La Première campagne de Condé/04

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La Première campagne de Condé
Revue des Deux Mondes3e période, tome 57 (p. 241-269).
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LA
PREMIERE CAMPAGNE DE CONDE
1643

IV.[1]
LE SECOURS D’ALLEMAGNE.


XIX. — GUERRE EN ALLEMAGNE. — GUÉBRIANT ET SES CAMPAGNES, DE 1639 A 1642.

Si une bataille perdue en Picardie, aux frontières de l’Artois ou du Hainaut, pouvait être un danger de mort pour la France, le triomphe définitif des Impériaux en Allemagne n’eût pas été moins fatal. La maison de Hapsbourg sortant victorieuse de la guerre de trente ans, ce n’était pas seulement le despotisme universel fondé en Europe, c’était la France renfermée, étouffée dans les plus étroites limites, menacée de convoitises, de revendications constantes, de démembremens périodiques, ramenée aux plus mauvais jours de la guerre de cent ans, ouverte à l’invasion. C’était Annibal ad portas[2]. N’avait-on pas vu en 1636 l’armée de l’empereur établie en Bourgogne, descendant sur Lyon par la vallée de la Saône, tandis que les coureurs du roi catholique arrivaient aux portes de Paris ? Pour conjurer ce péril toujours menaçant et pour sauver l’Europe, la France devait son aide et son appui à ceux qui avaient entrepris ou accepté la lutte, agir elle-même avec toutes les ressources que d’autres difficultés, d’autres entreprises, extérieures ou intérieures, lui permettaient de consacrer à cette œuvre grandiose. N’ayant pas d’armée à envoyer au-delà du Rhin, Richelieu employa d’abord les subsides : le premier, le plus grand, le moins maniable de ces soudoyés fut Gustave-Adolphe. Après la mort de ce héros, le cardinal chercha des alliés dont les allures fussent moins indépendantes. En même temps qu’il renouvelait l’accord avec les Suédois, il traitait[3] avec « l’Union évangélique, » qui s’engageait, moyennant un million de livres par an, à maintenir trente mille hommes de pied et six mille chevaux ; mais de tous les princes qui signèrent le traité d’Heilbronn, le landgrave de Hesse seul resta fidèle à ses engagemens ; isolé, il était impuissant. L’insuffisance des alliés se trouvant démontrée, Richelieu voulut s’assurer par un achat en bonne forme un général avec ses troupes. Il y en avait plusieurs sur le marché qui s’offraient, se retiraient, donnaient des espérances, demandaient des surenchères. En dehors des deux grandes armées, celle de Suède, surtout puissante par l’organisation et la tactique, celle de l’empereur, considérable par le nombre, avec ces essaims de cavaliers venus des bords du Danube, qui rappelaient les hordes d’Attila, le sol de l’Allemagne s’était couvert de petites armées, de bandes de mercenaires, tantôt entretenues par un prince régnant comme le duc de Bavière, tantôt groupées autour d’un aventurier hardi, comme le bâtard Mansfeld, qui un moment fit trembler l’Europe, ailleurs suivant un de ces princes sans argent et sans terres, cadets de souverains ou souverains dépossédés, qui n’ayant qu’un titre et une épée, sont prêts à se vendre ou à se louer pour un temps : tels le duc Charles de Lorraine, ou le duc Bernard de Saxe-Weimar.

Issu de cette maison de Saxe qui avait disputé l’empire à Charles-Quint et qui était assurément la plus nationale, la plus illustre de l’Allemagne, grand, fort, le visage pâle, les yeux et les cheveux noirs, le regard froid et dur, ambitieux, sans scrupules, très doué pour la guerre, Bernard de Weimar avait débuté fort jeune par lever un corps de troupes que Gustave-Adolphe prit à sa solde. Il devint un des premiers lieutenans du roi, et après la catastrophe de Lützen partagea avec le comte de Horn le commandement de l’armée suédoise. La sanglante journée de Nördlingen (1634) rompit l’accord entre lui et les Suédois ; ceux-ci avaient laissé sur le terrain seize mille morts et quatre-vingts canons ; il est rare que la bonne intelligence entre alliés survive à un pareil désastre. Bernard fut accusé d’avoir fait donner et mal donner cette grande bataille perdue[4]. Il n’attendait qu’un prétexte pour recouvrer son indépendance ; le premier usage qu’il en fit fut de se vendre à la France (1635). Ce n’était pas tout à fait une désertion ; en se séparant de l’armée suédoise, il ne devenait pas l’ennemi de la couronne de Suède. Sans doute il emmenait plus de troupes qu’il n’en avait levé (douze mille fantassins et six mille chevaux, payés 4 millions par an) ; mais le noyau était bien à lui. Animé de la haine des Hapsbourg, tout en conservant un vague attachement à l’empire, il était résolu à reconstituer sur sa personne la grandeur de sa maison spoliée, et malgré les traités, les engagemens pris durant son voyage à Paris, il ne se livra jamais complètement. Depuis le jour où il entra au service de Louis XIII, il ne sortit guère d’un échiquier restreint, manœuvrant, prenant des places en Lorraine, en Franche-Comté, sur les deux rives du Rhin entre les Vosges et la Forêt-Noire. Nous ne voulons pas égarer le lecteur dans le dédale de cette période de la guerre de trente ans ; mais, sans essayer de démêler l’écheveau de ces opérations militaires si confuses, nous en marquerons les caractères principaux. Les mouvemens des armées qui ont parcouru les provinces germaniques entre la mort du roi Gustave et l’arrivée au premier plan des capitaines désintéressés, Guébriant, Mercy, Turenne, ne sauraient s’expliquer par des raisons purement stratégiques ou politiques ; princes ou généraux d’aventure obéissaient le plus souvent à deux mobiles plus puissans que les intérêts de leur cause : la nécessité des subsistances, les arrière-pensées personnelles. Il fallait vivre avant tout, chercher des recoins oubliés par les dévastateurs qui se succédaient depuis si longtemps dans ces malheureuses contrées ; en essayant de ménager ses amis et alliés, on évitait surtout les pays qu’une armée, amie ou ennemie, venait de quitter ; ils étaient épuisés pour longtemps. Puis venaient les visées particulières ; chacun de ces condottieri, qu’il soit grand ou médiocre, a une couronne à prendre ou à retrouver, un grand fief à gagner, un domaine à rétablir. En s’appliquant à conquérir solidement le Brisgau, le Sündgau, la Haute-Alsace, les places des Vosges, Bernard comptait bien ne pas se borner à servir la cause protestante ou à tenir ses engagemens envers le roi de France. Il croyait être sûr de travailler pour lui-même, soit qu’il réussît à s’approprier tout ou partie de ses conquêtes, soit qu’il y trouvât les élémens d’un échange pour aller fonder un état en Thuringe, près du berceau de sa famille.

Au mois de juillet 1639, il tomba malade en Franche-Comté ; ce fut une grande crise : s’il survivait, il gardait l’Alsace, pour lui d’abord, peut-être pour l’empire, certes pas pour la France ; s’il mourait, que de compétiteurs se disputeraient sa succession ! Le plus redoutable était le Palatin, dépouillé de ses états par l’Autriche, soutenu par l’Angleterre, par la Suède, avec les vœux secrets des autres puissances. Richelieu le fit arrêter comme il traversait la France, dans un incognito mal gardé ; ce fut un coup de maître ; l’habileté, la fermeté du comte de Guébriant et un grand sacrifice d’argent firent le reste. Bernard ne put atteindre Brisach et mourut à Neuenbourg[5]. La France recueillit l’héritage de l’illustre condottiere, une armée et deux places, Saverne et Brisach, les clés de l’Alsace.

Jean-Baptiste Budes de Guébriant, né en 1602 dans un modeste castel du diocèse de Saint-Brieuc, appartenait à une famille moins riche que noble : le plus clair de son héritage était sa parenté avec Du Guesclin. Il avait fait de bonnes études au collège de La Flèche, écrivait le français avec une pureté remarquable et savait assez de latin pour suivre une négociation dans cette langue. Simple soldat en Hollande, il fit deux années d’apprentissage militaire sous les maîtres de la tactique. A peine de retour, il sert un de ses amis qui se battait en duel, et le voilà forcé de quitter encore la France. On le laissa rentrer dans notre armée d’Italie ; il eut une compagnie au régiment de Piémont, puis fut admis aux gardes ; mais Paris ne le vit guère. Sauf pendant quelques mois après son mariage, il vécut toujours aux armées, surtout aux armées lointaines. Sa première action d’éclat fut en 1636, « l’année de Corbie, » au milieu d’une panique générale. Il arrivait d’Allemagne, se jeta dans Guise, qu’il sauva, et battit un parti espagnol près de La Capelle. Le roi le fit maréchal de camp et le renvoya en Valteline, sous le duc de Rohan ; c’était une bonne école, mais un service pénible et peu recherché.

De là, Guébriant ramena nos troupes (une poignée d’hommes) et joignit le duc Bernard, qui ne voulut plus se séparer de lui. Il eut alors un double caractère et une situation difficile. Commandant un contingent français au milieu d’une armée étrangère, il était en quelque sorte accrédité comme représentant de son roi auprès de ce prince allemand, dont il était aussi le lieutenant ; il se montra propre aux deux rôles. L’égalité de son humeur s’alliait à une fermeté inébranlable ; conciliant et plein de tact, il savait résister aux prétentions, aux caprices, parler fièrement au nom de la France. Bernard, qui l’avait eu à ses côtés à la journée de Wertenweil et durant le mémorable siège de Brisach, lui témoigna sa haute estime en lui léguant, avec ses armes, le fameux cheval noir Rapp, qui, disait-on, assistait son maître dans les mêlées, se jetant sur ceux qui cherchaient à le frapper, les renversant avec ses pieds, les déchirant avec ses dents. Guébriant n’était pas moins aimé de l’armée weymarienne que de son chef. Vivant au milieu de ces rudes soldats allemands et suédois, n’ayant pas leurs mœurs, ne parlant pas leur langue, il avait su conquérir leur confiance et même leur affection. Buveur d’eau, il avait eu l’art de persuader à ces terribles ivrognes qu’il se grisait avec eux ; quand ils s’aperçurent de sa feinte, ils l’avaient déjà si bien pris à gré qu’ils en rirent et lui pardonnèrent sa sobriété. Chef ou camarade d’hommes insatiables, parfois obligé de satisfaire leur avidité ou de fermer les yeux sur leurs rapines, il ne prit jamais rien, ne demanda ni argent, ni terres, et ceux qui pouvaient le moins comprendre cette conduite admiraient son désintéressement. Le burin de Nanteuil a reproduit ses traits ; l’emplâtre de taffetas noir qui cachait une large blessure reçue à la joue, ne dépare pas un visage grave et doux, où se reflète la sérénité de l’âme. Le lecteur me pardonnera si je l’arrête devant cette figure dont la contemplation repose : on aime à rester un peu avec cet homme d’un mérite si solide et si complet, qui ne fut ni ambitieux, ni cupide, que les honneurs allèrent chercher, qui ne fit que le bien, et ne pratiqua que le devoir.

Maintes fois, dans ses entretiens à moitié intimes, à moitié officiels avec le duc de Weimar, il l’avait sondé, essayant de l’amener à s’expliquer sur ses intentions, sur la suite qu’il donnerait aux engagemens pris avec la France ; il l’avait trouvé impénétrable. Un jour cependant il obtint une courte réponse qui n’était que trop claire : « Vous me demandez toujours Brisach, mais c’est demander à une sage fille son pucelage et à un homme de bien son honneur. » Aussi Guébriant veillait-il sans relâche, et lorsque son général malade quitta les bords de la Saône pour gagner sa forteresse du Rhin, il brava la contagion et suivit la litière de Bernard. Le fléau le frappe à son tour, l’arrête à Huningue ; là, il apprend que le duc expirant n’a pu dépasser Neuenbourg. Il accourt au risque de sa vie, arrive trop tard pour recevoir les adieux de son illustre chef et pousse aussitôt jusqu’à Brisach. Déjà, dans sa prévoyance, il avait secrètement fait marcher vers cette place la poignée de soldats français dont il disposait.

Brisach était entre les mains du général major d’Erlach, à qui le duc de Weimar l’avait confiée. C’était un Suisse du canton de Berne et de race militaire ; depuis cent cinquante ans, vingt-huit officiers de son nom avaient figuré sur les contrôles de l’armée française ; lui-même avait commandé quelque temps un régiment à notre service ; mais quelles que fussent ses sympathies pour la France, elles ne pouvaient l’aveugler sur ses intérêts ; c’était par là qu’il fallait le prendre. Déjà, à la première nouvelle de la maladie de Bernard, le général Bannier avait écrit (1er août 1639) au gouverneur de Brisach pour lui rappeler ses devoirs envers la couronne de Suède. Guébriant prouva facilement à son camarade que le roi de France était le plus puissant, le plus proche, que sa caisse était la mieux garnie, et que lui seul payait. D’Erlach se laissa persuader, fit une réponse évasive à Bannier ; écrivit au secrétaire d’état De Noyers une longue lettre où il indiquait ce qu’il y avait à faire pour conserver à la France, l’armée weymarienne et les places qu’elle occupait. Le courrier ne tarda pas à revenir, rapportant à d’Erlach le brevet d’une large pension, celui du gouvernement de Brisach, timbré cette fois aux armes de France ; des lettres de naturalisation, ce qui était un hors-d’œuvre, et, ce qui était plus positif, la patente pour l’exploitation des mines de Munster et de Delémont[6], qui devaient approvisionner de fer nos places et notre armée[7]. Avons-nous besoin d’ajouter que d’Erlach su tirer parti des droits que lui conférait cette patente et qu’il y veilla avec autant de jalousie qu’à tenir hors de Brisach tout agent qui pouvait le gêner ? Quatre colonels, qui prirent le nom de directeurs, traitèrent au nom de l’armée weymarienne définitivement engagée au service de la France, moyennant de larges avances immédiates et de1 bonnes garanties données, aux chefs et à leurs mandans.

Guébriant avait tout fait ; car lest commissaires spéciaux, d’Oysonville, Choisy, Tracy et autres ne signèrent que pour confirmer ses actes et sa parole. Il n’eut rien pour lui, ni argent, ni titre nouveau ; on lui trouvait encore trop peu d’étoffe pour lui donner officiellement l’autorité sur ces hommes qui ne connaissaient que lui. Le duc de Longueville fut nommé général de l’armée du roi, composée de deux groupes : les troupes récemment capitulées et qui restaient conduites par leurs directeurs ; le corps français, dont la petite bande d’Henri de Rohan formait le noyau, et dont le maréchal de camp, comte de Guébriant, conservait le commandement sous le nouveau général en chef. Longueville avait le sang de Danois, la bravoure héréditaire ; il ne manquait pas d’intelligence, mais de santé et d’activité ; négociateur plutôt que soldat, il parut irrégulièrement à l’année qu’il commandait, fut presque toujours en congé ; se réservant les conférences entre les ambassadeurs et ministres, il examinait sommairement les plans militaires de son maréchal de camp et lui en laissait l’exécution.

L’armée du roi prit immédiatement l’offensive (octobre 1639), passa le Rhin qu’aucun soldat français n’avait encore franchi[8], pénétra au cœur de l’Allemagne, décida la landgrave de Hesse à joindre à nos troupes les quelques milliers de bons soldats dont elle disposait[9], opéra avec les Suédois, puis hiverna sur la rive droite du fleuve pour empêcher l’ennemi de passer sur la rive gauche ; car il ne faut plus que les Impériaux ou leurs alliés remettent le pied sur cette terre d’Alsace dont nous avons jalonné l’occupation par quelques conquêtes et qui est en train de se donner à la France. Ce fut une affaire bien menée dès le début. Nulle tentative pour importer une administration étrangère, pour créer une organisation générale ; laisser subsister les gouvernemens locaux, n’inquiéter ni les magistrats élus ni les seigneurs héréditaires, protéger les catholiques contre l’oppression des Suédois, montrer aux luthériens que la retraite des Français les livrerait aux Espagnols : telle fut la ligne tracée à l’origine par Richelieu, maintenue par ses successeurs, suivie par des agens aussi intelligens que dévoués. Guébriant fut le premier à marcher dans cette voie ; nul ne fut plus hardi, plus persévérant ; jamais il ne perdit de vue le but principal : couvrir l’Alsace, lui assurer le repos, la laisser suivre sa pente naturelle, s’unir doucement à la France. C’était rompre le plus gros anneau de la lourde chaîne qui, tendue de Vienne à Anvers, enserrait la meilleure partie du monde ; c’était mériter à nos rois cet éloge que leur adressait un ministre hollandais[10], protestant passionné : « L’Europe est redevable aux Bourbons pour avoir rappelé la liberté mourante. »

Stratégiste de l’école de Gustave-Adolphe, il étend le théâtre de ses opérations et leur donne un caractère logique ; toutes appartenant à un même ensemble, chacune a un objet défini, soit qu’il vienne chercher auprès du Rhin des secours qui manquent trop souvent, soit que, renforcé ou non, bien ou mal payé, il reprenne son essor à travers l’Europe pour aller ici dégager une armée battue, là chercher un allié qui hésite, ailleurs dissiper un rassemblement ennemi qui se forme. Jamais il ne marche au hasard ; mais comme il va vite et loin ! Jetons un moment les yeux sur la carte d’Europe, non pour le suivre, mais pour marquer quelques uns des points où on le voit paraître. Le voici sur le Danube, aux portes de Ratisbonne, puis en pleine Allemagne du Nord, vainqueur à Wolfenbüttel. Quelques mois plus tard, nous le retrouvons dans le pays de Clèves, battant Lamboy, le faisant prisonnier, ruinant son armée. La saison ne l’arrête pas ; en plein hiver, il prend des places, gagne des batailles ; c’est au mois de janvier (1642) qu’il livra celle de Kempen. Puis il manœuvre entre le Rhin et la Basse-Meuse, menace les Espagnols victorieux, les force à lâcher prise et à perdre les fruits de la bataille d’Honnecourt. L’armée de Picardie dégagée, il passe en Saxe, donne la main à Torstenson près de Leipzig et achève en Thuringe sa belle campagne de 1642. Depuis plus d’un an, le duc de Longueville avait abandonné le titre d’un commandement qui n’avait jamais été que nominal. Gréé d’abord lieutenant-général, honoré du cordon bleu, Guébriant reçut le bâton de maréchal après la victoire de Kempen.

Ces honneurs, ces dignités ne le mirent pas à l’abri du mauvais vouloir de nos alliés les Suédois : ce n’était pas la moindre de ses difficultés. Dès le début, il avait eu maille à partir avec Bannier, vigoureux homme de guerre, mais violent, impatient de toute autorité, et d’habitudes si intempérantes qu’une fois l’ambassadeur de France, ayant affaire à lui, dut attendre quatre jours pour le trouver dans un moment lucide. Bannier cependant avait subi l’ascendant de Guébriant, manœuvrait d’accord avec lui, et l’avait si bien pris en amitié que, comme le duc Bernard, il finit par lui léguer ses armes. Il meurt, Torstenson le remplace, et tout est à recommencer. Très supérieur à son prédécesseur, mais obéissant à un patriotisme étroit, le nouveau général suédois ne veut sacrifier aucun des intérêts momentanés de la couronne de Suède aux intérêts généraux des alliés, revient sur sa parole, manque aux rendez-vous. Guébriant parvint à ne pas rompre avec lui, mais ne put jamais l’amener à une action commune. Que faire alors avec un fantôme d’armée ?

A Kempen, le maréchal avait dix-huit mille hommes et à Wolfenbüttel presque le double. Mais quand les Suédois s’éloignent, retournent en Poméranie ou manœuvrent en Bohême, quand les Hessois se reposent ou que le duc de Lunebourg retire ses troupes, quand les marches ont été longues, la saison rude, les combats sanglans, l’effectif tombe à douze, dix et jusqu’à huit mille hommes. C’est à ce dernier chiffre qu’en était Guébriant, lorsque Torstenson le laissa seul en Thuringe. Il fallut abandonner les entreprises pour se rapprocher de Brisach et retourner vers le Brisgau, tout en manœuvrant pour occuper l’ennemi. La petite armée repassa le Main, fit une pause sur le Tauber, une autre sur le Neckar, puis, serrée par les Bavarois et les Lorrains, descendit dans le val de la Kinsig ; l’ennemi disparut. On était en plein hiver ; les souffrances furent cruelles ; c’est au commencement de mars (1643) que Guébriant s’arrêta à Waldkirch, près de Fribourg.

Le climat, les manœuvres de l’ennemi, la désertion des alliés n’étaient pas les seuls obstacles contre lesquels il eut à lutter, sa propre armée était une source d’embarras continuels. Les Weymariens se battaient bien, mais quelle façon de servir ! D’abord, là où ils passaient, c’était le feu du ciel ; la Franche-Comté ne les a pas oubliés : on dit encore « l’année des Suédois » pour rappeler le temps où le duc Bernard traversa cette province. A chaque instant, les « directeurs » ou les officiers mettent le marché à la main : c’est Rosen qui réclame une augmentation de pension ; Oheim, qui trouve injuste que Taubadel, son cadet, soit mieux traité que lui ; Taubadel, qui se plaint d’avoir reçu une nouvelle qualité « sans gages ; » Schmittberg, qui se déclare trop pauvre pour soutenir l’honneur de la charge de général-major d’infanterie ; le duc George de Wurtemberg (un des meilleurs et des plus modestes), qui prie le roi d’avoir égard « à sa grande incommodité ; » ce sont les ritmestres qui réclament avec hauteur le remboursement des avances par eux faites aux reîtres pour épées, pistolets, bottes, éperons, manteaux, etc. ; tous accompagnant leurs réclamations de la menace d’un départ immédiat si elles ne sont pas accueillies ; sans parler des menées, des complots de ceux qui veulent vendre l’armée à l’empereur, des tentatives d’embauchage faites par les agens du doge de Venise. A chaque instant, l’édifice si patiemment élevé, si souvent étayé, menaçait de s’écrouler.

Le petit corps purement français qui, avec les Weymariens, formait l’armée du roi, donnait moins d’embarras. Il y avait là de bonnes troupes, le régiment de Montausier, par exemple, ceux de Roqueservière et de Tracy. Guébriant tirait parti avec art des aptitudes diverses des deux races et d’une certaine rivalité. Embrigadant des régimens français et allemands, il formait ainsi des groupes excellens, mais à la condition de laisser à chaque troupe ses habitudes et son organisation : « En joignant le régiment de Roqueservière la celui de Schmittberg, on aurait la meilleure brigade d’Allemagne, mais à la condition que le régiment de Schmittberg demeurât sur le pied allemand, sans quoy aucun officier ni soldat n’y demeureroit une heure[11]. » Restait la difficulté presque insurmontable du recrutement ; les colonels ne pouvant guère faire des levées de si loin, on essaya divers procédés : d’abord ce qu’on appelait les contingens des « vieilles garnisons, » c’est-à-dire des détachemens tirés des places fortes les moins éloignées ; ordre était donné aux gouverneurs d’envoyer à l’armée d’Allemagne des soldats éprouvés, et ils recevaient l’argent nécessaire pour les remplacer par des recrues. Mais les hommes des « vieilles garnisons » avaient presque tous laissé des femmes derrière eux ; ils désertaient pour les rejoindre ; les gouverneurs fermaient les yeux et les enrôlaient à vil prix sous d’autres noms. L’envoi de régimens tout formés ne réussit pas mieux ; les soldats qui rentraient d’Allemagne, régulièrement ou irrégulièrement, faisaient de leurs souffrances, avec l’exagération ordinaire, un tableau effrayant, peignaient les longues marches, les mois passés au bivouac, sur la neige, au milieu de forêts de pins, la maigre pitance qu’il fallait disputer à de malheureux paysans épars dans quelques villages épuisés et à peu près bloqués par les armées ennemies. Le service en Allemagne était devenu pour les Français un objet d’aversion et presque d’épouvante. La correspondance du roi avec Guébriant est pleine de lettres comme, celle-ci : « Mon cousin, j’avois donné ordre aux régimens d’infanterie de Courcelles et de Lesdiguières de passer en Allemagne, mais les officiers et les soldats ont eu si peu d’affection à leur de voir et ont témoigné tant d’aversion à ce voyage qu’aussitôt qu’ils se sont approchés de la Lorraine, ils se sont dissipés[12]. »

Voyant combien il était difficile d’obtenir qu’on lui envoyât des troupes et plus difficile encore de les retenir, le maréchal conseilla d’essayer une levée dans son cher pays de Bretagne. Avec du genièvre et de faibles primes on parvint à racoler quelques centaines de recrues ; comme cela paraissait insuffisant, on fit de véritables battues dans les champs et dans les villages, et on poussa quelques milliers de malheureux sur les ports de mer, où on les embarqua, enchaînés, sans armes et presque sans vêtemens. Les bateaux qui les portaient lurent dirigés sur la Hollande, puis remontèrent le Rhin ; on les débarqua dans le pays de Juliers, près du camp qu’occupait alors Guébriant, et son bon cœur fut vivement ému de l’état dans lequel il les vit. Il les fit traiter de son mieux, donna à chacun d’eux un habit gris, etc., mais la nostalgie les saisit ; la plupart moururent ou se sauvèrent.

Guébriant voyait ainsi fondre son armée et s’évaporer les secours qu’on lui expédiait on lui promettait. Il jugeait bien que jamais il ne serait rejoint par les petits détachemens ; c’était une nouvelle armée qu’il fallait mettre à côté de la sienne. D’autre part, il avait compris que la campagne qui allait s’ouvrir (1643) pouvait avoir une importance capitale, car les préliminaires de la paix venaient d’être signés, et chaque état avait hâte d’améliorer sa situation en vue d’un traité définitif conclu sur la base de l’uti possidetis ; aussi, tandis que les troupes de Guébriant se reposaient en Brisgau, son esprit, qui ne se reposait jamais, enfantait un plan de campagne qu’il soumit au roi avec des développemens très complets dans une longue et remarquable dépêche datée du 20 mars 1643. Il conseillait de renoncer aux petits groupes et aux entreprises secondaires, le siège de La Motte, les courses dans les Pays-Bas ou en Franche-Comté, de former deux corps vers Amiens et à Brisach, le premier contenant et occupant les Espagnols, le second descendant la vallée du Rhin jusqu’à Mayence ; puis, les deux armées, s’unissant sur la Moselle, écrasant les bandes impériales, auraient terminé la campagne par le siège de Thionville et peut-être, du coup, mis fin à la guerre.

Les circonstances, les vues de Louis XIII, sa mort, l’agression de Melo, ne permirent pas de suivre ce plan si bien tracé ; peut-être même ne fut-il jamais sérieusement examiné ; l’hésitation que Mazarin montra après Rocroy et dans d’autres circonstances permet de le croire ; en tout cas, Guébriant ne reçut pas de réponse. — Sa tristesse était grande. Nous avons essayé de donner une idée de ses exploits et de son labeur ; lui seul peut dire par quelles épreuves passa son âme et quelles furent les souffrances de son cœur. Prenons au hasard dans ses lettres au ministre de la guerre : « Je suis en un pays et avec une nation dont je ne sais pas la langue, avec quatre armées différentes et sans avoir d’authorité que sur la moindre partie de celle du roy. Les difficultés s’augmentent tous les jours, aussi bien que les insolences des troupes. — Celles dont on se pouvait assurer diminuent tous les jours, tant par la mort que par l’extrême misère qu’elles souffrent. Ne voyant aucune espérance d’en avoir d’autres, je me suis résolu de vous supplier encore une fois, monsieur, de me faire avoir mon congé, vous protestant et jurant en foy d’homme de bien que, hors la disgrâce du roy, mon maître, je préfère, non-seulement la Bastille, mais la mort même à demeurer plus longtemps icy, où je ne puis attendre qu’une perte entière de ma réputation, que je cherche à établir depuis vingt ans sans avoir jamais épargné ny mon sang ny ma vie[13]. »

Et cependant il restait et il marchait, et il continuait de se battre, de passer des hivers dans la neige et dans la boue, de lutter avec ces égoïstes, de soutenir ces découragés. Il vécut ainsi sept ans (1637 à 1643) sans revoir la France, sa famille, son cher pays de - Saint-Brieuc, sans prendre aucun congé. Lorsqu’enfin, à bout de forces, au printemps de 1643, il demanda avec de nouvelles instances quelques jours de repos, le roi le retint à son poste, mais autorisa la maréchale à l’aller visiter au milieu de son armée. Guébriant courut au-devant de sa femme avec un empressement juvénile, la reçut aux limites de son commandement, dans les Vosges, la conduisit à Brisach, l’y fêta de son mieux. Ce fut comme un rayon lumineux dans le ciel sombre de ce brave homme ; mais ce ne fut qu’un éclair ; il fallut se séparer au bout de peu de jours : Guébriant avait reçu l’ordre de manœuvrer pour couvrir le siège de Thionville. La maréchale reprit le chemin de Paris et son mari marcha vers le lac de Constance.


XX. — CAMPAGNE DE GUEBRIANT EN 1643, SES RELATIONS AVEC LE DUC D’ANGUIEN.

Le jour même (8 juin 1643) où Mazarin, cédant aux instances du duc d’Anguien, avait fait expédier au marquis de Gesvres l’ordre définitif d’investir Thionville, le roi avait écrit au général de ses armées d’Allemagne pour l’informer de cette résolution et l’inviter « à en favoriser le succès. » Par une remarquable coïncidence, le vainqueur de Rocroy, rentrant, sans le savoir, dans l’ordre des idées que Guébriant développait deux mois plus tôt, allait aborder par la conclusion le plan qui, expédié le 20 mars de Waldkirch, était déjà enfoui dans les cartons du ministère, oublié des uns, ignoré des autres. La lettre du roi n’était pas encore arrivée au quartier-général de Waldshut que déjà on y connaissait la marche de l’armée de Picardie vers la Moselle[14], et Guébriant avait commencé à manœuvrer lorsqu’il reçut une dépêche où le duc d’Anguien, racontant les premiers travaux du siège, rappelait que « Thionville ne pouvait être secouru que par les troupes d’Allemagne, puisque celles de Flandres sont défaites. C’est à vous, Monsieur, à les empescher de venir et à me donner avis de leur marche. » Guébriant comptait bien « les empescher de venir, » ôter toute espérance de secours à Beck et à Melo. Au lieu de pousser vers le nord, en se rapprochant de la place attaquée, il prit la route de l’est pour attirer sur lui Lorrains, Bavarois, Impériaux, tous ceux que l’indifférence, l’inertie de nos alliés ou leur secret mauvais vouloir, laissaient libres de menacer l’armée assiégeante. Quelques mouvemens préparatoires l’ayant déjà ramené dans cette direction, il transporta son quartier-général de Waldshut à Engen, centre d’une nouvelle base d’opérations étudiée d’avance, jalonnée par la forteresse d’Hohentwiel, que nous occupions depuis assez longtemps, ainsi que par les places de Tütlingen sur le Haut Danube et d’Uberlingen sur le lac de Constance, dont le colonel Widerbold et le général major d’Oysonville s’étaient plus récemment emparés. Il comptait s’avancer à travers ces belles contrées qui avoisinent le lac de Constance et qui ont été le théâtre des exploits de Moreau ; son esprit hardi et fécond, qui avait déjà conçu la conquête du Rhin, avait préparé la marche par le Danube. Il voulait, par une voie encore inexplorée, porter la guerre au cœur des états du duc de Bavière et comptait atteindre l’Iller dans cette campagne ; déjà il était établi auprès de la célèbre abbaye de Salem[15], et ses coureurs avaient poussé jusqu’à Lindau. Mais le duc de Bavière avait confié son armée à un général doué d’une rare pénétration, très sûr de ses calculs, méthodique et cependant prompt à prendre son parti, lisant le terrain très vite et très bien, ayant un tact particulier à choisir les positions défensives et une grande habileté à en tirer parti. C’était le colonel que nous avons vu monter à l’assaut de Saint-Jean de Losne, celui que nous allons bientôt retrouver en face du duc d’Anguien, le gentilhomme lorrain François de Mercy[16]. Guébriant croyait encore l’armée bavaroise sur le Neckar ou sur la Kinsig, lorsqu’il la trouva établie près du Markdorf et lui barrant la route ; Mercy avait l’avantage de la position et du nombre. Le maréchal changea son plan et, remontant vers le Haut-Neckar, attaqua la place de Rottweil, dont la possession lui paraissait devoir compléter son système d’occupation et se rattachait aux projets qu’il avait formés pour l’avenir ; mais là encore il fut prévenu par Mercy, manqua son coup de main. Repoussé du Neckar, il revint à son camp du mois de mars, à Wolsack, sur la Kinsig ; au moins avait-il atteint son but immédiat, empêché Lorrains et Bavarois de secourir Thionville. En effet, la réduction de cette place était déjà assurée, et le 10 août Anguien écrivait à Guébriant : « Mon armée est libre et celle de M. d’Angoulême étant à Verdun pour occuper mes postes, je suis en état de vous assister si vous voulez entreprendre quelque chose au-delà du Rhin. C’est donc à vous, Monsieur, de me mander franchement l’état auquel vous estes, celuy des ennemys et ce que vous pouvez entreprendre ; vous promettant de contribuer tout ce quy sera en mon pouvoir pour favoriser vos desseins… Notre armée est encore bonne et en fort bon état… Envoyez-moi quelqu’un bien instruit de vos intentions, et qui soit homme de créance. Nous pourrions faire quelque projet qui seroit avantageux au service du roy[17]. »

Guébriant répondit à cette ouverture par l’envoi d’un de ses généraux-majors français, Roqueservière ; à ce moment, le commandant de l’armée d’Allemagne était surtout préoccupé de l’orage qui menaçait notre récente conquête de Thionville. Ayant perdu le contact avec les Bavarois qui étaient remontés vers le Nord, il les croyait disposés à passer sur la rive gauche du Rhin, où les avaient précédés les Lorrains du duc Charles et où Hatzfeld allait peut-être les suivre. Guébriant voyait déjà toutes ces armées ennemies se réunissant sur la Moselle aux Espagnols, aux troupes de Beck, aux débris de celles de Melo, et ces coalisés marchant ensemble contre le duc d’Anguien, le surprenant au milieu de la confusion que présentent les abords d’une place à la suite d’un long siège. Il offrait de passer le Rhin et de marcher vers le prince, soit avec ses dix vieux régimens de cavalerie, soit avec toute son armée.

Roqueservière trouva M. le Duc à peu près sorti du chaos, ayant comblé ses tranchées, rasé ses lignes, réparé, regarni la place, très fatigué lui-même, ainsi que ses troupes, mais toujours plein d’entrain, se préparant à parcourir le Luxembourg, à chercher Beck de tous côtés, à Sierck, sur la Sarre, à Longwy. Il se conformait ainsi aux derniers ordres qu’il avait reçus de la cour autant qu’il pouvait saisir le sens de dépêches dont les dernières phrases contredisaient souvent la première. Ainsi la lettre du 12 août, qui prescrit d’attaquer Sierck et Longwy, est pleine de réticences, de sous-entendus ; le 20, il n’est plus question que de quartiers de rafraîchissement pour les troupes ; enfin, le 29, le roi donne des ordres précis pour le licenciement de plusieurs régimens en annonçant qu’ils seraient bientôt remplacés par de nouvelles levées (on sait ce que valent de telles promesses), et, le même jour, il met le duc d’Anguien en garde contre une attaque de forces ennemies récemment concentrées et qu’on n’estimait pas à moins de vingt-deux mille hommes. Anguien, cependant, achevait ses dernières opérations, complétait ses préparatifs pour mettre les troupes en quartier, cherchait à rencontrer le duc d’Angoulême, désigné pour commander sur la frontière après son départ et à qui la goutte faisait manquer tous les rendez-vous. Cheminant entre Thionville, Metz et Sierck, M. le Duc écrivait à Mazarin, il insistait sur la nécessité de ne pas terminer la campagne sans avoir puissamment assisté Guébriant, et sur l’urgence de lui assurer la coopération des Hessois et des Suédois réunis. Il était déjà tard ; peut-être était-il encore temps de modifier les résolutions prises, de suspendre les ordres donnés pour le licenciement d’une partie des troupes et la mise en quartiers des autres. Mais le cardinal remercia Anguien de ses avis (3 septembre) et l’assurant que toutes les mesures étaient prises, lui fit expédier l’ordre de renoncer à l’opération de Longwy, d’envoyer un détachement de deux mille hommes en Allemagne et de faire occuper au reste de l’armée les quartiers déjà indiqués (ordre du roi du 4 septembre). Ce même jour, M. le Duc prenait Sierck. Dès qu’il reçut les nouvelles instructions de sa majesté, il en assura l’exécution et, malgré l’urgence de ses affaires, ne prit la route de Paris qu’après avoir pourvu à tout (12 septembre).

Il y avait plus d’un mois que parens, amis, serviteurs le pressaient de revenir à la cour, de ne pas épuiser ses forces dans des opérations secondaires ; il avait assez tenté la fortune ; la victoire de Rocroy et la prise de Thionville suffisaient pour une campagne. Sierck et Longwy[18], deux bicoques, n’étaient pas des conquêtes dignes de lui, son père le disait sans ambages, et le premier ministre l’insinuait entre mille complimens[19]. Dans toutes leurs lettres, M. le Prince, Mme la Princesse, le duc de Longueville reprochaient à M. le Duc de trop négliger ses intérêts, de solliciter des faveurs pour tout le monde sans rien exiger pour lui-même : « Vous laissez passer le moment, lui répétaient ses correspondans ; on paie vos services avec les récompenses données à d’autres ; quant à vous, vous n’aurez ni gouvernement, ni pension, rien enfin que… des dettes. » M. le Prince revenait sur ce dernier point avec insistance. Il avait beau pester contre les conseillers de son fils, tonner contre ses prodigalités, envoyer à Girard des modèles de comptabilité et des projets de combinaisons financières ; rien n’y faisait ; non-seulement M. le Duc avait employé pour la solde, pour les travaux, pour les vivres, jusqu’au dernier sou des fonds qui lui avaient été envoyés et même des gratifications que la régente lui offrait au nom du roi, « les avançant du sien, » ainsi que les ministres le faisaient sonner bien haut ; mais il avait acquitté une partie des dépenses du siège au moyen d’un emprunt fait à son beau-frère Longueville, ce qui avait jeté M. le Prince dans un véritable désespoir lorsqu’il l’avait découvert. Il était urgent de régler ces affaires. Un motif d’ordre plus noble appelait aussi M. le Duc auprès de sa famille ; le 29 juillet, sa femme lui avait donné un fils « le plus beau du monde et qui vous ressemble ; c’est merveille que la grosseur de cet enfant, veu la petitesse de la mère. » La duchesse était restée souffrante ; elle avait la fièvre ; « le retour de son mari la guérirait. » — « Vous avez reçu permission de venir icy, écrivait M. le Prince dès le 14 août. Au nom de Dieu, profitez-en[20]. »

Mais le duc d’Anguien avait l’âme assez haute pour résister à tant de sollicitations pressantes, et même à un attrait peut-être plus vif encore (car il n’aurait pas fallu chercher bien loin dans les replis de son cœur pour y trouver un sentiment qui n’était ni l’amour conjugal ni la tendresse paternelle), et il répondait à son père : « Je souhaiterais avec passion pouvoir retourner auprès de vous dès à cet heure ; mais je ne crois pas que je le puisse encore faire avec honneur, ny mesme pour le bien du service[21]. »


XXI. — PRÉPARATIFS DU SECOURS D’ALLEMAGNE. — INCIDENT.

Il attendait une tentative de l’ennemi, une attaque combinée, Beck, le duc Charles, Hatzfeld et peut-être Mercy, ou une nouvelle direction, l’ordre de combiner une opération avec Guébriant. Voici enfin des instructions précises ; toute nouvelle entreprise lui est interdite ; la composition du détachement qui doit passer en Allemagne est fixée ainsi que l’état des troupes à mettre en quartiers. Il est allé chercher Beck aux portes de Luxembourg, et Beck n’a pas bougé ; nul danger pour la frontière ni pour sa conquête ; la saison des opérations touche à son terme, son retour est attendu ; il dirige ses troupes sur leurs quartiers, voit partir d’Aumont et Sirot, qui les conduisent, expédie en avant de lui La Moussaye d’abord, puis Espenan, et part le dernier du camp d’Étain, où il n’y a plus d’armée (12 septembre). Il approche de Paris et vient de passer Dormans lorsque son carrosse est arrêté par un voyageur qui allait le chercher à son quartier-général. C’était M. de Tracy[22], commissaire-général et colonel dans l’armée d’Allemagne.

Tracy avait laissé Guébriant le 2 septembre à Ernstein, en Alsace, sur l’Ill, à environ quatre lieues au sud-ouest de Strasbourg. L’armée française d’Allemagne avait dû repasser le Rhin, non plus pour assister celle du Luxembourg[23] et l’aider à repousser une coalition d’Impériaux et d’Espagnols, mais parce qu’elle ne pouvait plus se maintenir dans le pays de Bade ; les Bavarois renforcés s’étaient rapprochés du Rhin ; privé du concours des Hessois, qui s’étaient cantonnés dans leur pays, obligé de laisser une force considérable dans Brisach, et ne voulant pas dégarnir les places avancées de Hohentwiel et d’Uberlinden, le maréchal manquait d’hommes pour résister à Mercy, qu’Hatzfeld pouvait rejoindre d’un moment à l’autre. Il avait adressé au roi un appel suprême, demandant un secours effectif pour reprendre l’offensive. Si on ne pouvait l’assister, il serait forcé d’abandonner l’Alsace, et, ne voulant pas repasser les Vosges, il irait s’établir en Franche-Comté, d’où il menacerait le flanc d’une armée d’invasion. Avec ces dépêches de Guébriant, la cour recevait d’Alsace un flot de réclamations, du gouverneur suédois de Benfeld, des chefs de la noblesse libre et franche du saint-empire, de Basse-Alsace, des préteur et sénat de Strasbourg, des magistrats des villes qui s’étaient données à la France, tous parlant au nom de leurs sujets, alliés ou administrés, tous effrayés ou irrités de voir le fléau de la guerre ramené sur la rive gauche du Rhin, leur pays exposé aux ravages des Bavarois, et déjà livré aux déprédations des Weymariens, hôtes fort incommodes. L’ambassadeur de Suède, à Paris, Grotius, s’était non moins vivement plaint d’un mouvement de retraite qui mettait en péril l’armée de son souverain. Mazarin comprit alors, ce qu’il aurait dû prévoir de longue date, les conséquences de l’inévitable retraite de notre armée d’Allemagne : l’Alsace arrachée à la France ou se détachant d’elle ; nos alliés écrasés ; nos ennemie se saisissant de places et de territoires pour que leurs négociateurs aient les mains pleines à Munster et ferment la bouche aux nôtres. Il se hâta de prescrire la formation sur la Meuse d’un corps de huit à neuf mille hommes destiné à marcher immédiatement vers le Rhin. Le duc d’Anguien devait le conduire ; une fois réuni à Guébriant, il était autorisé à prendre le commandement en chef ; le maréchal avait déclaré d’avance qu’il était prêt à lui obéir en tout. Les ordres de détail sont contenus dans un groupe de lettres royales datées du 8 au 10 septembre. Tout y est prévu : organisation du commandement, mouvemens de troupes, itinéraires, subsistances, jusqu’à la recommandation de faire cuire fortement le pain pour qu’il puisse être conservé plusieurs jours sur les voitures. Ce fut vite et bien ordonné, mais il aurait fallu, s’y prendre six semaines plus tôt.

Ces instructions furent remises à Tracy, qui dut partir de Paris le 12 ou le 13 (septembre). Un avis à mots couverts avait été confié le 8 au marquis de Noirmoutiers[24], qui ne paraît pas avoir rejoint M. le Duc, et la première nouvelle qu’eut ce dernier des résolutions prises sur les affaires d’Allemagne lui fut donnée par Tracy. Il était sur le grand chemin, à quelques lieues de Paris ; il continua sa route, ne pouvant mieux faire ; le messager de Guébriant revint sur ses pas avec lui. Arrivé ; à Paris vers le 18, le jeune prince s’appliqua aussitôt à se bien pénétrer des intentions du conseil et à se mettre en mesure de les remplir. Dès le 25, le roi, sans nommer l’Allemagne, tant on était effrayé de l’effet que ce mot fatidique produisait sur les esprits, adressait une instruction définitive à M. le Duc « allant vers la Sarre » et confirmait « tout ce qui lui a été dit de vive voix depuis qu’il est de retour par-deçà. » Le but que se proposait le conseil de sa majesté était de permettre à Guébriant de prendre ses quartiers au-delà du Rhin et « d’occuper l’armée de Bavière à l’avantage de cette couronne et de ses alliés. » Mais les instructions allaient bien plus loin et traçaient un plan de campagne dont l’exécution aurait exigé une saison tout entière et des forces considérables. Il s’agissait de prendre Spire, Worms et Mayence ; M. le Duc devait y marcher droit par Saarbruck, Kaiserslautern, Neustadt (an der Hart), attaquer les places du Rhin avec toutes ses forces réunies aux troupes de Guébriant et à celles de la landgrave de Hesse. Comment Guébriant, à peine en état de se maintenir en Alsace, pourrait-il descendre le fleuve jusqu’à Mayence ? par quels argumens, quelles promesses déciderait-on les Hessois à rentrer en campagne ? Sur ces points la dépêche était muette. Nous n’avons pas besoin d’insister sur ce qu’il y avait de périlleux dans cette combinaison. C’était le projet que Guébriant avait présenté à la fin de l’hiver, qui reparaissait plus ou moins transformé et qui, praticable au mois d’avril, était devenu chimérique au mois d’octobre. Avec son bon sens, M. le Prince avait vu clair, et il dut répéter à son fils, ce qu’il lui avait écrit tout d’abord : « Ne prenez pas ce leurre de trois places en quarante jours qui n’est mis en avant que pour obtenir le secours[25]. »

Que se passa-t-il alors ? Le duc d’Anguien, en se présentant au Louvre, avait refusé de déposséder Guébriant de son commandement, mais s’était déclaré prêt à marcher à son secours ; il avait conféré avec les ministres, reçu les ordres du roi ; tout à coup on apprend qu’il est remplacé par le duc d’Angoulême. Eut-il quelque hésitation lorsqu’il vit reparaître la chimère des trois places en quarante jours ? Céda-t-il un moment aux suggestions de maint donneur d’avis, en essayant d’obtenir le remboursement de ses avances ou en mettant un haut prix au nouveau service qui lui était demandé ? On répandait dans le public que M. le Prince avait réclamé pour son fils le gouvernement de Languedoc. Mazarin, dans ses « carnets, » dit que M. le Prince désirait ce gouvernement pour lui-même, et qu’il offrait de céder la Bourgogne à son fils, à moins qu’on ne lui donnât la Champagne ; de son côté, M. le Duc aurait fait parler de Metz et des Trois-Évêchés ; et, à cette occasion, le cardinal se plaint de l’avidité de la maison de Condé. Sans doute, M. le Prince n’était pas un modèle de désintéressement, et son fils fut plus tard enflammé d’une ambition dont la hauteur ne s’était pas encore révélée ; mais en cette circonstance, les prétentions du père et du fils n’avaient rien d’arrogant, ni d’excessif ; car elles ne furent même pas formulées. Voici ce que nous lisons dans un court mémoire remis à ce moment même par M. le Prince à la régente : « Le duc d’Anguien a vécu dans l’espérance des bonnes volontés de la royne en faveur des services qu’il a rendus à l’estât, au roy et à elle ; mais il ne capitule pas avec sa souveraine et attendra l’effet de sa bonne volonté au temps qu’elle dict la vouloir faire paroistre[26]. » Un tel langage ne justifie pas l’invective du cardinal contre la cupidité d’autrui. D’ailleurs la note des « carnets » n’a pas de date ; elle fait partie d’un système apologétique qui ressemble fort à un plaidoyer écrit après coup. Mazarin en était alors à ses débuts comme premier ministre ; certaines parties de l’homme d’état lui manquaient ; il employait encore trop volontiers, dans la direction de la guerre, les procédés qui conviennent aux négociations : ainsi qu’au lendemain de Rocroy, il se montra indécis après la prise de Thionville ; il vit juste, mais trop tard.

Le retour du duc d’Anguien à Paris était généralement attendu aussitôt après la fin du siège. Et cependant lorsqu’il y parut un mois plus tard, quelques personnes jouèrent la surprise. Les discussions qui eurent lieu dans le conseil trouvèrent de l’écho dans le cercle des ambassadeurs et des courtisans. Survint le remplacement éphémère du duc d’Anguien par le duc d’Angoulême ; cet incident, presque burlesque, ressemblait trop à une scène de la comédie italienne et trahissait l’origine du premier ministre ; toutefois on en parla diversement. La vérité est que M. le Prince ne voulait ni qu’on lançât son fils dans une aventure, ni qu’on le chargeât d’une simple conduite de troupes. C’est malgré la vive résistance de son père que le duc d’Anguien se rendit au vœu du conseil, et la régente, le cardinal, tous les ministres reconnurent hautement le grand service qu’il rendit, le désintéressement dont il fit preuve en acceptant une mission qui revenait plutôt à un maréchal de camp qu’à un général en chef. Plus tard, après les événemens accomplis le ton se modifia ; alors on laissa dire que le vainqueur de Rocroy avait, par son retour et son séjour à Paris, à la fin de septembre, compromis le succès de la campagne d’Allemagne, et cette insinuation se glissa parmi les souvenirs, plus ou moins exacts, que Mazarin enregistrait à propos d’incidens nouveaux[27] ; mais les notes prises par le ministre en 1643 témoignent que le jeune général était venu à Paris muni d’une permission régulière[28]. L’examen des dates et des dépêches renverse le fondement de l’accusation ; si l’armée de Guébriant n’a pas été secourue en temps utile, la responsabilité appartient au premier ministre. L’orgueil et les passions ont entraîné le grand Condé à des fautes, à des actes coupables qui sont assez connus et que nous ne dissimulerons pas. Le soldat reste sans reproche ; jamais il n’a manqué au dévoûment professionnel. Mais c’est assez chercher le mot de l’énigme. Voici le fait :


XXII. — LE SECOURS D’ALLEMAGNE.

Pendant quarante-huit heures, du 27 au 29 septembre, le duc d’Angoulême eut le titre de général de l’armée du Luxembourg, chargé de renforcer Guébriant, et il fut remplacé par le maréchal de Châtillon dans le commandement qu’il exerçait depuis plusieurs mois sur les frontières de Picardie et de Champagne. Les ordres furent préparés à cet effet ; quelques-uns même furent expédiés. Ils étaient tous révoqués le 30[29].

Le choix du vieux Charles de Valois n’était pas sérieux. Il n’avait jamais été bien habile ; il était alors complètement perclus, et il serait difficile de croire qu’on eût songé à lui, même pour un commandement, en quelque sorte postiche, de quarante-huit heures, si l’on n’avait sous les yeux les ordres ou avis donnés à divers ; mais, même pendant ces deux jours le duc d’Anguien ne cessa pas d’être désigné en fait pour conduire le secours en Allemagne. Il le conduisit en effet avec toute la diligence possible, sans mettre aucune condition à son obéissance, sans recevoir ni terre, ni pension, ni gouvernement. Pas une heure ne fut perdue par sa faute, ni dans l’expédition, ni dans l’exécution des ordres ; il suffit de changer un nom sur quelques pièces. Les deux intendans, Choisy et d’Oysonville, ne suspendirent pas un instant les préparatifs que les dépêches expédiées le 9, ou plutôt datées du 9, leur avaient prescrit de faire à Metz, Nancy, Saverne, et qui devaient prendre cinq ou six semaines ; car on ne pouvait rien improviser, rien omettre ; il fallait ménager nos conquêtes récentes, et faire en sorte que les troupes fussent bien pourvues sur leur route : un mécompte dans le service de la solde, du pain, des fourrages ou des transports eût été suivi d’un débandement général.

N’oublions pas que l’aversion des troupes pour « le voyage d’Allemagne » semblait insurmontable ; tous les renforts envoyés à Guébriant depuis deux ans avaient fondu comme la neige au soleil. Aussi multipliait-on les précautions : les intendans de justice et les prévôtés avaient reçu l’ordre de placer des archers à tous les passages de la Meuse, de la Marne, même de l’Aisne, pour arrêter les déserteurs ou les officiers revenant sans permission. « Ne donnez aucun congé, recommandait le ministre dans toutes les dépêches ; que personne ne puisse soupçonner le but de l’expédition[30]. » Précautions inutiles ! Le 19 septembre, d’Aumont écrivait à M. le Duc de son quartier-général de Bar : « Dans trois semaines, les troupes seront aussi en état de servir que jamais… au voyage d’Allemagne près. »

Et cependant les trois semaines n’étaient pas écoulées que ces troupes marchaient « vers la Sarre. » Cet euphémisme me faisait plus illusion à personne. Le nom du jeune et victorieux général avait produit un effet magique. Les officiers oublièrent leur misère, qui était grande ; les soldats avaient confiance ; tous partirent de bon cœur ; on regarda cela comme un miracle[31]. Espenan, d’Aumont, Sirot et Noirmoutiers, maréchaux de camp, marchaient à la tête des colonnes et furent bientôt rejoints par Bantzau, lieutenant-général. Le pain était prêt aux lieux indiqués ; la « montre » se fit attendre, comme toujours, mais finit par arriver. M. le Duc s’arracha aux félicitations, aux fêtes, aux plaisirs, aux joies de la famille, aux affaires, partit de Paris le 4 octobre et voyagea avec une rapidité inouïe pour l’époque, grâce aux relais que Bantzau, mettant à contribution les carrosses des évêques et des intendans, lui avait fait préparer partout. Arrivé Le 6 à Bar, il était, avec ses troupes, le 11 à Pont-à-Mousson, le 14 à Château-Salins, puis à Sarrebourg, où il reçut des nouvelles de Guébriant ; le messager était Tourville, premier gentilhomme de M. le Duc et proche parent du maréchal ; il était allé annoncer au quartier-général d’Ernstein la marche de l’armée du Luxembourg, et il rapportait une note confidentielle où Guébriant, insistant sur l’urgence des secours qu’il attendait, donnait quelques indications pour la marche sur Kaiserslautern et Spire dans le cas où M. le Duc voudrait l’entreprendre avec son armée affaiblie. Mais déjà Anguieu avait abandonné cet aventureux projet, et il venait d’expédier Chabot à la cour pour en donner avis[32]. Ayant rempli la première partie de ses instructions, atteint la Sarre avec toute son armée, il constitua définitivement le détachement destiné « à faire le reste du voyage. » C’était le moment critique ; mais « la présence du duc d’Anguien maintint tout le mande dans le devoir. » Le corps détaché, placé sous les ordres de Hautzau, Avec Sirot et Noirmoutiers pour maréchaux de camp, était de quatre mille hommes de pied et deux mille six cents chevaux ; on avait tenu à ce qu’il ne parût pas composé de troupes sacrifiées. A défaut des « vieux, » les deux régimens de la reine furent désignés pour en faire partie avec cinq compagnies des gardes françaises, et le régiment fatigué d’Aubeterre fut remplacé par le beau régiment « Mazarin. » (Royal-Italien), que le cardinal tenait toujours en parfait état, et qui venait de se distinguer au siège de Thionville. — Tandis. qu’Espenan et d’Aumont prenaient la direction du Bassigny avec les troupes désignées pour rentrer dans le royaume, M. le Duc continuait sa route avec les autres et allait coucher à Saverne, d’où il put contempler cette admirable plaine d’Alsace qui était déjà terre de France et qu’il devait conserver à la patrie, lorsque, trente-deux ans plus tard, sur la fin de sa carrière, il recueillit la succession militaire de Turenne.

Le 22 octobre, il rencontra. Guébriant, qui était venu l’attendre à trois lieues de Strasbourg, au château, de Dachstein, et lui offrit un banquet dont les principales villes d’Alsace, avaient voulu rehausser l’éclat. Colmar avait envoyé les carpes, perches et brochets du Rhin ; Strasbourg des pâtés de coqs bruans (coqs de bruyère), tout ornés de plumes de ces beaux oiseaux. Le maréchal avait amené les principaux de son armée.[33] pour les présenter au prince qui s’assit à table, entre deux colonels de maisons souveraines, le marquis de Bade-Dourlach et le duc George de Wurtemberg[34]. Le lendemain, M. le Duc vit en bataille la petite armée que Guébriant avait concentrée auprès d’Ernstein ; l’effectif, ne dépassait pas sept mille combattans, et que d’efforts, il avait fallu pour maintenir cette poignée d’hommes ensemble ! Ces troupes étaient plus belles que sûres ; malgré les rudes épreuves de la campagne, la cavalerie était très bien montée, « les Weymariens ayant une habileté particulière à se procurer, des chevaux[35] ; » elles se faisaient remarquer par une correction dans les alignemens et dans les manœuvres qui avait déjà frappé et surpris plusieurs princes allemands experts dans le détail de l’instruction des troupes. Après cette revue, Rantzau fut installé dans ses fonctions ; personne ne fit bonne mine au nouveau lieutenant-général ; trop connu dans cette armée, tenu en médiocre estime malgré sa grande vaillance, il excitait la jalousie de quelques-uns et n’inspirait pas confiance aux autres ; ce choix était une erreur qui fut payée cher.

Tandis que Guébriant achevait ses préparatifs, le duc d’Anguien fit une tournée en Alsace et Brisgau ; d’Erlach lui fit à Brisach une réception magnifique ; il ne fut pas moins bien accueilli, non-seulement à Haguenau, où il y avait garnison française, mais aussi à Benfeldt, dont le commandant suédois, Möckel, oublia un moment sa mauvaise humeur habituelle et le redoublement récent de son mécontentement, enfin à Strasbourg, où il fut admis avec une suite de soixante gentilshommes. Gouverneurs de places françaises ou étrangères, magistrats de villes libres, maîtres ou sujets, bourgeois et soldats, tous voulaient voir et fêter ce jeune prince, « déjà si grand capitaine et si renommé en son petit âge[36]. » M. le Duc profitait de cette excursion pour examiner avec soin les fortifications, recueillir des plans, acquérir une connaissance des lieux, des hommes et des choses qu’il devait mettre à profit plus tard. Il eut aussi plusieurs entretiens avec Guébriant et ses lieutenans, examina avec eux la situation militaire et donna son avis sur les opérations bien tardives, hélas ! qui allaient être entreprises.

Aux dernières nouvelles, les Bavarois étaient remontés vers le nord et se retranchaient sur l’Alb, d’Esslingen au Rhin. Ils se rapprochaient ainsi du duc Charles, qui se tenait à cheval sur le grand fleuve, gardant les ponts, ayant du monde à Landau, Worms, Spire. Ils restaient en communication avec Hatzfeld en marche vers le Main, et attendaient de nouveaux contingens. Maximilien disposé peut-être à négocier avec la France, mais voulant avant tout se faire craindre et compter, avait ordonné une sorte de levée en masse, appelé tous les gentilshommes de ses états, les chasseurs et forestiers des Alpes bavaroises. Ces forces, réunies sous la direction d’un général tel que Mercy, pouvaient produire un effort considérable ; cependant rien ne devait être complet avant le printemps, et les généraux alliés songeaient à hiverner en Franconie. Mais ils étaient tenus en suspens par les mouvemens de l’armée du Luxembourg, craignaient un retour offensif sur la Sarre et le Rhin moyen, voulaient rester à portée de leurs ponts et en mesure de secourir Beck et Melo. Était-ce pour détourner leur attention que Guébriant avait tant parlé de Worms et de Spire, et dans son insistance à conseiller la marche par Kaiserslautern, y avait-il eu quelque affectation, peut-être une indiscrétion volontaire ? Ces rumeurs accréditées avaient eu pour résultat de retenir l’ennemi, de le ramener vers le nord, de dégager la route qui s’ouvrait devant Guébriant. Celui-ci ne songeait qu’à s’assurer de bons quartiers en Souabe, à mettre en sûreté ses postes avancés aux sources du Danube et sur le lac de Constance, Hohentwiel, Tüttlingen, Uberlinden ; au printemps, il porterait la guerre dans les états mêmes du duc, ou plutôt, comme on l’appelait déjà, de l’électeur de Bavière, peut-être dans ceux de l’Empereur.

Des lettres pressantes furent adressées à Beauregard, notre ministre résident à Cassel près de la landgrave, aux généraux hessois qui étaient cantonnés en Westphalie, aux Suédois qui étaient encore plus loin ; on demandait à nos alliés d’observer les diverses armées ennemies, de les occuper, de les empêcher de se réunir. L’artillerie était insuffisante ; Guébriant avait espéré recevoir un parc qui n’était pas venu, Saint-Martin, lieutenant de l’artillerie détaché près de M. le Duc, n’ayant pas trouvé à Metz les ressources nécessaires ; cette lacune fut, avec l’envoi de Rantzau comme lieutenant-général, le grand mécompte de Guébriant. Cependant il ne perdit pas courage ; son obstination de Breton, sa hardiesse de capitaine, ne connaissaient pas d’obstacles. La saison était chaque jour plus défavorable : les pluies devenaient abondantes et froides dans la plaine ; les cimes se couvraient de neige ; mais si les intempéries lui créaient des difficultés, elles arrêteraient aussi les ennemis ; ses troupes ne souffriraient pas plus que l’hiver précédent, et alors elles avaient résisté. Les ennemis avaient plus de monde, mais ils étaient loin ; d’ailleurs, on ne pouvait ni rester en Alsace, ni abandonner cette province, ni s’arrêter sur la rive droite du Rhin pour recevoir un choc, le dos au fleuve. Il fallait traverser la Forêt-Noire et aller attendre le printemps entre le haut Danube et le lac de Constance. Le pont que Guébriant avait ordonné de construire s’achevait[37] ; les troupes étaient réunies ; l’argent manquait encore ; dès que les banquiers de Bâle eurent fait honneur aux traites envoyées de Paris, le passage commença et, la lune aidant, il fut achevé en trente-six heures. (30 octobre et 1er novembre.)

La veille, M. le Duc était venu à Ernstein souper au logis de Rantzau et coucher au quartier de Guébriant, avec lequel il s’était mis entièrement d’accord, et qu’il avait assisté, avec autant de tact que de dévoûment, lui donnant tout ce qu’il pouvait sans intervenir dans le maniement de ses forces, sans entraver sa liberté d’action. Il vit défiler l’armée refondue, portée maintenant à plus de douze mille hommes, et l’accompagna sur la rive gauche jusqu’à Ottenheim. Là, il embrassa pour la dernière fois le vaillant général qu’il ne devait plus revoir, et le laissa se dirigeant sur le débouché de la Kinsig. Puis il acheva sa tournée et, traversant les Vosges entre Sainte-Marie-aux-Mines et Saint-Dié, s’arrêta à Neufchâteau pour régler la mise en quartiers du reste de ses troupes ; il rentra dans Paris le 15 novembre.

XXIII. — LA MORT DE GUÉBRIANT.

Cependant Guébriant poursuivait vivement sa marche. La chaîne de la Forêt-Noire, dans sa partie méridionale surtout, est malaisée à traverser. On n’y rencontre pas les hautes barrières de rochers des Alpes ou des Pyrénées ; mais les accidens de terrain sont considérables, les pentes raides, les bois touffus, les gorges étroites et profondes. Les touristes qui, de nos jours, voyageant au cœur de l’été, remontent en voiturin de Fribourg à Donaueschingen, ou qui descendent sur Hausach en suivant les nombreux lacets du chemin de fer, peuvent se rendre compte des obstacles que rencontrait jadis une armée, s’engageant avec ses convois dans cette région, au commencement d’un hiver rigoureux, cheminant sur d’étroits sentiers couverts de neige ou de glace : « Je ne suis pas assez diable pour me risquer dans le val d’Enfer, » disait Villars en 1705, et Moreau passa pour un hardi capitaine lorsqu’il lança dans cette gorge son armée en retraite. Cependant, au mois de novembre 1643, Guébriant n’hésita pas à tenter le passage bien autrement difficile qui conduit de la vallée de la Kinsig dans celle du Neckar. Il y perdit des voitures, beaucoup de chevaux ; quelques hommes y périrent de froid ; bon nombre de traînards et de déserteurs restèrent en arrière, mais la ténacité du général en chef l’emporta ; en cinq jours, il arriva devant Rottweil (7 novembre).

Le jour même où Guébriant se présentait devant la place, son avant-garde, commandée par Rosen, était surprise à Geisingen[38]. Le général-major Reinhold von Rosen[39], « le vieux Rose, » comme on l’appelait, quoiqu’il eût à peine quarante-cinq ans, était un homme d’expérience, mais quinteux, égoïste, et alors fort mécontent d’être sous les ordres de Rantzau. Il s’était enfermé dans un château, laissant sa troupe sans direction. La garde, composée de cavaliers pris dans toutes les compagnies, était commandée par un ritmestre qui n’avait aucune autorité sur ces hommes Ainsi désignés[40] et ne se montra pas plus vigilant que son général. Elle fut surprise par une poignée de soldats sans donner l’alerte. Les dragons et les chevau-légers, déshabillés et endormis dans les villages, n’eurent que le temps de se sauver sans armes, chevaux ni bottes : « Voyez quel malheur par l’imprudence et négligence d’un homme à qui Dieu avait envoyé une bonne fortune entre les mains, s’il eût satisfait au devoir, non pas d’un général-major, mais d’un simple ritmestre[41]. »

Cet incident était de mauvais augure, mais Guébriant ne s’y arrêta pas ; il attachait une extrême importance à la prompte occupation de Rottweil, qu’il avait déjà essayé de surprendre quelques mois plus tôt et qui semblait devoir lui donner la sûreté de ses communications avec le Brisgau et la Haute-Alsace, la sécurité pour les cantonnemens qu’il allait faire prendre à ses troupes, la clé du Neckar et du Danube, le complément de la base d’opérations qu’il avait préparée, le moyen de reprendre au printemps la campagne que les incidens de l’été précédent l’avaient forcé d’interrompre.

Rottweil est le type des petites villes de la Souabe : hautes maisons à plusieurs étages, larges rues, jolie église, situation pittoresque au centre d’un plateau où le Neckar et ses affluens creusent de profonds ravins et qu’enveloppent de hautes et sombres collines dominées par les pitons de la Rauhe-Alp et de la Forêt-Noire. La place est bordée par la gorge du Neckar, protégée soit par des escarpemens, soit par un fossé profond, avec une épaisse muraille de grosses pierres que l’on démolit aujourd’hui. Sur un terre-plein au sommet de la ville, une tour de garde (wacht thurn) porte encore des empreintes de biscaïens ; le bastion, dont elle occupait la capitale, n’existe plus. C’était le front d’attaque ; là seulement on pouvait remuer la terre et faire les approches.

La place fut investie le 8, et le siège mené avec toute la rapidité que permettait l’état de la saison et des chemins. Le 17, Guébriant visitait les travaux, lorsqu’il fut frappé au bras droit. « Qu’es l-ce ? demanda-t-il au gentilhomme qui le suivait. — Monsieur, je crois que vous êtes blessé. — Je le sais bien, mais je vous demande ce que c’est. » C’était un coup de canon. Il continua d’encourager les soldats qui passaient, et comme le capitaine de ses gardes, Gauville, partait à la course pour aller chercher un chirurgien : « Allez doucement, Gauville, lui dit-il ; il ne faut jamais effrayer les soldats. » On le porta dans une cabane du voisinage, où il fallut l’amputer ; mais l’amputation fut mal faite et trop près de la fracture.

Le 19 novembre, la ville impériale de Rottweil capitula. Guébriant régla le détail de l’occupation et, le 20, il fit partir l’armée pour Tüttlingen, dans la vallée du Danube au milieu des pâturages qui bordent de. ce côté les rives du fleuve avant qu’il s’enfonce dans la gorge de Sigmaringen. — Le 21, on porta Guébriant dans sa conquête ; en passant sous la porte en ogive qui existe encore, il leva son bonnet de la main qui lui restait pour remercier Dieu. Le 21, on reconnut que la gangrène s’était mise dans la plaie, et le prêtre qui l’assistait lui demanda s’il était prêt à supporter une seconde amputation : « Qu’ils coupent, qu’ils taillent ! répliqua-t-il, ce qui ne servira pas à ma santé pourra servir à mon salut ; j’endurerai tout pour l’amour de Dieu. » Quelques heures plus tard, il rendit l’esprit. Dans le délire qui précéda sa fin, on l’entendit s’écrier : « Ah : ma pauvre armée ! On la défait. Mes armes ! mon cheval ! Tout est perdu si je n’y suis. »

Au moment où ce dernier cri du soldat et du capitaine s’échappait de la poitrine de Guébriant, l’armée française d’Allemagne était surprise et dispersée.

Les Hessois ne bougeant pas, les Suédois s’enfonçant de plus en plus vers le nord, la basse Moselle et le Main étant à l’abri de toute tentative immédiate, les Lorrains du duc Charles, les Bavarois de, Mercy et de Jean de Werth, les Impériaux de Hatzfeld avaient quitté les environs de Spire et de Karlsruhe pour aller hiverner en Franconie et se mettre en mesure de résister, au printemps, aux entreprises de Guébriant. Lorsqu’on apprit la blessure de ce dernier, l’infatigable Mercy espéra tirer parti de cet accident ; il décida ses alliés à « se mettre ensemble, » avant de prendre leurs quartiers, pour observer les derniers mouvemens de l’armée française. Celle-ci était déjà affaiblie par les privations, le feu, la désertion ; il y avait beaucoup de malades, quelques-uns des meilleurs officiers hors de combat : Taubadel, Montausier[42], Roqueservière. Les cantonnemens étaient mal pris. Le quartier-général, le canon, la poudre, une partie de l’infanterie et de la cavalerie étaient dans la petite ville de Tüttlingen ; Rosen avec l’avant-garde à Mülheim sur le Danube en descendant ; mais sa mauvaise humeur durait encore et il ne montra pas plus de vigilance qu’à Geisingen. L’ennemi marcha droit sur Tüttlingen, où l’on faisait la débauche, se saisit du parc laissé sans garde hors des murailles, tourna notre canon sur la place et y pénétra aussitôt. Il y eut peu de morts. Tous les généraux, bon nombre d’officiers et de soldats furent faits prisonniers ; on mit les premiers à rançon, tout ce qui était « troupe » fut incorporé par l’ennemi et forcé à prendre parti. Plusieurs régimens de cavalerie et quelques fuyards de l’infanterie gagnèrent Brisach. Rantzau fut en grand péril : au moment où le duc de Lorraine lui donnait permission d’aller à Paris traiter de la rançon des prisonniers, l’empereur le réclamait pour lui faire son procès comme rebelle. Il s’en tira assez vite et plus facilement qu’il ne le méritait. Sirot, qui était aussi prisonnier, mais qui presque seul avait conservé son sang-froid dans le tumulte et tenté quelques efforts pour organiser la résistance, fut moins heureux et resta deux ans entre les mains de l’ennemi.

Le corps de Guébriant sortit de Rottweil au milieu de la confusion causée par la déroute de Tüttlingen. Rotrou, son secrétaire, frère cadet du poète, qui à la première nouvelle de la blessure, avait quitté Paris avec deux chirurgiens célèbres, Bertreau et d’Alencé, ne put dépasser Brisach. Le corps y arrivait en même temps ; le carrosse sur lequel on l’avait mis à Rottweil s’étant rompu dans les montages, il arriva jeté sur un mulet, à peine escorté de quelques cavaliers. D’Erlach le reçut dignement et l’expédia aussitôt à Paris. — Le nom du vainqueur de Kempen, du sauveur de Brisach, du héros de tant d’entreprises difficiles, est moins connu „ que celui de maint général médiocre ou d’égoïstes agitateurs ; peu de Français de nos jours savent ce que la patrie lui doit. Simple gentilhomme de province, étranger aux intrigues de cour ou de cabinet, servant au loin, sans relâche, dévoué, modeste, austère dans ses mœurs, sincèrement religieux, il tient peu de place dans les chroniques amusantes. Comme il ne demandait pas, on ne lui fit guère de largesses ; le seul présent qu’il reçut fut la rançon du général en chef Lamboy, son prisonnier, qu’on lui abandonna après Kempen ; encore eut-il plus de mal à la toucher qu’à prendre une place. Il mourut pauvre. La postérité l’ignore ou à peu près. Ses contemporains l’admirèrent un moment ; le roi, qu’il avait si bien servi, voulut honorer sa mémoire par la pompe inusitée des funérailles, qui furent célébrées dans notre antique cathédrale, en présence des princes du sang, des cours souveraines et de tous les dignitaires de l’état. Le vaillant soldat, l’habile général, le patriote, l’homme de bien, qui avait donné l’Alsace à la France et qui était mort pour la lui conserver, fut enseveli royalement à Notre-Dame de Paris.


HENRI D’ORLEANS.

  1. Voyez la Revue du 1er et du 15 avril et du 1er mai.
  2. « Le roi de Hongrie étant à Brisach, Annibal est ad portas. » (Mémoire adressé par Richelieu à Louis XIII, 14 octobre 1636.)
  3. 6 avril 1633.
  4. Les Français donnent le nom de Nördlingen (qu’ils prononcent Norlingue), à la bataille gagnée par le duc d’Anguien en 1045, et que les écrivains allemands appellent avec raison la bataille d’Allerheim (voir liv. IV, chap. III.) La bataille du 6 septembre 1634, fut livrée près de Nördlingen, que les Austro-Espagnols assiégeaient et que les Suédois voulaient secourir ; ce fut une des journées les plus sanglantes et les plus considérables de la guerre de trente ans ; sans l’appui moral et matériel de la France, les vaincus n’auraient jamais pu se relever d’un tel désastre.
  5. Sur la rive droite du Rhin, à quelques lieues au sud de Vieux-Brisach.
  6. Dans le pays de Parentruy, ou ancien, évêché de Bâle, aujourd’hui Jars bernois Depuis la réformation jusqu’à 1792, cette contrée a été presque constamment administrée par l’ambassadeur de France en Suisse, qui résidait à Soleure, comme l’évêque dépossédé de Bâle.
  7. Papiers de d’Erlach.
  8. Il y avait bien eu pendant quelques mois, en 1634, une garnison française à Philipsbourg, un petit contingent français au siège de Brisach, mais ces deux places sont sur le fleuve ; ailleurs il n’y avait eu que des individus servant dans des armées étrangères. Nous parlons ici de soldats français en corps.
  9. Le traité avait été négocié par d’Avaux. La landgrave de Hesse-Cassel, Amélie-Élisabeth de Hanau, veuve et régente depuis deux ans, s’engageait à fournir 7,000 hommes de pied et 3,000 chevaux moyennant 200,000 rixdalers par an et une pension à son fils, le jeune landgrave régnant.
  10. Spanheim, Mémoires de la Palatine Loyse-Julianne. (Leyde, 1645.)
  11. Lettre de Guébriant, ap. Le Laboureur.
  12. Le Roi à Guébriant, 17 juin 1643.
  13. Guébriant au secrétaire d’état De Noyers, 4 août-24 septembre 1641, ap. Le Laboureur.
  14. La lettre du roi, du 8 juin, fut portée par Montausier et remise le 22 à Guébriant, qui, la veille, avait reçu une lettre du 16, où le sieur La Plaine, écrivant au nom du duc d’Anguien, annonçait la marche sur Thionville.
  15. Salem ou Salmansweiler, abbaye de Citeaux, située sur l’Art, à deux lieues est d’Uberlingen.
  16. Mercy, Lorrain ou plutôt Wallon, était des environs de Longwy. Son frère aîné, Gaspard, et lui, étaient entrés très jeunes au service du duc Maximilien, depuis électeur de Bavière ; mais il avait promptement dépassé son frère, qui devint un de ses maréchaux de camp et fut tué devant Fribourg (1644). Lui-même mourut glorieusement sur le champ de bataille, en 1645, ainsi que nous le verrons plus loin. Il était général en chef de l’armée de Bavière et maréchal de camp général des armées impériales. Son petit-fils, Claude-Florimond, fut un des meilleurs généraux de l’empereur Léopold II, qui érigea en sa faveur la terre de Mercy en comté (1720). Cette famille s’est ensuite mêlée à celle d’Argenteau, a donné plusieurs généraux à l’Autriche, et fleurit encore aujourd’hui.
  17. Le Laboureur.
  18. Longwy n’avait pas encore été transformé par Vauban.
  19. Mazarin à M. le Duc, 24 août.
  20. M. le Prince à M. le Duc, Perraut à Girard.
  21. 19 août.
  22. Tracy (Alexandre Prouville, marquis de) servait constamment, depuis 1632 aux armées de Lorraine et d’Allemagne ; commissaire-général de l’armée par brevet du 14 septembre 1641, colonel de cavalerie en 1642, conseiller d’état en 1643, il obtint le régiment de dragons Guébriant après la mort du maréchal, et continua de servir en Allemagne jusqu’aux troubles, durant lesquels il changea de parti plusieurs fois. Envoyé au Canada comme lieutenant-général en 1665, étant alors âgé de plus de soixante-dix ans, il combattit avec succès les Iroquois et mourut en 1668, peu après son retour en France.
  23. L’armée de Picardie-Champagne était ainsi désignée depuis le commencement du siège de Thionville.
  24. Noirmoutiers (Louis de La Trémoille, marquis, puis duc de), né en 1612, maréchal de camp attaché à l’armée d’Allemagne par brevet du 26 mai 1643, commanda une des quatre attaques au siège, de Rottweil. Lieutenant-général en 1650, mort en 1666.
  25. Note du 10 septembre. Membre du conseil de régence, M. le Prince était au courant, et d’ailleurs il avait été directement informé par Guébriant. (Lettre du 24 août.)
  26. Minute originale.
  27. Huitième carnet.
  28. Deuxième carnet.
  29. Le remplacement du duc d’Angoulême par le maréchal de Chatillon fut seul maintenu.
  30. Lettre du roi du 4 septembre et autres.
  31. Voir les lettres de d’Aumont et autres.
  32. Cette résolution fut approuvée. Lettre de Mazarin du 22 octobre.
  33. Appelés, à la mode du pays, généraux-majors et colonels, tandis que dans nos autres armées on disait maréchaux de camp et mestres de camp.
  34. Frère cadet du duc régnant, qui avait embrassé l’autre parti. C’était un des plus braves de l’armée et peut-être le moins âpre dans ses prétentions.
  35. Lettre de Guébriant.
  36. Lettre des magistrats de Colmar à Guébriant.
  37. Le pont par lequel Guébriant était revenu de la rive droite à la rive gauche aboutissait en Alsace à Rheinau, à 10 kilomètres sud-est de Benfeld. Guébriant le fit amener plus bas, en face d’Ottenheim (pays de Bade), beaucoup plus près, d’un côté du quartier-général d’Ernstein, et de l’autre, du débouché de la Kinsig.
  38. Geisingen, sur le Danube, à 12 kilomètres en aval de Donaueschingen, et à 28 kilomètres au sud de Rottweil.
  39. Reinhold von Rosen Gross-Ropp, Livonien, commande un régiment de cavalerie de mille chevaux à Lutzen, sons Gustave-Adolphe, suit le duc Bernard, devient un des quatre directeurs-généraux de son armée, et s’engage définitivement au service de France en 1639. Lieutenant-général en 1646, (gouverneur de Haute et Basse-Alsace en 1652, il meurt le 18 décembre 1667. Ce fut lui qui fit entrer au service de France son jeune parent, Conrad de Rosen, comte de Bolweiller, qui devint maréchal de France en 1703 et mourut en 1715.
  40. Exemple intéressant ; ce mode de formation des gardes avancées a donné lieu, encore de nos jours, à de vives controverses.
  41. Lettre de Guébriant, au camp, près Rottweil, 8 novembre 1643, six heures du soir, ap. Le Laboureur.
  42. Montausier (Charles de Sainte-Maure, baron de), créé successivement marquis, puis duc et pair, servait brillamment depuis 1630. Maréchal de camp par brevet du 5 janvier 1643, il fut plus tard gouverneur d’Alsace et lieutenant-général ; il mourut en 1690, à l’âge de quatre-vingts ans. C’est lui qui, en 1645, épousa Julie d’Angennes, gouvernante des enfans de France. On a aussi dit de lui qu’il était l’Alceste de Molière.