plus parler d’Angleterre, England, mais de Bretagne, Britain, où c’est le terme British qui désigne officiellement les sujets de la Reine, Kipling ne dit jamais que les Anglais, — the English. Et ce mot, il le prend tantôt dans le sens le plus large, puisqu’il en étend la portée aux « Cinq Nations, »[8] et même, dans le passage qu’on vient de lire, à la population principale des États-Unis, — tantôt dans le sens étroit, celui que Gallois, Irlandais, Écossais, surtout, ont peu à peu imposé à la langue en insistant pour qu’on n’appelât plus de ce nom l’ensemble, mais seulement l’un des peuples de Grande-Bretagne. Mais c’est entre tous, le peuple politique à qui le pays doit son principe organisateur, sa force d’action et d’expansion ; et l’étranger ne s’y trompe point, qui persiste à dire Angleterre pour tout le Royaume-Uni. De là cette double signification que le poète, sans illogisme, peut prêter à la fois au même vocable. L’idée, c’est que si les Cinq Nations comprennent des races diverses, les Anglais les ont construites, qu’elles sont œuvre anglaise, — anglaises de formation, de type et de culture ; c’est que son Empire, l’Angleterre le doit au descendant de l’Angle, du Saxon, du Northman — yeoman, fermier, squire, marchand, navigateur, — à l’homme lent, patient, pratique, tenace à l’effort, résistant à l’ennui, religieux et respectueux de la Loi, l’homme dont Carlyle a célébré la prise sur la matière, les vertus de silence et de discipline spontanée, — celui que de Foe nous a montré ne tirant que de soi son courage, sa résistance et son activité, opposant son labeur à la solitude, lisant la Bible et colonisant, se créant de ses mains son home et le perfectionnant toujours, et, parce qu’il a su s’imposer une loi, parce qu’il est non seulement son maître, mais maître de soi-même, finissant par devenir le maître des choses dans son ile.

Tel est le type que, depuis Meredith et Matthew Arnold, l’on oppose, de l’autre côté du détroit, au cette artiste et loquace, fantasque et sensitif, à la race qui a créé le plus aérien et le plus magique de la poésie anglaise, et que, si longtemps, on a définie impratique (on découvre aujourd’hui que dans le domaine des faits, elle pourrait être en train de prendre sa revanche.) « Celte et Saxon, » Kipling fait la même distinction que le grand romancier gallois[9]. Et l’on peut dire que si, dans la littérature d’outre-Manche, Meredith apparaît comme le champion du Celte, c’est de l’Anglais, du Saxon (Saoz, disent encore nos Bretons), que Rudyard Kipling est le poète et le porte-voix[10].

Jusqu’à quel point le type ainsi nommé est-il vraiment ethnique, comme on le croit en général, et non pas simple produit de culture ? C’est un fait qu’il prédomine, avec la complexion claire, dans l’Est de la grande ile, où les envahisseurs ont abondé. Mais il semble bien aussi que ses caractéristiques morales sont allées se renforçant, lorsque sous l’influence des historiens, romanciers, moralistes, on en a pris conscience, lorsqu’elles sont apparues comme nationales, et que vers cette nouvelle idée de perfection, l’opinion, l’éducation, les mœurs, se sont orientées. Ce n’est qu’au XIXe siècle que l’Anglais s’est fait généralement, et de parti pris, si anglais (au XVIIIe, il veut être un « homme de sentiment, » et il exprime très bien ses émotions)[11]. C’est alors que s’est établi chez lui, aux dépens de certaines valeurs esthétiques et intellectuelles, le culte de la santé et de l’action, le prestige de l’homme fort, de regard tranquille, de parole et de gestes rares, qui peut commander parce qu’il est dressé à se commander, et que l’idée de ses consignes le possède. Mais souvent, sous l’apparence apprise et unie du gentleman moderne, comme sous la patience et le flegme primitifs, se cachent ou dorment de profondes, dangereuses énergies, de rêve, de passion, qui peuvent soudain surgir pour jeter l’être aux âpres voluptés du risque, de l’aventure et de la bataille.

Voilà l’homme à fond de Berserker, que Kipling, comme Carlyle, a vu dans l’Anglais proprement dit, voilà le coureur d’Océan et l’obstiné pionnier qui a porté partout avec lui l’entreprise anglaise et l’instinct de la ruche anglaise. Et voilà le bâtisseur de l’Empire[12].


L’Empire, il est à son apogée, à l’époque où Kipling en devient le révélateur. Les poèmes des Sept-Mers furent écrits de 1890 à 1896, et c’est presque l’intervalle qui sépare les deux jubilés de la reine Victoria. La célèbre Prière pour la fin du Service (Recessional, 1897), qui clôt le volume des Cinq Nations, devrait figurer dans la même série : c’est la date de l’apothéose. Alors, parmi les couleurs et les fastes de l’Orient, aux acclamations des peuples de l’Empire, aux tonnerres de la plus puissante flotte que le monde ait jamais vue rassemblée, culmine le règne qui, depuis un demi-siècle, n’a donné à l’Angleterre que des bonheurs, un accroissement continu de richesse, de territoires et de prestige.

Deux ans plus tard, les ombres commenceront de descendre, lourdes tout de suite, avec les premières défaites de la guerre du Transvaal ; et l’année suivante, c’est dans ce noir nuage que s’évanouira le soleil victorien. La guerre s’achève, mais des doutes, inquiétudes, subsistent, se généralisent. Les fondations morales, sociales, politiques de cet énorme monde anglais sont-elles saines ? Le colosse est-il aux pieds d’argile ? Par exemple, il apparaît que le pays a perdu l’avance industrielle qui, si longtemps, lui avait assuré les marchés du monde, et Joseph Chamberlain, au cours de son ardente campagne pour l’union, douanière de l’Empire, va tenter d’ouvrir tous les yeux. Concurrence allemande pour la quantité de la production, concurrence américaine pour les prix de revient. Dès 98, les plus clairvoyants ont aperçu la menace qui se prépare à Berlin, l’intention de défi pour la maîtrise des mers. Un peu plus tard, c’est le progrès soudain du socialisme, l’importation du syndicalisme révolutionnaire, cependant que, chez les nouveaux maîtres de la pensée, l’esprit critique apparaît et se prend aux mœurs, préjugés, croyances, traditions, institutions qui composent l’essence la plus anglaise de l’Angleterre, son principe organisateur, celui qui depuis si longtemps agit sur chaque génération pour lui imposer la forme, la structure d’âme nationale. Et depuis ces premiers doutes, quelles autres et presque tragiques anxiétés, quelles visions du désaccord entre les formes réalisées et les réalités environnantes !

Mais à l’époque où Kipling parait et grandit si vite, l’adaptation semble achevée, définitive. Sauf chez quelques esprits très lucides, nul pressentiment. Fin radieuse d’un grand âge, mais rien n’annonce que c’est une fin. Le prestige de la couronne est sans pareil ; la reine, l’objet d’une vénération quasi religieuse. Les institutions, les rites, tout l’ordre ancien sont incontestés. Le prestige des Lords et des Communes est intact, et leur essence encore oligarchique. Le gentleman règne. Par un Gladstone, un Ruskin, un Tennyson, la grandeur spirituelle de l’époque antérieure se prolonge. Les magnifiques soldats rouges, de tenue si précise et si fière, sous les vieux drapeaux qui portent les noms de Vittoria ou de Ramillies, ont un aspect de force incomparable. Dans les statistiques de production industrielle et de commerce, l’Angleterre est loin devant tous ses concurrents Sans méthode, sans système, elle a continué d’élargir la place qu’elle occupe sur la planète : l’Egypte, la Birmanie, Zanzibar viennent encore, et presque sans que son peuple y fit attention, de s’y ajouter.

Voilà le patrimoine toujours et naturellement grandissant auquel naît chaque Anglais, qu’il reçoit comme l’enfant le domaine natal, sans y penser, à la façon anglaise, et que Kipling entreprend de chanter. Il s’agit d’en révéler à cet Anglais la grandeur et la beauté — O goodly us our heritage ! entonne le poète avec l’archaïque liturgie de l’Eglise d’Angleterre, — de lui dire la noblesse du titre qui s’y attache, et que ce domaine épars est une patrie, laquelle impose des devoirs. Dans un pays que l’étranger juge imbu d’orgueil national (mais le mot « nationalisme » n’y a de sens qu’en Irlande), c’est un fait singulier qu’un tel enseignement soit nécessaire et semble nouveau. On ne parle guère de patriotisme chez les Anglais ; l’école même n’en dit rien, peut-être parce qu’on prononce difficilement les grands mots, et que les mœurs, l’opinion découragent l’expression du sentiment. On en parle si peu qu’on a pu croire à de l’indifférence, et que Kipling, comparant ce mutisme aux chants, discours, ardentes et vibrantes formules qui traduisent tous les jours, aux États-Unis, la religion de la Patrie, la foi dans son idéal propre et ses destinées, Kipling, en 1889, accusait la plupart des bourgeois de l’Île « de ne voir dans la patrie qu’une abstraction ou bien une institution commode, quelque chose comme une coopérative pour se procurer des policemen et des pompiers… Quant à la populace, elle vous rirait au nez si vous lui parliez d’un devoir envers le pays[13]. »

Bien entendu, il exagérait. Mais il semble que chez les très vieux peuples, le sentiment individuel de l’attache au groupe a fini par s’intégrer dans l’être organique et profond ; il y est si bien descendu qu’il n’apparaît plus, qu’il s’ignore dans le quotidien de la vie. C’est dans les patries récentes qu’il aspire à s’affirmer et se propager, comme la religion d’un néophyte, et devient alors sujet d’enseignement et de lyrisme. C’est l’Italien, l’Allemand, l’Américain, le nouvel Américain surtout, qui s’exalte lyriquement de son patriotisme. Fixé dans son pays par mille ans d’histoire en milieu clos, passé presque à l’état d’espèce, l’Anglais se contente d’être Anglais. Plus il l’est fortement, et moins il y songe. Il y a vingt-cinq ans, dans sa quiétude accoutumée, le peuple qui s’est lui-même appelé Bull était encore John Bull, fort ignorant du monde extérieur, comme le taureau est le taureau et ne connaît que son propre univers. Il ne se comparait pas autrui, il ne connaissait, n’imaginait pas autrui, ce qui souvent désobligeait, passait pour dédain, égotisme, égoïsme, et n’était qu’insulaire ingénuité. À peine, en ces jours heureux, voyait-il sa personne à part au milieu des nations. Il fallait une résistance, un heurt, celui d’une volonté barrant à son habitude ou son simple appétit le chemin d’un pâturage, pour l’éveiller à la conscience de son être distinct. Mais devant une telle opposition, avec quelle force il se posait ! Avec quelle unanimité, en toutes les âmes de ce peuple, surgissait le patriotisme latent ! Alors sonnaient les Rule Britannia, les By Jingo ! les Hearts of Oak, et le Tow row wow du British Grenadier. Ces sursauts se faisaient de plus en plus rares : chaque fois, depuis 1854, tout s’était si vite arrangé ! Avec de telles éclipses du sentiment national, le danger, que Kipling a toujours vu, c’est que, devant un ennemi secret, attentif et rapide, l’instinct de défense s’éveille trop tard, et, le combat s’imposant soudain, se trouve désarmé.

Quant au patriotisme de l’Empire, en 1890, il n’en était pas question. On ne concevait même pas l’Empire. Et parce qu’on ne le concevait point, parce que personne ne l’avait voulu, prémédité, on peut dire qu’il n’y avait pas d’Empire, sauf dans l’Inde, où Disraeli, pour naturaliser le Souverain, et en accroître le prestige, avait inventé de proclamer la vieille Reine Kaisar i Hind, comme les Mogols. L’Empire indien existait, on ne parlait pas d’un Empire anglais. Non seulement le mot ne répondait à rien d’organique ou simplement d’organisé (et c’est encore le cas aujourd’hui), mais il ne signifiait aucune réalité morale, nul ensemble dont un lien spirituel assurât l’unité. Il y avait la Grande Bretagne et ses « possessions ; » il y avait de grands pays qu’on appelait toujours colonies (on a dit Dominions en 1907, pour supprimer toute idée de tutelle ou vasselage), — de fait non moins autonomes que la métropole. Entre ces peuples et la patrie mère, le lien sentimental était si faible que chacun semblait voué au même destin que les colonies d’Amérique : à la séparation. Fin logique, et que tout le monde avait prédite quand le Canada fut émancipé, au début du règne de Victoria. Et en effet, on avait déjà vu ce pays menacer de s’allier aux États-Unis ; l’Australie opposer à l’immigration des barrières qui, de fait, excluaient les ouvriers britanniques aussi bien que les Jaunes. Contre la concurrence industrielle de la métropole, les Dominions se protégeaient efficacement par des tarifs. Telles semblent, vers 1886, l’indifférence et l’indépendance de chacune, que M. Chamberlain pronostique à cette date que « si l’Angleterre se trouve jamais engagée dans une guerre, elles partiront à la dérive et finalement se détacheront pour toujours. » Et ces prophéties ne scandalisaient pas. Simplement, l’Angleterre avait essaimé. Chaque essaim s’était fait sa ruche, du même type que la ruche-mère, et qui, grandissant, vivait de plus en plus sa destinée propre. Et on le croyait, on le répétait : c’est parce qu’ils n’avaient rien prémédité, rien organisé systématiquement » parce qu’ils s’étaient répandus selon les modes naturels, par l’activité de l’individu, portant en soi, avec l’expérience, avec l’habitude et l’instinct de l’espèce, le principe de la ruche, que les Anglais tenaient une si grande place dans le monde[14].

Le sentiment de la famille est aussi de la nature, mais il a besoin d’être entretenu. Il n’est pas très actif en pays anglo-saxon, où l’on vit surtout dans l’immédiat et le pratique, où les plus proches se séparent si facilement pour essayer au loin leur fortune, et puis s’oublient. De type et de civilisation, ils demeurent anglais, mais le milieu nouveau les prend vite, et bientôt ce n’est plus Anglais, mais Australiens, Canadiens, qu’ils s’appellent. Trait singulier chez ces peuples, où le principe qu’on nomme aujourd’hui race se produit en caractères si évidents et si forts, l’idée de race, si active aujourd’hui dans le reste du monde, demeure faible, sauf quand un instinct vital l’impose, en présence de populations de couleur ou de civilisation trop différente. L’esprit anglais ne se laisse pas influencer par une notion abstraite, et ce n’est pas où il règne qu’on trouverait une autorité, une volonté d’Etat pour la propager.

Trois ans avant la guerre dont les coups devaient émouvoir et moralement grouper les nations anglaises, près de vingt ans avant la grande guerre, voilà le service que Kipling rend à toutes, en célébrant dans les Sept Mers le sang et les souvenirs communs : il prépare la volonté de réunion. En ces poèmes (la plupart antérieurs, mais qu’il réunit alors) a sonné pour la première fois le thème de l’Empire. Il ne faut pas se tromper sur la portée de ce mot : c’est parce qu’il prête à confusion qu’on a souvent tenté de le remplacer par celui de Commonwealth. L’Empire, c’est l’assemblée des peuples anglais ; l’Impérialisme, c’est la conscience de l’Empire. Signification morale, dira lord Milner[15]. Bien entendu, en Angleterre comme ailleurs, il y a toujours eu des hommes, des partis qui rêvaient de peindre toute la carte à la couleur nationale. Mais l’idée de Kipling est claire : il s’agit dans sa poésie d’un Empire pour la défense et non pour la conquête — bientôt pour la défense contre un Impérialisme de tout autre espèce. Il s’agit non de l’hégémonie anglaise dans le monde, mais de la fraternité anglaise dans le monde. Il s’agit de se reconnaître, de fonder spirituellement les États-Unis britanniques, de ressusciter, de maintenir à travers les Océans le sentiment et le nom de la famille. Il s’agit de l’Alliance entre les frères. Rappelons-nous qu’il est « le poète d’une tribu. »


En Allemagne, c’est par des dissertations métaphysiques, d’histoire et de philologie, par des leçons de professeurs, qu’on a éveillé le rêve d’Empire et de conquête. En Angleterre, pour agir sur les âmes, il fallait des images, une poésie à la fois réaliste et lyrique, de substance toute concrète, que traversent, où se mêlent, en vivantes, émouvantes pulsations, — rythmes, bruits, couleurs, émois, ardeurs, aspirations, — les modes les plus significatifs des choses et les états les plus intenses de l’être intérieur. C’est en ses grands aspects le monde où s’est déployée l’âme anglaisé, et puis c’est elle-même, en ses caractères profonds, en ses réactions propres, que fait apparaître le poète des Sept Mers.

Il dit surtout l’épopée des Anglais, et la mer, champ de leur aventure, leur désir de l’aventure et de la mer. En des mètres où passent tantôt des rythmes lents, inévitables comme des montées et processions de houles, tantôt des tumultes et des fureurs de tempête (the yelling Channel tempest when the siren hoots and roars), tantôt des placidités immenses comme le sommeil de l’élément, en des vers gonflés d’un désir venu du fonds atavique de l’être, il évoque d’un pôle à l’autre les grandes eaux du globe, qui sont le domaine propre de la race, la part qui lui est dévolue, — the Ocean at large our share. Eaux du Nord, blanches entre les glaces, étouffées sous les rideaux de neige, eaux évanouies sous leur propre fumée, eaux grises dont l’onde nue se propage entre les granits, soulevant en silence les algues Et puis les champs lisses, les étendues planes de la Manche (the lineless, level floors) par les crépuscules sans fin de l’été ; le libre Atlantique, sa houle qui se lève, huileuse, avant la tempête ; les torpeurs éblouies de la ligne, et la bleue monotonie des Océans du Sud, où les grands voiliers, sans changer l’amure, courent le même bord pendant des semaines, sous la fuite régulière des blancs nuages de l’Alizé. Et avec la mer, voici les choses de la mer et des marins : les phares « aux genoux chargés de goémons, » aux reins battus par les bonds des glauques masses fumantes ; et, dans le silence et la nuit de l’abîme, les câbles inertes, où courent des frissons qui sont les pensées des hommes. Et voici les bateaux, « rapides navettes qui tissent le métier de l’Empire, » depuis la goélette qui lève l’ancre dans le port, et qui frémit, s’oriente dans la nuit, avide du vent, de la mer et de l’espace, jusqu’au long courrier qui peinait, il y a trois semaines, dans les brumes et les mauvais temps du sombre cinquantième parallèle, et qui maintenant, près de la splendide ceinture du monde, voit les côtes étranges glisser en féeriques décors ; — depuis le rude charbonnier souillé de fumée et de suie, jusqu’à l’aristocratique paquebot, jusqu’au destroyer de six mille chevaux qui, sous le crépuscule pluvieux de cinq heures, bas et gris dans la vague grise, porte tout droit la mort à la proie qu’il a choisie. Il n’a même pas oublié l’épave, le pauvre bateau sans âme depuis que l’homme l’a quitté, — blanchi par le sel et le soleil, roulant, pivotant, aveugle, à la merci des marées et des vagues, dans Tardant cercle bleu, et qui vire, revient toujours d’un bord à l’autre, sous les étoiles dont son beaupré ne peut pas tenir une seule.

La mer attire. C’est le champ libre où nos ardeurs de désir et de rêve s’élancent à l’inconnu. En combien d’âmes anglaises, depuis les rôdeurs de mer saxons et les Vikings jusqu’à tant de commis de la Cité, d’employés de magasin, qui regrettent l’espace entre les bâtisses industrielles, sous les fumées de l’Angleterre moderne, cette aspiration n’a-t-elle pas monté ? Le chanteur dit le rêve qui peut obséder l’homme dans la ville étouffée par les hommes (the man-stifled town). Lui-même a connu la passion de l’au-delà, l’appel de l’horizon où s’abaissent les mâtures des navires, — « ce quelque chose qui vous tourmente dans la tête jusqu’à ce qu’on lâche tout ce qu’on faisait de bon, et que, prenant le large, on voie s’évanouir les feux du port, et qu’on rencontre son pareil, le vent qui vagabonde par le monde[16]. » Alors, avec des mouvements qui rendent leurs fièvres et leurs élans, il peut louer les aventuriers de la mer, les découvreurs de terres nouvelles, et les pionniers de ces terres, vrais fondateurs de l’Empire, tous ceux-là qui ont découvert les routes, parce qu’une voix, une puissance, un besoin leur étaient venus (came the Whisper, came the Vision, came the Power with the Need) — les hommes dont les squelettes verdissent au fond de la mer, et ceux qui ont marché devant eux par la banquise, le veldt et la prairie, que la faim et la soif et le froid ont couchés sur la terre : et les Anglais, en suivant le chemin marqué par leurs ossements, sont entrés dans leur héritage[17].

Et, par-dessus toutes ces évocations, l’Empire, l’Empire achevé, les colonies, les Dominions, chacune à son tour, avec sa lumière, ses paysages, ses senteurs propres, chargées de nostalgie. Matins immobiles et sans souffle du monde austral ; voiles de fumée sur l’horizon de la brousse en feu ; immenses prairies sans clôture, où courent les ombres des nuages, où la charrue est seule dans le sillon d’une lieue, sous le vol des goélands venus des Grands Lacs ; orages, déluges, et puis pâle azur de l’Afrique du Sud, parfums du Karrou grillé ; chères et sombres nourrices de l’Inde, et leurs chansons païennes, fraîcheur des profondes vérandahs, flamboyante joaillerie de la mer tropicale, palmes dans le clair de lune, mouches de feu dans les cannes à sucre[18] ! Et déjà, dans la Chanson des Anglais, après les paroles des morts attestant leur sang versé, après les promesses des (ils, toutes les grandes cités de l’Empire sont apparues, celles d’Asie, d’Afrique, d’Amérique, d’Océanie, et chacune se proclame : Bombay, bruyante du bruissement de toutes les races dans ses bazars et de ses mille usines ; Calcutta, Puissance née du limon — de la mort entre les mains, mais de l’or ; Madras, que Clive baisa sur la bouche et les yeux, jadis couronnée plus haut que les autres reines, et qui rêve à sa gloire ancienne ; Victoria, où l’Occident se change en Orient, rivet où se noue la chaîne magique de l’Empire ; et toutes les autres qui se lèvent, se déclarent à leur tour et saluent la vieille mère, l’Angleterre aux cheveux gris, qui accueille ses enfants et leur répond :


Vraiment vous êtes du Sang, plus lents à bénir qu’à bannir, — peu habitués à vous prosterner au commandement d’autrui. — Chair de la chair que j’enfantai, os des os que j’ai portés, — durs à vous-mêmes comme le seront vos fils, rigides comme l’ont été vos pères. — Plus profond que toute parole notre amour, plus fort que la vie notre lien, — mais nous ne savons pas nous tomber dans les bras, nous n’échangeons pas de baisers quand nous nous rencontrons. — Mon bras n’a point faibli, ma force n’a point passé. — Fils, j’ai porté beaucoup de fils, mais mes mamelles ne sont point séchées. — Voyez, je vous ai fait une place, j’ai largement ouvert mes portes, — pour que vous puissiez parler ensemble, vos barons et vos conseillers, — gardiens des Marches les plus lointaines, Seigneurs des Mers au bas du globe, — oui, parler à votre grisonnante mère qui vous a tenus sur ses genoux ! — parler ensemble, face à face, frère à frère, — pour le bien de vos peuples, pour la fierté de la Race. — Et nous voulons nous faire une promesse. Aussi longtemps qu’en nous durera le Sang, — je saurai que votre bien est le mien, vous sentirez que ma force est la vôtre, — afin qu’au jour d’Armaggedon, à la dernière de toutes les grandes guerres, — notre Maison se tienne toute, et que n’en croulent point les piliers[19].


Ces vers sont de 90. Ils appartiennent au premier poème des Sept Mers, qui paraissent en 96. De 99 à 1902, se déroule la guerre du Transvaal qui n’est pas la grande guerre, l’Armaggeddon annoncée dès la Chanson des Anglais. Mais à l’Empire elle révèle son âme collective, et dans l’émoi qui les traverse toutes, les « Cinq Nations » se sont reconnues sœurs. Au lendemain de la crise, Kipling publie le recueil qui s’intitule les Cinq Nations.

C’est l’œuvre précédente qui se poursuit, se développe, de 1897 à 1903, peu à peu adaptée aux nouvelles évidences qui posent autrement au monde anglais les questions de vie et de salut. Au commencement, rien de changé : le règne victorien reste aussi calme et beau ; il culmine avec le second Jubilé et se poursuit encore. Le poète peut répéter les mêmes thèmes : la mer, les navires, les soldats, les émigrants, les explorateurs, l’appétit de l’au-delà, la patiente lutte contre le désert, contre la famine, la peste et l’inondation, la tenace entreprise anglaise d’ordre, d’éducation et de justice dans le vieil Orient décrépit, le dévouement anglais aux tâches de l’homme blanc[20].

Mais avec la tourmente du Transvaal, les points de vue se déplacent, d’autres mots d’ordre s’imposent. L’union spirituelle des peuples anglais accomplie, plus n’est besoin, en exaltant l’Empire, d’en stimuler le rêve. Finies les musiques vibrantes qui veulent éveiller la fierté du sang. Chez ce poète qu’on appelle impérialiste, voilà un trait notable : la guerre n’excite pas un geste belliqueux, pas un mot de haine ou de défi à l’adresse de l’adversaire. Du rude et patient adversaire, il parle gravement, avec respect[21], et de la dévastation, comme d’une folie organisée, un rêve sanglant, après quoi, il n’est pour les anciens ennemis que de se donner la main « afin de réparer le tort fait aux vivants et aux morts, » et puis, ensemble, combattre les ennemis de toujours : la grêle, la gelée, la crue, le rouge et bruissant nuage qui porte l’essaim de sauterelles large d’une demi-lieue ; ensemble, de s’efforcer aux saintes guerres sans trêve, entre les semailles et la moisson, pour que la beauté des blés couvre le mauvais rêve et la haine[22]. »

Et quand il est question de l’Angleterre, l’attitude est le contraire de l’orgueil impérial. Il ne s’agit plus de chanter la Chanson des Anglais, mais de préparer les Anglais réunis aux dangers d’une tout autre guerre, et, à cette fin, de leur dire leurs faiblesses, qui sont leurs fautes, de les inquiéter et contraindre à leur examen de conscience. Ici « le poète de la Tribu » commence d’en devenir le prophète, un prophète comme ceux de l’antique Israël : juge d’abord, juge de son peuple oublieux de la Loi, et qui lui parle sans indulgence, le retourne vers les éternelles vérités. Il l’interpelle avec l’accent véhément et direct, la force autoritaire et nue que l’Anglais nourri de Bible associe à l’idée de l’absolu moral et de la religion ; Tel de ces poèmes est une flagellation comme Isaïe en infligeait aux tribus oublieuses. Il n’est, en notre temps, que l’Angleterre (peut-être parce qu’elle est si forte et sûre de soi) pour permettre à ses fils un si libre, audacieux langage. Déjà Carlyle, Ruskin, qui furent aussi des prophètes, et reconnus, avaient châtié leurs compatriotes de tels scorpions. Mais l’opération semblait moins préméditée. Ici le fouet est appliqué de parti pris, longuement, de la savante et presque sanglante façon qui doit laisser sur une forte peau une impression durable. Quelle satire plus sanglante du peuple anglais endormi en ses habitudes et des préjugés séculaires, en son bien-être traditionnel et son illusion de sécurité, que le poème qui s’appelle les Vieillards ?[23]


Parce que nous avons un souffle dans notre bouche, parce que nous croyons qu’il est une pensée dans notre tête, — nous poserons que nous sommes vivants, alors qu’en réalité nous sommes morts… — Nous ne reconnaîtrons pas que de vieilles étoiles s’évanouissent, que des étoiles étrangères ont surgi, — qu’avec de nouveaux compas de nouveaux hommes s’aventurent sous de nouveaux cieux. — Nous ramasserons les cordes qui entravèrent notre jeunesse pour en lier les mains de nos enfants. — Nous demanderons à l’eau qui a passé sous les ponts de refluer en arrière pour arroser nos champs. — Nous attellerons des chevaux (les pâles, les propres chevaux de la mort), et, suivant les règles, nous labourerons les sables. — Nous nous coucherons sous le regard du soleil en disant qu’un falot nous manque pour éclairer notre chemin. — Nous nous lèverons à la fin de la journée, et nous bégayerons : « Voici qu’il fait jour ! » — Nous attendrons que la bataille soit gagnée pour pousser nos bidets dans la mêlée.


Quel sens ont failli prendre un jour ces derniers mots ! C’est ici, traduit dans le véhément langage du poète, plus menaçant et précis, l’avertissement que le futur George V, au retour de son voyage à travers l’Empire et de sa revue de ses peuples, donnera aux Anglais de l’Ile : Wake up England ! Kipling appartenait à l’Empire. Il avait toujours vu les Insulaires avec des yeux très différents des leurs. Il avait dit leurs vertus ; mais comme il savait leurs défauts, — qui sont ces mêmes vertus quand elles ne s’accordent pas aux nécessités ! — leur lenteur que l’on admire quand elle se manifeste en patience, leur asservissement à l’habitude, qu’on appelle aussi respect de la tradition, leur impuissance à s’adapter, — qui se confond à leur puissance à résister, leur suffisance, enfin, qui peut se traduire en insuffisance ; mais c’est leur certitude et leur fierté. Il s’agissait d’émouvoir cette Angleterre qui méprise l’émotion, d’ébranler « le peuple taureau, » de lui ouvrir de force les yeux, et, comme l’avait entrepris déjà plusieurs fois Kipling — il avait dit la difficulté de la tâche, mais il en savait l’art, — to make the Britisher sit up. Il s’agissait de lui enfoncer, à ce peuple, de le forcer à digérer et assimiler la « leçon, la phénoménale leçon, » que les fermiers boers venaient de lui administrer, « non pas sous les arbres, ni à l’ombre d’une tente, mais en grand, avec une plénitude inconnue à tout autre pays, à travers onze degrés d’un continent nu et brun, » — « l’impériale leçon » dont les effets devaient retentir, « non seulement dans les camps étonnés, mais dans le conseil du Roi, dans l’Eglise, à l’Université, sur tout le monde obèse des vieilles choses jamais discutées qui nous surchargent et nous étouffent[24]. »

Cette « leçon, » que les Vieillards présentaient en termes généraux, apparaît plus complète, plus précise et plus impitoyablement énoncée encore dans Les insulaires, — et cette fois, c’est non seulement l’accent, mais souvent le vocabulaire même et les âpres gestes de la Bible :


Nul doute que vous ne soyez le Peuple, — votre trône plus haut que celui du Roi. — Qui parle en votre présence doit dire des choses agréables, — baissant la tête en adoration, pliant le genou dans la crainte…

Derrière les barrières élevées par vos aïeux vigilants, derrière le cercle de vos mers de plomb, — longtemps vous avez passé vos jours dans la tranquillité ; longtemps vous êtes restés couchés à votre aise, — si bien que vous disiez de la Bataille : « Où est-elle ? » — et du Sabre : « Il est loin de notre vue ! » — Vous vous êtes fait un amusement de vos légions diminuées, un joujou de vos hommes en armes, — vous avez fermé vos oreilles à l’avertissement ; vous n’avez point voulu voir ni prendre garde. — Vous avez préféré votre repos au labeur de vos soldats, vos appétits de plaisir à leur nécessité… — Vous avez marchandé vos fils au service, refusé vos champs à leurs tentes de campement, — les obligeant à glaner sur la grand’route la paille pour les briques qu’ils vous apportaient, — les forçant à chercher dans les chemins détournés le métier que jamais vous n’aviez enseigné. — Alors fut déchaîné le Jugement, alors se révéla votre honte — sous les coups d’un petit peuple peu nombreux, mais expert à tenir la campagne. — Tandis que vos hommes forts applaudissaient, vos adolescents partaient pour la guerre, — fils de la cité bien close, non préparés, non dressés, incapables. — Vous les poussiez, incultes, dans la bataille, comme incultes vous les aviez ramassés dans la rue. — Que pensiez-vous qu’ils accompliraient ? L’art de la guerre leur viendrait-il en un souffle, — le savoir, par occasion, à la première vue de la Mort surgissant au loin ? — et vous dressez les chevaux et les chiens que vous nourrissez, et dont vous savez le prix. — Les botes sont-elles plus dignes que les âmes de vos sacrifices ? — Mais vous disiez : « La valeur se manifestera. » Mais vous disiez : « La fin est proche. » — Et vous leur envoyiez des bonbons et des images pour les aider à terrasser vos ennemis. — Et vous vantiez votre puissance. Et vous étaliez votre orgueil de fer, — avant de vous en aller mendier aux peuples cadets leurs cavaliers et leurs tireurs. — Alors vous êtes retournés à vos hochets, alors vos âmes se sont satisfaites — au spectacle de vos joueurs : les benêts en vêtements de flanelle défendant les trois pieus du cricket, — et les nigauds crottés gardant les poteaux du foot-ball…


Ce dernier trait fut le plus sensible. Je m’en rappelle l’effet, et presque le scandale, quand le Times, en 1902, donna Les Insulaires (le plus grand des journaux anglais publiait alors en première page ces solennels appels du poète à la nation). Pour la première fois, un Anglais parlait avec dérision de ces jeux anglais qui passent pour une discipline nationale, et qui contribuèrent presque à l’égal de la Bible, au XIXe siècle, à imprimer à chaque génération la forte marque anglaise[25]. Wellington n’avait-il pas dit que Waterloo fut gagné sur les terrains de cricket d’Eton, et quatre ans auparavant, Kipling n’avait-il pas donné ces mêmes jeux pour un des secrets, inintelligibles aux peuples sujets, de la maîtrise anglaise[26]. Seulement, il y avait eu la leçon, l’impériale, la phénoménale leçon, dont le prix payé n’était pas supérieur au profit, — mais il fallait en profiter. Dans la crise récente, la maison de l’Angleterre s’était révélée plus vétuste qu’on n’avait cru. Contre une bien autre épreuve, dont la menace, en 1902, commençait d’apparaître, il ne suffisait pas d’ajouter telle défense au logis. C’est à ses fondements mêmes qu’il se fallait prendre, à des principes indiscutés jusque-là, par exemple au principe sacro-saint de la « liberté du sujet, » qui, d’avance, s’opposait dans les esprits à toute idée de conscription. Difficile entreprise, dans un pays où ce principe est un sujet ancien d’orgueil, où le poids de l’habitude est si lourd, surtout quand nulle classe n’y est spécialement intéressée, quand nul parti n’y veut risquer sa popularité. Douze ans plus tard, il fallut autre chose que la menace : le péril immédiat de mort, pour imposer une telle réforme. En 1902, l’idée que lance Kipling ne peut lever, mais tout de même, c’est un germe, et ses rudes coups préparent le terrain.

De tous les écrivains anglais de son temps, lui seul pouvait oser un tel langage. Il y avait quelque part un poète lauréat, successeur officiel de Tennyson, mais le poète national, et reconnu pour tel depuis son poème religieux du Jubilé, c’était lui. Et il l’était, non seulement pour avoir conçu et traduit avec plus de force que tout autre l’idée de la race, de la patrie et de l’Empire, mais parce que nul n’avait si complètement incarné l’élémentaire et l’essentiel de l’âme anglaise. Tennyson en avait présenté certains traits, et son Ode sur la mort du duc de Wellington, célébrant, non la gloire du héros, mais sa fidélité muette au devoir, avait excité un courant d’émotion presque comparable à l’effet du Recessional. Mais son art, si littéraire et raffiné, si mêlé d’éléments classiques, celtiques, pouvait bien émouvoir la bourgeoisie, non pas le dessous profond et simple du pays. Au contraire, beaucoup de poèmes de Kipling ont touché jusqu’aux soldats et marins, jusqu’aux commis et boutiquiers, jusqu’aux settlers du Veldt et du Far West. Sans doute, tout, chez lui, ne procède pas du fond primitif. Beaucoup de ses inventions sont de la poésie réfléchie, quelques-unes compliquées, abstruses, et qui participent de la prose, parfois d’une obscure prose. Mais quand l’idée est spontanée, elle est claire et se produit dans un rythme inévitable et de force encore inconnue. Alors elle se propage loin, parce que d’essence, d’expression, de mouvement, elle s’accorde aux tendances les plus profondes et générales d’un immense public. Il faut voir de quelles énergies d’âme, de vision et de foi elle tire alors ses pouvoirs.


ANDRE CHEVRILLON.

  1. Les Songs from Books (Toronto 1912, Londres 1913) réunissaient des chansons qui font partie des contes et nouvelles, par conséquent déjà publiées en volumes et connues de tous les lecteurs.
  2. In the Neolithic Age, dans les Seven Seas.
  3. Wee Willie Winkie.
  4. V. aussi Baa-Baa Black Sheep, dans Under the Deodare.
  5. Nous n’avons pu toujours traduire la lettre de ce fragment, les répétitions concertées nous obligeant à garder quelque chose du rythme.
    Il est clair que l’École anglaise, telle qu’elle apparaît dans ce poème et dans le roman de Kipling, Stalky and Co, se rattache à tout un système social spontanément développé au cours de l’Histoire, et où certaines idées dominent à l’exclusion des autres. Une civilisation, comme une forme organique, comme une œuvre d’art, est un parti pris. L’École anglaise ne saurait donc se comparer à l’École française, qui fait partie d’un autre système. Quelque chose de la différence de principe des deux cultures peut apparaître au cours de cette étude.
  6. The Tomb of his Ancestors, dans The Day’s Work.
  7. Le père de Rudyard Kipling était conservateur du musée de Lahore.
  8. Angleterre, Afrique du Sud, Nouvelle-Zélande, Australie, Canada.
  9. Celte et Saxon : titre d’un roman posthume de Meredith.
  10. Sur l’opposition du Celte et de l’Anglais, v. The Puzzler dans Songs from Books.
  11. La sensibilité, l’expression de l’émotion ont gardé leur valeur sociale chez les Américains, qui, à certains égards, sont restés des Anglais du XVIIIe siècle.
  12. Sur cette puissance d’inhibition de l’âme anglaise, voir surtout Et Dona Ferentes, dans The Five Nations.
    Sur les Anglais : Les hommes en haut de forme à reflets, en longues redingotes, les hommes qui ne se battent pas en duel, les hommes qui se battent avec des votes, les hommes qui prennent leur plaisir comme saint Laurent prenait son gril.
    Sur la colère anglaise : La violente rage comprimée qui ronge en dedans
    Sur l’éducation anglaise : O mon pays, bénie soit la discipline qui règne du cottage au château, — trompe l’étranger, mais donne à tes fils leur bouclier ! — parole égale, action mesurée, âme lente, difficile à émouvoir, — jusqu’à ce que s’éveille en nous notre diable insulaire, non moins ardent quand nous le tenons sous le frein.
  13. From Sea to Sea, XXXVI.
  14. « Nowhere is the distrust of what is termed « logic » se firmly rooted as in England : a course of conduct which stands out as sharply « logical » is in itself suspect…. J. A. Hobson, Imperialism, p. 221.
  15. « It is a mistake to think of Imperialism as principally concerned with extension of territory. With « painting the map red. » It is a question of preserving the unity of a great race. » Lord Milner, The Nation and the Empire.
  16. Sestina of the Tramp Royal.
  17. Song of the Dead.
  18. The Native Born, passim.
  19. Armaggedon : on sait que c’est le nom biblique donné par les Anglais, dès le mois d’août 1914, à la Grande Guerre. Ce mot se trouve dans l’Apocalypse XVI, 16.
  20. Pharaoh and the Sergeant (1897. Kitchener’s school (1898).
  21. General Joubert (1900).
  22. The Settler (1902).
  23. The Old Men (1902).
  24. The Lesson (1902).
  25. Il est d’ailleurs évident que Kipling attaque ici les jeux spectaculaires joué par des professionnels, et qui attirent par foules les badauds et parieurs.
  26. Kitchener’s School (1898), dans The Five, Nations.