La Première lutte de Frédéric II et de Marie-Thérèse/02

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La Première lutte de Frédéric II et de Marie-Thérèse
Revue des Deux Mondes3e période, tome 48 (p. 481-528).
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II.

INVASION DE LA SILÉSIE. — INTERVENTION DE LA FRANCE.


Quand tout était ainsi en rumeur à Berlin, il semble que c’est à Vienne surtout que l’émotion aurait dû être la plus vive. Mais, chose singulière, de tous les centres politiques d’Europe, Vienne fut au contraire celui où on prit souci le plus tard des dispositions belliqueuses de Frédéric. Ce ne fut pas la faute du résident autrichien à Berlin, Demerath, qui avait donné l’éveil dès le premier jour. Mais la jeune reine répondait à ces sinistres pronostics par un sourire incrédule. Douée d’un courage et d’un génie qui devançaient les années, Marie-Thérèse gardait encore quelque chose de la confiance ingénue et des honnêtes illusions de son âge. N’ayant encore fait la cruelle épreuve ni de la perversité humaine, ni de la sécheresse égoïste des politiques, elle croyait au bien, à l’honneur, à tous les nobles sentimens qu’elle portait elle-même gravés dans son cœur. Elle ne voulait douter ni de l’amitié dont Fleury lui envoyait de mielleuses protestations, ni de la reconnaissance d’un prince dont son père avait sauvé les jours. Le grand-duc, de son côté, qui avait connu Frédéric dans sa jeunesse, comptait sur son amitié. Frédéric, de plus, avait confirmé les deux époux dans cette bonne opinion en leur reconnaissant sans difficulté la qualité royale, et en engageant par son exemple le roi de Pologne à en faire autant. C’était une résolution captieuse dont on devait comprendre le but plus tard, mais qui, à la première heure, causa tant de joie à Vienne, que le grand-duc disait au ministre de Prusse : « Vraiment le roi se conduit envers la reine et moi comme un père, et jamais nous ne pourrons nous acquitter des obligations que nous lui avons. » Persuadée qu’elle avait trouvé dans ce bon voisin un cœur capable de s’intéresser au plus cher objet de ses pensées, la reine poussa même la naïveté jusqu’à lui demander sa voix et son appui pour le grand-duc dans le collège électoral, en lui promettant en récompense une éternelle affection. Quant à ses vieux conseillers, s’ils ne partageaient pas cet aveuglement de la tendresse conjugale, leur inertie et leur paresse s’en accommodaient. Quand on parlait de l’humeur remuante du roi de Prusse : « N’ayez souci, disaient-ils, en secouant les épaules, il sera comme son père, qui a toute sa vie armé son fusil et ne l’a jamais déchargé. » Le vieux Bartenstein, seul, était plus sombre. « On ne sait, disait-il, ce que c’est que ce jeune homme, et j’en avais bien prévenu feu l’empereur, quand il voulait absolument écrire à son père pour lui sauver la vie[1]. »

Vers le milieu de novembre pourtant, l’horizon s’assombrit de manière à frapper les yeux les moins clairvoyans. D’une part, une concentration de troupes menaçante s’opérait sur la frontière de Silésie, où les possessions de l’Autriche confinaient à celles de la Prusse. Puis, l’attitude du ministre de Prusse à Vienne, le conseiller de Borcke, d’abord très bienveillante, changeait à vue d’œil, d’une manière significative. Il ne parlait plus que sur un ton de jérémiades compatissantes de l’état désespéré de la maison d’Autriche en butte, disait-il, à trop d’inimitiés pour pouvoir leur faire tête à elle seule. Il lui faudrait des alliés, ajoutait-il, mais on n’a pas d’alliés si on ne sait pas les payer ce qu’ils valent, car personne en ce monde ne donne rien pour rien. La phrase de la lettre de Frédéric à Algarotti que j’ai citée, où, il était dit que le grand-duc avait la gangrène et ne pouvait guérir que par une opération douloureuse, circulait et donnait lieu à des commentaires. Gangrène était une métaphore assez claire qui se comprenait d’elle-même. Mais l’opération, quelle était-elle et quel chirurgien s’offrait à la faire ? Il fallut se décider à tirer au clair ce que signifiaient ces offres conditionnelles, que personne n’avait sollicitées, faites au prix de sacrifices indéterminés. La mission d’aller s’en s’expliquer à Berlin fut confiée à un vieil Italien de grande expérience, le marquis de Botta d’Adorno.

Botta était un compatriote de Machiavel, dont il avait compris, peut-être pratiqué plus d’une fois dans sa vie, les maximes, bien qu’il n’eût pas employé sa jeunesse à les réfuter. Il ne fut pas plus tôt de l’autre côté de la frontière, que la vue des préparatifs militaires opérés de toutes parts ne lui laissa aucun doute. Tout était prêt pour une marche agressive dont la Silésie était l’objet désigné. Il arriva à Berlin tout ému et jetant feu et flammes. Une audience qu’il obtint aussitôt ne le rassura ni ne l’éclaira. Frédéric, semblait attendre de lui quelque proposition au lieu de lui en faire et ne le mit sur la voie d’aucune ouverture. Et, comme pour amener la conversation sur le sujet des armemens, Botta insistait sur le mauvais état où il avait trouvé les routes, défoncées par des convois de troupes dans la saison d’automne : « Je n’y vois pas grand inconvénient, reprit le roi avec indifférence, excepté de faire arriver les voyageurs un peu crottés. » Vers la fin de l’entretien cependant, il consentit à dire que son ministre à Vienne était chargé de faire connaître à la reine ses intentions, et qu’afin de compléter ces explications, il allait dépêcher à Marie-Thérèse son maréchal de la cour, le comte de Gotter. « Que la reine réfléchisse bien, ajouta-t-il, sur mes communications, elle verra combien mes projets sont raisonnables et mes intentions pures. Assurez-la de mon dévoûment. »

Botta sortit plus irrité, plus effrayé que jamais. Mais ce qu’il y eut de plus piquant pour lui, c’est que personne ne voulait croire ni à sa colère, ni à son effroi. Du moment qu’on avait annoncé sa venue, le bruit s’était répandu comme une fusée, dans Berlin, qu’il apportait un traité d’alliance stipulant le consentement de Frédéric à l’élection du grand-duc, moyennant la cession de tout ou partie de la Silésie. Ce fut bientôt une conviction générale que tous les indices semblaient confirmer. Cet ambassadeur qui arrivait sans avoir rien à dire et sortait d’une audience où il prétendait n’avoir rien appris : cet autre envoyé qui allait partir avec des paroles d’amitié et de dévoûment, mais par le même chemin que des troupes sur le pied de guerre, comment expliquer cet imbroglio autrement que par une partie liée dont on voulait dissimuler la preuve jusqu’à la dernière heure ? Les dénégations, les imprécations même de Botta n’y faisaient œuvre. Les fins connaisseurs le félicitaient de cacher si bien un jeu dont ils ne voulaient pourtant pas êtres dupes. Et quand Botta affirmait que l’Autriche résisterait à toute invasion de ses provinces : « Bon ! disait-on, ce sera encore un jeu. Vous voulez qu’on vous prenne la Silésie et ne céder qu’à la force, afin qu’on ne dise pas que c’est vous-même qui renoncez à la Pragmatique. »

Ajoutez qu’autour de Frédéric d’habiles réticences accréditaient ce bruit par la manière même de le démentir. Valori seul doutait encore, « car enfin, disait-il, assez sensément, s’ils sont d’accord, pourquoi tant de bruit et de soldats ? » Mais il n’en tenait pas moins sa cour au courant de l’opinion commune. « M. de Botta est arrivé, écrivait-il, le 3 décembre, éprouvant ou jouant la surprise des préparatifs qu’il a trouvés en Silésie : il nie tout accord entre le grand-duc et le roi. » Et le 6 : « M. de Botta a eu une entrevue avec le roi qui l’a assuré de son dévoûment à la reine de Hongrie. Il est tout confondu : que signifie tout cela ? » Enfin le 10 : « M. de Botta témoigne toute sa colère ; s’il joue la comédie, il s’en acquitte à merveille[2]. » Mais le soir de ce même 10 décembre, Frédéric mandait lui-même Botta et, lui annonçant qu’il allait prendre en personne le commandement de ses troupes, il lui révélait le plan mystérieux qui tenait depuis six semaines toutes les imaginations en suspens.

On sait quel était ce plan : ce n’était pas moins que l’exigence formelle de la cession de la Silésie, signifiée à Marie-Thérèse et accompagnée au même moment de la prise de possession à main armée de cette province, sans déclaration de guerre et même sans avertissement préalable. Tous les documens contemporains attestent le scandale et l’indignation universels que ce dessein perfide, éclatant comme une bombe sur l’Europe étonnée, causa à tout ce qui conservait le moindre souci de moralité et d’honneur. Le temps, le succès et la gloire ont depuis lors produit leur effet ordinaire, et l’écho de ce cri de la conscience publique n’arrivait plus que très affaibli à la postérité. Il s’était même trouvé, en dehors de l’Allemagne, dans ces derniers temps, des historiens sérieux, comme le célèbre Anglais Carlyle, pour entreprendre la justification de ce coup de force. On dirait que les archivistes de Berlin ont pris à tâche de raviver l’impression qui s’effaçait. Ce sont eux en tout cas qui nous ont dévoilé par leurs révélations nouvelles à quel point le caractère déjà suffisamment odieux de l’entreprise avait été aggravé, dès le premier jour, par l’astuce et l’hypocrisie qui présidèrent à son élaboration clandestine.

Tout d’abord il ressort du rapprochement des dates des divers documens publiés à Berlin que ce fut le jour même où lui fut annoncée la mort de Charles VI, que Frédéric avait fait connaître à ses conseillers le dessein arrêté de dépouiller la fille de son bienfaiteur. Pourquoi il avait jeté son dévolu sur la Silésie plutôt que sur toute autre partie du patrimoine de Marie-Thérèse, c’est ce qui s’explique tout simplement par ce motif que cette province, étant contiguë à ses propres états, y ajoutait un complément tout à fait à sa convenance, et se prêtait plus facilement à une mainmise imprévue et subreptice. Quant aux droits qu’il pouvait alléguer pour justifier cette annexion inattendue, on me permettra de ne pas m’en occuper pour plusieurs raisons. La première, c’est que ce côté de la question, comme on le verra, n’a jamais préoccupé Frédéric ; la seconde, c’est que, ces droits eussent-ils existé, ils étaient périmés depuis de longues années par l’effet de cette loi tutélaire de la prescription que les anciens jurisconsultes ont si bien nommée la patronne du genre humain. Fût-il vrai, comme M. Droysen s’efforce encore de l’établir à grand renfort de textes juridiques et diplomatiques, que quelques-uns des duchés de la Silésie avaient appartenu autrefois aux électeurs de Brandebourg, et n’avaient été cédés par eux que contre l’échange d’une autre principauté qui fut promise, mais non livrée : qu’importe ? Le plus récent de ces faits, vrais ou faux, remontait à 1660 ; depuis lors l’Autriche et la Prusse avaient vécu en paix pendant quatre-vingts ans, signé plus d’un traité d’alliance, et combattaient en commun, la veille encore, dans la dernière guerre. S’il est permis, après un si long oubli, de raviver des prétentions éteintes, quel prince, quel particulier même, — Macaulay le fait remarquer avec raison, — pourrait dormir en sécurité ? Soyons aussi francs que Frédéric lui-même, tenons-nous-en à l’aveu qu’il fit à Voltaire et que Voltaire, par pudeur, l’empêcha de livrer tout haut à la postérité. Convenons qu’il n’avait d’autre droit à invoquer que celui qu’il tenait de ses troupes prêtes à agir et de son épargne bien garnie ; ajoutons, si l’on veut, pour être complet : de la faiblesse et du malheur de Marie-Thérèse[3].

Quoi qu’il en soit, l’ordre fut signifié aux deux ministres Podewils et Schwerin d’avoir à préparer les moyens d’exécution d’un dessein dont on ne leur donna ni la permission, ni le loisir de discuter la convenance. Obéissant à la consigne, ils se mirent à l’œuvre, ou, comme ils le dirent dans un langage aussi noble et aussi élevé que leurs sentimens, à mâcher et à digérer cette affaire. Si la digestion fut laborieuse, elle ne fut pas longue, car dès le 20 octobre, ils remettaient au roi un mémoire raisonné, pressentant, pour arriver au but, deux plans à suivre au choix, ou plutôt à défaut l’un de l’autre.

Voici quel était le mécanisme de ce programme à double fond. Il y avait, disaient sentencieusement les commissaires, deux routes principales à suivre. La première, la plus sûre, celle qui exposait le moins aux revers et inconvéniens auxquels sont sujettes les grandes acquisitions, consisterait à obtenir de bonne grâce la cession désirée de la cour de Vienne, en lui promettant en échange le concours actif de la Prusse pour la préserver de tous les périls qui la menaçaient, lui conserver la couronne impériale, et la défendre contra quoscumque. Et comme il était à prévoir que, même à ce prix, la reine trouverait encore difficile de se résigner à perdre un morceau d’aussi grande importance que la Silésie, le meilleur véhicule pour l’y déterminer serait de lui lâcher une couple de millions pour subvenir à ses besoins les plus pressans. Si la cour de Vienne avait le bon sens d’accueillir ces ouvertures bienveillantes avec toute la reconnaissance convenable, le moment serait venu alors de faire agréer ce projet aux puissances maritimes, à la Russie, à tous ceux que pouvaient inquiéter les souvenirs de l’ambition de Louis XIV, et de leur faire valoir le service que le roi rendait à la cause commune de l’équilibre européen, en tirant d’un péril certain la seule puissance qui pût tenir tête à la maison de Bourbon.

Que faire cependant, si la cour de Vienne avait l’obstination et la bigoterie de ne pas apprécier suffisamment le service qu’on voulait lui rendre ? — Alors il faudrait bien en venir à une autre voie, moins solide et plus rabatteuse ; ce serait de se retourner hardiment et de tendre la main à tous les ennemis de Marie-Thérèse, Saxe, Bavière, y compris la France, qui pouvait trouver son compte à ôter la couronne impériale aux descendans de Charles-Quint, On leur représenterait la conquête de la Silésie comme le premier acte d’une puissante diversion faite dans le Nord pour leurs intérêts. Bien entendu qu’il ne serait plus question alors de l’équilibre européen à protéger contre la France, mais des libertés germaniques à défendre contre l’Autriche. Enfin, il y aurait bien un troisième moyen qui serait la perfection : ce serait, dans le cas où une tierce puissance, la Saxe ou la Bavière, par exemple, prendrait l’initiative de faire entrer des troupes en Silésie, d’y entrer soi-même pour la défendre et de finir par la garder. Mais il n’était pas raisonnable d’espérer une chance si favorable[4]. A ce beau mémoire, assez semblable, pour le style comme pour les idées, à celui de l’usurier de Molière jugulant un mineur dans l’embarras, le roi, pleinement satisfait du zèle de ses serviteurs, ne fit qu’un seul amendement. Le mémoire parlait de négociations à entamer avec la cour de Vienne ; le roi trouvait plus expéditif de commencer par mettre la main sur la province en question, sauf à négocier ensuite. « Il lui convenait mieux, dit M. Droysen (qui l’approuve fort) de faire comme dit le proverbe espagnol, prendre d’abord et demander après. »

Ce procédé, plus familier aux brigands qu’aux diplomates, pouvant effrayer les esprits faibles, Frédéric le proposa d’abord sous forme dubitative. « Je vous donne, disait-il à Podewils, un problème à résoudre.. Quand on est dans l’avantage, faut-il s’en prévaloir ou non ? Je suis prêt, avec mes troupes en tout : si je ne m’en prévaux pas, je tiens entre mes mains un bien dont je méconnais l’usage ; si je m’en prévaux, on dira que j’ai l’habileté de me servir de la supériorité que j’ai sur mes voisins[5]. » Podewils ne comprenant pas ou feignant de ne pas comprendre, force fut bien de s’expliquer plus clairement dans une note autographe terminée par ces mots : « Je conclus qu’il faut, avant l’hiver, s’emparer de la Silésie, et négocier l’hiver… En agissant autrement, nous nous mettons hors de nos avantages[6]. »

Il faut rendre justice au prudent ministre ; l’idée de recourir aux armes dès le premier jour et de mettre un si gros enjeu du premier coup à la loterie l’épouvanta, et, la peur éveillant ses scrupules, les droits de la couronne de Brandebourg sur la Silésie cessèrent de lui paraître aussi clairs. Il fit remarquer, avec un profond respect, à Sa Majesté que, quelque bien fondées que fussent les prétentions de sa maison, il y avait pourtant des traités solennels que la maison d’Autriche réclamerait. Le roi lui renvoya sur-le-champ son humble remontrance avec cette simple note à la marge : « L’article de droit est l’affaire des ministres et c’est la vôtre. Il est temps d’y travailler,.. car les ordres aux troupes sont donnés[7]. » Et là-dessus, Podewils d’écrire avec une certaine tristesse à son collègue : « L’ardeur du roi ne fait que croître au lieu de se relâcher. Après avoir dit tout ce que je pense,.. il ne nous reste plus que le mérité de l’obéissance. Si au moins il survenait du dehors quelque prétexte pour justifier la marche en avant ! Mais non. Ce qu’il y a de plus fâcheux, c’est qu’on ne nous fait de Vienne aucune proposition. On y est muet comme un poisson. Le roi de Pologne non plus ne veut pas bouger avant la Bavière. Plût au ciel qu’ils fissent un mouvement[8] ! »

Quand on veut détrousser un voyageur sur une grande route, l’essentiel est que personne ne s’en doute. Si l’on peut même passer pour un ami cheminant dans sa compagnie, le succès du coup est plus assuré. Le mystère convenait donc avant tout au plan de Frédéric, et quelque chose même de plus que le mystère, l’équivoque. Il fallait non-seulement que le but et le moment de l’exécution restassent inconnus jusqu’à l’heure décisive, mais que le jour où les troupes paraîtraient sur la frontière, on pût croire qu’elles venaient du consentement et sur l’appel des souverains légitimes de la province envahie. De cette sorte, aucune mesure défensive ne serait prise, et les populations elles-mêmes, pensant avoir affaire à des alliés, n’auraient pas l’idée de la résistance.

Dans cet honnête dessein, tout fut mis en œuvre pour entretenir l’illusion jusqu’à la dernière heure. Ainsi s’explique d’abord tout naturellement cette reconnaissance empressée de la royauté de Marie-Thérèse qui toucha jusqu’aux larmes l’innocence de la nouvelle reine et qui n’était destinée qu’à l’endormir dans une fausse sécurité. Au même moment, en effet, le ministre de Prusse à Vienne recevait communication de tous les détails de l’invasion projetée, avec ordre de feindre de l’ignorer entièrement et de démentir tous les bruits qui pourraient circuler. Puis la Correspondance politique nous fait connaître une série de dépêches adressées aux agens prussiens dans les diverses cours ; toutes pleines de protestations d’amitié pour la maison impériale et sur un ton particulièrement vif, là où l’Autriche, étant bien vue, pouvait être bien informée. A Versailles seulement, le langage prescrit prend une teinte un peu différente, et quelques allusions discrètes y sont faites, comme pour tâter le terrain, à l’intérêt qu’aurait l’Allemagne à se délivrer de la prépotence autrichienne. C’était nécessaire pour tenir la porte ouverte à tout événement et rester en quelque sorte à cheval sur les deux conduites opposées. On peut remarquer cependant que, soit que l’intérêt de cajoler l’Autriche l’emportât sur toute autre pensée dans cette première phase de l’opération, soit que, comme le soupçonnait le marquis de Beauvau, la haine de la France fût chez Frédéric un sentiment irrésistible dont il ne pouvait contenir l’expression, les appréciations sur les ministres de Louis XV sont toujours amères, dédaigneuses, presque outrageantes, alors même que l’instruction donnée est de les ménager en vue de l’éventualité d’une alliance possible.

On saisit toutes ces nuances au vif et au naturel dans une note d’un caractère tellement intime qu’on s’étonne un peu de la franchise courageuse qui l’a mise au jour. C’était un papier sur deux colonnes, portant d’un côté les questions du ministre Podewils et de l’autre les réponses de Frédéric. Le ministre demande sous quel jour les intentions du roi doivent être présentées à Saint-Pétersbourg, à La Haye et à Londres. Le roi répond : « A chaque cour d’une façon différente : à Londres, il faut dire que, sachant sûrement que le duc de Lorraine veut conclure avec la France, je m’approche de Vienne pour les forcer en quelque sorte à se mettre du parti des marins et de la religion (les puissances maritimes et protestantes). A La Haye, il faut, assurer qu’on ne veut point troubler le repos de l’Europe, que Frédéric-Guillaume a servi l’empereur Léopold et qu’il en a été récompensé d’ingratitude et que je me dédommage d’avance et servirai après. A Hanovre, à Mayence, il faut parler du cœur patriote qu’il faut (sic), et que je veux soutenir l’empire et protéger les débuts d’une maison faible. » « Mais, répond le ministre, en faisant part en gros au ministère français des motifs de Votre Majesté, ne doit-on pas leur laisser entrevoir à mots couverts que cette entreprise pourrait tourner au plus grand avantage de la France ? » Réponse : « Bon, il faut faire patte de velours à ces b…[9]. »

C’est là ce que M. Droysen appelle une grande combinaison politique et où il voit le germe d’où devait sortir un jour la patrie allemande. Avant Frédéric, nous dit l’historien prussien, on était ou Autrichien, ou Français, jamais Allemand. Frédéric est le premier qui ait su avoir une politique à lui, indépendante et vraiment nationale. « Si l’Allemagne eût existé alors, s’écrie-t-il avec enthousiasme, elle eût compris que Frédéric servait sa cause. » On pourrait faire observer que cette liberté d’esprit d’un prince allemand, cherchant son point d’appui indifféremment au dedans ou au dehors de la patrie commune, suivant qu’il y trouve son intérêt personnel, paraît plutôt le contraire du patriotisme. Mais, en fait de sentiment national, chacun l’entend comme il lui convient, et en ce genre comme en tout autre, il ne faut pas disputer des goûts. Où l’on serait plus tenté encore de contredire M. Droysen, c’est quand il ajoute, avec tout le sérieux germanique, que la conduite de Frédéric fut l’application rigoureuse des doctrines morales et puritaines telles qu’il les avait professées dans l’Anti-Machiavel. Mais ici encore il faut s’arrêter, parce que le différend, touchant à la morale, porterait sur des points plus graves encore.

Quoi qu’il en soit, morale ou non, et peut-être parce qu’elle ne l’était guère, la machine fut assez bien montée pour faire naître et durer l’erreur d’optique dont, comme on l’a vu, tout le public européen et allemand fut un instant dupe. On dirait même que, dans son entretien décisif avec Botta, Frédéric fit encore quelque effort pour maintenir le malentendu, car, après lui avoir révélé son dessein : « J’entre en Silésie, lui dit-il sur un ton patelin, mais comprenez bien que c’est en bon ami (come buon amico), moins pour faire valoir quelques droits que je puis avoir, que pour défendre les droits héréditaires de la reine contre tous ses ennemis, notamment la Saxe et la Bavière, qui sont prêtes à l’attaquer. Je veux mettre la couronne impériale sur la tête du grand-duc. » L’Italien, avisé, eut assez d’empire sur lui-même pour garder son sang-froid. Il laissa dire le roi, puis avec un sourire narquois sur les lèvres : « Je ne me trompais donc pas, répondit-il, quand je croyais Votre Majesté pleine de dispositions affectueuses pour la reine ma souveraine, quoique plus d’une personne à Vienne, je dois l’avouer, pense que cette opinion était de ma part un acte de confiance véritablement héroïque (puro eroismo) ; mais je ferai remarquer à Votre Majesté que ni la Saxe, ni la Bavière ne font mine de nous attaquer, et quand elles y songeraient, si Votre Majesté veut seulement rester spectatrice, ma souveraine est de force à se défendre, d’autant plus que ces deux puissances auraient de la peine à s’accorder ensemble. » Le roi voulant encore renouveler des protestations doucereuses, Botta finit par perdre patience, et élevant le ton : « Vos troupes sont belles, sire, dit-il, mais les nôtres ont senti la poudre. — Si les miennes sont belles, reprit le roi, elles sont bonnes aussi, et vous vous en apercevrez. » Et rompant brusquement l’entretien, il se leva[10].

La date de la conversation avait été combinée de manière que le courrier qui en porterait la nouvelle ne parvînt à Vienne que peu d’heures avant le nouvel envoyé de Frédéric. L’avance fut suffisante cependant pour que, lorsque le comte de Gotter arriva, il trouvât déjà la nouvelle ébruitée, la ville en rumeur, la stupeur et l’indignation partout au comble, et nulle part plus que dans les cercles diplomatiques. On n’y parlait que de l’attentat du roi de Prusse. « Si pareille chose s’accomplit, disait le ministre d’Angleterre, le roi sera excommunié de la société des gouvernemens. » Quant à la jeune reine, on la connaissait déjà assez pour savoir que son âme ne pouvait être ni égarée par la surprise, ni ébranlée par la menace. Averti de l’accueil qui l’attendait, Gotter prit le ton très haut et se posa tout de suite, comme le proconsul romain, portant la guerre ou la paix dans les plis de sa toge. Sans passer par l’intermédiaire ordinaire des ministres ou des chambellans, il demanda directement audience au grand-duc.

Dès les premières paroles : « J’apporte, dit-il, dans une main le salut de la maison d’Autriche, et dans l’autre pour Votre Majesté la couronne impériale. Les trésors du roi mon maître sont au service de la reine, il lui apporte aussi le concours de ses alliés, l’Angleterre, la Hollande et la Russie. En récompense de telles offres et en dédommagement du péril qu’elles lui l’ont courir, il demande toute la Silésie, mais rien de moins. La résolution du roi est inébranlable : il veut, il peut s’emparer de la Silésie, et si elle ne lui est pas offerte de bonne grâce, ces mêmes troupes et ces mêmes trésors seront donnés à la Saxe et à la Bavière, qui les sollicitent. » Rien n’était plus faux, puisque ni Saxe ni Bavière n’avait encore fait l’ombre d’une proposition. Mais peut-être Gotter était-il dupe lui-même des mensonges de son maître. La réponse du grand-duc fut calme et fière. « La reine, dit-il, n’a ni le droit ni le pouvoir de céder une parcelle du territoire qu’elle n’a reçu qu’à la condition de le maintenir indivisible. Elle n’est point réduite à ce point de désespoir de se jeter dans les bras d’un prince qui entre en ennemi dans ses états, et quelque mal que le roi de Prusse puisse lui faire, nous avons encore l’espérance qu’il s’en fera plus à lui-même. — S’il en est ainsi, reprit Gotter, je n’ai rien à faire ici et je puis m’en retourner. » Le grand-duc reprit la parole pour lui demander catégoriquement, par oui ou par non, si les troupes prussiennes étaient déjà à l’heure qu’il est sur le sol de la Silésie. « Elles doivent y être, répondit l’envoyé. — Retournez donc auprès de votre maître et dites-lui que, tant qu’il laissera un homme sur le territoire de la province, nous périrons plutôt que de traiter avec lui. Mais s’il peut encore s’arrêter, ou s’il veut reculer, nous voulons bien négocier avec lui à Berlin. Botta a déjà des instructions dans ce sens,.. et quant à moi, ni pour la couronne impériale, ni pour le monde entier, je ne sacrifierai ni un seul des droits de la reine ni un pouce de son domaine légitime et héréditaire. »

Gotter, intimidé par cette attitude, baissa un peu le ton. « Il n’est pas sérieux, reprit-il, de demander au roi de reculer dans une entreprise déjà si avancée. — Quand une entreprise est manifestement injuste, continua le grand-duc, il est plus honorable aux yeux du monde d’y renoncer que de s’y obstiner. Mais si le roi a besoin d’un motif pour retirer ses troupes, il peut dire qu’il avait eu pour but, en les faisant avancer, de défendre la reine contre les attaques de la Bavière et qu’il a reconnu que ce secours n’était pas nécessaire. » Devant cette ouverture qui, en réalité, n’en était pas une, mais qui avait l’avantage d’éviter un éclat immédiat, Gotter réfléchit un instant, puis comme s’il accordait une grâce qu’on ne lui demandait pas, il consentit à écrire à Frédéric et à attendre sa réponse[11]. Le langage du grand-duc avait été si net, si fermé, si peu conforme à son caractère indécis, que tout le monde comprit par qui les termes en avaient été dictés. Il avait parlé comme si la reine eût été présente, et effectivement, dans un des entretiens qui suivirent, la reine se tenait si près de la porte qu’à un moment donné, trouvant qu’il était temps d’en finir, elle appela son mari et l’emmena avec elle dans l’intérieur de ses appartemens. Gotter, qui naturellement aurait dû insister pour la voir, n’osa même pas le demander, de crainte, écrivait-il à Podewils, de consommer tout à fait la rupture, en réalité pour éviter l’odieux d’une scène de violence avec une femme. Le murmure improbateur qui s’élevait de toutes parts autour de lui le troublait malgré son audace apparente. « Tout est ici en rumeur, écrivait-il ; on sonne le tocsin, on appelle au feu… Je me félicite de n’avoir pas poussé trop fort à la roue. Le roi est un prince éclairé, qui saura, j’espère, trouver un moyen de sortir de cette affaire avec honneur. » Il était plus explicite avec l’ambassadeur d’Angleterre. « Vous ne connaissez pas mon maître, lui disait-il. Vous ne savez pas à quel point il est obstiné et présomptueux. C’est un étrange mélange d’ambition et d’avarice[12]. » Puis, pour se tirer lui-même d’embarras, il sortit de Vienne sous prétexte qu’en attendant la réponse à ses dépêches, il allait faire une cure dans une station thermale du voisinage. La saison (on était en plein hiver) n’était pourtant guère favorable à ce genre de traitement[13].

Gotter ne pouvait guère se faire l’illusion qu’il fût temps encore de ramener son maître à des conseils de modération. Il n’avait dit que trop vrai en affirmant que les troupes prussiennes étaient déjà sur le territoire de Silésie. C’était le 20 qu’il était reçu par le grand-duc et, dès le 16, Frédéric avait quitté Berlin pour aller prendre le commandement de ses troupes. Il est probable que l’attitude de Botta lui avait appris qu’il n’avait point de faiblesse à attendre de la cour de Vienne, car, dans les derniers jours qui précédèrent son départ, il se décida enfin à mander le marquis de Valori, à qui il n’avait pas adressé la parole depuis six semaines.

Valori arriva, très perplexe, se demandant toujours si le bruit d’armes qui continuait à retentir de toutes parts était une réalité ou un jeu. Le premier entretien fut trop vague pour le tirer de peine. Le roi, loin de s’expliquer lui-même, cherchait à le faire parler. « J’attends toujours, dit-il, ce que pense M. le cardinal et ce que le roi votre maître est disposé à faire pour moi… » Puis il se répandit en louanges sur le cardinal, et comme Valori laissait voir sans doute par quelque moue significative qu’à sa connaissance on n’avait pas toujours parlé sur ce ton au Rheinsberg : « Ah ! dit-il, il ne faut pas prendre garde à ces petites plaisanteries qui m’échappent, c’est le langage de mon caractère ; j’en suis fâché ; mais essentiellement je le dispute à tout le monde pour une véritable estime et même une vénération pour un aussi grand homme doué de tant de qualités singulières. Ma foi, monsieur, c’est le plus grand homme que la France ait eu jusqu’à présent. » « Quant à l’armement, ajoute Valori (transmettant sans délai le compliment au cardinal lui-même), il me dit que je devais être tranquille, que cela ne dérangeait en rien les vues que nous pourrions avoir, que je serais un des premiers informé de ses raisons et des motifs qu’il croyait être bien fondés, et que le roi ne devait en prendre aucun ombrage. » Tout cela était si peu clair qu’en terminant, Valori disait encore : « J’incline à croire qu’il s’entend avec le grand-duc et que Votre Éminence en est prévenue[14]. »

La seconde conversation fut plus significative. Frédéric demanda nettement si l’intention de la France, comme son intérêt, n’étaient pas d’enlever la couronne impériale à la maison d’Autriche et de la donner à l’électeur de Bavière, et, dans ce cas, si le roi ne serait pas heureux de son alliance ? Notez qu’à la même heure on offrait en son nom la même couronne au grand-duc.

« Je répondis, dit Valori, qu’il m’était impossible de rien conjecturer des sentimens de Son Éminence, mais que je me croyais suffisamment autorisé à l’assurer que le roi répondrait avec plaisir aux démarches qu’il voudrait faire pour se lier avec lui, et sur ce qu’il ajouta qu’il avait plusieurs projets qui étaient tous très convenables aux intérêts de la France, je lui demandai s’il voulait me faire la grâce de m’en communiquer un et que je le ferais partir par courrier. — Il dit qu’il fallait savoir avant ce que pensait M. le cardinal, que je pouvais lui mander qu’il avait envoyé le comte Truchess en Angleterre, mais que dès qu’il aurait des sûretés de traiter avec Sa Majesté, il le ferait revenir. — Je lui dis ensuite que le bruit était public à Vienne qu’il avait pris des engagemens avec le grand-duc et qu’il l’avait même assuré de trois voix pour la dignité impériale. — Il me répondit qu’il s’en fallait de beaucoup, que sa voix était encore à louer, mais que, s’il ne trouvait pas jour à s’allier avec le roi, il chercherait des amis pour seconder ses vues, que pour lui, il lui serait assez indifférent qui fût empereur, et qu’à cet égard il ne se conduirait que relativement à ses intérêts ou à ceux de ses alliés, mais qu’il me répétait encore que son amitié n’était pas à mépriser, qu’il était en état de seconder toutes les espèces de vues que le roi pouvait avoir, que son agrandissement ne pouvait porter aucun ombrage, et que, par la position où il était, il devenait son allié naturel dans le Nord,.. qu’enfin nous avions ensemble de bonnes choses à faire.

« Je lui dis qu’il avait pas lieu de douter que l’intention du roi ne fût de se prêter à tout ce qui pouvait contribuer à resserrer ces liens d’amitié qui étaient déjà entre eux. — « Tout cela, mon ami (me dit-il), sont des discours que nous nous sommes tenus jusqu’à présent ; nous ne pouvions rien faire qui vaille jusqu’à ce moment : voici le temps venu que je sache si M. le cardinal veut de moi… Si l’on veut m’avoir, la chose ne traînera pas longtemps, et je vous donnerai mes idées ; je voudrais aussi qu’il me fît part des siennes. Je vous avertis que je suis pressé et que je voudrais savoir à quoi m’en tenir. Personne n’est plus que moi en état de faire le bien de la maison de Bavière et de seconder les vues que le roi votre maître pourrait avoir de le faire empereur et cela sans le compromettre. Après nous être chamaillés quelque temps, il pourra s’élever comme le modérateur. On négociera et il prononcera comme nous sommes convenus. Convenez que je lui fais jouer un personnage qui convient également à sa grandeur et à son goût. Soyez sûr, continua-t-il, mon cher ami, que c’est un abus de croire que tout ceci doive se passer sans quelque coup d’épée. C’est aux jeunes gens à entrer les premiers en danse. Après tout, qu’est-ce que cela vous fait si je m’agrandis de ce côté-ci, et ne devez-vous pas être bien aise que je fasse mes affaires à ce prix ? Si le roi réfléchit, il verra que je ne suis pas un allié à mépriser. » Mais il laissa entendre que le meilleur parti à prendre serait d’unir les deux couronnes par une alliance défensive, dans laquelle on tâcherait de faire entrer les puissances du Nord, comme la Suède et le Danemarck[15].

Valori sortit plus troublé que jamais doutant toujours de la sincérité de son interlocuteur, et très effrayé de la pensée de lui donner par un traité défensif une caution éventuelle contre les conséquences de son aventure. Rencontrant sur son chemin le ministre Podewils, il essaya de le faire parler en feignant de savoir ce qu’il soupçonnait. « Mon cher ministre, lui dit-il en lui serrant la main affectueusement, vous ne le savez pas, mais je suis informé que le roi votre maître est en correspondance avec le grand-duc et qu’ils s’entendent. » Podewils ne manqua pas de communiquer sur-le-champ à Frédéric cette prétendue confidence. « Bah ! répond le roi dans une note confidentielle, cajolez-le comme vous pourrez et faites-lui espérer que je ne séparerai jamais mon intérêt de celui de la France. » Puis, au marquis de Beauvau, qui venait prendre avant son départ une audience de congé, il dit tout haut avec affectation, de manière à être entendu et répété : « Je vais jouer une grande partie : si les as me viennent, nous partagerons. » Le soir, il y eut bal masqué au palais ; Frédéric y parut en domino, sans masque, prit part avec gaîté à tous les divertissemens, causa assez longuement, dans une embrasure de fenêtre, avec le ministre d’Angleterre, puis, au moment où on se séparait, il dit aux officiers qui l’entouraient : « Graissez vos bottes, nous partons[16]. »

Deux jours après, la frontière était franchie, et il écrivait de son quartier-général placé à Schleidnitz, premier poste de la Silésie : « Mon cher Podevvils, j’ai passé le Rubicon, enseignes déployées et tambour battant ; mes troupes sont pleines de bonne volonté, les officiers d’ambition, nos généraux affamés de gloire : tout ira selon nos souhaits ; mon cœur me présage tous les biens du monde, enfin un certain instinct, dont la cause nous est inconnue, me prédit du bonheur ou de la fortune. Je ne paraîtrai pas à Berlin sans m’être rendu digne du sang dont je suis issu et des braves soldats que j’ai l’honneur de commander. Adieu, je vous recommande à la garde de Dieu[17]. »

Pendant que Frédéric marchait sur la capitale de la Silésie, par la grande route de Vienne, un courrier prenait celle de France, emportant les lettres de Valori et de Beauvau au cardinal. Les deux envoyés ne parlaient pas de même. Beauvau, toujours convaincu du mauvais vouloir et même de la haine de Frédéric, croyait à la nécessité d’une action immédiate de la part de la France, il fallait, suivant lui, ou se jeter sur l’Autriche de concert avec la Bavière et la Prusse, afin d’avoir sa part des dépouilles, ou lui venir en aide en faisant payer son appui. Mais, de toute manière, il fallait agir, sans quoi le prince téméraire profiterait d’un premier succès pour se réconcilier avec Marie-Thérèse, et on aurait ensuite les deux jeunes souverains à la fois sur les bras : « Je crains toujours, disait-il, que Votre Éminence ne soit pas assez persuadée combien le roi de Prusse est un souverain dangereux. Sa conduite ressemble plus à un roman qu’à l’histoire ; mais le roman peut avoir les suites les plus funestes. » Valori était plus réservé ; dans sa pensée, il convenait d’attendre et de laisser Frédéric mettre le feu à l’Allemagne sans s’en mêler, du moins ouvertement. Cette conduite, assurait-il, nous fera rechercher de tout le monde sans donner de jalousie à personne. Tel était, en effet, le problème ; s’associer ou s’opposer à une ambition sans scrupule, ou bien encore rester l’arme au bras pour apparaître à son heure sur la scène troublée : tels étaient les trois partis entre lesquels la politique française devait choisir. Par un singulier jeu de la Providence, c’était à un vieillard déjà un pied dans la tombe qu’était remise une décision, la plus grave peut-être que jamais ministre de France ait eu à prendre et dont il a fallu plus d’un siècle pour que notre génération ait vu se dérouler la dernière conséquence.


II

Une anecdote rapportée dans tous les mémoires du temps a le mérite de peindre au naturel la situation d’esprit dans laquelle les événemens qui se précipitaient en Allemagne trouvèrent Louis XV, ses ministres et sa cour. Comme on s’entretenait à Versailles de la mort de Charles VI et de ses conséquences, le roi, d’abord silencieux, finit par laisser tomber d’un air de langueur qui lui était habituel cette parole indifférente : « Nous n’avons qu’une chose à faire, c’est de rester sur le mont Pagnotte. » A quoi l’un des assistans, le marquis de Souvré, répliqua vivement : « Votre Majesté y aura froid, car ses ancêtres n’y ont pas bâti. » Le mot de Louis XV est caractéristique par sa trivialité même. On y reconnaît ce prince tout entier, avec cette justesse de coup d’œil et ce sens pratique dont la nature l’avait doué, qualités précieuses dont la France ne profita jamais, parce que, pour être dignes d’un roi, il leur manqua toujours d’être relevées par un souffle de générosité et soutenues par un ressort énergique de volonté. La réplique du courtisan est plus significative encore, car elle fait comprendre en deux mots dans quelle voie funeste une tradition mal comprise, devenue l’objet d’un faux point d’honneur, allait égarer la politique de la France.

En examinant, en effet, les résolutions diverses que le gouvernement de Louis XV pouvait prendre dans la crise où il se trouvait jeté avec toute l’Europe, on en trouve deux qui, différentes sans être opposées ni tout à fait inconciliables, pouvaient l’une et l’autre être honnêtement adoptées : l’une peut-être plus conforme aux exigences délicates du point d’honneur, l’autre mieux appropriée aux légitimes suggestions de l’intérêt national. Le roi de France pouvait s’empresser, non-seulement de confirmer la reconnaissance, mais de promettre par avance et de préparer l’exécution des engagemens qu’il avait pris par le traité de 1735 envers l’ordre de succession réglé par la pragmatique. C’eût été devancer l’appel de Marie-Thérèse par un élan chevaleresque qui n’est, j’en conviens, ni habituel ni même obligatoire entre souverains. Il pouvait aussi, sans être infidèle à aucune de ses promesses, éviter de s’expliquer sur les moyens de les remplir jusqu’au jour où la nécessité aurait réduit la fille de Charles VI à invoquer le secours de ses alliés. Ce jour-là, personne ne pouvait trouver mauvais qu’avant de se mettre en frais et en campagne, il stipulât en faveur de ses peuples une compensation proportionnée aux sacrifices qu’il leur aurait imposés ou aux périls qu’il leur aurait fait courir pour la défense de la cause impériale.

L’occasion, on l’a vu, n’aurait pas tardé : la brusque invasion de la Silésie mettait la bonne foi d’un des garans de la pragmatique dans un contraste avantageux avec la perfidie de l’autre, et comme rien n’est tout à fait gratuit en politique, on pouvait assez raisonnablement demander à l’Autriche de payer la loyauté d’un fidèle ami d’un prix que la comparaison seule aurait fait paraître modéré. Une telle ligne de conduite eût été d’ailleurs la suite naturelle de celle qui avait été sagement suivie par les conventions de 1735. En permettant à Marie-Thérèse de choisir l’époux de ses préférences, Fleury, en 1735, avait obtenu avec la cession de la Lorraine l’avantage d’assurer la continuité de notre territoire du côté de l’est jusqu’à la forte barrière des Vosges. En favorisant, en 1740, l’élévation de cet époux bien-aimé à la dignité impériale, le même Fleury pouvait se proposer d’obtenir quelque concession analogue, quelque démembrement des Pays-Bas ou du Luxembourg, qui aurait reculé notre frontière septentrionale en la rapprochant du Rhin. La suite fera voir que Marie-Thérèse aurait consenti sans trop de peine à un sacrifice, même assez étendu, de cette nature. Et de fait, à un agresseur insolent comme Frédéric, qui visait au cœur même de son empire, comment n’aurait-elle pas préféré un honnête allié qui ne lui aurait demandé pour courir à son aide que l’abandon éventuel d’un lambeau détaché de ses possessions lointaines ? Mais ce lambeau, sans prix pour elle, serait venu compléter heureusement la défense et l’unité de notre sol national.

C’étaient là sans doute les chances qu’entrevoyait Louis XV et qu’il conseillait d’attendre, aidé d’ailleurs dans ses prévisions et dans sa patience par son inertie naturelle. La perspective devait convenir mieux encore à son vieux ministre, qui avait naturellement, comme je l’ai dit, le goût de la politique expectante et l’avait même déjà poussé jusqu’à l’excès regrettable de favoriser par ses indécisions les espérances de la Bavière et l’audace de la Prusse. Le moins qu’il pût se proposer, c’était de tirer adroitement parti d’une situation qu’il avait contribué à créer. Caresser d’abord, puis mettre à profit les affections et la fierté blessée d’une jeune femme, c’était un jeu qui paraissait fait tout exprès pour un octogénaire rendu lui-même par les glaces de l’âge insensible aux passions du cœur, mais qui n’avait que mieux appris par là même à en faire jouer tous les ressorts.

La France avait donc le choix entre un acte de désintéressement un peu idéal et un calcul d’une honnêteté moyenne et suffisante. Hors de là, il ne lui restait plus qu’un parti à prendre : c’était de violer tous ses engagemens, sans provocation comme sans prétexte, et de se jeter tête baissée dans les hasards d’une agression continentale, à la veille d’une guerre maritime déjà presque allumée, le tout pour l’honneur d’un prétendant sans troupes comme l’électeur de Bavière et en compagnie d’un allié sans foi comme l’envahisseur de la Silésie. Cette conduite avait la singulière fortune de réunir tous les torts à tous les périls et le comble de l’imprudence à l’excès de la déloyauté. Ce fut pourtant ce troisième parti qu’après réflexion la politique française embrassa.

La cause principale et la seule excuse de cette erreur coupable dont les conséquences durent encore, ce fut l’influence exercée par le souvenir de la longue lutte qui était engagée depuis des siècles entre les maisons de France et d’Autriche. L’abaissement de la maison d’Autriche était le but politique poursuivi depuis François Ier jusqu’à Louis XIV par tous les souverains dignes de la France et tous les ministres qui avaient bien mérité de leurs maîtres. Les plus illustres capitaines avaient payé de leur sang sur les champs de bataille l’exécution persévérante de ce grand dessein. Richelieu, Mazarin, Condé, Turenne et Villars demeuraient grands dans la mémoire de leurs compatriotes par les coups qu’ils avaient portés à la prépondérance impériale. Rompre avec une tradition dans laquelle étaient nourris, dont demeuraient, pour ainsi dire, imprégnés tous ceux qui portaient la parole ou les armes au nom de la France, depuis l’ambassadeur jusqu’au moindre agent diplomatique, depuis le général à la tête de son armée jusqu’au plus humble ingénieur fortifiant une citadelle, en tout temps c’eût été une tentative difficile à faire admettre et même comprendre. Mais le jour où une chance imprévue permettait de porter à l’ennemi héréditaire un coup qui pouvait l’écraser, lui tendre la main, au contraire, et le relever, c’était, semblait, pour le roi de France résister à l’appel de la Providence et offenser les mânes de ses ancêtres.

Ainsi raisonnaient même des sages : ils n’avaient qu’un tort, c’était de ne pas réfléchir que précisément parce que cette politique avait rempli deux siècles de travaux et de gloire, ayant atteint son but, elle avait fait son temps. Le plus grand hommage, au contraire, que Louis XV put rendre à ses prédécesseurs, c’était de reconnaître (comme doit le faire aujourd’hui l’histoire) qu’ils avaient conduit les revendications de la France contre l’Autriche à ce point où, l’œuvre étant consommée, il n’était ni nécessaire, ni même prudent de vouloir la pousser plus avant. Un regard jeté en arrière suffisait pour montrer que, tout étant fait dans cette voie, rien n’était plus à faire. Que de terrain gagné, en effet, de François Ier à Louis XV ! que d’espace parcouru ! que de grandeur acquise ! quel éternel sujet d’honneur pour la maison royale à qui a été dû ce progrès sans pareil ! et quelle reconnaissance doit garder encore la postérité qui conserve, même après nos malheurs, les débris mutilés de cet héritage ! Au début du XVIe siècle, Charles-Quint était empereur d’Allemagne, roi d’Espagne, maître de l’Italie et des Pays-Bas : un coup de baguette magique venait de le rendre possesseur, au-delà des mers, de trésors qui semblaient inépuisables et de contrées sans limites. C’était l’empire du monde qu’il avait fallu arracher au nouveau César. Une seule nation, la France, j’ai presque dit une seule famille, avait pris en main la cause de l’indépendance de tous les peuples et elle avait suffi à la tâche. Cent ans après, grâce à la France et à ses souverains, le fantôme de la monarchie universelle avait disparu, mais une réalité menaçante subsistait encore : la maison d’Autriche, affaiblie et divisée, sans être détruite, partagée en deux branches qui tenaient toujours au même tronc, enserrait encore la France au nord, à l’est et au sud, par une étreinte redoutable. Entre la Flandre, l’Alsace, la Franche-Comté, la Navarre et la Méditerranée sillonnée par ses escadres, elle avait partout une entrée facile sur notre sol par des frontières ou des côtes ouvertes ou dégarnies. C’est alors que Richelieu jeta hardiment les armées françaises dans tous les hasards de la guerre de Trente ans ; et depuis cette heure une série de victoires était venue détacher une à une toutes les mailles de ce réseau de fer. Rocroi, Senef et Fleurus avaient amené les cessions successives de Cambrai, de Besançon et de Strasbourg. L’orgueil de Louis XIV, sévèrement puni par les malheurs de sa vieillesse, avait un instant compromis ce résultat, mais sans le détruire, et, en définitive, après des traverses, juste châtiment de quelques fautes, la fortune nous était revenue et Denain avait affermi sur la tête d’un Bourbon les couronnes d’Espagne et de Sicile.

L’horizon s’était aussi dégagé de toutes parts, et Louis XV, à Versailles, respirait pleinement à l’aise. S’il eût été vraiment digne de recueillir les fruits de cette politique à longue vue, il se fût borné à en jouir ou du moins, en travaillant à la compléter, il se fut gardé de la compromettre. Il eût reconnu dans le traité de 1735 l’attestation éclatante du changement opéré entre les forces relatives des deux royautés rivales. Loin de repousser les recommandations paternelles de Charles VI, invoquant, sur son lit de mort, la garantie française comme le suprême espoir de sa race, il les eût accueillies comme un hommage, avec une fierté bienveillante. Et, de fait, Louis XIV lui-même, dans toute sa superbe, quel rêve plus orgueilleux aurait-il pu former que de voir la petite nièce de Charles-Quint devenue la pupille de son petit-fils, réclamant pour toute faveur le maintien de l’équilibre établi par les traités de Westphalie et d’Utrecht, ces deux œuvres diplomatiques dont l’une avait inauguré et l’autre couronné son règne ?

Envisagée de ce point de vue, la pragmatique sanction, qui garantissait le statu quo territorial de l’Europe, loin de détruire ou d’ébranler les résultats de notre politique séculaire, en était la confirmation, presque la consécration définitive. Cette vérité ne fut pas appréciée, peut-être pas même aperçue, dans les conseils de Louis XV. En tous cas, elle n’y fut pas présentée avec l’autorité qu’un jugement éclairé par la suite des faits peut aujourd’hui lui reconnaître. Il y eut bien un débat entre Fleury et ses collègues, mais il ne s’éleva pas à ces hauteurs. Fleury, tenant avant tout à rester en paix et à laisser courir les événemens, fit valoir de mesquines considérations d’économie : la détresse du trésor accrue par les rigueurs de la saison dans les dernières années, la désorganisation de l’armée, mal remise des pertes de la dernière guerre, la fatigue et l’épuisement général du pays. Le ministre des affaires étrangères, Amelot, et Maurepas, ministre de la marine, partisans d’une politique plus active, répondirent à ces raisons par d’autres aussi pauvres, — tirées de traditions qu’ils ne comprenaient pas et de précédens sans application, — telles qu’en peuvent trouver des esprits courts qui ne savent pas sortir d’une ornière. On ne sait qui l’eût emporté, et de l’inertie ou de la routine, ces deux forces également aveugles, laquelle aurait prévalu si une action plus vive et pour ainsi parler plus jeune ne fût venue à la traverse.

En tout temps, et dans les affaires publiques comme dans la vie privé, la jeunesse se plaît, on le sait, à déjouer les calculs de l’expérience. C’est une force assez mal réglée dont les vieux politiques, qu’elle dérange, ont le tort de ne jamais tenir assez de compte. Même dans nos foules démocratiques, les instincts, les désirs de chaque génération nouvelle viennent presque périodiquement troubler le corps social et opèrent comme un levain qui fait fermenter toute la masse. Mais c’était bien autre chose dans le cercle étroit de Versailles. Là, dans ces quelques pieds carrés où se décidait la destinée d’un grand peuple, toute action se multipliait au centuple par elle-même. Là vivait, parlait et remuait tout le long du jour une jeune noblesse, ardente et désœuvrée, se mêlant de tout, précisément parce qu’elle n’avait rien à faire, l’esprit d’autant plus prompt à la critique qu’il était plus léger de réflexions et plus vide de connaissances, et entre les petits levers et les petits couchers, les messes et les chasses royales, les voyages de cour, les parties de plaisir ou de dévotion, ayant mille occasions d’approcher de l’oreille du maître. Le regard sévère de Louis XIV l’aurait contenue, la nonchalance de Louis XV lui donnait carrière ; rien ne modérait plus sa fougue et sa loquacité intempérante. Actes et paroles des ministres, elle citait tout à son tribunal. Le murmure de ces voix confuses et tranchantes formait autour des gens en place ou en crédit un bourdonnement qui aurait fait perdre le sens aux cerveaux les plus rassis. Or, dès le premier jour, la jeunesse de la cour fut passionnée pour courir sus à l’Autriche défaillante, et, de crainte de manquer une si bonne occasion de guerroyer, réclama à grands cris une entrée en hostilité immédiate.

Ce n’était pas seulement, chez ces nouveaux preux, ce goût d’aventures, cet attrait de la renommée naturels à tout ce qui porte l’épée pour la première fois. Ce fut un entraînement d’autant plus vif que la dernière guerre, bien qu’honorable pour la France, n’avait que médiocrement satisfait tous les héros en espérance. Par une particularité qu’expliquait assez l’âge du premier ministre, tous les commandemens dans cette campagne avaient été réservés à des généraux sur le retour, formés à l’école du dernier règne. Le plus illustre, Villars, était même mort de vieillesse sous le harnais, enviant le sort de son camarade Berwick, qu’un boulet emportait à la même heure, mais qui avait lui-même plus de soixante ans. Noailles, Broglie, Coigny, qui les avaient remplacés, n’étaient guère moins avancés dans la vie. Ils n’étaient jeunes qu’aux yeux de Fleury, qui les avait vus naître et grandir et à qui (j’ai vu cette illusion chez d’illustres vieillards) tout ce qui n’avait pas cinquante ans paraissait imberbe. Rien d’étonnant qu’une nouvelle race militaire se fût élevée derrière ces vétérans, qui brûlait de paraître en scène à son tour et de conquérir, dans une guerre qui fût son œuvre, une gloire qui lui fût propre, et elle se montrait d’autant plus impatiente de descendre dans l’arène qu’elle espérait, cette fois, arracher le roi à sa torpeur et l’entraîner avec elle sur le chemin de la victoire.

Il était temps, disait-on, car dans cette atmosphère frondeuse, on ne s’était pas fait faute de remarquer tout bas que le roi, dans la fleur de l’âge, n’avait pas paru pressé jusque-là d’imiter ses aïeux en prenant part lui-même aux opérations militaires, ni pour les commander comme Henri IV, ni pour en partager les périls comme Louis XIII, ni même pour les surveiller de loin comme Louis XIV. Ce n’était pas sur le bord d’un fleuve traversé par ses armées, c’était au fond de Versailles, loin de l’écho des combats, qu’il s’était laissé attacher par sa grandeur sans trahir même l’apparence d’un regret. Comme aucun soupçon ne s’élevait sur la bravoure d’un Bourbon, on attribuait cette réserve peu naturelle aux habitudes étroites de son éducation, au soin, j’ai presque dit au culte, pour sa personne royale que lui avaient inspiré d’abord des précepteurs très obséquieux, puis la digne compagne à qui un mariage inégal l’avait uni au sortir de l’enfance. La vertueuse Marie Leczinska, éblouie de sa grandeur inespérée, n’osant presque lever les yeux sur son époux, le considérant comme un dieu qu’aucun trouble ne devait atteindre, craignant à tout moment de le perdre et de tout perdre avec lui, le gardait, par instinct, comme à vue dans son intérieur. Élevée loin du rang suprême, où aurait-elle pris, d’ailleurs, pensait-on, pour les comprendre et s’y associer, les nobles inspirations qui conviennent à la royauté ?

Aussi les gens de cour (et le nombre en était grand) qui se piquaient d’être plus susceptibles sur le point d’honneur que scrupuleux sur la morale, constataient-ils avec plaisir que l’influence de la reine, très grande dans les premières années de son mariage, s’était affaiblie par degrés et venait enfin de complètement s’effacer. Une disproportion d’âge, chaque jour plus sensible, le déclin prématuré des agrémens plus que médiocres dont la pauvre princesse était douée, avaient peu à peu éloigné le roi d’une intimité conjugale dont le régime avait toujours été un peu sévère. Dès que ce refroidissement fut visible, la nouvelle en fut accueillie avec joie par tout un peuple de serviteurs toujours prêts à voir dans les vices des grands une mine de fortune à exploiter. Grandes dames de mœurs faciles, jeunes seigneurs passés maîtres dans l’art des plaisirs délicats, ce fut à qui s’empressa de présenter aux yeux du prince tous les attraits qui pouvaient émouvoir ses sens. Une véritable conspiration fut ourdie pour l’écarter de ses devoirs domestiques, et tous les mémoires du temps affirment, sans avoir été contredits, que le vieux cardinal y entra, au moins par connivence, soit, qu’en tuteur prudent, il craignît d’importuner son pupille par trop de sévérité, soit qu’il soupçonnât toujours Marie Leczinska de regretter son prédécesseur, le duc de Bourbon, à qui elle avait dû le trône. Le cœur du roi fut ainsi comme une place assiégée de toutes parts, et qui, livrée de l’intérieur, se rendit bientôt sans trop de résistance. La cour et la ville ne tardèrent pas à apprendre que Louis XV avait les faiblesses de Henri IV, ce qui parut aux connaisseurs autant de fait pour imiter son courage et prétendre à son génie. N’y avait-il pas de tout temps, sur les rapports nécessaires de la galanterie et de la valeur, une opinion courante dans le monde comme dans les lettres, un code de ces maximes que Boileau a si bien nommées des lieux-communs de morale lubrique et qui défrayaient aussi bien les chansons à boire sur le Vert galant que les fadeurs d’opéra sur les amours de Mars et de Vénus ? Molière lui-même n’avait-il pas dit :

Et je ne conçois pas que, sans être amoureux,
Un jeune prince soit et grand et généreux ?

Bien des gens même de nos jours rediraient encore des couplets sur cet air si la mode de chanter n’était passée. Mais tout le monde chantait à Versailles, et nous avons pu connaître de vieilles dames de l’ancienne cour, ayant mené une vie irréprochable et la finissant toute en Dieu, qui avaient pourtant la mémoire encore garnie de ces refrains joyeux et guerriers et qui parlaient des écarts de la vaillante jeunesse de leur temps avec quelque chose de plus que de l’indulgence. Bref, dès que le roi était émancipé de son ménage et de son confesseur, il fut entendu que rien ne l’empêcherait plus de courir à la gloire.

Il ne s’agissait que de l’y pousser ; et c’est de quoi se chargèrent volontiers les influences dont la séduction l’ayant initié au goût des plaisirs paraissait propre à lui inspirer aussi l’ardeur des combats. Deux femmes présidaient ensemble au cercle des nouvelles intimités royales : c’étaient deux sœurs, filles d’une maison très noble, mais un peu déchue, celle de Nesle ; l’une, Mlle de Mailly, la première que le roi eût honorée publiquement de sa faveur ; l’autre, Mme de Vintimille, moins belle, mais plus piquante que son aînée et qu’on accusait assez généralement de vouloir la supplanter. Les deux dames vivaient pourtant dans une intimité sans nuage. Elles entrèrent avec passion dans les plans de campagne qui montaient autour d’elles toutes les jeunes têtes. Une tradition poétique et romanesque les autorisait à se faire d’avance une part dans les exploits futurs du souverain. N’était-ce pas Agnès qui avait éveillé Charles VII de son sommeil et sauvé la France de sa ruine ? Gabrielle n’avait-elle pas reçu les tendres adieux du vainqueur de Coutras ? Comment oublier aussi La Vallière et Montespan, majestueusement promenées dans les plaines de Flandre en vue des citadelles assiégées ou soumises, puis ramenées le lendemain en reines dans les fêtes de la victoire,

Dansant avecque lui sous des berceaux de fleurs,
Et du Rhin subjugué couronnant les vainqueurs !

Pourquoi ces jours brillans ne pourraient-ils pas renaître ? Le nouveau Louis était-il moins brave, moins beau que son aïeul ? Était-il moins fait pour vaincre et pour être aimé ? Que lui manquerait-il pour enflammer tous les cœurs quand ses traits, d’une régularité encore un peu froide, seraient animés par les feux de la gloire et de l’amour ?

On parlait déjà ainsi quand on apprit que le nouveau roi de Prusse, de deux ans seulement plus jeune que celui de France, se jetait, à peine couronné, dans une mêlée guerrière sans dire, peut-être même sans savoir pourquoi. L’entraînement des souvenirs, aidé de l’émulation d’un tel exemple, parut alors tout à fait irrésistible. Seulement personne ne pensa que le cardinal pût s’y associer. Entre le vieux pédagogue, qui, tout le long du jour, tenait encore le roi en tutelle, et les nouveaux conseillers, dont les jeunes visages l’attendaient le soir dans des cabinets particuliers, il y avait, semblait-il, incompatibilité d’humeur encore plus que d’âge et de profession. Comment, d’ailleurs, eût-on proposé sans sourire à un vieillard, presque à un cadavre, de tenter une grande aventure ? Il fut donc arrêté, dans tous les conciliabules guerriers, que l’heure de la retraite avait sonné pour une domination sénile qui n’avait que trop duré, et si la vieillesse était sourde à la voix des événemens, on se chargeait de le lui faire entendre. Un mot courut à Versailles, un de ces mots par lesquels le public français excelle à peindre une situation et à achever un homme, et que tout le monde répète parce que chacun croit l’avoir inventé : « C’était un cardinal, dit-on, qui avait frappé à mort la maison d’Autriche, un autre cardinal, si on le laissait faire, allait la ressusciter. » Quant au successeur à trouver, le roi, ajoutait-on, n’avait que l’embarras du choix. Voulait-il un homme de cabinet, un politique éprouvé et rompu aux affaires ? Il n’avait qu’à rappeler de l’exil le marquis de Chauvelin, naguère encore chargé par Fleury lui-même du ministère des affaires étrangères et que son jaloux collègue n’avait éloigné que pour ne pas partager avec lui l’honneur des dernières négociations. Préférait-il un homme d’action autant que de conseil, propre à faire un général en chef aussi bien qu’un premier ministre et à exécuter de grands desseins après les avoir conçus ? Un nom était sur toutes les lèvres : c’était celui de Charles-Louis Fouquet, comte de Belle-Isle.

Celui-là, pour devenir l’idole de la jeunesse, n’était pourtant pas bien jeune lui-même. Né en 1684, il n’avait pas moins de cinquante-six ans. Mais la disgrâce, en retardant sa fortune, lui avait conservé dans cette maturité de la vie qui touche au déclin le charme de l’espérance et le prestige de l’inconnu. Il y avait dans son existence comme dans sa personne je ne sais quoi d’aventureux qui tranchait avec la monotonie des habitudes de Versailles. A distance même, et pour l’histoire, sa physionomie est presque la seule qui se détache sur le fond uniforme de la société politique d’alors. L’originalité est en général ce qu’on cherche en vain dans cette société brisée par le pouvoir absolu. Telle que la main pesante de Louis XIV avait fait la France, quiconque prétendait à s’y élever savait d’avance à quel moule il devait assujettir son caractère et quelle voie devait suivre sa destinée. On appartenait par la naissance soit à une noblesse brave et frivole qui achetait de bonne heure ses grades à l’armée et dans l’intervalle, entre deux campagnes, briguait des charges de cour, soit à une haute bourgeoisie, habituellement sortie de la robe, maîtresse de tous les emplois civils et qui avait sa place marquée dans les conseils. Une fois entré dans l’une ou l’autre carrière, on la parcourait d’étape en étape sans autre accident qu’un caprice de faveur ou un coup de feu reçu sur le champ de bataille. L’adversité avait jeté Belle-Isle en dehors de ces chemins battus. Son père, on le sait, était le troisième fils du célèbre Fouquet, le seul qui eût laissé une postérité. Sa mère était une fille de la noble maison de Lévis. Malgré cette illustre alliance, toute la famille de Fouquet ayant partagé la disgrâce de son auteur, c’était dans l’obscurité, presque dans la misère, que le jeune héritier de cette race proscrite avait vu le jour. Le souvenir de sa grandeur déchue avait de bonne heure allumé et irrité son ambition précoce. Tandis que tout lui rappelait que son aïeul avait disposé de la fortune de l’état, inquiété l’orgueil du roi et intéressé toute la France à sa ruine après l’avoir menacée de la guerre civile, devant lui la carrière était fermée, même à l’espérance. L’entrée de l’armée, où l’appelait son penchant naturel, lui était interdite, le roi ayant à plusieurs reprises rayé son nom d’une liste de présentation.

Lorsque enfin les instances de ses parens maternels lui eurent obtenu un poste inférieur, ce fut l’épée à la main qu’il dut conquérir tous ses grades. Il ne fallut pas moins qu’une blessure presque mortelle, reçue à Lille, pour le faire brigadier : « Furieux pas, dit Saint-Simon, pour le point dont il était parti. » Même après cet exploit, à peine s’il était admis à la cour, et Mme de Maintenon, qui le protégeait sous main, refusa toujours de le recevoir. La mort de Louis XIV lui rouvrit Versailles ; mais, pour y reprendre son rang, toute la souplesse, toute l’audace, toutes les ressources d’esprit d’un parvenu lui furent nécessaires. Il se fit protégé de l’indigne Dubois afin de grandir et monter avec lui. « Il passa, dit encore Saint-Simon, par toutes les portes, les cochères aussi bien que les carrées et les rondes. » Ainsi se formait en lui un mélange de qualités différentes où l’on reconnaissait l’empreinte de ses diverses origines. Hardi comme un chevalier, courtisan accompli et faisant son chemin auprès des femmes par des manières noblement insinuantes, il était en même temps travailleur et écrivain infatigable comme un homme de bureau, et l’on pouvait même surprendre en lui quelques traits héréditaires du financier. D’heureuses spéculations l’avaient fait passer en peu d’années de la misère à l’opulence : la plus habile fut l’échange qu’il sut obtenir de son marquisat de Belle-Isle (seul débris de la fortune paternelle) contre les comtés de Gisors et de Vernon. Il eut l’art de persuader au conseil de régence que l’acquisition de Belle-Isle-en-Mer importait à la sûreté des côtes de Bretagne, et d’obtenir ainsi, en place de cette pauvre seigneurie perdue au fond de l’Océan, qui lui rapportait à peine quelques milliers d’écus, de riches domaines, situés dans les plaines les plus grasses de Normandie et qui n’étaient jamais sortis jusque-là de la mouvance de la couronne. Il fut moins heureux dans des transactions d’une nature plus douteuse qu’il essaya sur les fournitures de l’armée, de concert avec le secrétaire d’état Le Blanc et le trésorier de la guerre La Jonchère. Surpris au milieu de l’opération par la mort subite du régent et par la ruine de ses associés, une rancune de Mme de Prie le fit jeter à la Bastille comme accusé de concussion. Mais tant de monde, et surtout tant de grandes dames, s’intéressèrent en sa faveur qu’il fallut se hâter de le relâcher. Bref, en véritable Fouquet, il connaissait le prix de l’argent en fait de galanterie comme de politique, joignait l’art de l’acquérir au talent de le bien dispenser, et quand il tenait grande maison dans son château de Bizy, exerçant sur les bords de la Seine des droits seigneuriaux qui n’avaient jusque-là appartenu qu’au roi, recevant chaque jour les nouvelles de la cour par des billets tracés d’une main féminine, il était bien l’héritier de l’hôte magnifique de Vaux et du surintendant qui n’avait jamais trouvé de cruelles.

Dans le cas présent, les mémoires du temps racontent qu’il avait fait passer deux cent mille francs à Mme de Vintimille pour que son nom fût discrètement prononcé à l’oreille du roi. Bien que l’anecdote soit rapportée en propres termes par l’un de ses meilleurs amis, le président Hénault, je doute que Belle-Isle, qui était bon calculateur, ait fait cette dépense superflue. Dès qu’il s’agissait de combattre en Allemagne, il était désigné d’avance sans avoir même besoin de faire penser à lui. Tout le monde savait que, placé auprès de Berwick dans la dernière campagne et appelé après la mort du maréchal à commander une division de l’armée du Rhin, il avait formé le plan d’une campagne hardiment agressive qui devait être poussée jusqu’en Saxe et même en Bohême, et qu’il en sollicitait le commandement lorsque la paix avait mis fin aux opérations militaires. Depuis lors, il se tenait prêt pour reprendre, au premier signal, son dessein interrompu, et, afin d’en mieux préparer l’exécution, il s’était fait donner le gouvernement de Metz, alors, hélas ! la tête d’une des lignes défensives de la France contre Allemagne et l’un des points de départ naturels de toute attaque. De là, il surveillait tout ce qui se passait sur les deux rives du Rhin et entretenait des relations avec les petits souverains qui se partageaient cette contrée. Ses rapports étaient intimes aussi avec l’électeur de Bavière, dont il se disait un peu parent par sa femme, Mlle de Béthune, descendante, comme la maison régnante à Munich, d’un des souverains électifs de la Pologne. À ce titre, il correspondait régulièrement avec l’électeur et avait reçu la confidence de ses chagrins quand la Pragmatique fut sanctionnée par l’adhésion de la France, et dès le lendemain de la mort de Charles VI, c’est à Bizy que s’adressait le futur prétendant pour se faire recommander à Versailles.

Rien de plus naturel que Belle-Isle fût appelé à représenter la politique qu’il n’avait cessé de prêcher. Mais ce qui fixait surtout sur lui tous les regards, c’est que le grand dessein qu’il avait formé, l’opinion populaire le croyait seul capable de l’accomplir. le ton de confiance qui respirait dans son langage fascinait une génération déjà un peu affaissée et qui aimait qu’on l’encourageât à ne pas douter d’elle-même. Il avait d’ailleurs ce qui plaît toujours aux peuples, le goût et l’instinct de la grandeur. Il cherchait le grand en toutes choses pour l’éclat autant que pour la réalité, mais pour la France autant que pour lui-même ; mêlant toujours à son ambition privée ce qu’on appelait, dans la langue patriotique d’alors, la passion de la gloire du roi L’expérience seule devait apprendre si son génie pouvait atteindre aussi haut que tendait sa pensée, et si l’ardeur même de son âme ne recelait pas (comme on l’a dit) plus de feu que de force. Mais en attendant l’épreuve, si l’on devait combattre, tout ce qui voulait briller et vaincre désirait que ce fût sous ses ordres.


III

Fleury, voyant grossir l’orage, avait deux partis à prendre qui, l’un et l’autre, auraient sauvé l’honneur de son nom : il pouvait indifféremment y céder ou y faire tête. Si la résistance lui paraissait commandée par l’intérêt public, son ascendant sur son ancien élève était bien encore assez grand pour qu’une parole nettement prononcée, et d’accord au fond avec la pensée royale, eût dissipé le bruit qui se faisait autour de lui. S’il jugeait l’entraînement irrésistible, il pouvait quitter la place et laisser à d’autres le soin de conduire une campagne que (l’eût-il approuvée) il ne pouvait raisonnablement espérer de mener à fin. A quatre-vingt-douze ans, il était bien temps pour un homme d’état de se décharger du poids des affaires, et pour un prêtre de songer à son salut.

Mais l’âge, qui accroît la faiblesse, ne désintéresse pas l’égoïsme. Fleury ne trouva en lui-même le courage, ni de la résistance, ni du sacrifice, et n’eut pas même le mérite de céder de bonne grâce. Comme c’est l’ordinaire des esprits faibles, en se laissant forcer la main, il ne s’exécuta qu’à demi. Les ennemis de l’Autriche demandaient à la fois qu’on démembrât ses états héréditaires et qu’on lui enlevât la couronne impériale. Fleury crut qu’il pourrait s’associer à l’une de ces entreprises en ne favorisant qu’indirectement l’autre, et reconnaître d’une main Marie-Thérèse, comme reine de Hongrie et de Bohême, tout en tendant l’autre à l’électeur de Bavière pour l’élever à l’empire. Si, ensuite, comme c’était probable, le nouvel élu se querellait avec son compétiteur de la veille et accroissait ainsi le désordre général déjà causé par la prise d’armes du roi de Prusse, ce serait un ordre de faits nouveau, dans lequel la France serait à temps de voir quelle part il lui conviendrait de prendre. Il crut mettre le comble à l’habileté de cette combinaison savante, en confiant le soin de la mener à bien à Belle-Isle lui-même, nommé ambassadeur auprès de la diète de Francfort. C’était ouvrir une carrière à l’activité de ce génie remuant, sans donner au roi la pensée de changer de main, à Versailles, la direction de la politique. Le calcul semblait parfait : de deux concessions réclamées, Fleury, accordant l’une, espérait en être quitte à moitié prix, et de deux successeurs désignés, il faisait affaire avec l’un pour mieux assurer l’éloignement de l’autre. Mais tout le monde n’avait pas sa prudence et son âge, et il avait compté sans Belle-Isle et sans Frédéric.

Quoiqu’il en soit, dès les premiers jours de décembre, Belle-Isle fut mandé de Bizy, où il demeurait depuis plusieurs semaines, spectateur des événemens, dans une attente un peu fiévreuse. Il accourut, plus au fait qu’il ne voulait le paraître d’une confidence qui ne répondait qu’à la moitié de ses espérances, et il entra dans le cabinet du cardinal presque au même moment où arrivait, de Berlin, la nouvelle de la marche en avant de l’armée prussienne, et la proposition d’alliance défensive, transmise par Valori et Beauvau.

Le vieux ministre était abattu et soucieux : cette mise en demeure, plus brusque qu’il n’avait prévu, dérangeait déjà un peu ses combinaisons. — « Il était aisé de voir, dit Belle-Isle lui-même (dans ses Mémoires encore inédits), l’embarras où il était. Il était vraiment chagrin d’un événement qui le mettait dans la nécessité d’exécuter un projet médité depuis cent ans par ses prédécesseurs, et qu’ils eussent saisi avec autant d’empressement qu’il mettait de répugnance à en profiter. » Sur ce ton plaintif et câlin qui lui était l’une de ses séductions habituelles, il commença ses doléances. « Mon premier mouvement, lui dit-il sans détour, était de ne rien faire, et je voulais que le roi fût simple spectateur de la scène qui va s’ouvrir en Allemagne. Sa Majesté possède aujourd’hui la Lorraine. Elle ne veut point étendre ses frontières, et il ne convient point du tout à l’état du royaume d’avoir une guerre qui peut être longue. Je n’ai point cessé de réfléchir depuis : j’ai discuté très amplement la matière avec les ministres seuls, et quelquefois avec eux en présence de Sa Majesté. Ils n’ont point pensé comme moi, mais sur leurs raisons, il a été unanimement décidé que nous ne devions jamais souffrir que la couronne impériale restât dans la maison d’Autriche, en la laissant donner au grand-duc, parce qu’en effet ce prince, en faisant revivre cette maison, y ajouterait sa haine et sa volonté déterminée d’entrer en Lorraine… Mais, quoique cette résolution soit prise, je n’en suis que plus embarrassé… » Partant de là, il s’étendit sur le danger de l’entreprise, et principalement de toute liaison avec le roi de Prusse. « Quel caractère ! disait-il. Ce qu’il fait en Silésie ne peut se défendre : rien ne le justifie. Quelle confiance avoir en un tel homme ! Il me comble d’avances et de flatteries, ajoutait-il, mais ces fausses caresses ne font que me mettre en garde. Et les engagemens de la pragmatique ! quel motif peut-on donner pour s’y soustraire ! » Puis tout en gémissant, le rusé vieillard conjura Belle-Isle (comme un service personnel) de lui venir en aide en allant défendre à Francfort une politique si mal définie. Il ajouta que le roi lui donnait une marque suprême de confiance en ne lui adjoignant pas de second plénipotentiaire. C’était, en effet, contraire à l’usage suivi avec les grands seigneurs qu’on chargeait d’une mission d’éclat, et qu’on avait habituellement la précaution de faire suivre d’un homme de métier pour suppléer à leur inexpérience[18]. Belle-Isle, flatté de l’offre, très décidé à ne pas la laisser échapper, n’en fut pas moins inquiet, presque révolté du ton d’indécision douloureuse qui respirait dans les paroles du cardinal. Loin de se laisser ébranler, il répondit sur le ton que sait prendre la volonté quand elle veut s’imposer à la faiblesse. Il traita dédaigneusement de scrupules chimériques le respect des engagemens de la pragmatique. Le roi, dit-il, n’avait pu ni porter atteinte à des droits qui n’étaient pas les siens, ni manquer à la parole tant de fois donnée à un fidèle ami et parent comme l’électeur de Bavière. Il eut plus aisément raison encore du projet si légèrement formé par le cardinal d’appuyer une des prétentions de l’électeur, sans le soutenir dans l’autre, la seule au fond qui fût réelle et pratique. La dignité impériale (il n’eut pas de peine à le démontrer) ne donnant aucun pouvoir effectif, ne pouvait être recherchée pour elle-même. Elle accroissait le prestige d’un souverain puissant comme l’archiduc d’Autriche ; elle ne serait qu’un vain ornement sur la tête d’un roitelet moins puissant que plus d’un de ses vassaux. Un empereur, sous peine d’être ridicule, devait être souverain pour tout de bon, avec des états et une armée proportionnée à son rang. A quoi servirait, d’ailleurs, ajouta-t-il, de rester neutre et de regarder faire ? Vienne et Munich en voudraient également au roi, et ses ennemis, voyant qu’il n’est servi que par des ministres indignes de ses ancêtres, s’éloigneront de lui pour se rapprocher de ses adversaires. Le roi de Prusse, laissé seul, s’accommoderait à nos dépens. — Vous dissipez mes scrupules, dit assez plaisamment le cardinal ; mais que faire ? Vous ne me proposez pourtant pas d’envoyer tout de suite une armée en Allemagne ? — Je ne vois guère d’autre moyen de s’y prendre, reprit Belle-Isle, et si l’on m’en croyait, l’augmentation des troupes serait déjà décidée. De l’humeur dont je vois qu’est le roi de Prusse, je ne crois pas qu’il se contente de promesses qui ne seraient pas accompagnées de moyens d’exécution[19]. »

Le cardinal, qui demandait grâce, mit timidement en avant l’idée qu’on pouvait se contenter, au moins en commençant, de donner à l’électeur un subside pour mettre ses troupes sur le pied de guerre. Mais l’ardent Belle-Isle ne lui laissa pas longtemps cette consolation. « Je ne pus, dit-il, retenir ma vivacité, et ce fut peut-être avec imprudence, mais avec la plus grande force, que je lui reprochai de ne faire rien qu’à demi… J’ajoutai tout ce dont la matière était susceptible et sans aucun ménagement. Peut-être dans ce moment le cardinal se repentit-il de m’avoir chargé de la besogne ; cependant il ne me montra pas d’aigreur. Il me dit d’aller voir M. Amelot et qu’il était nécessaire que je traitasse avec lui tous les détails qui concernaient mon ambassade. »

Belle-Isle n’avait garde de laisser refroidir le fer, qu’il ne trouvait déjà pas assez chaud. Il passa la nuit à noter sur un agenda tous les points nécessaires à un plan de campagne en règle, armemens, subsistances, fournitures et équipemens de toute nature. C’était la guerre avec son formidable appareil. Revenu le lendemain chez Fleury, il lui donna sans pitié lecture de son élucubration nocturne. A chacun des articles de cette écrasante énumération, le pauvre ministre, épouvanté, poussait un cri de douleur. Mais, à chacune de ces exclamations, Belle-Isle répondait par ce refrain dédaigneux : « Aimez-vous mieux ne rien faire ? alors, observez la pragmatique et congédiez le roi de Prusse. » Et le cardinal baissait la tête avec un soupir, d’un air résigné.

« La quantité de détails, dit Belle-Isle, dans lesquels il voyait qu’il fallait entrer, l’étonna, et si j’ai quelque reproche à me faire, c’est en voyant alors combien un projet de cette élévation et de cette étendue était au-dessus de son génie et de son caractère, de m’être chargé de l’exécuter et de ne pas prévoir que ce que j’obtiendrais pour ainsi dire par force et par ma présence demeurerait sans exécution ou ne le serait qu’en partie et toujours faiblement et après coup, comme l’expérience me l’a appris. Mais l’objet était si essentiel et si pressant, et intéressait si fort la gloire du roi et l’intérêt de l’état, que je crus devoir passer par-dessus ces considérations qui m’étaient personnelles, voyant que de tous les inconvéniens le pire était de ne rien faire. »

Pressé aussi entre deux impatiences également impérieuses, Frédéric qui attendait une réponse et Belle-Isle qui la dictait, le cardinal se laissa faire et l’offre prussienne fut acceptée ; mais, comme pour marquer la concession qu’on lui arrachait d’un cachet qui lui fût propre, il se donna le singulier plaisir de rédiger lui-même une note devant servir de thème à la conversation de Valori et où il s’amusait à répondre trait pour trait, et presque saillie pour saillie, à tout ce que le roi de Prusse lui avait fait dire. C’est une sorte de procès-verbal dressé sur deux colonnes : propos du roi de Prusse d’un côté, réponses du cardinal de l’autre. On y voit deux chefs d’état, aussi différens de génie qu’inégaux, faire assaut de bel esprit et jouer au plus fin. Ainsi Frédéric avait dit : « M. le cardinal veut-il de moi ? Voici le temps qu’il faut que je le sache. » Le cardinal répond : « Oui, oui, et tout à l’heure. » — « Ma voix à la diète est encore à louer. » Réponse : « Le roi la retient et donne pour arrhes l’invitation que Sa Majesté fait de procéder à un traité d’alliance. » — « Quand nous nous serons chamaillés un peu, l’Autriche et moi, avait encore dit Frédéric, M. le cardinal interviendra comme modérateur. N’est-ce pas là un personnage de son goût ? » Réponse : « M. le cardinal convient de son goût pour le personnage que le roi de Prusse lui réserve, mais il faut que Sa Majesté convienne de son côté que, pour que M. le cardinal puisse remplir ce personnage dignement, Son Éminence doit avoir eu à prononcer un jugement qui ne laisse ni l’esprit ni le cœur de toute l’Europe et de l’Allemagne envenimés contre la France. »

Le dialogue se termine par cet échange de répliques piquantes. Frédéric : « C’est un abus de croire que tout ceci se passera sans coup d’épée. » Le cardinal : « Le ministre du roi convient que ce serait difficile. » Frédéric : « C’est donc aux jeunes gens à entrer les premiers en danse. » Le cardinal : « Cela est vrai ; mais comme le bal est principalement pour eux, il faut qu’après avoir pris une satisfaction convenable, ils ne laissent pas les autres finir la fête et exposés aux murmures de ceux qui ont à payer les violons[20]. »

La crainte assez naturelle et, comme on verra, trop bien fondée d’être laissé seul dans la danse et d’avoir en définitive à payer les violons se fait jour sous une forme plus polie dans la lettre officielle par laquelle le ministre Amelot transmit à Berlin l’adhésion au projet d’alliance : « Sa Majesté, disait le ministre, souhaite très sincèrement, pour l’intérêt du prince, que son entreprise réussisse et, pour sa réputation, qu’il se hâte de la justifier. Des cours plus soupçonneuses que la nôtre hésiteraient à s’expliquer… L’envoi d’une personne aussi considérable que le comte de Gotter à Vienne semblerait indiquer une double négociation. On dit publiquement dans cette cour que ce ministre a offert au grand-duc d’entrer dans toutes ses vues sans exception s’il voulait reconnaître le droit du roi son maître sur la Silésie. Mais Sa Majesté n’ajoute aucune foi à ces bruits : elle a une confiance entière dans le roi de Prusse, et elle lui en donne une preuve certaine en lui offrant dès à présent de s’allier à lui[21]. »

Suivait un projet d’alliance rédigé en plusieurs articles, par lequel les deux souverains s’engageaient à unir leurs conseils et à agir dans l’union la plus intime pour porter au trône impérial le prince qui serait le plus propre à maintenir les libertés et prérogatives des princes de l’empire. En suite de quoi Sa Majesté Très Chrétienne ne s’opposerait pas à ce que le roi de Prusse usât des droits qu’il pouvait avoir sur tout ou partie de la Silésie, mais à condition que, de son côté, le roi ne mettrait aucun obstacle à une juste satisfaction de la maison de Bavière sur les droits qu’elle pourrait avoir aussi sur les états autrichiens.

D’envoi de troupes et d’intervention armée, il n’était pas encore question. Bien que la conséquence fût évidente, et par suite la promesse implicite, Fleury hésitait à l’articuler. Chaque mot, en vérité, semblait lui être arraché de la bouche. C’est ainsi qu’au même moment, répondant à l’électeur de Bavière, qui criait misère et insistait pour obtenir tout de suite quelques subsides, il ne craignit pas d’excuser la parcimonie d’un premier envoi en alléguant que, par suite de deux mauvaises récoltes qui avaient exigé des distributions d’aumônes extraordinaires, le trésor français en était réduit aux expédiens. « C’est une confession que je fais à Votre Altesse Sérénissime, ajoutait-il en le suppliant pour l’honneur du roi de la garder secrète. Le roi ne saurait lui donner une plus grande marque de confiance qu’un tel aveu[22]. »

Si, par ces réserves embarrassées et ces subterfuges sans dignité, Fleury espérait encore éviter un engagement définitif et se ménager une porte de retraite, il se trompait grandement et n’avait pas compris à quel génie il avait affaire. Par le seul fait que la politique française se laissait entraîner, je ne dis pas à prendre un parti, mais seulement à exprimer un vœu dans les affaires d’Allemagne, elle assurait à Frédéric un avantage que l’audace calculée du jeune ambitieux avait peut-être prévu et dont, en tout cas, il n’était pas homme à user à moitié. La veille, il n’était encore qu’un aventurier au ban de toute la société diplomatique. La seule apparition de la France sur le territoire germanique lui offrait un rôle important, peut-être décisif, à jouer dans un grand conflit européen.

Il fallait bien s’attendre, en effet, que la prétention de la France à disposer de la couronne impériale pour un de ses cliens ne laisserait personne indifférent en Europe. Cette tentative, qui n’allait à rien moins qu’à modifier à son profit toutes les conditions d’équilibre reconnues par le traité de Westphalie et rétablies par le traité d’Utrecht, devait réveiller partout contre elle les rivalités que la politique jusque-là caressante et timorée de Fleury n’avait que momentanément endormies. L’Angleterre, en particulier, ne pouvait laisser de sang-froid découronner cette maison d’Autriche, sa plus fidèle alliée dans des luttes encore récentes. Les compatriotes de Marlborough ne pouvaient rester insensibles au sort des héritiers du prince Eugène, et l’intervention britannique était d’autant plus aisée à prévoir qu’au même moment, comme je l’ai dit, les relations, sinon des deux cabinets, au moins des deux peuples anglais et français, et surtout des deux marines, s’aigrissaient d’heure en heure. La guerre, déclarée avec l’Espagne, menaçait à tout instant de s’étendre à la France, et déjà, dans les parages lointains de l’Océan, des croisières échangeaient par mégarde ou par anticipation des coups de canon. Pour soutenir cette lutte ou pour la prévenir, l’intérêt évident de l’Angleterre lui commandait de saisir l’occasion qui lui était imprudemment offerte et d’ameuter contre l’ambition française toutes les puissances militaires et morales de l’Allemagne. C’était le cas de reformer cette coalition de forces et de haines sous laquelle avait fléchi un instant l’orgueil de Louis XIV ; et puisque le petit-fils prétendait, lui aussi, à la prépondérance, l’heure allait venir d’organiser contre lui la même résistance que contre son aïeul.

Mais pour réaliser un tel dessein, un préliminaire était indispensable ; c’était de réconcilier la Prusse et l’Autriche, afin de les unir dans l’effort commun. La paix à rétablir entre Frédéric et Marie-Thérèse devenait par là, du fait même de la France, un intérêt britannique de premier ordre et presque une affaire de salut européen. Frédéric pouvait désormais compter qu’il aurait à Vienne, dans l’ambassadeur d’Angleterre, un agent presque aussi ardent que le sien propre pour lui faire obtenir les concessions qu’il demandait et pour faire cesser à tout prix le trouble intérieur du corps germanique. Ainsi sa politique à double face recevait le prix, non de sa loyauté assurément, mais de sa perfide adresse. Et c’était précisément l’acte d’agression dont toute l’Europe s’était indignée qui allait le faire courtiser à l’envi par ceux-là mêmes qui au premier moment avaient crié le plus haut au scandale : car ses soixante mille hommes campés au cœur de la Silésie devenaient la carte maîtresse que chacun voudrait mettre dans son jeu ou retirer de celui de son adversaire. De Versailles, on lui laissait espérer un concours militaire pour achever sa conquête ; de Londres, on allait mettre une médiation à son service pour lui en assurer la confirmation gracieuse. Tenir l’oreille ouverte aux deux négociations, aussi bien la belliqueuse que la pacifique, les laisser courir en enchérissant l’une sur l’autre, puis se décider le plus tard possible pour celle qui offrirait le plus grand avantage au meilleur marché : ce fut la résolution qu’il prit à l’instant, que les contemporains soupçonnèrent, mais que les correspondances nouvelles nous révèlent avec une naïveté dont il faut vraiment leur savoir gré.

Tout le plan, en effet, est déroulé sans détour dans les lettres écrites par Frédéric lui-même pendant les premiers mois de 1741. Ces lettres sont datées des divers points de la Silésie, ou il transportait d’un jour à l’autre son quartier-général : car la soumission de la province s’opérait rapidement, les forces autrichiennes surprises en nombre trop faible pour essayer la résistance s’étant retirées dans quelques places fortes, et la capitale, Breslau, ayant capitulé sans combat sous la seule condition que l’armée prussienne n’y entrerait pas et qu’elle resterait administrée par ses magistrats municipaux. La lutte décisive était ainsi ajournée jusqu’à ce que la saison permît aux troupes impériales, grossies par des renforts et remises en état, de tenter un retour offensif. Frédéric avait donc quelques semaines devant lui pour faire jouer tous les ressorts de sa diplomatie ; il n’en laissa pas perdre une minute.

Averti des dispositions qui régnaient à Versailles, il écrivit lui-même à Fleury : « Mon cher cardinal, je suis pénétré de toutes les assurances d’amitié que vous me faites et j’y répondrai toujours avec la même sincérité… Il ne dépend que de vous de rendre éternels les liens qui nous uniront en favorisant la justice de mes prétentions sur la Silésie. Si je ne vous ai pas fait d’abord part de mes desseins, c’était par oubli plus que par toute autre raison : tout le monde n’a pas l’esprit aussi libre dans le travail que vous l’avez, et il n’est guère permis qu’au cardinal Fleury de penser et de pourvoir à tout. » Et chargeant lui-même Valori d’expédier sa lettre, il ajoutait : « Je ne demande pas mieux que de m’unir étroitement à Sa Majesté Très Chrétienne, dont les intérêts me seront toujours chers, et je me flatte qu’elle n’aura pas moins d’égards pour les miens[23]. »

Mais, de la même main et sans doute de la même plume, il n’était pas plus embarrassé pour écrire au roi d’Angleterre : « Monsieur mon frère, je suis charmé de voir que je ne me suis pas trompé dans la confiance que j’ai mise dans Votre Majesté… N’ayant eu alliance avec personne, je n’ai pu m’ouvrir avec personne ; mais voyant les bonnes intentions de Votre Majesté, je la regarde comme étant déjà mon alliée et comme ne devant à l’avenir avoir rien de caché ni de secret pour Elle… Bien loin de vouloir troubler l’Europe, je ne prétends rien, sinon qu’on ait égard à la justice de mes droits incontestables… Je fais un fond infini sur l’amitié de Votre Majesté et sur les intérêts communs des princes protestans qui demandent qu’on soutienne ceux qui sont opprimés pour la religion. Le gouvernement tyrannique sous lequel les Silésiens ont gémi est affreux, et la barbarie des catholiques envers eux est inexprimable. Si ces protestans me perdent, il n’y a plus de ressource pour eux… Si Votre Majesté veut s’attacher un allié fidèle et d’une fermeté inviolable, c’est le moment : nos intérêts, notre religion, notre sang est le même, et il serait triste de nous voir agir d’une façon contraire les uns aux autres ; il serait encore plus fâcheux de m’obliger à concourir aux grands desseins de la France, ce que je n’ai cependant l’intention de faire que si l’on m’y force[24]. »

Puis enfin, parlant à cœur ouvert à son ministre Podewils, il lui explique sans le moindre embarras la double alternative qu’il tient à se ménager. « J’ai toujours regardé, dit-il le 14 janvier (cinq jours après la lettre à Fleury), la liaison avec la France comme un pis-aller. Aussi il faut tout mettre en œuvre pour nous procurer par la médiation de la Russie et de l’Angleterre la possession d’une bonne partie de la Silésie… Mais au cas que ces deux cours, au lieu de s’y prêter, voulussent s’aviser de prendre hautement le parti de Vienne,.. il n’y aura pas d’autre ressource que de se jeter dans les bras de la France et de forcer pour ainsi dire le destin. » Et, suivant que le jour s’éclaircit ou s’assombrit sur un point ou sur l’autre de l’horizon diplomatique, le ministre reçoit tour à tour deux instructions contradictoires qu’il fera accorder comme il pourra : « Le parti qu’il faudra prendre sera de nous accommoder avec la France et d’ajuster nos flûtes avec les siennes, car l’Angleterre ne voudra jamais nous aider. » Ou bien : « Amusez la France autant qu’il sera possible, jusqu’à ce que nous voyions un peu clair s’il y aura moyen de venir à notre but par l’assistance d’une médiation[25]. »

Pressé de la sorte à intervenir, le gouvernement anglais se décida à se mettre en avant, non pas encore tout à fait en offrant sa médiation, mais en suggérant par l’intermédiaire de son ministre à Vienne, M. Robinson, un accommodement qui paraissait de nature à satisfaire les convoitises d’une partie en ménageant les susceptibilités de l’autre. L’arrangement eût consisté à faire offrir par Frédéric à Marie-Thérèse un prêt de deux millions d’écus destinés à subvenir aux premières nécessités de l’empire, et dont la remise d’une partie de la Silésie entre les mains de la Prusse eût été le gage hypothécaire. Bien entendu, d’ailleurs, que l’hypothèque ne serait jamais levée, le remboursement du prêt ne devant jamais être ni effectué ni demandé. De la sorte, l’indivisibilité du patrimoine autrichien était maintenue en principe, la pragmatique respectée, au moins en apparence, et on ne créait pas un précédent fâcheux dont pussent se prévaloir d’autres prétendans à l’héritage.

Pendant que cette proposition était mise en délibération à Vienne, Frédéric, ayant établi ses troupes dans leurs quartiers d’hiver, dut pourtant retourner, dans les premiers jours de février, passer quelques instans à Berlin. Valori l’y attendait, son projet d’alliance en poche, très impatienté de tout retard. On avait même eu grand-peine à l’empêcher d’aller de sa personne relancer le roi dans son camp. Frédéric, qui eût peut-être préféré éviter l’entretien quelques jours de plus, ne manqua pourtant pas d’en profiter pour faire faire un pas en avant à la France, ce qui, avec le délai nécessaire pour recevoir de nouvelles instructions, était encore une manière de gagner du temps.

Aussi, dès que Valori fut admis en sa présence, la surprise de l’envoyé fut-elle grande de ne plus entendre parler de ce rôle de modérateur pacifique qui devait si bien convenir au caractère ecclésiastique du cardinal et de voir traiter, au contraire, le projet défensif qu’il apportait comme un papier sans valeur, plus compromettant qu’utile pour les intérêts prussiens. — « Mais, monsieur, dit Frédéric, après avoir jeté les yeux sur le document, quel avantage tirerai-je de cela ? Je ne vois pas le secours que le roi votre maître me donnera au cas que je sois attaqué par les puissances qui m’environnent et qui, au seul nom de la France, sont prêtes, non-seulement contre elle, mais contre ses alliés. Car, ne vous y trompez pas, la seule chose que l’électeur de Bavière a contre lui dans l’esprit de tous les princes d’Allemagne, ce sont ses liaisons avec la France. Je ne demande pas mieux que de me lier avec le roi votre maître, mais il faut qu’il soit écrit quelle espèce de secours il me donnera. Le roi mettra-t-il l’électeur de Bavière en état de soutenir ses prétentions autrement que par des écritures ? Si les électeurs de Cologne et palatin sont attaqués par le Hanovre, leur donnera-t-on un corps de trente mille hommes pour y résister ? Et quelle diversion le roi veut-il faire ? Favorisera-t-il par ses troupes les desseins de l’Espagne (en Italie) ? Sans toutes ces mesures, bien prises et bien calculées, ne dois-je pas chercher à me tourner d’un autre côté et tâcher de trouver mes avantages ? Le roi veut-il me garantir la possession de la Basse-Silésie, Breslau compris ? »

Et comme Valori, trouvant à peine un moment pour placer un mot au milieu de cette série d’interrogations, faisait pourtant remarquer que ces paroles étaient sur un air bien différent de celles qu’il avait entendues la première fois : « Oh ! monsieur, reprit le prince, tout est bien changé ; le Danemarck nous manque, le parti anglais prévaut actuellement dans cette cour. En un mot, si, comme je le crois, l’intérêt de la France est d’abaisser la maison d’Autriche, elle n’a qu’un parti à prendre, c’est celui que je viens d’indiquer. » Et, en parlant, il laissait le projet sur la table, comme s’il ne se souciait pas de le garder. Valori, piqué, fit le geste de le remettre dans sa poche. « Laissez-le-moi, reprit le roi, c’est un papier de conséquence ; il faut l’examiner[26]. »

Les entretiens des jours suivans furent à peu près sur le même ton, bien qu’entremêlés à certains momens d’effusions de confiance dont la bonhomie apparente ne dissimulait pas suffisamment le calcul. Aussi, comme Valori, qui se défendait de son mieux, lui faisait observer avec quelque insistance que, pour demander un appui ostensible en Silésie, il fallait cependant qu’il commençât par appuyer lui-même ses prétentions de quelques titres que le roi d’ailleurs serait prêt à examiner : « Mais, monsieur, reprit Frédéric, mes titres sont bons et très bons, et si je n’ai pas tout dit, c’est que, m’attendant à une réplique de Vienne, j’ai réservé les meilleurs argumens pour les derniers. » — « Je lui demandai, écrit Valori, si ses argumens n’étaient pas trente pièces de vingt-quatre et quinze mortiers qui étaient en dehors de son arsenal et tout prêts à partir. Il se mit à rire et me dit : « En effet que ceux-là devaient persuader au-delà des autres. » Une autre fois : « Voyons, monsieur, s’écrie-t-il, comme si un trait de lumière le traversait, convenons d’un traité : donnons la Bohème à l’électeur de Bavière, c’est un si brave prince et si attaché à la maison de France ! .. Et puis, dites-moi vous-même en honnête homme ce que vous augurez des intentions de votre gouvernement. Ne sait-il pas que je suis son allié naturel en Allemagne[27] ? » Enfin, Valori lui ayant exprimé de la part de Belle-Isle le désir de s’entendre avec lui avant de se rendre à la diète : « Mais qu’il vienne ; outre le plaisir que j’aurai de le connaître, il y aura quelque chose de piquant avoir un général français dans une armée de Prussiens au milieu de la Silésie[28]. »

On conçoit sans peine qu’en transmettant à Belle-Isle lui-même cette invitation goguenarde, le diplomate, tout étourdi et ne sachant que croire d’une pensée fuyante qui semblait ainsi tour à tour et se cacher et se trahir, ajoutât ces tristes réflexions : « Le roi de Prusse ne répond pas comme il faut : son sentiment est de se retourner d’un autre côté, de manière à n’être pas la dupe d’un prince qui entame des négociations partout et croit opérer des merveilles en ne concluant nulle part… Comme je parle tout haut avec vous, monsieur, je ne craindrai pas de vous dire que légèreté, présomption, orgueil, sont la base de ce caractère, et vous me plaindrez un peu d’avoir à me gouverner au travers de tout cela[29]. »

Mais il était trop tard, et Belle-Isle, aussi bien que Fleury, engagés l’un et l’autre dans l’engrenage, n’avaient plus liberté d’en sortir. Par retour de courrier, Valori reçut l’ordre d’en passer par tout ce que voulait Frédéric : promesse de soutenir l’électeur de Bavière autrement que par des écritures, garantie de la Basse-Silésie, tout fut accordé sans difficulté. — « Quand le roi, disait la dépêche ministérielle non sans quelque mélancolie, a proposé un traité d’alliance, il en a compris la conséquence. » — La seule condition demandée et d’ailleurs déjà offerte et acceptée d’avance était la renonciation aux droits de la Prusse sur les duchés de Juliers et de Berg, stipulation absolument nécessaire pour obtenir à la diète la voix de l’électeur palatin. Enfin ces concessions, déjà si compromettantes, étaient faites avec si peu de confiance et d’entrain que Valori recevait l’ordre de n’en pas laisser la trace écrite entre les mains d’un prince qui pourrait avec fondement être soupçonné d’en faire mauvais usage[30].

Rien n’était plus propre à faire sentir à Frédéric toute sa force et le besoin qu’on avait de lui, et il était douteux même que tant de faiblesse atteignît son but. Je ne sais, en effet, ce qui serait advenu si, au même moment, l’envoyé anglais eût pu annoncer, de son côté, que la proposition médiatrice était acceptée par l’Autriche. Le joueur le plus déterminé hésite à doubler sa mise quand on lui offre de mettre en poche, sans nouveau risque, le montant doublé de son premier enjeu. Mais, — faut-il dire par bonheur ou par malheur ? — rien de pareil n’eut lieu. Car, tandis que Versailles se montrait si complaisant, Vienne fut inflexible. Pas plus sous forme détournée qu’à ciel ouvert, ni par voie d’emprunt plus que de vente, l’idée d’aliéner un pouce du territoire autrichien ne fut admise seulement à l’honneur d’une discussion. « On n’avait jamais offert, fut-il dédaigneusement répondu, de l’argent à ceux qui n’en demandent pas. » Le ministre anglais qui, sans s’être mis directement en avant, se tenait dans la coulisse et à la porte de toutes les conférences, en faisant connaître, non sans un peu d’impatience, cette résolution inébranlable, ajoutait qu’on aurait pu espérer mieux, parce que des traces d’ébranlement étaient visibles et chez le chancelier Zinzendorf et même chez le grand-duc, à qui souriait assez l’idée d’une coalition contre la France. Mais il n’ignorait pas d’où partait la résistance et que tout échouait encore devant la fermeté d’un grand cœur : c’était la reine qui arrêtait sur toutes les lèvres l’aveu de faiblesse prêt à s’échapper.

Il y avait même dans la forme du refus quelque chose d’ironique, d’impolitiquement blessant, parfois de ces traits acérés et plus perçans que forts, comme ceux qui partent de la main d’une femme offensée. Ainsi le même Robinson raconte que, pendant qu’on négociait à Vienne, la reine de Hongrie faisait dire à Berlin, par l’intermédiaire de l’archevêque de Mayence, qu’elle était prête à tout oublier, pourvu qu’on lui demandât pardon, et Bartenstein, celui des conseillers qui avait ouvertement sa confidence, allait répétant que vouloir remettre le roi de Prusse dans la bonne voie sans commencer par le châtier, c’était vouloir blanchir un Maure[31].

Pendant quelque temps, on put croire que cette fermeté venait d’illusion encore plus que de courage et tenait à une confiance aveugle et un peu puérile dans le secours de la France, et, en effet, le vieux Bartenstein, auteur du traité de 1735 et négociateur de toutes les garanties de la pragmatique, avait de la peine à croire à la destruction de son œuvre. « Il est Français jusqu’à la folie, » écrivait Robinson impatienté. Peu à peu cependant, le bruit de la nomination de Belle-Isle et de l’entraînement de l’opinion courante à Versailles arrivant par tous les échos, il fallut se rendre à l’évidence. Dès le 10 janvier, le chargé d’affaires d’Autriche à Paris, Wasner écrivait que, pressant Fleury de faire enfin adresser par Louis XV à la reine la réponse qu’une difficulté d’étiquette retardait encore, il n’avait obtenu de lui que des détours évasifs, entrecoupés de soupirs : « Si vous saviez, monsieur, combien je suis accablé, avait dit le cardinal, et quelle est ma situation, vous me plaindriez. Je suis, comme dit l’Écriture, in medio pravœ et perversœ nationis. » La réponse arriva pourtant, et même avec le titre royal en suscription, ce qui causa au premier moment beaucoup de joie. Mais on ne tarda pas à s’apercevoir que cette politesse ne signifiait absolument rien, puisque la politique de Fleury consistait précisément à ne pas se mêler, en apparence, du litige élevé sur la succession autrichienne, en réservant toute l’intervention et toute l’hostilité de la France pour l’action à exercer dans la diète électorale.

Justement inquiète, la princesse se décida à mettre elle-même le cardinal en demeure de s’expliquer, tout en le prenant par son faible, c’est-à-dire en lui adressant des lettres pleines d’effusion et presque de tendresse, comme une fille pouvait en écrire à son père ou une âme fidèle à son directeur spirituel, et dont quelques lignes étaient toujours tracées de sa propre main. On voit alors s’engager entre le vieux prêtre et la jeune femme un dialogue courtois, presque doucereux, l’une mettant en œuvre, pour arracher une parole qui pût relever ses espérances ou finir ses incertitudes, toutes les caresses de l’art féminin, et l’autre, pour éviter de se découvrir ou de s’engager, se retranchant derrière toutes les finesses du langage sacerdotal et diplomatique. La reine fait vibrer toutes les cordes, elle parle tour à tour de l’horreur inspirée par la perfidie de Frédéric, de l’honneur du roi engagé par la garantie de la pragmatique et la cession de la Lorraine. Elle supplie au nom de l’amour conjugal et du bien de l’église, intéressée à l’union des deux grandes puissances catholiques et au maintien de la couronne impériale dans la famille apostolique par excellence. Le cardinal tient prête à tout une réponse qui ne dit rien : « Les projets du roi de Prusse, dit-il, sans doute répréhensibles, étaient pourtant connus avant d’être exécutés, et comme la reine n’avait pris aucune précaution pour s’y opposer, on avait dû supposer qu’elle les voyait sans inquiétude. Depuis lors, des puissances amies offrent leur médiation, et il faut en attendre l’effet. »

« Je sens, ajoute-t-il, dans toute leur étendue, le prix des bontés de Votre Majesté… Je lui souhaite toutes les prospérités qu’elle mérite par les grandes et aimables qualités que tous ceux qui ont le bonheur de l’approcher reconnaissent et admirent le plus dans sa royale personne. Je comprends les raisons essentielles qui font désirer à Votre Majesté la couronne impériale pour le sérénissime grand-duc son cher époux. Mais, outre que le roi n’a aucun droit de suffrage pour concourir à l’élection qui doit se faire d’un empereur, Votre Majesté me permettra de lui représenter que les affaires de l’Allemagne sont si embrouillées qu’il paraît bien difficile, pour ne pas dire impossible, de prévoir avec quelque certitude l’intérêt que chaque puissance devra y prendre. Votre Majesté a de puissans amis à la diète, mais ils ne sont pas également des nôtres et ne nous veulent pas beaucoup de bien. Nous avons plus à nous garantir du mal qu’à chercher ce qui nous conviendrait le mieux, et Votre Majesté est trop équitable pour trouver mauvais que nous travaillions à nous garantir ! .. »

Mêmes équivoques par rapport à la pragmatique. Le roi est fidèle à ses promesses, mais comment aurait-il pu sacrifier le droit d’autrui ? Quant à l’échange de la Lorraine contre la Toscane, il s’est traité directement entre le grand-duc et l’empereur défunt : « Il est aisé de penser, dit enfin galamment le cardinal, que le prince votre cher époux a eu beaucoup de peine à céder le patrimoine de ses pères. Mais, quoi qu’il en soit, il en est bien récompensé par le bonheur de posséder Votre Majesté[32]. »

A moins d’être sourd, il fallait comprendre. Aussi, sans cesser de solliciter l’éclaircissement de réponses dont l’ambiguïté seule était significative, la reine au même moment se mettait en devoir de soulever partout en Europe l’indignation contre son perfide adversaire. Elle adressait lettres sur lettres, protestations sur protestations à toutes les cours garantes de la pragmatique, à tous les représentans des princes allemands siégeant à la diète de Ratisbonne, à tous les présidens des cercles militaires ou judiciaires de l’empire. Bien qu’écrites dans les formes ordinaires de la chancellerie aulique, ces pièces sont presque toutes marquées d’un caractère original ; un souffle généreux y circule et en brise par intervalle (si on peut ainsi parler) le moule pédantesque. On sent que la princesse y a mis la main elle-même, et la langue latine (qu’elle parlait, on le sait, familièrement) ne gêne pas la vive expression de ses sentimens personnels. — « C’est sous le manteau, dit-elle, des assurances les plus amicales qu’ont été cachées les demandes les plus hostiles. Le passé n’avait rien vu, l’avenir ne verra rien de pareil. Un envoyé autrichien était encore à Berlin, quand, à la faveur même de cette apparence pacifique, le roi de Prusse a envahi un sol étranger et troublé le repos d’une province amie. On peut juger par là quel sort menace tous les princes si une telle conduite n’est pas châtiée par leur effort commun. Il ne s’agit donc pas de l’Autriche seule, il s’agit de tout l’empire, de toute l’Europe. C’est l’affaire de tous les princes chrétiens de ne pas laisser briser impunément les liens les plus sacrés de la société humaine… Tous doivent s’unir avec la reine et lui fournir les moyens d’éloigner d’eux un tel danger. Quant à elle, elle opposera sans crainte à l’ennemi commun toutes les forces que Dieu lui a confiées, et de ce service rendu au bien général, elle ne demandera d’autre récompense que la réparation du dommage que ses états ont souffert et ce qui sera nécessaire pour les garantir dans l’avenir contre de pareilles atteintes[33]. »

Ces démarches énergiques et partout répétées, où tant de courage s’opposait à tant d’injustice, ne laissaient pas la conscience publique s’endormir. Au contraire, il semble que le moment où. la politique des cabinets hésitait ou fléchissait fût celui où l’opinion populaire, dont les mouvemens étaient beaucoup plus lents et l’intelligence beaucoup moins rapide que de nos jours et qui s’était laissé tromper d’abord par les manèges équivoques de Frédéric, commença à comprendre et à s’émouvoir. A Londres, à La Haye, partout où on jouissait de la liberté de parler et d’écrire, des pamphlets passionnés circulaient à la défense de l’innocence persécutée et de la liberté de l’Europe compromise. Les mêmes sentimens se faisaient jour à la tribune anglaise, où le ministre Walpole, dont le crédit était en déclin, était vivement pressé par l’opposition parlementaire d’offrir à Marie-Thérèse un secours plus efficace que celui de ses bons offices. En Silésie, les populations rurales, qui portaient à la maison d’Autriche un dévoûment héréditaire, remises de leur premier étonnement, souffrant d’ailleurs des maux inséparables d’une invasion, se remuaient dans l’ombre et s’organisaient en bandes armées, inquiétant les derrières de l’armée prussienne. Dans les diètes tumultueuses de Pologne, la noblesse catholique s’indignait tout haut de voir à ses portes une province fidèle tomber entre les mains d’un prince protestant, et on pouvait prévoir qu’une forte pression allait s’exercer sur le faible Auguste III, poussant ainsi à la fois Dresde et Varsovie à une levée de boucliers en faveur de l’Autriche. Le danger devint tout à fait sérieux lorsque dans les derniers jours de février une révolution de palais, dont la suite expliquera suffisamment la nature et la portée, menaça de faire prévaloir les mêmes influences à Saint-Pétersbourg. Frédéric put craindre alors de se voir pris à revers et enveloppé par une coalition ennemie avant d’avoir eu le temps de mener à fin aucune des deux alliances dont il avait artificieusement retardé la conclusion et marchandé le concours : « La boîte de Pandore est ouverte, s’écriait le pauvre Podewils avec désespoir ; tous les maux en sortent à la fois. »

Sans se faire illusion sur la gravité du péril, Frédéric n’eut garde pourtant de laisser paraître un instant d’alarme. Faisant au contraire tête à l’orage, il ne négligea rien pour séduire de nouveau l’opinion qui s’éclairait. Il revint précipitamment à l’armée, entra de sa personne à Breslau, y tint des audiences solennelles, écoutant les plaintes des habitans et y répondant par des complimens, donnant des fêtes où étaient invitées les dames de la bourgeoisie sans distinction de culte, absolument comme eût pu faire un souverain légitime dans sa capitale. Il fit venir de Berlin, pour prendre part à ces cérémonies, ses familiers les moins militaires, les savans, les lettres de son intimité, comme son bibliothécaire Jordan et le mathématicien Maupertuis ; il les plaisantait même sans pitié sur l’inquiétude que leur causait le bruit des armes, inaccoutumé pour leurs oreilles. Des correspondances très bien organisées informaient aussitôt l’Europe, et surtout Paris, qu’un accueil enthousiaste lui était fait partout. Voltaire (qui recevait de première main tous les détails) ne manquait pas de les répandre en les habillant à sa façon de ce tour de piquante et agréable poésie qui se gravait dans toutes les mémoires. — « Dites-nous, demandait-il au chambellan Kayserling, dans une lettre en vers qui n’était pas assurément à l’adresse d’un seul lecteur,

Aimable adjudant d’un grand roi,
Et du Dieu de la poésie,
Sur mon héros instruisez-moi.
Que fait-il dans la Silésie ?
Il fait tout : il se fait aimer.
……….
Sitôt que Frédéric parut
Dans la Silésie étonnée,
Vers lui, tout un peuple accourut
En bénissant sa destinée.
Il prit les filles par la main,
Il caressa le citadin,
Il flatta la sottise altière
De celui qui, dans sa chaumière,
Se dit issu de Witikind.
Aux huguenots il fit accroire
Qu’il était bon luthérien.
Au papiste, à l’ignatien,
Il dit qu’un jour il pourrait bien
Lui faire en secret quelque bien,
Et croire même au purgatoire.
Il dit, et chaque citoyen
A sa santé s’en alla boire.
Ils criaient tous à haute voix :
« Vivons et buvons sous ses lois[34].


Et comme cette idylle courait chance d’être démentie par certains incidens meurtriers dont étaient chaque jour victimes les partis prussiens qui s’aventuraient isolément à travers les montagnes, et dans lesquels Frédéric lui-même faillit plusieurs fois se trouver pris, il fut entendu que les paysans qu’on trouvait armés pour la défense du sol national étaient des espions et des spadassins soudoyés par l’Autriche. Frédéric prétendit même sérieusement qu’un d’entre eux, arrêté et interrogé, avouait avoir prêté serment de l’assassiner entre les mains du and-duc en personne et en présence du conseil aulique. Personne ajouta la moindre foi à cette ridicule calomnie mais le prétexte fut suffisant pour exercer une terreur salutaire en châtiant du dernier supplice tous ceux qui tenteraient même l’ombre d’une résistance. Enfin pour montrer qu’il ne craignait personne il fit arrêter dans son palais et retenir en prison l’archevêque de Breslau, le cardinal Zinzendorf, frère du ministre principal de Marie-Thérèse, qu’il accusait d’être resté en intelligence avec ses anciens maîtres[35].

Il parlait pourtant de ces attaques avec moins de dédain dans ses lettres confidentielles. Celle-ci, écrite à cette date même à Podewils respire une exaltation que le sentiment seul d’un danger pressant pouvait faire naître. « Cara anima mia, non disperar… Vainquons ces difficultés et nous triompherons. Il n’y a point de lauriers poulies paresseux, la gloire les donne aux plus laborieux et aux plus intrépides. Par parenthèse, j’ai échappé deux fois aux desseins des hussards d’Autriche. Si malheur m’arrivait d’être pris vif, je vous ordonne absolument, et vous m’en répondrez sur votre tête, qu’en mon absence vous ne respecterez point mes ordres, que vous servirez de conseil à mon frère et que l’état ne fera aucune action indigne pour ma liberté. Au contraire, en ce cas, je veux et j’ordonne qu’on agisse plus vivement que jamais. Je ne suis roi que lorsque je suis libre. Si l’on me tue, je veux qu’on brûle mon corps à la romaine et que l’on m’enterre de même dans une urne à Rheinsberg. Knobelsdorf doit en ce cas me faire un monument comme celui d’Horace à Tusculum[36]. »

À ces précautions héroïques en était jointe une autre moins sinistre, destinée à pourvoir à une éventualité moins funeste. Le ministre de France recevait l’avis qu’il était autorisé à venir au camp informer le roi des dernières intentions de sa cour. Décidément, il fallait choisir, et le moment de recourir au pis-aller paraissait venu[37].

Valori ne se le fit pas répéter deux fois, et, arrivé tout courant au quartier-général de Schweinitz, il y trouva pour le coup toutes les portes ouvertes. Il n’eut pas plus tôt expliqué les offres nouvelles qu’il était autorisé à faire, que Frédéric, le laissant à peine achever, se jeta ou peu s’en faut dans ses bras : « Mais avec quelle bonne grâce, s’écria-t-il, le roi se prête à me faire plaisir ! Il peut compter qu’il aura en moi un allié reconnaissant. Les Anglais ont eu des alliés, mais c’est toujours avec leur éternel refrain sur l’ambition de la France et son envie de dominer l’Europe, et qui, je vous prie, le veut plus qu’eux, et avec plus de hauteur ? .. Au moins peut-on dire que, si c’est le dessein de la France, elle s’y achemine avec des façons qui ne sont pas rebutantes. » Puis, passant tout de suite au plan d’exécution : « Du moment » dit-il, que je sais les intentions du roi en faveur de l’électeur de Bavière, il n’y a qu’à prendre une carte et à tracer avec un crayon ce qui doit lui convenir, et je réponds quasi sur ma tête qu’il l’aura. » Mais, tout en se montrant disposé à aller vite en besogne, il n’en insistait pas moins sur la nécessité de garder quelque temps encore l’alliance secrète pour se donner le temps de faire ses préparatifs. Valori entra dans sa pensée, qui pouvait aussi convenir aux allures méticuleuses du cardinal et offrit (c’est son expression), de jouer la comédie et de quitter le camp avec l’air renfrogné d’un homme mécontent qui n’a rien pu obtenir de ce qu’il venait chercher. « Ah ! faites cela, s’écria avec transport Frédéric, et tâchez que cela revienne à Brackel (le ministre de Russie). »

Puis, pour mieux cacher le jeu, il garda Valori à dîner, et pendant tout le repas, le cribla de railleries piquantes sur l’état de la France et le caractère de ses habitans. Le Français, assez mal à l’aise, trouvait par momens que la plaisanterie allait un peu loin. Il se borna pourtant à répondre avec déférence qu’il ne pouvait comprendre d’où venait au prince tant d’éloignement pour une nation qui ne parlait de lui qu’avec admiration. En se levant de table, Frédéric lui tendit la main. « Sans rancune, n’est-ce pas, dit-il, monsieur le marquis ? » — Valori s’inclina, et, rentrant pour faire sa dépêche, il poussa la précaution jusqu’à mettre en chiffres toute la partie confidentielle de l’entretien, tandis qu’il écrivait au clair, d’un ton sérieux, le récit de la petite comédie où il croyait précisément avoir été seul à jouer un rôle[38].

C’était bien une comédie, en effet, mais en avait-il eu tout le secret ? Qui peut le savoir ? Frédéric le savait-il lui-même ? Et qui voulait-il tromper encore, lorsque huit jours plus tara ! , à peine Valori parti et après lui avoir répété à plusieurs reprises que l’affaire était faite et qu’il n’avait plus aucun changement à demander, il écrivait à son ministre à Londres : « Travaillez de toutes vos forces pour détacher le roi de la Grande-Bretagne de la cabale… et pour l’attacher véritablement à nos intérêts, qui ne sauraient être contraires aux siens… Vous pouvez protester que, jusqu’ici, j’ai encore les mains libres, n’ayant conclu aucune alliance avec la France, nonobstant les avantages qu’elle m’offre… ainsi qu’il dépend du roi de s’unir avec moi pour notre bien réciproque et pour celui de l’Allemagne et de la religion protestante. J’attends une réponse claire et décisive[39]. »

Quoi qu’il en soit, plus ou moins sincère, ou même plus ou moins suspecte, l’adhésion de Frédéric aux propositions de la France suffit pour mettre en mouvement Belle-Isle, qui n’attendait que ce signal de départ. Tout en l’attendant d’ailleurs, lui, pas plus que Frédéric n’avait perdu son temps. Jamais personne, de mémoire de ministre ou de général, n’avait déployé tant d’activité et d’ardeur. Il ne sortait du ministère des affaires étrangères que pour passer aux bureaux de la guerre, dressant le matin des instructions diplomatiques et l’après-midi des plans de campagne, et tenant, la nuit comme le jour, tout un monde d’employés sur pied. Dès le premier moment, il avait formé le dessein de mener à la fois les deux opérations, la diplomatique et la militaire, de conduire de front négociations et combats ; et la dignité de maréchal, qui lui fut accordée en même temps que son ambassade, attestait qu’il avait fait accepter par Fleury cette double prétention. C’est que Fleury, débordé autant que désolé, étourdi par cette activité bruyante, s’en remettait désormais à lui les yeux fermés, comme un navigateur qui a perdu son point en mer lâche son gouvernail et s’abandonne à la Providence. Quant au public, soit de Versailles, soit de Paris, aussi bien celui des cafés que celui des salons, prenant, comme c’est assez l’ordinaire, l’audace pour le génie, il était littéralement sous le charme : « Toute la France devenue Belle-Isle, dit un mémoire manuscrit du temps, ne doutait de rien, » et un penseur caustique dont la bienveillance n’était pas le défaut, le marquis d’Argenson, attestait cet entraînement dans son journal solitaire, sans trop s’en défendre lui-même. — « On a admiré depuis peu., dit-il, combien le crédit de M. de Belle-Isle s’est accru à la cour. Cela vient de ce qu’il a pris un système pour l’Allemagne… Il a des matériaux de tous côtés et l’esprit fort. Il mange peu, dort peu et pense beaucoup, qualités rares pour la France. D’un mot qu’il dit, il en impose à notre petit peuple de ministres[40]. »

Et de fait, sans partager un enthousiasme que l’événement a trompé, on ne peut refuser certain hommage, sinon d’admiration (le mot serait trop fort), au moins d’étonnement, à l’esprit entreprenant qui se jetait ainsi tête baissée dans une si grosse aventure, sans autre appui qu’un souffle de faveur populaire et un consentement arraché à un gouvernement débile. La hardiesse du dessein prête quelque mérite au fait seul de l’avoir conçu et au succès, à la vérité stérile et passager, qui l’a un instant couronné.

Depuis la rivalité de François Ier et de Charles-Quint, la couronne impériale n’étant plus élective que de nom, l’idée de l’arracher à la maison d’Autriche renversait toutes les traditions des chancelleries et tous les fondemens du droit public européen. Pour mener à fin une telle révolution, on ne pouvait se flatter qu’il suffît de peser sur le choix du collège électoral, diminutif d’assemblée, aussi dépourvu d’esprit de corps que d’initiative, et dont la majorité, composée de souverains très faibles, était hors d’état de regarder en face un péril quelconque. Il fallait s’être rendu maître de tous les ressorts et changer tous les pivots de la machine du saint-empire, la plus compliquée qui fut jamais, dont la dignité suprême elle-même n’était que la tête chancelante et très mal ajustée sur le corps. De plus, en descendant dans cette arène confuse, l’ambassadeur de la France devait se préparera s’y rencontrer face à face avec les représentans de toutes les cours d’Europe : les uns accrédités comme lui auprès de la diète électorale ; les autres exerçant sur les principaux centres politiques d’Allemagne une influence prépondérante. Il fallait être prêt à faire tête à leur opposition ou savoir désarmer leurs rivalités en conciliant leurs intérêts. Enfin, la plupart des comptes diplomatiques se réglant en ce monde par la force, si l’on voulait frapper l’Autriche au cœur, il fallait se préparer à l’aller chercher, sur les bords de l’Elbe ou du Danube, à des profondeurs où le drapeau français n’avait jamais pénétré.

Telles étaient les mille faces du problème que Belle-Isle se proposait de résoudre à lui tout seul. En parcourant sa volumineuse correspondance, qui remplit des rayons entiers aux archives de la guerre et des affaires étrangères, presque toute autographe et reconnaissable à un trait nerveux et précipité, on voit qu’il n’en est aucune qu’il n’eût envisagée et étudiée. Un instant d’examen donné à sa suite aux diverses parties de cette vaste tâche est indispensable pour en bien saisir la complexité et l’étendue.


Duc DE BROGLIE.

  1. D’Arneth, t. I, p. 110, 372. — Droysen, t. I, p. 172. — Raumer, Beiträge sur neuen Geschichte, t. II, p. 102 et suiv.
  2. Valori à Amelot, 3, 6, 10 décembre 1740.
  3. Voltaire, on le sait, raconte dans ses Mémoires que, Frédéric lui ayant confié le manuscrit de l’Histoire de mon temps, il lui fit effacer cette phrase : « Des troupes toujours prêtes à agir, mon épargne bien garnie, et la vivacité de mon caractère, c’étaient là les raisons que j’avais de faire la guerre à Marie-Thérèse. »
  4. Pol. Corr., t. I, p. 74 et suiv.
  5. Pol. Corr., t. I, p. 86.
  6. Ibid., t. I, p. 84.
  7. Ibid.
  8. Droysen, t. I, p. 348.
  9. Pol. Corr. T. I, p. 28 et 29.
  10. D’Arneth, t. I, p. 75. — Droysen, t. I, p. 164.
  11. D’Arneth, t. I, p. 75 et suiv.
  12. Droysen, t. I, p. 178.
  13. Ibid., t. I, p. 180. — D’Arneth, t. I, p. 127. — Raumer, t. II, p. 21.
  14. Valori au cardinal, 10 décembre 1740. (Correspondance de Prusse, ministère des affaires étrangères.)
  15. Valori à Amelot, 12 décembre 1740.
  16. Pol. Corr., t. I, 148. — Voltaire, Mémoires. — Frédéric, Histoire de mon temps.
  17. Pol. Corr., ibid.
  18. Les Mémoires de Belle-Isle, encore inédits, forment cinq volumes in-4o, déposés à la Bibliothèque nationale. Ils ne contiennent en général qu’un extrait raisonné de la correspondance du maréchal, soit avec le ministère des affaires étrangères, soit avec le ministère de la guerre, et on y trouve peu de faits qui ne soient relatés déjà dans ces divers recueils. Il n’y a que dans les intervalles assez courts pendant lesquels le maréchal quitte, soit l’armée, soit son poste diplomatique pour revenir à Versailles, qu’on peut trouver des renseignemens qui ne soient pas déjà dans les correspondances. Les premières pages, dans lesquelles il raconte le début de ses relations avec le cardinal Fleury, sont presque les seules, à ce point de vue, qui aient un véritable intérêt. En les résumant ici, j’ai dû m’abstenir de reproduire quelques assertions trop visiblement en contradiction avec la réalité des faits.
    Ainsi, le maréchal affirme que sa première conversation avec le cardinal eut lieu le 19 novembre 1740, et fut suivie d’une seconde à quelques jours d’intervalle, dans le commencement de décembre, et dans chacun de ces entretiens Fleury lui parle de l’agression du roi de Prusse en Silésie, des offres d’alliance que ce prince lui fait et de la réponse qu’il y a déjà faite lui-même. Or, l’invasion de Frédéric en Silésie n’a eu lieu qu’au milieu de décembre, et personne ne s’en doutait encore le 19 novembre. La proposition d’alliance faite à Valori est du 10 décembre et n’a pu être connue à Versailles avant le milieu du mois. Il n’y a été répondu que le 5 janvier 1741. Fleury parle également de lettres flatteuses qu’il a reçues du roi de Prusse ; or, dans la collection des lettres de Frédéric, la première qui ait été adressée au cardinal relativement à l’invasion de la Silésie est du 5 janvier.
    Il est évident que Belle-Isle, en écrivant de mémoire longtemps après, a confondu les dates. Peut-être aussi a-t-il arrangé la suite des faits de manière à se justifier du reproche d’avoir été le premier inspirateur d’une entreprise qui n’avait pas répondu aux espérances du pays. Tout son récit en effet, paraît avoir pour but d’établir que l’expédition était décidée et les affaires engagées, quand il en eut connaissance, et qu’il n’a fait que donner les conseils nécessaires pour en assurer l’exécution.
  19. Il faut signaler ici une nouvelle inexactitude des Mémoires. Belle-Isle suppose que le roi de Prusse, dès ce moment, demandait pour gage de l’alliance projetée, l’envoi de troupes françaises en Allemagne. C’est encore une erreur chronologique, la première proposition transmise par Valori ne contenant aucune demande de ce genre. Au contraire, Frédéric y flattait le goût pacifique du cardinal en lui faisant entrevoir l’espérance de n’intervenir que comme modérateur dans la lutte engagée. Ce ne fut que plus tard, et après le premier pas obtenu, que Frédéric, on va le voir, exigea le second.
  20. Cette pièce se trouve dans la Correspondance officielle de Prusse, sans date, mais entre le 15 décembre 1740 et le 1er janvier suivant.
  21. Amelot à Valori, 6 janvier 1741. (Correspondance de Prusse, ministère des affaires étrangères.)
  22. Fleury à l’électeur de Bavière, 17 décembre 1741. (Correspondance de Bavière, ministère des affaires étrangères.)
  23. Pol. Corr., t. I, p. 170-171. Frédéric au cardinal Fleury et à Valori, 5 janvier 1741.
  24. Pol. Corr., t. I, p. 185-186. Frédéric au roi d’Angleterre, 30 janvier 1741.
  25. Pol. Corr. t. I, p. 172, 179, 181. Frédéric à Podewils, 5, 11 et 20 janvier 1741.
  26. Valori à Amelot (Correspondance de Prusse, ministère des affaires étrangères), 31 janvier, 4 février 1741.
  27. Valori à Amelot, 4, 11, 18 février 1741. (Correspondance de Prusse, ministère des affaires étrangères.)
  28. Ibid. 11 février 1741.
  29. Valori à Amelot (Correspondance de Prusse, ministère des affaires étrangères), 7 février 1741.
  30. Amelot à Valori, ibid., 21 22 février 1741.
  31. Raumer, Beiträge zur neuen Geschichte, t. II, p. 105 et suiv. — D’Arneth, t. I, p. 128 et 131.
  32. D’Arneth, t. I, p. -389, Marie-Thérèse à Fleury. — Fleury à Marie-Thérèse, 26 février, 26 mars, 10 avril 1741. (Correspondance de Vienne, ministère des affaires étrangères).
  33. D’Arneth, t. II, p. 153-154.
  34. Correspondance de Voltaire. — Voltaire à Frédéric, 28 janvier 1741.
  35. Droysen, t. I, p. 216-217. — D’Arneth, t. I, p. 155, 384, 385.
  36. Pol. Cor., t. I, p. 202, 203. Frédéric à Podewils, 4 et 5 mars 1741.
  37. Ibid., p. 203. Frédéric à Valori, 11 mars 1741.
  38. Valori à Amelot, 18 mars 1741. — (Correspondance de Prusse, ministère des affaires étrangères.)
  39. Pol. Corr., t. I, p. 214, Frédéric à Truchsess, 24 mars 1741.
  40. Journal de d’Argenson, t. III, p. 146.