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La Poupée sanglante/26

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Tallandier (p. 253-256).
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XXVI

L’ÉCHAFAUD

Le procès de Bénédict Masson eut lieu au commencement de novembre, à Melun. Il fut tel que l’avait fait prévoir l’enquête. Et même le cynisme de l’accusé semblait avoir augmenté si possible. Ses réponses étaient un mélange de Jean Hiroux et d’Émile Henry, de stupidité voulue et d’audacieuse menace, dans une langue qui tantôt était celle d’un charretier pour s’élever brusquement à l’âpreté souveraine et redoutable d’un prophète biblique, tantôt fleurie comme une page de Bernardin de Saint-Pierre que terminait le plus souvent une phrase d’abominable argot.

Le jury servit de cible à ses pires facéties. Il répéta au président de la cour ce qu’il avait dit au juge d’instruction, qu’il n’était point payé pour faire sa besogne, que c’était à la justice de découvrir ce qu’étaient devenues les demoiselles qui avaient passé à Corbillères, qu’en ce qui le concernait, leur sort ne l’intéressait en aucune façon et qu’enfin si on l’avait trouvé en train de brûler une petite fille découpée en morceaux, c’était là un accident regrettable, surtout pour elle, mais qui ne prouvait en rien sa culpabilité à lui.

Nous n’insisterons pas sur une attitude qui souleva, comme on dit, le cœur de tous les honnêtes gens. Le réquisitoire de l’avocat général fut, comme on le pense bien, implacable. Bénédict Masson pouvait d’autant moins compter sur l’indulgence du représentant du ministère public qu’il avait traité cet honorable magistrat dont le visage était grêlé des suites de la petite vérole de « moule à pilules » !…

L’instant le plus sensationnel de ces honteux débats fut, sans contredit, celui où Christine Norbert s’avança à la barre… Alors la façon d’être de l’accusé changea du tout au tout. Il perdit sa superbe, s’affala sur son banc et se cacha la tête dans ses bras. La déposition de Christine fut courte et terrible.

Mlle Norbert ne regarda pas une seule fois du côté de Bénédict, mais, tournée du côté des jurés, elle semblait leur dicter leur devoir. Ceux-ci n’y manquèrent point. Bénédict Masson fut condamné à mort.

Il refusa de signer son pourvoi en grâce. Le 2 décembre, la sinistre machine (style de la Gazette des Tribunaux) fut dressée à Melun devant la porte du cimetière. Il faisait un froid sévère. Tout le monde grelottait. Seul, le condamné, quand il descendit de la voiture qui ramenait de la prison, ne tremblait pas. Il portait haut cette tête qu’on allait lui trancher. Il considéra l’assemblée sans émoi. On s’attendait à une dernière insulte à l’adresse de la société sur laquelle, pendant tout le procès, il avait répandu sa bave amère. Il n’en fut rien. Il embrassa le christ, que lui tendait le prêtre, en prononçant ces mots :

— Celui-là, c’est un frère !

Et il se livra aux aides du bourreau.

Le couteau tomba. M. de Paris a dit souvent depuis qu’il n’avait jamais présidé à une exécution pareille. D’ordinaire, le condamné, dès qu’il est sur la planche et qu’on lui introduit le cou dans la lunette, semble se resserrer sur lui-même, rentrant la tête dans les épaules… Bénédict Masson, lui, se jeta sur cette planche comme sur un lit de repos longtemps attendu… et sa tête, projetée d’elle-même en avant, semblait déjà chercher le panier où elle allait rouler.

Le cimetière était à deux pas… La fosse était creusée. Il y eut un simulacre d’inhumation, mais la tête fut livrée aussitôt à un aide de la faculté de médecine de Paris, qui disparut immédiatement avec son sanglant trophée… (style des faits divers)…

Le même jour, le défenseur de ce malheureux faisait parvenir à Mlle Christine Norbert le seul papier laissé par son client. Elle put y lire ces vers de la Promenade sentimentale :

Le couchant dardait ses rayons suprêmes
Et le vent berçait les nénuphars blêmes ;
Les grands nénuphars entre les roseaux
Tristement luisaient sur les calmes eaux…
Moi, j’errais tout seul, promenant ma plaie
Au long de l’étang, parmi la saulaie…
Parmi la saulaie où j’errais tout seul
Promenant ma plaie, et l’épais linceul
Des ténèbres vint noyer les suprêmes
Rayons du couchant dans les ondes blêmes…

Sous ces vers, cette ligne : « Pourquoi êtes-vous venue ? »

Et, maintenant que Bénédict Masson est guillotiné, on pourra se demander pourquoi celui qui a rapporté ici cette affreuse aventure l’a qualifiée de « sublime » ? Elle est horrible, elle est « abominable », mais sublime ?… Eh bien, oui ; l’aventure de Bénédict Masson est sublime ! Elle est sublime en ce qu’elle ne fait commencer…[1]

FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE
  1. Lire la suite dans : La Machine à assassiner.