La Poésie provençale au moyen âge/02

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La Poésie provençale au moyen âge
Revue des Deux Mondes4e période, tome 155 (p. 545-574).
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LA POÉSIE PROVENÇALE
DU MOYEN ÂGE

II[1]
LA POÉSIE POLITIQUE CHEZ LES TROUBADOURS


Raynouard : Choix de poésies originales des troubadours, t. IV et V, Paris, 1819-20. Ch. de Tourtoulon : Jayme Ier le Conquérant, roi d’Aragon, Montpellier, 1863-67. — E. Boutaric : Saint Louis et Alfonse de Poitiers, Étude sur la réunion des provinces du Midi et de l’Ouest à la couronne, Paris, 1870. — P. Meyer : La Chanson de la Croisade contre les Albigeois (Société de l’Histoire de France), Paris, 1875-79. — A. Stimming : Bertran de Born, sein Leben und seine Werke, Halle, 1879. — E. Levy : Guilhem Figueira, ein provenzalischer Troubadour, Berlin, 1880. — A. Thomas : Poésies complètes de Bertran de Born (Bibliothèque méridionale, I), Toulouse, 1888. — C. Chabaneau : Biographies des Troubadours (Extrait de l’Histoire de Languedoc, t. X), Toulouse, 1885 ; Varia provincialia, Paris, 1889. — C. Appel : Provenzalische Inedita, Leipzig, 1890 ; Provenzalische Chrestomathie, Leipzig. 1895 : Poésies provençales inédites, tirées des manuscrits d’Italie, Paris, 1898. — E. Berger : Blanche de Castille, 1895. — C. de Lollis : Vita e poésie di Sordello di Goito (Romanische Bibliothek, XI), Halle, 1896. — R. Zenker : Die Gedichte des Folquet von Romans (Romanische Bibliothek, XII), Halle, 1896. — M. Scherillo : Articles sur Bertran de Born dans la Nuova Antologia, 1er, 16 août, 1er sept. 1897. — J. Goulet : Le troubadour Guilhem Montanhagol (Bibliothèque méridionale, IV), Toulouse, 1898.


De tous les genres lyriques cultivés par les troubadours, le sirventés historique et politique est vraisemblablement celui qui a été le moins épargné par le temps. Le sirventés, quel qu’en fût le sujet, était moins estimé que la chanson, dont un caprice étymologique le faisait le « serviteur, » et les pièces où la satire personnelle se donnait carrière trouvaient plus d’amateurs que celles qui roulaient exclusivement sur les événemens historiques. Celles-ci, au bout de quelques années, avaient perdu, pour un public où le goût de l’érudition était rare, à peu près tout intérêt : aussi un grand nombre d’œuvres de ce genre, parmi lesquelles il y en a de premier ordre, ne nous ont-elles été conservées que par un unique manuscrit, et n’ont donc échappé à la destruction que par une sorte de miracle.

Nous en jugeons tout autrement que le moyen âge, et nous donnerions volontiers bien des chansons d’Arnaut de Mareuil ou même de Guiraut de Bornelh pour quelques coblas de Bertran de Born ou de Peire Cardinal. Nous accueillons en effet avec enthousiasme tout document qui peut remédier à l’insuffisance des chroniques, si sèches, si impersonnelles, si peu soucieuses de nous faire pénétrer dans l’âme des contemporains. Mais les sirventés mêmes des troubadours sont-ils vraiment l’écho de la conscience publique ? C’est ce dont ne paraît pas douter Augustin Thierry : « Les chants des trobadores, écrivait-il en 1825, circulant rapidement de château en château et de ville en ville, faisaient à peu près au XIIe siècle l’office de papiers publics. L’influence de l’opinion publique et des passions populaires se faisait sentir partout, dans les cloîtres des moines comme dans les châteaux des barons[2]. » C’est ce que Diez, deux ans après, répète sous une forme plus précise : « Le sirventés est, sans contredit, le genre le plus instructif au point de vue historique que nous ait légué la littérature provençale, non parce qu’il nous fait connaître quelques menus événemens négligés par l’histoire, mais parce qu’il formule les arrêts, les divergences de l’opinion et qu’il est l’organe véridique et retentissant de cet esprit public qui parle souvent plus haut que les faits[3]. » Peut-être y a-t-il, dans ces affirmations, quelque témérité. Un troubadour pouvait avoir sur les faits une opinion purement personnelle et la traduire avec d’autant plus de chaleur. Beaucoup étaient les protégés des grands, et les sentimens exprimés dans leurs vers pouvaient leur être suggérés par ceux qui étaient intéressés à les répandre. Dans quelle mesure précise expriment-ils leurs idées, celles de leurs protecteurs, ou le sentiment public ? La réponse à cette importante question se dégagera, j’espère, des pages qui vont suivre. Dans quelque sens, du reste, que le problème doive être résolu, les œuvres dont nous nous occupons n’en conservent pas moins un vif intérêt : si elles ne sont pas le reflet direct et impersonnel de l’opinion publique, elles ont pu contribuer à la former ou à la modifier ; portés sur les ailes des chansons en vogue, dont ils suivaient le rythme et la mélodie, les sirventés pouvaient obtenir une assez large diffusion pour exercer sur les événemens mêmes une certaine influence. Le fait seul que les princes en firent composer pour défendre leur politique, que parfois ils répondaient ou faisaient répondre à ceux où ils étaient attaqués, nous prouve qu’on y voyait un moyen d’agir sur les foules, que l’histoire n’a pas le droit de négliger. Il va de soi que, devant faire un choix, nous examinerons de préférence les œuvres qui se rattachent à des événemens d’une grande portée historique, — comme les croisades proprement dites ou la croisade albigeoise, — ou qui se recommandent, — comme les œuvres de Bertran de Born, — par d’exceptionnelles qualités littéraires.


I

De toutes les croisades, la première est peut-être la seule qui soit sortie des entrailles mêmes de la chrétienté. L’Europe avait vraiment entendu la voix de Dieu : contempler la ville sainte, vestibule de la Jérusalem céleste, voilà le vœu qui arrachait, des Pyrénées à la mer du Nord, le baron à son manoir, le vilain à sa charrue. Il n’est pas douteux que des chants lyriques, exprimant l’enthousiasme de tout ce peuple en marche, n’aient rythmé ses pas sur l’interminable chemin, dépeint ses souffrances, chanté sa victoire ; il est vraisemblable aussi que plusieurs de ces chants étaient en provençal, la première de toutes les langues nouvelles qui se fût élevée à l’expression poétique. Malheureusement il ne nous en est rien resté : les langues modernes n’avaient point encore vaincu les répugnances de quiconque savait tenir une plume, et on dédaignait d’en recueillir les manifestations. Nous n’avons conservé qu’une chanson latine, écho, sinon traduction littérale, d’un de ces chants en langue vulgaire[4] : une apostrophe enflammée à la ville sainte, la mention émue des prodiges dont elle fut témoin, une courte exhortation à préférer les biens éternels à ceux de la terre, voilà ce qui la remplit. Toutes ces idées sont exprimées avec une énergique brièveté ; elles ne sont ni développées, ni appuyées d’argumens d’aucune sorte, ce n’est pas là de la prédication : « On se prêchait les uns les autres de parole et d’exemple, » dit un contemporain.

Il n’en était plus de même déjà en 1147 : le grand saint Bernard lui-même, avec son éloquence enflammée et subtile, ne put renouveler le miracle réalisé jadis par un pauvre moine ignorant ; dès lors, le clergé dut, pour entraîner les princes et les peuples, multiplier les objurgations et les promesses. Les poètes se firent ses collaborateurs bénévoles. Nous avons, en dialecte d’oïl, une belle exhortation à la croisade[5], d’un style mâle et nerveux, mais où il y a pourtant, comme le remarque finement M. Lanson[6], « plus de raisonnement que de passion. » Il est étrange qu’on n’en trouve pas l’équivalent dans la poésie méridionale, plus mûre, plus développée que celle du Nord : une curieuse et touchante romance[7], où une jeune châtelaine se plaint que son ami l’ait quittée pour suivre outre mer le roi Louis, voilà le seul souvenir que la croisade de 1147 ait laissé chez les troubadours. Comment expliquer ce silence ? Par les nombreuses pertes qu’a faites, dans sa première période, la poésie provençale ? Peut-être. Il est certain aussi que la seconde croisade, quoique le comte de Toulouse y ait pris part, n’excita pas sur le versant français des Pyrénées un grand enthousiasme. C’est qu’il y avait un pays plus voisin où la valeur des chrétiens trouvait aussi une ample matière, où les barons méridionaux étaient poussés par bien des motifs, la proximité, l’espoir de fructueuses conquêtes, souvent aussi la crainte de l’envahisseur.

Vers 1137, la plupart des États de l’Europe méridionale tentèrent un vigoureux effort contre les Almohades d’Espagne, déjà menacés par les Almoravides du Maroc et, dans la Péninsule même, par les Arabes andalous : une vaste ligue, dont Alphonse de Castille était le chef, venait de se former entre les républiques italiennes, les barons français et les villes catalanes. Deux pièces d’un jongleur gascon, en même temps « soudoyer, » nommé Marcabrun, sont consacrées à la prédication de la guerre sainte : dans l’une, quoiqu’elle commence, comme un véritable sermon, par une formule de bénédiction[8], la foi s’exprime en termes saccadés et bizarres, et fait vite place à l’invective ; mais la métaphore sur laquelle elle est tout entière bâtie frappa vivement les imaginations, et, cinquante ans après, le « Chant du Lavoir » était encore célèbre : « Dieu nous a élevé de ses mains, ici près, un lavoir, non moins merveilleux que celui d’outre-mer. Avec quelle ardeur ne devons-nous pas nous précipiter vers cette fontaine dont l’eau nous fera plus nets, plus brillans que l’étoile qui guide les navires !… Mais, hélas ! Rapacité et Non-Foi désolent le monde ; le lignage de Caïn se multiplie ; les hardis, les braves suivront Dieu, mais ils sont nombreux, les débauchés engouffre-vin, presse-dîner, souffle-tison, croupe-à-terre, qui garderont les logis, où la mort, plus forte que les forts, viendra les prendre[9]. » Pour les lâches qui préféraient leurs aises aux périls glorieux de la croisade, Marcabrun n’a pas assez d’invectives. Ecoulons ces strophes, d’une éloquence étrange et farouche, qui menace et fustige :

« Laissons se déshonorer là-bas ces riches qui aiment les aises de la vie et les doux sommeils dans les couches moelleuses ; nous, ici, comme nous l’ont promis les prédicateurs, nous recevrons de Dieu, pour notre zèle, l’honneur, les richesses et les mérites.

« Rivalisant de convoitise, ils ne savent ce que c’est que la honte et croient assez faire en louant ceux qui partent. Et moi, je leur dis qu’un jour viendra où ils sortiront de leurs palais, la tête derrière et les pieds devant.

« Marcabrun frémit en pensant à Jeunesse, quand il la voit opprimée par l’amour de l’or ; mais celui-là même qui amasse avec le plus d’âpreté, quand il en viendra à son dernier bâillement, ne donnerait pas un ail de mille marcs, tellement la mort lui rendra les richesses fétides.

« Avec l’aide des vaillans de Portugal et du roi de Navarre, pourvu que Barcelone se joigne à nous, nous irons pousser notre cri de guerre sous les murs de Tolède l’impériale, fit nous déconfirons la gent païenne[10]. »

Quarante ans après, les choses avaient bien changé : il ne s’agissait plus de savoir si les Sarrasins seraient expulsés de l’Espagne, mais si les Castillans et les Aragonais ne seraient pas refoulés au nord des Pyrénées, la France même envahie. Cette fois encore, la voix des troubadours se fit entendre. Tandis que Folquet de Marseille, le futur persécuteur des hérétiques, dans un sirventés subtil, équilibrait savamment les antithèses, Gavaudan, émule de Marcabrun, jongleur comme lui, jetait aux échos, comme un retentissant coup de clairon, un appel désespéré, où s’exprime, en termes d’une effrayante énergie, une inexpiable haine de religion et de race :

« Ils sont si fiers, ceux qu’a rassemblés le roi de Maroc, qu’ils regardent le monde comme à eux. Quand ils plantent leurs tentes par les prés, Marocains et marabouts font entre eux assaut de jactance : « Francs, disent-ils, cédez-nous la place ; Toulouse et Provence sont à nous ; à nous tout l’intérieur du pays, jusqu’au « Puy ! » Entendit-on jamais si insolentes railleries dans la bouche de ces faux chiens, de cette race sans loi ? « Ne livrons point, nous, fermes possesseurs de la grande loi, ne livrons point nos héritages à ces noirs chiens d’outre-mer. Que chacun songe à prévenir le danger : n’attendons pas qu’il nous ait atteints. Les Portugais et les Castillans, ceux de Galice, de Navarre, d’Aragon et de Cerdagne, qui étaient pour nous comme une barrière avancée, sont maintenant défaits et abattus.

« Mais viennent les barons croisés d’Angleterre, de France, d’Allemagne, de Bretagne, d’Anjou, de Béarn, de Gascogne et de Provence. Réunis en une seule masse et l’épée à la main, nous entrerons dans la foule des infidèles, coupant têtes et bras, jusqu’à ce que nous les ayons tous exterminés ; puis nous partagerons entre nous tout leur or.

« Gavaudan sera prophète ; ce qu’il dit sera fait : les chiens périront, et, là où Mahomet fut invoqué, Dieu sera honoré et servi[11]. »

Mais ce sont surtout les grandes expéditions d’outre-mer, de la fin du XVIIe et du début du XIIIe siècle, qui excitèrent la verve des troubadours : les trois quarts des pièces conservées s’échelonnent entre 1188 et 1230 ; cette époque marquant précisément l’apogée de la poésie provençale, on a le droit de s’étonner que, parmi elles, il n’y ait pas plus de chefs-d’œuvre. Les seules vraiment belles peut-être sont d’un pauvre chevalier du Velay, Pons de Capdeuil, dont le nom est mêlé à une romanesque histoire d’amour, et qui alla finir, en combattant les Infidèles, une vie ballottée au flot des passions. Non point que les idées en soient bien originales, mais elles s’enchaînent bien, et la logique n’en exclut pas l’émotion : c’étaient peut-être déjà des lieux communs, mais on sent que le poète y a cru, et il les a vivifiés en y mettant toute son âme. Il commence par un acte de foi et de contrition :

« En l’honneur du Père, en qui réside toute puissance, toute vérité, du Fils, toute sagesse et toute grâce, et de l’Esprit, source de tous biens. Je crois aux trois personnes en une… et, pour tous les péchés que j’ai commis, en actions, en paroles, en pensées, je bats ma coulpe et proteste de mon repentir.

« Qu’il soit notre guide, notre sauvegarde, celui qui dirigea la marche des trois rois vers Bethléem, qui, par sa merci, nous a montré telle voie par où peuvent aller à leur salut les plus coupables ! »

Il rappelle l’absolution octroyée aux croisés par le Pape et les légats, l’infinie miséricorde de Dieu, qui pardonna à Longin, le pouvoir miraculeux de cette croix qui peut effacer le péché et « tuer la mort, » la fragilité des biens du siècle, et il termine en se mettant sous la protection de la « Vierge glorieuse, étoile resplendissante, reine pitoyable, espoir et salut des pécheurs[12]. »

À vrai dire, il était bien difficile aux chantres de la croisade de se montrer originaux : les idées qu’ils pouvaient exprimer sont de celles dont on a vite fait le tour, et la plupart étaient ressassées, depuis un siècle, dans les lettres des papes, les canons des conciles, les exhortations des prédicateurs. Elles tiendraient toutes en quelques lignes : « Jésus-Christ nous a rachetés de son sang : nous devons aussi le racheter au prix du nôtre (la chute de Jérusalem était censée faire de Jésus-Christ le prisonnier des Turcs). Que dirons-nous, quand il viendra, au jour du jugement, nous reprocher, en nous montrant ses plaies, de n’avoir pas payé notre dette ? Ce n’est pas qu’il ait besoin de nous, car il pourrait exterminer les Infidèles en envoyant contre eux les légions de ses anges ; mais, dans son infinie miséricorde, il feint d’en avoir besoin : paternel artifice pour nous forcer à faire notre salut. Quelle folie ce serait de préférer quelques années de basses jouissances à une éternité de bonheur ! Ces richesses, en effet, que nous lui préférerions, la mort viendra demain nous les arracher. Ce serait donc vraiment mourir que de vivre ici pour elles, de même que ce sera vivre que d’aller mourir là-bas pour Dieu. Le jour est donc venu où les preux vont, pour leur gloire et leur salut, se séparer des lâches. Honni celui qui hésiterait à se ranger parmi les premiers ! »

La plupart de ces idées sont fort bien appropriées à une poésie toute faite de sentimens et d’images, et nous avons déjà vu le parti qu’en avait tiré le talent bizarre, mais vigoureux, de Marcabrun. Il faut rendre cette justice aux troubadours que, s’ils n’ont pas éliminé de parti pris la subtilité ou le sophisme inhérens à quelques-unes d’entre elles, ils les ont du moins dépouillées de ce qu’elles avaient, dans les sermons, de trop scolastique, et qu’ils ont su, en les rendant accessibles à tous, leur donner parfois une expression saisissante. Le plus grand reproche qu’on puisse leur faire, c’est de ne pas les analyser assez : comme s’ils voulaient amplifier également toutes les parties d’une matière imposée, ils aiment mieux les effleurer toutes, quitte à passer de l’une à l’autre avec une hâtive brusquerie, que d’en sacrifier aucune. Dans les sirventés de la seconde époque, ceux de Folquet de Romans par exemple, elles sont jetées pêle-mêle, empilées au hasard, et, semble-t-il, uniquement déterminées dans leur succession par les exigences de la rime. On dirait des pièces de rapport assemblées sans intelligence et sans soin.

Malgré ces défauts, il n’est peut-être aucune de ces œuvres qui n’ait son intérêt. Je ne parle point de celles où l’exhortation pieuse n’est qu’un prétexte, une entrée en matière qui amène doucement l’auteur à ses thèmes favoris, Bertran de Born à l’invective, Peire Vidal aux madrigaux et aux jeux de rime : il en est d’autres, et elles sont nombreuses, où le poète s’écarte de l’antique schéma ecclésiastique, pour exprimer avec force ses idées et celles de ses contemporains. Il est, par exemple, un argument à peine indiqué par les prédicateurs, très souvent développé par les troubadours, et qui peint de façon frappante un état d’esprit qui a dû être fréquent dans la haute classe féodale : la croisade, disent-ils, offre une occasion unique de faire son salut sans renoncer aux vertus mondaines, d’associer la « vaillance » et la foi, la courtoisie et l’ascétisme. « Voyez ! dit avec quelque candeur Pons de Capdeuil : pas n’est besoin, pour obtenir la rémission de nos péchés, de raser nos têtes, et d’endurer mille privations dans quelque ordre rigoureux : il nous suffit de mettre au service de Dieu notre prouesse. » N’était-ce point une véritable aubaine que de pouvoir, comme le dit Aimeri de Péguilhan, conquérir à la fois « le prix du monde et le prix de Dieu, » la terre et le ciel ?

Ce qui nous intéresse davantage encore, c’est de retrouver ici un écho des inquiétudes et des griefs des petites gens, qui ne comprenaient point les tergiversations des grands et les soupçonnaient de nourrir des préoccupations tout autres que dévotes. Beaucoup se scandalisaient en voyant les hauts barons de France et d’Angleterre et les deux rois eux-mêmes, croisés depuis de longs mois, oublier leurs sermens en de vaines et interminables querelles : « Aveugles les rois, dit Pons de Capdeuil, s’ils continuent à guerroyer pour un peu d’or qui va leur échapper dans quelques instans !… Je voudrais, ajoute-t-il, que le roi de Pouille (Guillaume II d’Apulie) et l’empereur (Frédéric Ier) fussent amis et frères, que le roi de France et celui d’Angleterre fissent la paix : celui-là serait le plus honoré de Dieu qui le premier la ferait, et ses richesses n’en seraient point diminuées, car il serait couronné dans le ciel. » Le scandale redoubla quand on vit que l’Église elle-même cherchait dans la croisade un moyen de battre monnaie, qu’elle préférait aux trésors spirituels les biens terrestres, de belles terres au soleil, tout près d’elle, et qu’elle dérivait, vers l’Albigeois, la Provence, la Lombardie ou la Pouille, ce fleuve d’aumônes qu’elle avait fait jaillir de terre : « Ceux qui connaissent les lois et disent les leçons (du psautier) ne veulent point partir eux-mêmes ; ils aiment mieux déshériter les chrétiens que les Sarrasins félons, et, si vous leur reprochez leur avarice, ils vous traitent de pécheurs. Ceux qui prêchent les autres ne devraient-ils point se prêcher eux-mêmes ? Mais Cupidité a fait perdre le sens au clergé[13]. » Nous retrouvons, soixante-dix ans plus tard, les mêmes plaintes : « Le pape fait de pardons grande largesse aux gens d’Arles et de France contre les Allemands : libre à chacun de changer de route et d’aller guerroyer en Lombardie. Nos légats, je vous le dis, vendent Dieu et le perdent pour argent[14]. »

Le jour vint où le découragement gagna les plus dévots et les plus braves. Depuis cent cinquante ans, l’Europe s’épuisait en vains efforts pour « délivrer Dieu : » Dieu semblait ne pas vouloir être délivré. Austorc d’Aurillac lui reproche crûment d’avoir livré Louis IX et son armée aux Infidèles[15]. Quinze ans après, quand les Turcs s’emparèrent des principales villes de la Palestine, on ne douta plus que le ciel lui-même n’abandonnât la partie et ne condamnât les chrétiens : « Bientôt le moûtier de sainte Marie sera changé en Mahomerie ; mais, puisqu’il plaît ainsi à son Fils, qui devrait en souffrir, cela doit bien nous plaire aussi. Il est bien fou, celui qui lutte avec les Turcs, puisque Jésus-Christ lui-même ne leur dispute plus rien[16]. » Ce qu’il y a de caractéristique, c’est que c’est un templier qui parle ainsi : la milice même consacrée à la défense des lieux saints mettait bas les armes. Dans toute la chrétienté, c’était le même découragement : ce sont des idées analogues qui remplissent le célèbre Débat de Rutebœuf entre le Croisé et le Décroisé. Depuis longtemps, les croisades n’étaient plus, pour les princes et les grands, que de brillantes « emprises » chevaleresques ou d’aventureuses spéculations ; mais elles ne pouvaient se perpétuer que par la foi des simples soigneusement entretenue et périodiquement réchauffée : le jour où cette foi se perdit, l’ère des grandes expéditions religieuses était close.


II

Les idées, les sentimens, les images mêmes que déroulent devant nous les chansons de croisade n’étaient point particulières aux troubadours : nous les retrouverions avec de très légères différences si nous parcourions les serventois des trouvères, et les kreuzlieder des Minnesinger. Rien de plus original au contraire, rien de plus particulier à une époque et à un pays que les œuvres de Bertran de Born, qui forment le groupe de pièces historiques le plus ancien et le plus compact que la littérature provençale nous ait laissé. Ces vingt-cinq ou trente sirventés, tous écrits entre 1181 et 1194, ne se rapportent pas ordinairement à des événemens d’une très grande importance ; mais il n’est peut-être aucun document historique qui nous permette de reconstituer avec la même netteté de contour la physionomie d’un petit seigneur méridional du XIIe siècle.

Non point que celle de Bertran de Born soit fort attrayante et sympathique. Ce n’est pas seulement à défendre ses droits, à protéger son maigre domaine qu’il consacre une indomptable énergie : il aime (nous en comprendrons tout à l’heure les raisons) la lutte et la guerre pour elles-mêmes : « Quand la paix règne de toutes parts, j’ai encore un empan de guerre ; c’est la guerre qui me réjouit : je ne connais ni ne pratique autre loi[17]. »

Aussi se donne-t-il lui-même comme le fléau des pacifiques : « Je veux, dit-il en deux vers que l’on pourrait donner comme épigraphe à son recueil, que tout le temps il y ait guerre entre les hauts barons. » Non content d’animer les vassaux contre le suzerain, puis le suzerain contre les vassaux, il ne craignit point d’exciter un frère contre ses frères, des fils contre leur père : rôle odieux qui ne paraît avoir choqué personne de son temps et que Dante, le poète de la « rectitude, » a le premier flétri : « J’ai fait le fils rebelle contre le père. Achitofel n’excita point par de plus méchans aiguillons Absalon contre David. Pour avoir divisé ceux que la nature avait unis, je porte ma tête séparée, hélas ! de son principe, qui reste enfermé dans ce tronc. » Ces paroles, qui sortent d’une tête sanglante, balancée au bout d’un bras en guise de lanterne, nul lecteur de la Divine Comédie ne les a oubliées. Il n’est pas étonnant qu’une figure aussi originale ait de bonne heure attiré l’attention. Dans toute histoire de France un peu développée, Bertran de Born a aujourd’hui sa place. Il doit cet honneur à Villemain, qui a fait de lui le type du guerrier-troubadour et traduit comme il savait le faire quelques-uns de ses plus beaux sirventés ; à Augustin Thierry surtout, qui a singulièrement agrandi et, selon nous, dénaturé son rôle. Il devient, aux yeux de l’historien de la conquête de l’Angleterre, un profond politique et un ardent patriote, précurseur de nos idées modernes sur les nationalités : « Cet homme extraordinaire semble avoir eu la conviction profonde que sa patrie, voisine des États des rois de France et d’Angleterre, ne pouvait échapper aux dangers qui la menaçaient toujours d’un côté ou de l’autre que par la guerre entre ses deux ennemis. Telle, en effet, paraît avoir été la pensée qui présida, durant toute la vie de Bertran, à ses actions et à sa conduite[18]. »

Ce sont là de singulières exagérations. En admettant même que cette politique soit trop profonde pour avoir pu être comprise par les historiens du temps, celui qui l’eût représentée, âme des rébellions, arbitre de la paix et de la guerre, eût été un homme en vue : on trouverait dans les chroniques quelques traces de cette agitation, dont les résultats étaient si considérables. Or, aucun historien de cette époque, une des mieux connues du moyen âge, et par les témoignages les plus indépendans, n’en a conservé le souvenir ; le nom même de Bertran de Born n’est pas prononcé une seule fois, ni par les représentans du parti anglais, ni par ceux de la cause française ; il ne se rencontre même pas dans cette copieuse Histoire de Guillaume le Maréchal, récemment publiée, où la vie de Henri II est racontée jour par jour ; il n’est mentionné une seule fois, incidemment, que par le prieur de Vigeois, qui était son compatriote et même un peu son parent. En réalité, cette théorie ne résiste point à l’examen des faits : si Augustin Thierry eût pu lire, comme nous, Bertran de Born dans une édition complète, munie d’un soigneux commentaire, son lumineux bon sens eût empêché son imagination d’échafauder ce roman. Que nous apprennent les textes, en effet ? Le poète, en somme, n’excite point le roi d’Angleterre contre le roi de France ; c’est entre les princes anglais qu’il sème la discorde[19]. Essayait-il de les briser l’un contre l’autre pour faire place nette aux seigneurs du pays ? Non certes, mais simplement de se venger d’un prince contre qui il avait des griefs, de lui en substituer un autre, plus soucieux de ses intérêts. S’il combat Richard, c’est que celui-ci soutenait le frère déloyal que Bertran avait dû expulser du manoir paternel. Mais, quand la mort du jeune roi l’eut privé du protecteur en qui il avait mis toutes ses espérances, son premier soin fut de lui chercher un remplaçant : et ce remplaçant ne fut autre que son ennemi de la veille. Il s’avise alors qu’il est dangereux d’être brouillé avec son suzerain, surtout quand ce suzerain s’appelle Richard d’Angleterre : il accable celui-ci de paroles doucereuses, d’ardentes protestations, et obtient de lui la restitution de son château. A partir de ce jour, il ne variera plus : c’est à son seigneur légitime, c’est à Richard qu’il consacre son dévouement ; ce sont ses intérêts qu’il sert par la plume et par les armes ; il le pousse à exiger de son père de plus vastes domaines, c’est-à-dire à étendre son pouvoir sur un plus grand nombre de provinces françaises. Durant la croisade, il chante ses exploits ; quand Richard sort des prisons du duc d’Autriche, il salue son retour avec enthousiasme ; il lui dénonce les barons limousins qui ont profité de son absence pour se révolter, et il appelle sur eux toutes ses rigueurs : « Percez, lui dit-il, pendant que vous en avez encore le loisir, cet abcès dont souffre le Limousin. » Singulière parole dans la bouche d’un poète patriote !

Quelle est donc l’explication de son rôle ? Quel motif avait-il de désirer « que tout le temps il y eût guerre entre les hauts barons ? » Cette explication est très simple et il l’a donnée lui-même à plusieurs reprises. Il était pauvre, et aimait la vie large et fastueuse : force lui était bien, pour mener cette vie, de s’attacher à un maître assez riche et assez généreux pour lui en fournir les moyens. Mais, dès lors, quoique ce fût l’âge d’or de la « courtoisie, » la libéralité était rare ; déjà l’avarice, envahissant le monde, l’avait corrompu jusqu’aux moelles : « Il y a encore des royaumes, mais plus de rois ; des comtés, mais plus de comtes (III, VIII)… Où sont-ils, ces grands épris de Jeunesse, qui sont toujours à court d’argent, qui engagent leurs biens, brûlent leurs coffres, se font aimer des jongleurs (III, I) ? » Il y avait pourtant une circonstance où les grands savaient pratiquer cette suprême vertu, où renaissait la splendeur des anciens jours : c’est quand éclatait une bonne guerre, qui faisait hausser le prix des sergens et des soudoyers : en effet, le service militaire n’étant exigible que pendant un temps très limité, le jour arrivait bientôt où les belligérans, abandonnés par leurs troupes, étaient forcés de se procurer à prix d’argent des mercenaires ; avoir une bonne épée et savoir s’en servir était alors une véritable fortune. Cette fortune était précisément celle de Bertran de Born. Dans ses strophes les plus enthousiastes en l’honneur de la guerre, il ne manque jamais d’énumérer, à côté des beaux spectacles dont elle emplit les yeux, les avantages positifs qu’elle peut procurer : « Voici donc revenue la belle saison, où nous verrons couler à flots l’or et l’argent, fabriquer et manœuvrer les pierrières, abattre les murs, découronner les tours (I, XXV)… Nous allons rire maintenant : peut-être vont-ils nous aimer, ces riches barons, accueillir les preux et semer les barbarins (I, XXIV). » Qu’on médite surtout cette strophe : « Ne me tenez point pour batailleur parce que je veux que les riches hommes se querellent entre eux ; car c’est alors que les pauvres, varlets et châtelains, peuvent tirer d’eux quelque chose ; par ma foi, un riche homme est plus généreux et maniable en guerre qu’en paix. »

Ne doutons point qu’il n’ait fait à son cas particulier l’application de ces théories : quand la guerre éclate, il se plaint de n’avoir pu encore « bosseler sa targe, teindre en rouge son gonfanon blanc ; » mais il doit rester l’arme au poing en attendant qu’on fasse pour lui les frais de son entrée en campagne. « Je puis vous aider, dit-il à Richard, moi et mes fidèles ; j’ai l’écu au col et le heaume en tête ; mais je ne possède ni Lusignan, ni Rançon, et ne puis, sans argent, faire campagne au loin (I, XIX). » Voilà des sentimens que Bertran de Born a partagés avec un grand nombre de chevaliers pauvres du Midi, et même quelques troubadours ; mais il se distingue de ceux-ci, et même de ceux qui se sont exercés dans un genre tout différent du sien, par un talent qui fait de lui l’un des coryphées de la poésie provençale. Nul ne l’a égalé, non seulement par l’intensité de la passion, l’âpreté de l’ironie, mais aussi par des qualités plus proprement formelles, le raccourci énergique de l’expression, une hardiesse et une originalité d’images dignes de Shakspeare ou de Victor Hugo. Ce sont ces qualités qui nous rendent sa lecture supportable encore aujourd’hui, bien que les trois quarts des allusions nous échappent, et que, souvent même, le sens littéral nous laisse en suspens. Elles ont été appréciées par ses contemporains mêmes, assez peu sensibles pourtant à ce genre de mérite. Parmi les auteurs de poésies politiques ou de circonstance, aucun n’a été copié plus souvent et plus longtemps que Bertran de Born. Cinquante ans après sa mort, on prenait encore plaisir à entendre chanter ses sirventés ; pour en rendre l’intelligence plus facile, les jongleurs imaginèrent de les accompagner de commentaires (razos), où ils mêlèrent assez confusément à quelques souvenirs historiques des renseignemens tirés du texte même et beaucoup de détails purement romanesques. C’est dans ces razos, auxquelles les érudits du commencement de ce siècle ont accordé trop de confiance, que commence à se former ce qu’on pourrait appeler la légende de Bertran de Born : l’une d’elles, traduisant par une énergique métaphore une idée du reste peu exacte, dit qu’il était, « quand il le voulait, maître du roi d’Angleterre et de son fils. » Un auteur italien du XVIe siècle, sans doute induit en erreur par ce texte, fait de lui le « précepteur » du jeune roi ; un autre nous le montre en Palestine, où il n’a jamais été, enseignant à Saladin les règles de l’amour chevaleresque. De tels récits ont contribué à former l’idée que Dante se faisait de lui : en effet, il ne se borne pas à lui donner dans la Divine Comédie la place que l’on sait, mais, au livre IV du Convivio, dans cette énumération des héros de la libéralité où le Jeune Roi n’est même pas nommé, il le place entre Alexandre, le bon Raimon de Toulouse (Raimon V) et Saladin.

En ce siècle d’érudition, la légende a pris une autre forme : nous avons vu ce qu’elle avait fait de Bertran de Born, il y a quelque soixante ans. Si nous consultons impartialement l’histoire et les textes, nous nous bornerons à voir en lui un condottiere besogneux et sans scrupules, qui se trouvait être un poète de génie.


III

Au début du XIIIe siècle, les provinces méridionales, de Toulouse à Avignon, vécurent trente années vraiment tragiques : nous n’avons pas à refaire cette lamentable histoire, aujourd’hui bien connue, et nous bornerons à en chercher le reflet dans la poésie des troubadours.

Les premières années de la guerre, quoique marquées par des événemens graves et bien faits pour émouvoir l’opinion, ne nous offrent que de très rares documens poétiques ; mais le petit nombre de ces documens est compensé par leur très vif intérêt. Le plus ancien (de peu postérieur à novembre 1209) est une complainte sur la mort de Raimon-Roger de Béziers. Il y avait quelque chose de vraiment poignant dans le sort de cet héroïque jeune homme, le seul de tous les hauts barons du Midi qui se fût solidarisé avec son peuple, et qui, pris dans un guet-apens, venait de mourir, à vingt-quatre ans, au fond d’un cachot. La voix populaire accusait ses geôliers de sa mort et le jeune vicomte devenait ainsi une sorte de martyr de la cause méridionale. C’est un sentiment de pitié et de reconnaissance profonde qui s’exprime dans le chant en question, dont l’auteur ne craint pas de comparer son héros au Sauveur du monde. Cette pièce, bien qu’alourdie de formules, refroidie de lieux communs, offre pourtant quelques beaux passages.

« Chacun pleure et plaint son dommage, son infortune et sa douleur ; quant à moi, hélas ! j’ai au cœur telle indignation et telle tristesse, que mes jours ne suffiront point à regretter, à pleurer le vaillant, le vénéré, le preux vicomte de Béziers, qui est mort, le chevalier le plus gracieux, le plus juste, le meilleur du monde.

« Ils l’ont tué, et jamais nul ne vit commettre un tel crime, une telle folie, ni faire chose déplaisante à Dieu et à Notre-Seigneur, autant que le fut l’acte de ces chiens renégats, issus du félon lignage de Pilate, qui l’ont tué. Quant à lui, il s’est fait semblable à Dieu qui mourut pour nous sauver : n’a-t-il point, lui aussi, passé par le même pont pour délivrer les siens ?

« Mille chevaliers de grand lignage et mille dames de grande valeur seront par sa mort plongés dans le désespoir ; et aussi mille bourgeois et mille serviteurs, qui, s’il eût vécu, eussent été noblement dotés, et puissans, et honorés. Maintenant il est mort. Ah ! Dieu, quel grand dommage ! Voyez ce que nous sommes, où nous en sommes réduits ! Voyez ceux qui l’ont tué, qui ils sont, d’où ils viennent ! Maintenant nous avons perdu notre recours et notre garant[20]. »

Le sirventés qui, dans l’ordre chronologique, vient après celui-ci, a dû être écrit dans les premiers mois de 1213. Pierre II d’Aragon, qui, pendant deux ans, avait vingt fois offert une médiation toujours repoussée, commençait à prendre ombrage de la puissance croissante de Simon de Montfort, dont il avait d’abord accepté l’hommage, et à comprendre qu’il n’était point prudent de laisser s’installer à la place des comtes de Toulouse un lieutenant des rois de France ; il venait de se déclarer pour Raimon VI ou était sur le point de le faire, quand un poète, dont le nom ne s’est pas conservé, lui adressa ces vers, tout vibrans d’ardeur guerrière et de confiance dans le droit[21] :

« Va, Hugonet, sans retard, au noble roi d’Aragon et chante lui ce sirventés nouveau : dis-lui qu’il tarde trop à paraître et qu’on le lui impute à déshonneur ; car on dit que, depuis trop longtemps, les Français tiennent sa terre, qu’il ne songe point à défendre.

« Dis-lui que sa grande valeur sera triplée s’il vient, en bon roi, exercer ses droits en Carcasses ; et s’il trouve quelque résistance, qu’il montre qu’elle lui déplaît ; qu’au besoin, il allume le feu et verse le sang, et que ses machines frappent si dru que les murailles ne puissent protéger nos ennemis.

« Car c’est ainsi, Seigneur, que vous réduiriez au silence les Français félons (que Dieu les maudisse ! ), qui disent que vous ne savez pas venger les vôtres… Ainsi vous feriez revivre Noblesse, qui se perd parmi nous, si bien que je n’en vois plus trace.

« Il me plairait de voir par les champs briller les heaumes, les hauberts et les lances, et flotter les beaux étendards multicolores. Oui, il me plairait de voir les Français se mesurer avec nous : on saurait alors quels sont les plus vaillans, et, puisque le droit est de notre côté, il est à croire que le dommage serait du leur. »

On sait à quoi aboutirent ces espérances : à Muret, la fougue méridionale céda à la discipline française, et la mort de Pierre II ruina les espérances de Raimon VI : épuisé par deux ans de luttes, il dut reprendre les négociations et se soumettre d’avance aux décisions du concile que le pape venait de convoquer.

Ainsi se terminait la première phase de la guerre : deux ou trois sirventés, quelques allusions éparses, voilà toutes les traces qu’elle a laissées dans l’œuvre des troubadours. Est-ce là tout ce qui avait été écrit ? Sans doute un certain nombre de leurs pièces ont pu se perdre. Néanmoins, s’ils eussent accueilli la croisade par un cri unanime d’indignation et de révolte, il est à croire qu’un plus retentissant écho en fût parvenu jusqu’à nous[22]. Cette quasi-abstention a vraiment de quoi nous surprendre : en effet, les deux premières années de la guerre furent peut-être, de toutes, les plus affreuses. Il est possible qu’à Béziers, les ordres de Simon de Montfort aient été dépassés : mais à Minerve, à Lavaur, l’extermination avait été systématique : c’était avec « grande allégresse, » selon l’expression de l’historien officiel des croisés, qu’on dressait les potences, qu’on allumait les bûchers : ce qui était procédé d’intimidation de la part des chefs devenait œuvre pie pour la masse inconsciente des subordonnés. Or, le pays, désolé par ces deux affreuses campagnes, était précisément la terre d’élection des troubadours : les barons du Lauraguais et du Carcasses, dépouillés les premiers, Aimeri de Montréal, Peire Rogier de Mirepoix, Bertran et Olivier de Saissac, étaient pour eux des protecteurs et presque des amis personnels ; c’était dans ces châteaux mêmes de Minerve et de Cabaret, devenus le théâtre de scènes atroces, qu’ils s’étaient bercés aux molles harmonies de Raimon de Miraval, divertis aux poétiques excentricités de Peire Vidal. Ne faut-il point, pour expliquer cette singulière indifférence des poètes en face d’événemens qui les touchaient de si près, recourir à l’hypothèse d’un mot d’ordre ? Pendant deux ans, Raimon VI avait cru possible de faire la part du feu, et, en sacrifiant ses alliés naturels, de se sauver lui-même ; il s’était agenouillé à Saint-Gilles devant le légat ; il s’était laissé traîner au siège de Carcassonne. Il est naturel de se demander s’il n’avait point interdit aux troubadours, dont sa cour était le principal rendez-vous, d’exaspérer des ennemis qu’il se croyait encore intéressé à ménager. Sans insister outre mesure sur cette hypothèse, je ferai du moins remarquer qu’elle est appuyée par un fait significatif. : c’est que c’est précisément au moment où Raimon VI et son fils rentrent dans la lutte ou s’y replongent avec plus d’ardeur que les chants des troubadours retentissent, plus pressans et plus nombreux.

C’est ce qui se produit, par exemple, en 1216. La décision du Concile n’avait pas été celle que Raimon pouvait attendre. Innocent III, malgré un réel souci de la justice, avait dû ratifier l’arrêt des prélats, qui, tout en réservant les droits du jeune Raimon, prononçaient la déchéance du vieux comte et sa spoliation au profit de son plus mortel ennemi. Une telle sentence ne pouvait convenir ni à la fierté du père, ni à l’âme chevaleresque du fils. Tous deux quittèrent Rome, décidés à recommencer la lutte : ils y étaient même autorisés, si nous en croyons la Chanson de la Croisade, par l’assentiment tacite du pape. Leurs sujets de Provence, jusque-là contenus par les légats et les clercs, leur firent un accueil enthousiaste : ils furent pour ainsi dire portés en triomphe de Marseille à Avignon, d’Avignon à Beaucaire. C’est alors qu’élevèrent la voix deux poètes tarasconnais, Tomier et Palazi, qui furent les éloquens interprètes du loyalisme de la province[23]. Ils protestent avec énergie contre cette prétendue paix, qui, fondée sur l’iniquité, ne peut engendrer que la guerre ; ils invitent les tièdes à « se mirer dans Toulouse et Foix, » à considérer le sort des deux comtes, trahis par ceux à qui ils s’étaient confiés ; ils flétrissent les lâches et leur prédisent le sort de Uc des Baux, dépossédé des terres qu’il n’avait pas craint d’usurper sur un banni ; ils glorifient la noble cité qui venait de donner l’exemple de la foi dans la justice, du dévouement à ses seigneurs légitimes.

« Vive la noble comtesse, Avignon, que Dieu protège ! Ne s’est-elle pas mieux comportée que ces parens à la façon des Alguais[24] ? Nul ne relève la tête, ni ne prend le bon chemin : l’un tire vers le Portugal, l’autre vers la Lombardie.

« Que d’autres soient vils et lâches, Avignon se dresse au milieu de la Provence ; il semble que Dieu même la protège, car en elle se voient sens et largesse. Ah ! nation noble et courtoise, ton énergie est l’honneur des Provençaux, en tout lieu, en tout temps. »

Tant d’enthousiasme et de foi allaient être récompensés : quelques mois après, la garnison française de Beaucaire, malgré une défense désespérée, malgré la présence de Simon de Montfort, accouru à son secours, devait capituler ; sans doute le succès n’était pas complet, puisque le jeune Raimon, seul chef de la petite armée provençale, avait dû laisser la liberté à ses adversaires ; mais c’était le premier que, depuis sept ans, les armes méridionales eussent remporté : elles avaient enfin réussi à faire reculer le terrible lion de Montfort. Cette victoire est célébrée dans un sirventés tout débordant de joie et de confiance ; un groupe de manuscrits l’attribuent, certainement à tort, à Bertran de Born, mais l’erreur est excusable, car il est digne en tous points du plus illustre des troubadours guerriers[25]. Comme Tomier et Palazi, l’auteur proteste contre cette « perfide paix, à nous apportée par Simon, qui dépouille et ruine, fait de haut choir en bas et change les villes en déserts ; » il raille Montfort et le défie : « S’il veut venir recueillir lui-même ses tributs, je ne lui conseille pas de prendre gîte à Beaucaire ; » enfin il anime les Provençaux à une résistance dont on vient d’éprouver l’efficacité : « Que fais-tu, baron qui te caches comme un rat dans son trou ? Ne vois-tu pas le dommage qui t’en peut échoir ? Allons, sus, remue les mains et les bras,… car par effort on a vu sortir de peine maint homme, qui autrement eût été la proie de la défaite et de la mort… Allons, puisque désormais nous voici en pleine lumière, qu’il s’avance, celui qui vaut quelque chose : défendons plaines et marais, ne nous laissons point dominer par Nonchalance. Les Français nous reviennent tout désarmés ; mais nous savons maintenant ce qu’ils veulent. Grâce à Dieu, la chance a tourné, malgré ceux qui avaient consenti à l’accord. » Le poète nous donne lui-même une précieuse indication : après une longue période de silence, c’est pour obéir à un comte qu’il s’est remis à chanter. Quel serait ce comte, si ce n’est celui dont il exprimait si bien les sentimens, c’est-à-dire sans doute le héros même de Beaucaire, le jeune comte de Toulouse ?

Ainsi était brillamment inaugurée cette seconde période où les armes méridionales ne devaient guère compter que des succès : en septembre 1217, Toulouse, que n’avait pu mater la terrible exécution de l’année précédente, accueillait avec enthousiasme son seigneur ; pendant dix mois, elle résistait victorieusement à Simon, jusqu’au jour où, lancé par une pierrière que servaient des femmes, un caillou vint frapper « tout droit où il fallait, » et délivra Toulouse de son plus redoutable ennemi. L’année suivante, le fils même du roi de France échouait devant ses murs ; et, après six semaines d’efforts inutiles, était forcé de reprendre le chemin du Nord. L’incapable Amauri de Montfort perdait les anciennes conquêtes de son père ; l’Albigeois, le Biterrois même lui échappaient, et il était forcé d’offrir au roi de France le bien mal acquis que déjà il ne possédait plus. Il est singulier que, pour toute cette période, nous ne possédions aucune pièce qui puisse être rapportée à une circonstance précise, et rien mieux que cette pénurie ne nous montre les pertes qu’a dû faire la littérature méridionale : il est évident que la gloire de Toulouse, qui fut alors vraiment la ville héroïque, dut être chantée par les troubadours, groupés autour du jeune Raimon VII comme ils l’avaient été autour de son père, qu’ils durent célébrer ses exploits et saluer cette étoile qui se levait si inopinément dans un ciel si étrangement obscurci.

Mais peu de temps après, le vent tournait encore une fois. Le pape Honorius III, après avoir d’abord songé à diriger toutes les forces de la chrétienté contre les Turcs, s’alarme des rapports qui lui sont faits sur la recrudescence de l’hérésie en Languedoc, et fait de nouveau prêcher la guerre sainte. C’est en vain qu’au concile de Bourges, Raimon VII tente de se justifier ; Louis VIII, devenu roi, rentre en scène ; il descend le Rhône avec une imposante armée et vient mettre le siège devant Avignon. La ville ne démentit point sa vieille réputation de fidélité à ses seigneurs et résista vaillamment. C’est pendant le siège même que Tomier et Palazi, les deux chevaliers tarasconnais que nous connaissons déjà, entonnèrent, sur le rythme et la mélodie d’une chanson populaire, un sirventés destiné à soutenir le courage de leurs concitoyens[26] :

« Dieu nous enverra un puissant secours, j’en ai confiance, seigneurs, et nous l’emporterons sur les Français. D’armée qui ne le craint point, Dieu prend soudaine vengeance. Soyons fermes, seigneurs, et comptons sur un puissant secours.

« Tel vient, sous le faux prétexte de croisade, qui devra fuir sans même allumer les feux du campement ; car, en frappant bien, on triomphe même d’une nombreuse troupe. Soyons fermes, seigneurs, et comptons sur un puissant secours. »

Malgré ces fières assurances, les deux poètes ne parviennent pas à dissimuler leur découragement : ils constatent que le roi d’Aragon a été sollicité en vain : « Auprès des Aragonais et des Catalans, nous avons perdu notre peine et notre sirventés : le roi, qui est jeune, ne trouve personne qui l’excite. » Ils ne paraissent pas compter beaucoup davantage sur le roi d’Angleterre et l’empereur d’Allemagne, qu’ils invoquent ensuite, et ils se bornent, en terminant, à maudire les « perfides évêques, » qui, peu soucieux du Saint Sépulcre, ne craignent pas de tourner contre des chrétiens les armes de la chrétienté.

Il semble que ce découragement ait été partagé par les anciens tenans de Raimon : après la chute d’Avignon, Louis VIII parcourut sans obstacle tout le Languedoc, encore terrifié sans doute par le souvenir des campagnes foudroyantes de 1209 et 1210 ; sa mort inopinée elle-même et l’incapacité de Guy de Montfort ne rendirent pas aux Méridionaux leur confiance ; après deux années de lutte, où les revers alternèrent avec les succès, le comte de Toulouse, renonçant à la partie avant d’avoir joué ses dernières cartes, signait le désastreux traité de Meaux, qui lui assurait l’usufruit de ses domaines, mais en stipulait la transmission à un prince de la maison de France.

Ce que nous avons dit ne suffit pas à donner une idée exacte du rôle que jouèrent les troubadours dans ces dramatiques circonstances. Il est tout naturel que la grande majorité des pièces historiques ne contiennent pas d’allusions assez précises pour pouvoir être rattachées avec certitude à un événement déterminé ; mais il en est tout un groupe, et des plus intéressantes, qui se rapportent, sans aucun doute possible, à la période qui nous occupe. Nous avons vu que Raimon VII ne dédaignait point la collaboration que pouvaient lui prêter les poètes : comme son grand-père, qui commandait des vers à Bertran de Born, il comprenait qu’un sirventés enflammé pouvait valoir des bataillons. Quand il résolut d’engager la lutte à outrance, ce sont les troubadours qu’il chargea d’exalter le sentiment national. Il en est deux surtout qui répondirent à son appel et dont la plupart des œuvres se placent précisément à l’époque qui nous occupe : ce sont Guilhem Figueira et Peire Cardinal. Les tornades de leurs sirventés ramènent trop souvent le nom de Raimon, ce nom y est accompagné d’éloges trop pompeux, leurs vers expriment du reste des sentimens trop conformes à ceux du comte de Toulouse pour que nous ayons le moindre doute sur la source de leur inspiration. Ces sentimens, fort simples, sont exactement ceux que Raimon VII avait intérêt à répandre dans les masses : ils se résument dans la haine des clercs et des Français, des clercs, qui avaient été, comme le dira plus tard Paulet de Marseille, « la pierre à aiguiser le glaive des Français, » entre les mains desquels ce glaive n’avait que trop bien coupé.

Peire Cardinal est certainement un des plus grands satiriques qui aient jamais existé. On s’en rendra compte quand on possédera de ses œuvres une édition lisible : l’énergie de l’expression, la hardiesse et la variété des images ne sont pas chez lui inférieures à l’intensité de la passion, à l’originalité de la pensée. Les clercs sont à ses yeux une race maudite, contre lesquels tous les honnêtes gens doivent se liguer. « C’est aussi un larron, celui qui ne dénonce pas les larrons : crions donc bien haut le mal qu’ils font ou font faire ; et que nul de nous ne se croie en sûreté alors qu’il voit écraser son voisin ou son frère. » Les vices qu’il leur reproche le plus âprement sont la rapacité, l’hypocrisie, la luxure, l’instinct de domination : « Ils se vêtent en bergers, mais ce sont des loups, qui tuent et dévorent les brebis… Ils ont sur la tête la tonsure, sur le corps de blancs vêtemens, mais dans la poitrine des cœurs de loups et de serpens… Les clercs vont lançant des pierres aux gens : ceux qui se défendent, voilà les hérétiques. » Les plus insultantes métaphores ne suffisent pas à son indignation : « Ni milan ni vautour ne sentent de plus loin la chair pourrie qu’eux ne sentent la richesse… Aussi sont-ils plus volontiers au chevet des riches moribonds que dans la cabane des pauvres… Un ordre est venu de France, que l’on ne doit plus saluer que ceux qui ont en abondance vin dans leurs caves et blé dans leurs greniers. » Ont-ils besoin d’argent pour garnir leurs vastes réfectoires ou satisfaire leurs appétits ? Ils « vendent Dieu » et font venir de Rome les grands pardons. « Ils iront loin, car ils ne craignent ni Dieu ni péché ; rien ne leur coûte, ni crime ni parjure… A force de tromperies, ils sont devenus les rois de la terre et ont mis sous leurs pieds ceux qui devraient les gouverner… Ils ont accaparé tout l’orgueil, toutes les fraudes, toute la cupidité du monde : à mesure qu’ils sont de plus haut rang, il y a en eux moins de foi et plus de fraude, moins de douceur et plus de cruauté… Ce qu’ils osent faire, je n’ose le dire. » Et nous, pas plus que Fauriel, nous n’osons répéter tout ce qu’il dit.

Dans ces sirventés, « tissus d’amertume, ourdis de honte, » l’ironie vient souvent relever ce que l’expression brutale de la haine aurait de trop monotone : « La croyance qu’ils exigent, c’est celle que les œuvres n’accompagnent point… Rarement vous les verrez pécher, sinon de jour et de nuit… Non, ils ne haïssent personne, ne commettent point de simonie ; larges donneurs, ils amassent avec mesure : aussi est-il singulier qu’au lieu de les louer, on les blâme comme on le fait. »

Chez Guilhem Figueira, nous ne trouverons point la même variété dans l’invective : son célèbre sirventés contre Rome[27] est une immense litanie, — c’est la plus longue pièce lyrique que les troubadours nous aient laissée, — dont chaque strophe, commençant par le nom de la ville abhorrée, n’est qu’un cri de haine et de fureur : « Rome, cime et racine de tout mal, tête et abri de toute perfidie et de toute honte, a dans le cœur une intarissable source de venin qui lui monte aux lèvres et empoisonne l’univers entier. » Les accusations, quand elles se précisent, sont les mêmes que celles de Peire Cardinal : « Rome étend partout sa main crochue ; pour quelques deniers, elle pardonne les péchés… » Il n’y a rien de bien nouveau, et l’insulte poussée à ce degré n’a presque plus rien à voir avec la littérature. Ce qu’il y a de plus intéressant dans ce sirventés, ce sont les allusions politiques dont il est rempli. Figueira passe en revue les États ou les princes qui ont eu affaire avec Rome, et il constate qu’elle a été pour tous un instrument de perdition. Il ne rappelle pas seulement les crimes auxquels elle poussa les croisés, « l’étrange boucherie de Béziers, les pardons trompeurs accordés à Toulouse, le pèlerinage d’Avignon, dont Dieu nous garde, » mais aussi les perfidies qu’elle a elle-même commises : par elle, le roi Jean d’Angleterre fut trahi, par elle, le roi Louis entraîné, loin de Paris, en cette expédition d’où il ne revint pas ; c’est elle qui conteste à l’empereur son droit à la couronne. Elle n’a même plus le souci de la chrétienté : « Peu lui importe, pourvu qu’elle écrase ici la tête des rois, que Damiette se perde et que les chrétiens d’Orient gémissent. » Toutes ces accusations sont trop précises, elles montrent une connaissance trop exacte de l’état politique de l’Europe pour émaner d’un simple jongleur qui, à en croire son ancienne biographie, fréquentait surtout les tavernes et les truands : il nous paraît évident qu’elles lui ont été suggérées par ce comte, à qui il souhaite « la force et le pouvoir de mettre sous ses pieds les Français. »

Il n’est pas sûr que ces ardens appels à la haine de l’envahisseur soient tous antérieurs à la paix de 1229. Cette paix, en effet, Raimon VII ne s’y résigna jamais : ne le plaçait-elle point en tutelle et « sous la plus irritante des surveillances[28] ? » Elle était à peine conclue, que les troubadours protestaient déjà contre elle. L’un d’eux[29], opposant une paix « sûre et ferme, une paix d’amitié qui accommode les deux partis, paix loyalement conclue entre honnêtes gens, qui satisfait et ne laisse point de rancœur, » à cette « paix forcée, paix de clercs et de Français, » prédisait qu’il en devait sortir plus de mal que de bien et reprochait au roi de France d’avoir « fait desmesure. »

Un autre[30], un peu plus tard sans doute, rapprochait tristement le passé du présent : « Hélas ! Toulouse et Provence, terre d’Argence, Béziers et Carcasses, quels je vous vis et quels je vous vois ! » Il reprochait aux Français leur avidité : « Nos barons les plus courtois crient humblement aux Français : « Sire, pitié ! » Oui, les Français ont pitié, mais quand ils voient la table mise. » Il peignait, en termes presque aussi violens que Cardinal lui-même, l’avarice effrénée des ordres militaires, « orgueilleux, simoniaques, dédaigneux de tous, sauf des riches, gens dont la trahison est le Credo. » Lui aussi, il manie cruellement l’ironie : « Je dois dire de vous grand bien, et j’en dirais le double si je le pouvais. La voie que vous tenez est droite et vous êtes d’excellens guides : vous ne vous laissez rien ; vous ignorez la convoitise, vous savez souffrir les privations… Que Dieu jamais ne me bénisse, si j’ai dit de vous la vérité ! »

Le comte de Toulouse, qui, au temps de sa plus grande puissance, n’avait pu résister aux Français, ne pouvait songer à recommencer seul la lutte, amoindri comme il l’était par le traité de Meaux ; aussi son objectif, dans les années qui suivirent, paraît-il avoir été de s’assurer de solides appuis. La politique la plus naturelle eût été pour lui de s’allier au comte de Provence, dont la succession était également guettée par la France, et de former un solide faisceau de toutes les forces méridionales. Mais le comte de Provence avait déjà été circonvenu par la diplomatie de Blanche de Castille, et sa fille était déjà fiancée au futur roi de France. Puis, à vrai dire, Raimon VII ne paraît pas y avoir songé : ce n’était point un politique à longues vues, et il eut le tort, pour la vaine satisfaction de vieilles rancunes, d’user ses forces pendant dix ans dans une lutte sans grandeur avec Raimon Bérenger. Il ne cessait, en revanche, de tourner les regards vers l’Aragon, où son père avait trouvé son unique allié. En 1241, il avait conclu un traité avec Jacques Ier. L’année suivante, une occasion parut s’offrir de secouer le joug et de réparer ses pertes. Sous l’impulsion de l’irascible et fougueuse Isabelle d’Angoulême, veuve de Jean sans Terre et femme de Hugues de Lusignan, une coalition venait de réunir contre la France la plupart des barons de la Marche, du Limousin, du Poitou et même du Rouergue ; les rois d’Aragon et de Navarre étaient gagnés ; le roi d’Angleterre avait promis de jeter sur les côtes, au moment opportun, une forte armée. Le comte de Toulouse, bientôt suivi du comte de Foix, adhéra avec enthousiasme à la ligue. Les troubadours, ses interprètes ordinaires, essayèrent de déterminer en faveur de la guerre un mouvement d’opinion, et d’animer les coalisés par le sentiment de leur popularité. Peire del Vilar[31] se réjouit en songeant que la griffe du léopard va faucher ces fleurs de lis, « qui se répandront partout, si le chaud ou le froid n’y font obstacle ; » mais il s’étonne qu’une si noble entreprise ne trouve pas de plus ardens auxiliaires. Bernard de Rovenac[32] gourmande âprement les coalisés sur leur inertie. Il ne voit, parmi les grands qui l’entourent, que des timides « riches d’argent, mais pauvres de cœur. »

« Le roi anglais diminue encore, par trop craindre, son peu de valeur : il est si mou qu’il ne lui plaît pas de défendre ses sujets. Pendant qu’il dort, le roi de France lui enlève sans résistance Tours et Angers, Normandie et Bretagne.

« Le roi d’Aragon mérite son nom de Jayme (que le poète rattache plaisamment à jazer, être couché), car il ne sait que rester étendu. Occupe ses terres qui veut : il est de si douces et agréables façons qu’il n’élèvera plus la moindre protestation.

« Jusqu’à ce qu’il venge son père (Pierre II, tué à Muret), il sera déshonoré. Qu’il ne croie pas que je dise rien à son éloge, jusqu’à ce qu’il allume le feu de la guerre. Oui, s’il veut monter en prix, qu’il entame les domaines de ce roi de France qui usurpe ses fiefs et en saisit son fils Alphonse.

« Comte de Toulouse, vous et le roi votre allié, vous êtes déshonorés si nous ne vous voyons bientôt déployer tentes et pavillons, abattre murailles et tours. »

Les troubadours avaient raison de craindre. C’est la lenteur, l’indécision des coalisés qui firent le succès des armes françaises : Louis IX frappa à Taillebourg un coup décisif qui déconcerta les Anglais ; les Aragonais, sentant la partie perdue, ne bougèrent pas ; le comte de la Marche fit sa soumission, bientôt suivi par le comte de Foix ; Rai mon, resté à peu près seul, en fut réduit à implorer humblement son pardon.

Combien lui fut cruel l’écroulement de ses espérances, c’est ce que nous devinons par les récriminations des poètes à sa dévotion. Peire Duran, un simple tailleur du Venaissin[33], enveloppe dans le même mépris le roi anglais, « que tous tiennent pour sot » en le voyant assister tranquillement à sa propre spoliation, le roi d’Aragon, « dont le serment ne fut que vent et fumée, » tous ces hauts barons « que les Français tiennent agenouillés et auxquels il ne reste plus qu’à aller autour des tables verser le vin dans les hanaps de leurs oppresseurs. »

Le Toulousain Guilhem Montanhagol[34] constate que, sauf le comte de Toulouse, qui reste au faîte de l’honneur, tous les princes sont tombés dans la boue ; il maudit « Foix, la Marche et Rodez, le roi Jacques et ces Anglais qui, au lieu de combattre, se couronnent de fleurs et de feuillage. « Longtemps encore, l’illusion subsista d’une alliance possible entre les rois « déshérités, » qui ferait échec à la maison de France : Bernard de Rovenac[35], par un singulier anachronisme, exhortait encore le roi d’Aragon à venger son père, le roi d’Angleterre à faire valoir ses droits les armes à la main, alors que Raimon VII était mort, qu’Alphonse de Poitiers était entré en possession de ses domaines, et que cette alliance tant désirée eût été sans aucune influence sur les destinées du Midi. Tant il est vrai que dans la poésie des troubadours, tout, même les combinaisons de la politique, devait tomber au rang de lieux communs !

Après cette nouvelle défaite, pourtant bien définitive, Raimon ne s’était pas résigné encore : il s’attachait désespérément à l’idée d’un nouveau mariage qui, en lui donnant un héritier mâle, lui permettrait peut-être de frustrer son gendre Alphonse d’une partie de son héritage ; il se rapprocha du comte de Provence et sollicita successivement la main de ses deux filles. Mais ces suprêmes illusions s’évanouirent : Sanche épousa le frère du roi d’Angleterre, et Béatrice Charles d’Anjou.

Ainsi la maison de France, par un concours merveilleux de circonstances, mettait la main, à quelques années de distance, sur les deux grandes provinces du Midi. Le jour où Béatrice fut fiancée au jeune frère de Louis IX, les esprits clairvoyans comprirent que tout était consommé, et les plaintes éclatèrent contre le comte de Provence, auquel la France devait de s’agrandir plus en un jour qu’elle ne l’avait fait en vingt ans de guerre : « Provence, dit Montanhagol[36], jouant sur une étymologie qui n’est qu’un calembour, ne mérite plus son nom (terre des preux), mais celui de Défaillance, » et, se raccrochant à l’antique espoir, il exhortait le comte Rai mon et le roi d’Angleterre à unir leurs efforts contre les Français. Un autre Toulousain, Aimeric de Péguilhan[37], plaignait les Provençaux de n’avoir pas tous suivi leur comte dans la tombe, avant d’être devenus les esclaves des Français.

Ces sentimens, assez naturels chez les sujets et les protégés de Raimon VII, n’étaient nullement partagés par la Provence. Là, tout le monde prit assez vite son parti du changement de dynastie contre lequel nous ne trouvons, chez les troubadours provençaux, que de très rares protestations : c’est avec la plus sereine philosophie qu’ils remplacèrent dans leurs tornades le nom de Raimon par celui de Charles, et demandèrent au second les faveurs dont le premier leur avait été assez chiche. Sans doute quelques résistances personnelles se produisirent ; mais elles provenaient plutôt d’intérêts lésés que d’une hostilité de principe. Bertran de Lamanon, par exemple, un des principaux officiers de l’ancien comte, se soumit après une courte résistance, dont les motifs paraissent avoir été purement intéressés[38]. On a cité souvent une belle pièce où Granet[39] trace fièrement à Charles d’Anjou ses devoirs de prince et ne lui ménage guère les reproches ; mais ce qu’il lui pardonne le moins, ce sont ses exigences en matière fiscale ; la pièce se termine du reste par une simple pantalonnade qu’on voudrait pouvoir en effacer[40]. Les anciennes villes libres, il est vrai, essayèrent bien, durant la croisade de 1248, de recouvrer leur indépendance ; mais de pareilles révoltes s’étaient produites sous le précédent comte, qui n’avait pas eu d’ennemis plus acharnés que les Marseillais.

Un seigneur troubadour, Boniface de Castellane, qui avait, lui aussi, à se plaindre de Charles, lia ses intérêts à ceux des communes révoltées et essaya, dans des sirventés fort éloquens[41], de donner à la rébellion l’aspect d’une guerre de race ; mais il ne trouva en somme que peu d’écho. La Provence, qui avait été à peine effleurée par la terrible bourrasque de la Croisade, n’éprouvait nullement pour les Français cette instinctive et profonde aversion que les troubadours avaient si longtemps attisée en Languedoc. Au bout de deux ou trois générations, malgré le gouvernement fort despotique de Charles d’Anjou, la Provence était française de cœur : le temps seul avait produit le résultat auquel devait aboutir plus rapidement encore, dans le Languedoc même, l’administration habile et méthodiquement réparatrice d’Alphonse de Poitiers.


La réponse à la question que nous nous posions au début de cette étude s’en est dégagée pour ainsi dire d’elle-même. Bertran de Born nous est apparu comme le type d’une classe, assez peu nombreuse sans doute, mais où ont dû abonder les figures originales et viriles comme la sienne même. Dans leurs exhortations à la croisade, les troubadours ont surtout été les échos des prédicateurs ; dans les sirventés inspirés par la guerre civile, ceux des princes qui les protégeaient.

Il faut donc se garder d’exagérer la valeur représentative de leurs œuvres et apporter quelque restriction à l’opinion qui veut y voir l’équivalent de la presse moderne, — à moins qu’on n’entende qu’elles s’en rapprochent précisément parce qu’elles sont rarement l’expression d’une pensée individuelle et désintéressée. Elles ne sont point non plus l’expression impartiale de la justice, de la vérité absolues, comme s’en sont plusieurs fois vantés les troubadours eux-mêmes en proclamant que c’était pour eux un droit et un devoir de louer les bons, de blâmer les méchans et en revendiquant le libre exercice de ce droit[42] : il nous apparaît clairement aujourd’hui que pour eux les bons étaient surtout ceux qui les payaient bien, les autres ceux dont ils n’avaient rien à attendre.

Leurs œuvres néanmoins gardent pour l’historien, aussi bien que pour le lettré, une très grande valeur. D’abord, s’ils sont rarement tout à fait indépendans, ils ne sont jamais absolument serviles : même en exprimant la pensée du maître, ils gardent vis-à-vis de lui une grande liberté d’opinion et de langage. Nous avons vu que, dans les pièces mêmes où ils s’ingénient à versifier les lieux communs chers aux clercs et aux moines, ils ne ménagent pas à l’Eglise les critiques et les reproches. Bertran de Born, parlant évidemment contre son propre sentiment, osa dire à Richard Cœur de Lion que, s’il ne partait pas pour la Terre-Sainte, c’est qu’il n’en avait pas le courage (I, XXX). Plusieurs poètes accablèrent d’injures le roi d’Aragon, dont ils attendaient le salut de leur pays ; quelques-uns conseillèrent à Raimon VII une politique à laquelle il ne cessa de se refuser, c’est-à-dire un rapprochement avec le comte de Provence[43] : vue trop profonde pour qu’on ose leur en attribuer tout l’honneur. Nous pourrions ajouter encore qu’un grand nombre de pièces que nous avons dû négliger complètent notre connaissance de divers événemens ou contiennent des allusions, par cela même fort peu claires, à des incidens tout à fait ignorés. Mais ce qui fait surtout leur prix à nos yeux, c’est qu’elles nous transportent, quelle que soit du reste la source de leur inspiration, en pleine lutte, en pleine vie. Combien pâlissent, à côté de ces strophes où bouillonnent les plus ardentes passions, où elles s’expriment, sans ménagemens et sans apprêts, dans la langue de tous, ces chroniques, dont les unes nous glacent par leur indifférence, où la passion, quand elle y apparaît, s’empêtre ou se noie dans les périphrases d’une rhétorique surannée ! Or, il se trouve que l’époque qui nous a laissé le plus grand nombre de pièces historiques est précisément l’une des plus dramatiques que le Midi ait traversées, qu’elle a été décisive pour notre histoire : c’est dire qu’une soigneuse édition des sirventés historiques des troubadours, munie d’un commentaire exact et précis, serait actuellement une des tâches les plus dignes de tenter un philologue qui aurait la chance d’être en même temps historien.


A. JEANROY.

  1. Voyez la Revue du 15 janvier 1899.
  2. Histoire de la conquête de l’Angleterre par les Normands, édit. de 1836, t. III, p. 292.
  3. La poésie des Troubadours, traduction (modifiée) du baron de Roisin, p. 171.
  4. Jerusalem mirabilis, dans Du Méril, Poésies populaires latines du moyen âge, t. Ier, p. 297.
  5. Voyez le Recueil d’anciens textes de M. P. Meyer, n° 39.
  6. Histoire de la littérature française, p. 81.
  7. A la fontana del vergier (dans Bartsch, Chrestomathie, p. 49).
  8. Pax in nomine Domini (dans le Recueil de M. P. Meyer, n° 10).
  9. M. P. Meyer a donné de cette pièce, dont je ne traduis que quelques passages, une version littérale et complète (Romania, t. VI, p. 121).
  10. Emperaire, per mi mezeis (dans Raynouard, Choix de poésies originales des Troubadours, t. IV, p. 129).
  11. Senhors, per los nostres pecatz (dans Raynouard, Choix, t. IV, p. 85).
  12. En honor del Paire ; Er nos sia capdeths e guerentia (dans Raynouard, Choix, t. IV, p. 87 et 90).
  13. Pons de Capdeuil.
  14. Un templier : Ira e dolor (dans Raynouard, Choix, t. IV, p. 131).
  15. Ai Dieus, per que as facha (dans Mann, Gedichte, n° 9).
  16. Un templier : pièce citée plus haut.
  17. I, X. — Je renvoie à l’édition Thomas : le premier des deux chiffres désigne la subdivision du recueil (Poésies politiques, amoureuses, diverses) ; le second est le numéro d’ordre de la pièce.
  18. Conquête de l’Angleterre, t. III, p. 290. Henri Martin exprime la même idée, mais en renchérissant encore : Voyez Histoire de France, édit. de 1878, t. III, p. 497. La note est beaucoup plus juste dans Michelet (liv. IV, ch. V).
  19. Philippe-Auguste est surtout tancé pour sa froideur à défendre son allié le Jeune Roi. Une seule pièce (F, XIX), l’excite contre Richard, mais elle est suivie à peu d’intervalle d’une autre (I, XXII) où le poète déplore leurs dissentimens et les engage à se réconcilier pour secourir ensemble Boniface de Montferrat.
  20. Cascus plor e planh son damnatge (dans Raynouard, Choix, t. IV, p. 46). Divers érudits ont cru devoir rapporter cette pièce, non à la mort de Rairaon-Itoger, mais à celle de son grand-père Raimon-Trencavel, assassiné en 1167, dans une sédition ; mais quelques-uns des vers que nous avons traduits ne nous paraissent pouvoir convenir qu’à la victime des croisés.
  21. Vai, Hugonet, ses bistensa (dans Rochegude, Parnasse Occitanien, p. 392).
  22. Aux deux pièces que nous venons de citer, on ne pourrait guère ajouter qu’une allusion, qu’on voudrait plus émue, de Raimon de Miraval à la prise de son château ; une pièce, moitié sirventés, moitié chanson, de Bernard Arnaut de Montcuq, (dans Raynouard, Choix, t. II, p. 216), dont l’attribution à l’époque qui nous occupe n’est du reste pas certaine ; et enfin deux couplets fort curieux, composés à Rome même pendant le concile de Latran, où le comte de Toulouse répond à une question assez embarrassante, que lui pose un de ses fidèles, de façon à sauvegarder sa réputation de vaillance sans offenser le clergé.
  23. Si col flacs molins torneja (dans Raynouard, Choix, t. V, p. 275).
  24. Les Alguais étaient une famille de routiers et de brigands très redoutés à cette époque.
  25. A tornar m’ er enquer al primier us (dans Mann, Gedichte, n° 313).
  26. De chantar farai (dans Raynouard, Choix, t. V, p. 447).
  27. D’un sirventés far (dans Raynouard, Choix, t. IV, p. 309 ; édit. Lévy, n° 2).
  28. E. Berger, Histoire de Blanche de Castille, p. 219.
  29. Bernard de la Barta, Folha ni flors (dans Raynouard. Choix, t. IV, p. 194).
  30. Bernar Sicart de Marvéjols, Ab greu cossire (dans Raynouard, Choix, t. IV p. 191).
  31. Sendatz vermelhs, endis e ros (dans Raynouard, Choix, t. IV, p. 181).
  32. Ja ne vuelh de ni esmenda (dans Raynouard, Choix, t. IV, p. 203).
  33. En talent ai (dans Mahn, Gedichte, n° 56).
  34. Bel m’es quan d’armatz aug refrim (édit. Coulet, n° 3).
  35. D’un sirventés (dans Raynouard, Choix, t. IV, p. 206). Certaines allusions permettent de dater cette pièce de 1252.
  36. Ges per malvestat (édit. Coulet, n° 5).
  37. Ab marrimen angoissos et ab plor (dans Mahn, Gedichte, n° 557).
  38. C’est ce que se propose de démontrer M. Salverda de Grave dans une étude qu’il publiera prochainement sur ce troubadour.
  39. Comte Charte (dans Raynouard, Choix, t. IV, p. 237).
  40. Après avoir décrit, comme tant d’autres poètes, les joies de la guerre et les affreuses beautés du champ de bataille : « Tout cela me plaît, ajoute-t-il, à condition pourtant que je n’y aille pas. »
  41. Chabaneau, Varia Provincialia, p. 36.
  42. Granet, par exemple, dans la pièce déjà citée plus haut.
  43. Peire Duran, En talent ai (Dans Mahn, Gedichte, n° 56).