La Première lutte de Frédéric II et de Marie-Thérèse/14

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La Première lutte de Frédéric II et de Marie-Thérèse
Revue des Deux Mondes3e période, tome 63 (p. 481-521).
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VII.

CAMPAGNE DE FLANDRE. — INVASION DE L’ALSACE.


Le réveil inattendu d’une nation que chacun croyait épuisée ou endormie, l’attitude énergique soudainement prise par un souverain qu’on supposait condamné à une éternelle enfance, causèrent dans toutes les cours d’Europe un étonnement égal, mais mélangé d’impressions bien différentes. La surprise ne pouvait apporter que du contentement à tous les alliés de la France, soit avoués, comme Élisabeth Farnèse et Charles VII, soit secrets et encore incertains, comme Frédéric et les princes protestans d’Allemagne ; mais, pour tous nos adversaires, c’était un sujet imprévu d’alarmes et un pénible mécompte. Il semble que ce sentiment ne dût se faire jour nulle part avec plus de vivacité qu’à Vienne et dans les conseils de Marie-Thérèse. Là, le désappointement était complet et le changement à vue très mortifiant. La veille, une victoire, remportée sur tous les théâtres, assurait une domination sans contestation ; tous les ennemis de la maison de Hapsbourg courbaient la tête; le présomptueux électeur qui lui avait disputé la couronne impériale expiait sa témérité dans le dénûment et dans l’exil, tendant à ses vainqueurs une main suppliante et mendiant sa grâce dans le sens littéral et nullement métaphorique du mot; son patrimoine était occupé sans lutte et ravagé sans merci. L’étranger, qu’il avait eu l’imprudence d’appeler à son aide, l’abandonnait sans défense, inquiet lui-même pour sa propre sûreté. Ce n’était plus le sol germanique, mais bien le territoire français, qui, à son tour, était menacé. Du haut de la cathédrale de Strasbourg on apercevait les aigles autrichiennes prêtes à prendre leur vol pour aller s’abattre, au-delà du Rhin, sur les provinces arrachées par Louis XIV à l’empire. Avec une parole de paix prononcée à temps et de bonne grâce dans toute la joie du triomphe et au milieu de l’admiration universelle, la petite-nièce de Charles-Quint pouvait demeurer plus maîtresse de l’héritage de ses aïeux que ne l’avait été depuis un siècle aucun de ses prédécesseurs.

Aujourd’hui tout était à recommencer. Trois nouvelles armées françaises étaient sorties de terre. Le plus puissant des alliés de l’Autriche, menacé de la guerre civile et de l’invasion dans ses propres foyers, se sentait mal protégé par le bras de mer qui, en le séparant du continent, l’empêchait aussi d’y exercer une action tout à fait efficace. Sur la frontière prussienne, désarmée à peine depuis une année, on signalait de nouveau des mouvemens militaires, des transports d’armes, des rassemblemens de troupes d’autant plus inquiétans que le but en restait enveloppé de mystère. Devant cette renaissance de périls qui semblaient conjurés, qui ne penserait que Marie-Thérèse dût éprouver quelque repentir d’avoir laissé échapper une heure favorable et compromis tant d’avantages déjà assurés par l’excès et la rigueur de ses prétentions ! Sa conscience de mère et de chrétienne ne devait-elle pas lui reprocher aussi tout bas d’avoir, en cédant aux inspirations du ressentiment et de l’orgueil, exposé au hasard de nouveaux combats la couronne de ses enfans et privé ses peuples d’un repos déjà chèrement acheté?

Il ne semble pas que ni ce regret ni ce scrupule aient même traversé un seul instant l’âme de la princesse. On dirait, au contraire, que la pensée de se retrouver face à face avec des ennemis déclarés, entraînant à sa suite des alliés cette fois définitivement compromis, — sur un terrain dégagé de ces projets de transaction, de ces concessions et de ces compromis auxquels elle ne s’était jamais prêtée qu’avec répugnance, — lui fit éprouver un véritable soulagement. Ce sentiment étrange de délivrance se montra surtout dans ses rapports avec l’Angleterre, dont elle avait toujours accusé la mollesse dans l’action et la promptitude à accepter, parfois même à lui imposer, des conditions qui la blessaient. Quand elle apprit d’abord la déclaration de guerre envoyée par le cabinet français au cabinet britannique, puis l’évasion du prétendant et les projets d’expédition maritime dans la Manche, ce fut pour elle une sorte de triomphe dont elle ne ménagea pas l’expression ironique à son fidèle serviteur Robinson : « Voilà bien, s’écria-t-elle, la suite de ces conseils timides auxquels le roi George n’avait que trop prêté l’oreille, de ces hésitations et de ces lenteurs qui ont laissé évanouir entre ses mains tous les fruits de la victoire de Dettingue! Le voilà bien payé de tous les égards qu’il a eus pour son empereur, qui, en récompense du prix qu’il a mis à lui garder sa couronne, ne songe qu’à détrôner la maison de Hanovre! Va-t-on enfin ouvrir les yeux et se mettre à l’œuvre? C’est Dieu, ajoutait-elle, qui a fait un miracle en permettant que les Français, dans leur présomption et leur aveuglement, aient lancé cette déclaration, qui va, j’espère, vous tirer de votre sommeil. Enfin je ne suis donc plus la partie principale! Et que diriez-vous, grand Dieu! si j’allais me conduire comme ont fait jusqu’ici mes alliés! » Robinson, tout étourdi, ne trouva rien de mieux à faire que d’abonder dans le même sens et d’assurer que, lui aussi, se réjouissait d’une démarche qui, en mettant son maître en état de légitime défense, lui permettait d’invoquer le secours de tous ceux qui, par des traités, s’étaient obligés à lui venir en aide. S’il entendait par là Frédéric, la reine dut être médiocrement contente de sa réponse. « Je n’en ai pourtant pas trouvé de meilleure, écrivait-il à son ministre, dans l’état d’obscurité où je suis, comme Votre Seigneurie le sait, sur ce qui sortira des prochaines conférences entre les militaires[1]. »

La déclaration de guerre faite à l’adresse propre de l’Autriche, qui suivit de si près celle qu’avait reçue le cabinet de Londres, n’était pas de nature à causer à Marie-Thérèse plus d’émotion. « Admis hier auprès de Sa Majesté, écrivait l’ambassadeur de Venise, Contarini, elle m’a parlé de toutes choses, et en particulier de la croyance où elle était d’avoir, dans le roi de France un nouvel ennemi qui allait lui déclarer ouvertement la guerre. D’un air sérieux, mais ferme, elle m’a dit qu’elle ne pouvait craindre de plus mauvais jours que ceux qu’elle avait déjà traversés et que Dieu, qui l’avait protégée dans les plus grands périls, ne l’abandonnerait pas dans l’avenir... J’ai admiré la constance imperturbable et presque l’indifférence avec laquelle elle paraît considérer cet événement. » Elle n’y voyait effectivement que l’occasion de renouveler, dans un manifeste éloquent, l’énumération tant de fois déjà faite de tous les griefs que la patrie germanique avait à venger depuis tant de siècles sur l’ennemi d’outre-Rhin[2].

Si rien n’ébranlait cette fermeté voisine de la présomption, tout au moins pouvait-on penser qu’attaquée comme elle se voyait déjà dans ses possessions flamandes et menacée en même temps dans sa conquête récente de la Bavière, la prudence lui commanderait de suspendre tout projet agressif pour consacrer toutes ses forces au soin de sa propre défense. C’était l’avis de ses principaux conseillers; c’était aussi la demande instante de l’Angleterre, qui, la voyant si satisfaite de la reprise des hostilités, en profita pour lui demander sur-le-champ l’envoi d’un corps de quarante mille hommes dans les Pays-Bas, afin de défendre de ce côté l’entrée de l’Allemagne et, le cas échéant, de barrer la route du Hanovre. Une telle force ne pouvait évidemment être rendue disponible qu’en la détachant de l’armée qui campait en vue de l’Alsace, et en abandonnant, par là même, toute pensée d’envahissement et de conquête de ce côté. Ce changement de plan de campagne, très raisonnable en lui-même, paraissait devoir être d’autant mieux reçu à Vienne que la reine, en mariant récemment sa sœur, l’archiduchesse Marianne, au prince Charles de Lorraine, avait donné aux jeunes époux, en cadeau de noces, le gouvernement de toutes les Flandres autrichiennes. On connaissait sa tendresse pour les siens et la puissance des sentimens de famille sur son cœur : du moment qu’elle envoyait la jeune princesse à Bruxelles, on devait supposer qu’elle lui assurait les moyens d’y vivre et d’y régner quelques jours au moins en sécurité. Comment imaginer qu’elle l’y laisserait isolée avec une force insuffisante et qu’elle lui enlèverait son époux dans les premiers momens du bonheur conjugal pour l’envoyer à plus de cinquante lieues de distance commander la principale, la véritable armée de l’Autriche? Ce fut cependant le parti qu’elle prit. Le prince Charles eut l’ordre exprès, aussitôt après avoir établi sa femme dans la capitale de la Flandre, de lui en remettre le gouvernement et d’aller lui-même reprendre le commandement du corps d’armée qui, franchissant le Rhin dans son cours supérieur, avait pour mission de rendre l’Alsace à l’Allemagne et la Lorraine à ses anciens maîtres[3].

Ce ne fut point le compte de l’Angleterre, où, à l’inverse de ce qui se passait à Vienne, le désappointement, exploité par les partis en lutte, tourna promptement à un complet désarroi. A la vérité, la menace de l’invasion française et l’apparition inattendue du jeune prétendant avaient un moment réuni autour de George tous ceux qui attaquaient ordinairement sa politique et même sa personne. Des adresses respirant la loyauté et le dévoûment furent votées à l’unanimité par les deux chambres et couvertes de signatures dans les comptoirs et les magasins de la cité de Londres : des mesures draconiennes allant même jusqu’à la suspension de l’habeas corpus furent décrétées contre les menées des conspirateurs jacobites, de larges subsides furent accordés pour la continuation de la guerre. La nation témoigna de toute manière que, si elle se plaignait souvent de trouver la dynastie nouvelle plus allemande encore qu’anglaise, elle lui savait au moins toujours gré d’être protestante. Mais le premier moment d’émotion passé, les dissidences ne tardèrent pas à reparaître. Précisément parce qu’on avait eu à craindre pour la sécurité de Londres même, le parlement ne s’en montra que plus disposé à exercer une surveillance jalouse sur l’emploi des deniers qu’il accordait; et le vieux reproche toujours fait à la dynastie de Brunswick de n’employer l’argent anglais qu’à la défense de ses possessions hanovriennes retrouva plus d’écho encore que par le passé. Le peu de fruit qu’on avait tiré de la victoire de Dettingue devint aussi un grief dont les alarmes mêmes des bourgeois anglais servaient à accroître et même à exagérer la gravité. Ce n’était donc pas une victoire, mais plutôt une fuite heureuse (a fortunate escape), s’écriait l’illustre Pitt. Bref, lorsqu’il fallut dresser l’état de l’effectif militaire dont on disposait, on constata que, déduction faite de ce qu’il fallait consacrer à la défense des possessions et du territoire anglais, le nombre de troupes qui restait libre pour tenir la campagne en Flandre se trouvait singulièrement réduit. Ce fut donc un cruel mécompte quand le duc d’Aremberg vint signifier à Londres qu’on ne devait compter sur aucun envoi supplémentaire de troupes autrichiennes. Dès lors, en additionnant toutes les ressources, y compris le contingent, toujours mal assuré, des Provinces-Unies, on ne trouvait plus que cinquante mille hommes à opposer à l’armée de plus de cent mille que conduisait le roi de France[4].

Dans cet embarras, ne voulant rien négliger, le cabinet anglais eut recours à un moyen extrême, dont, en conscience, il ne pouvait guère se promettre le succès. Il fit appel à Frédéric, en invoquant le traité d’alliance défensive conclu, comme je l’ai dit, dix-huit mois auparavant, et qui obligeait les deux souverains de Prusse et d’Angleterre à se venir réciproquement en aide si leurs états étaient menacés. L’envoyé anglais qu’on dut charger de cette démarche, notre ancienne connaissance, Hyndford, n’aimait guère, on l’a vu, Frédéric, et surtout n’avait pas la bonhomie de le croire esclave de sa parole. S’il se prêta, et même avec un certain empressement, à l’exécution de ces ordres, ce fut moins dans l’espoir de se faire écouter que pour mettre son royal interlocuteur en quelque sorte au pied du mur, et par le ton de la réponse qui lui serait faite, obtenir au moins quelque indice des desseins qu’on mettait tant de soin à lui cacher.

Plus Frédéric, en effet, approchait du moment où sa résolution allait éclater, plus il s’appliquait et même réussissait à la dissimuler. C’est le propre des natures ardentes et actives que, tandis que l’hésitation, même quand elle est commandée par la prudence, leur pèse et les irrite, toute décision, fût-elle périlleuse, quand elle est une fois prise, les calme soudainement. Aussi ce même prince qu’on avait vu la veille impatient, nerveux, s’échappant en paroles inconvenantes, était devenu tout à coup tranquille, libre d’esprit et presque gai ; on ne lisait sur son visage qu’un air de sérénité et même d’indifférence imperturbable. Un poète grec, dit l’historien Droysen, a dit de Jupiter « que son bras pourrait tout remuer au ciel et sur la terre sans que le souffle de sa respiration fût même précipité. Tel apparaissait le roi, calme, serein, en pleine liberté d’humeur... Ce fut à Berlin, pendant tout l’hiver, fête après fête : il y eut, pour l’ouverture de la nouvelle Académie des sciences, une séance brillante dans les salles du château, puis des courses en traîneau, des mascarades et des bals ; le jeune roi se montra partout et semblait ne vivre que pour le plaisir. A l’Opéra, ce fut la première représentation de Caton d’Utique, puis un ballet où dansa l’enchanteresse Barberina ; dans les réunions intimes, c’étaient des concerts de flûtes où le roi faisait sa partie. » En réalité, on aurait dit que ces échos du plaisir l’empêchaient d’entendre le bruit des armes qui retentissait en Europe. Quelqu’un ayant laissé percer devant lui la pensée que Rottenbourg pouvait bien avoir quelque chose à faire à Paris : « Me prend-on pour un sot, dit-il, d’employer un pareil homme pour une affaire sérieuse? » Et afin de mieux détourner les soupçons, il ne cessait de poursuivre Valori en public de ses railleries grossières. Ainsi, à la nouvelle du combat incertain qui avait eu lieu sur mer, en vue de Toulon, contre l’escadre anglaise commandée par l’amiral Mathews : « Eh bien, mon ami, lui dit-il, je vous prenais pour des f...-Mathieu; il paraît que c’est Mathieu qui vous a f...[5]. »

Ce ne fut pas par une plaisanterie aussi crue, mais par une ironie qui n’était guère moins piquante que Frédéric se tira de l’embarras où l’Anglais se faisait d’avance un plaisir malicieux de le mettre. — « Je ne doute point, disait Hyndford dans une note officielle passée le 15 avril, que le procédé injuste, violent et non mérité de la France envers le roi mon maître, le manifeste indécent, effronté insolent et plein de calomnies que ce gouvernement a publié, n’excite une juste indignation chez Votre Majesté. » — Et, en conséquence, en vertu du traité, il réclamait un secours de la Prusse, consistant en trois mille hommes de cavalerie et huit mille d’infanterie. Frédéric n’eut garde de contester son engagement ; au contraire, il parut s’amuser à en exagérer l’étendue : Comment donc ! semblait-il dire dans sa réponse, mais rien ne me coûtera pour donner à mon oncle, le roi d’Angleterre, « la marque de ma véritable et sincère amitié et considération. » Aussi, si ses états sont réellement attaqués, je suis prêt à faire marcher non-seulement le secours stipulé par le traité, mais une armée de trente mille hommes, et à me mettre « moi-même à la tête pour la faire transporter en Angleterre et accourir à la défense de la couronne et des royaumes de Sa Majesté Britannique. » Seulement, ajoutait-il, est-il bien sûr que ce soit le roi de France qui soit l’agresseur? Ce qui vient de se passer en mer n’est-il pas un acte d’hostilité contre lui? Cela changerait totalement la nature d’une alliance purement défensive, telle qu’est la nôtre, car, pour que le secours stipulé soit exigible, « il ne faudrait pas avoir été le premier à attaquer une puissance qui ne saurait à la longue digérer les insultes qu’on lui a faites sans s’en venger par tout ce que le droit des gens exige en pareille occasion... J’espère, disait-il en terminant, que le roi votre maître aura lieu d’être satisfait de mes sentimens d’amitié pour lui et d’une déclaration si aimable et si cordiale. » — Mais, deux jours après, il écrivait à Chambrier, en riant sous cape et en lui faisant connaître sa réponse : « L’offre qui y est faite d’un secours de trente mille hommes, quelque spécieuse qu’elle paraisse, dit-il, est pourtant d’une nature que je suis bien persuadé que la mariée paraîtra trop belle aux Anglais et qu’ils se garderont bien de m’avoir dans leurs îles à la tête d’une armée de trente mille hommes[6]. »

Hyndford n’était pas endurant et n’aimait pas qu’on se jouât de lui en face. Après avoir pris les instructions de sa cour, il répliqua sèchement qu’il ne s’était jamais agi de défendre l’Angleterre, qui se défendait bien toute seule, mais le Hanovre, que Frédéric pouvait couvrir de son bras sans se déranger. Pressé de la sorte, Frédéric allait sortir de sa réserve et faire une nouvelle communication, cette fois si hautaine, que le brave Podewils (qui n’était pas dans la confidence des vrais desseins de son maître) en conçut une véritable terreur. Après l’avoir rédigée et mise au net, il invita le secrétaire particulier Eichel, qui devait présenter la pièce à la signature royale, de dire, s’il osait, quelque chose à cet égard. Eichel fit en effet quelques observations, à voix basse, sur les conséquences possibles, et peut-être immédiates, d’un congé si brusquement donné à l’agent d’une si grande puissance. Frédéric réfléchit un instant, puis mit le papier dans sa poche et ordonna seulement qu’on priât Hyndford de l’excuser si, partant pour faire une cure aux eaux de Pyrmont, il n’avait pas le temps de lui faire réponse avant son retour. Très irrité du procédé, mais n’osant pourtant pas réclamer tout haut, le roi d’Angleterre se borna, dans la première audience qu’il dut accorder au ministre de Prusse à Londres, à lui tourner brusquement le dos : « Si le roi d’Angleterre vous tourne le dos, lui écrivit sur-le-champ Frédéric, j’en pense faire autant et pis à Hyndford ; vous n’avez qu’à dire, pour manière d’acquit, à Carteret, que ces hauteurs britanniques ne seront pas semées en terre ingrate[7]. »

Si le trouble du cabinet anglais était assez grand pour le décider à courir au-devant et même à prendre son parti en douceur d’un traitement si dédaigneux, on juge ce que devaient sentir ses faibles alliés, habitués à marcher derrière lui et à compter sur son appui pour leur défense. A La Haye, c’était une alarme voisine de l’épouvante : un roi de France, un nouveau Louis, en armes dans les Pays-Bas, frappant à la porte de la Hollande, et le trône protestant ébranlé en Angleterre, c’était toute l’œuvre du grand Guillaume détruite. On était reporté d’un coup à quatre-vingts ans en arrière, aux jours où le roi-soleil accablait la faible république de sa formidable puissance. La situation même pouvait passer pour plus grave encore qu’en 1672, car, dans cette année critique, la Hollande n’avait eu à songer qu’à sa propre défense ; aujourd’hui elle était de plus obligée, par un traité plusieurs fois renouvelé depuis la paix d’Utrecht, à fournir un contingent aux garnisons d’un certain nombre des places fortes des Pays-Bas appartenant à l’Autriche, qui, en revanche, s’était engagée à ne jamais en faire cession à la France. Ce traité portait, dans la langue diplomatique du temps, le nom de traité de la Barrière, parce que ces garnisons mixtes formaient comme une sorte de rempart, élevé à frais communs, pour défendre, à défaut de frontières naturelles, les plaines flamandes contre l’ambition française. Cette précaution, dont la Hollande avait bénéficié plusieurs fois depuis quarante années, tournait cette fois contre elle, car elle allait se trouver engagée, bon gré mal gré, à essuyer le premier feu dans la rencontre prochaine des troupes de Marie-Thérèse et de celles de Louis XV. Les premiers boulets français lancés contrôles remparts d’Ypres, de Menin et de Tournay allaient frapper la poitrine des soldats républicains.

L’émotion fut tout de suite portée au comble : ce furent d’abord la colère, l’orgueil et le fanatisme qui débordèrent en invectives. « La fermentation est extrême, écrivait La Ville le 2 mars; c’est ici une maxime fondamentale et une opinion reçue par tous les états qui composent la république, que sa sûreté ne saurait se maintenir si le trône d’Angleterre cessait d’être occupé par un protestant... Je m’attends que, dans la plupart des églises des sept Provinces où l’on célèbre demain le jour de jeûne et de prières, les prédicateurs tâcheront, par des discours séditieux, d’exaspérer la populace, et je ne serais pas surpris de voir le fanatisme, qui s’était ralenti depuis quelque temps, se réveiller avec plus de véhémence que jamais... Il n’est plus question de secourir la reine de Hongrie, il s’agit de défendre la liberté et la religion. » Mais, peu de jours après, ce beau feu tombait et faisait place à l’inquiétude naturelle à des bourgeois paisibles brusquement détournés de leurs spéculations et de leur commerce. « On se flattait de nous intimider, poursuit La Ville le 16 avril, et on tremble actuellement de peur. Le parti de vigueur que le roi a pris a fait disparaître le prétendu courage, qui n’était fondé que sur l’opinion, également fausse, où l’on était de l’épuisement et de la faiblesse de la France. » Le trouble était d’ailleurs accru par les divisions intérieures. C’était encore la répétition des scènes du siècle précédent. Le parti qui gouvernait et qui professait les doctrines rigoureusement républicaines était accusé d’inaction, de faiblesse, d’impuissance. Le besoin d’un chef, le désir de l’unité dans le commandement, ces sentimens naturels dans toutes les crises politiques, étaient éprouvés et exprimés tout haut. On tournait les yeux vers l’héritier de la maison de Nassau, qui gouvernait déjà plusieurs provinces, et le rétablissement du stathoudérat, aboli depuis la mort de Guillaume III, était demandé dans la presse et discuté dans les conférences politiques[8].

Le ministère français était tenu au courant de toutes ces agitations, dans le moindre détail, par un singulier moyen qui lui permettait de compter en quelque sorte les palpitations du cœur de la république. On a vu que Voltaire, dans son malencontreux passage en Hollande, n’avait pu rendre qu’un véritable service, c’était de surprendre par artifice et de livrer ensuite par délation les secrètes confidences du gouvernement hollandais. C’est ce genre plus ou moins honorable de bon office qu’il était en mesure de continuer même à distance de La Haye : car son ami, le jeune Podewils, qui occupait, comme nous l’avons vu, le poste de ministre de Frédéric auprès des états-généraux, trouvait manière, par de discrètes intelligences, de se procurer copie de la correspondance du pensionnaire Fagel avec son ambassadeur à Paris. Il la faisait passer sous main à Voltaire, qui ne remplissait que son devoir en la communiquant au ministère français. A la vérité, dans les termes dont il accompagna son premier envoi, on apercevait bien quelque embarras, provenant sans doute du souvenir de sa mésaventure et du regret de n’être pas appelé à un plus grand rôle. « Je vous supplie, disait-il au ministre, d’être bien persuadé que je ne suis pas ce que les Anglais appellent busy body, les Romains ardelio, et les Français, par périphrase, homme qui se fait de fête. Ma fête est que vos affaires prospèrent. Recevez ces inutilités du plus médiocre et du plus tendrement dévoué de vos serviteurs. » Mais, après ces excuses faites en son nom personnel, il continuait en accablant de ses railleries impitoyables ce qu’il appelait les grosses têtes hollandaises, principalement le pauvre ambassadeur à Paris, van Hoey, à qui il en voulait peut-être de n’avoir pu le déplacer, et qu’il qualifiait du nom de Platon de la Hollande, parce que le digne homme ne s’exprimait jamais que par sentences tirées soit de l’Écriture sainte, soit des philosophes de l’antiquité[9].

A l’exemple de Voltaire, ce n’était à Versailles, et même dans le ministère, que plaisanteries sur le compte des bourgeois flamands et sur l’émotion que semblait leur causer l’odeur de la poudre, qu’ils croyaient déjà sentir. L’impertinence, ce travers naturel au caractère des courtisans français, renaissant avec la confiance, trouvait là un sujet intarissable de s’exercer : c’était toujours Dorante raillant M. Jourdain et don Juan bernant M. Dimanche. Dans le conseil même, où ne manquaient pas de mauvais plaisans, comme Maurepas, la lecture des dépêches interceptées de van Hoey était un véritable divertissement. Et, en réalité, qui n’aurait souri quand on lisait un récit tel que celui-ci, fait par l’ambassadeur lui-même, d’une audience où on s’était amusé de lui presque à sa barbe? « Après avoir objecté les maux affreux qui sont les fruits inévitables de la guerre, je démontrai par des raisons invincibles que la puissance d’un roi de France, établie sur l’amour de la paix. devait être naturellement inaltérable et que Sa Majesté, en exerçant constamment cette vertu, obtiendrait par elle-même le titre de roi très chrétien d’une manière bien plus glorieuse encore que par la prérogative héréditaire qui le lui donne. Un de messieurs les ministres me dit sur cela avec vivacité : « Vous avez certainement raison, et comment pourrait-on douter de la solidité de ce que vous avancez, puisque tous ceux qui ont acquis la réputation d’hommes véritablement sages ont toujours pensé qu’une paix, quoique peu équitable et très onéreuse, était préférable à la guerre la plus juste et la plus heureuse? » Mais combien ne nous écartons-nous pas tous tant que nous sommes de cette maxime ! Les raisons de modération qui n’ont en vue que le bien public ne sont-elles pas toujours subordonnées à cette fausse et orgueilleuse sagesse qui se cache sous le masque de la dignité et qui doit sa plus grande force à des motifs d’intérêt personnel?.. « On dit, a-t-on ajouté, que la prochaine attaque des Pays-Bas cause un grand embarras à notre république. Elle n’a qu’à suivre la leçon de prudence contenue dans les versets 29, 30, 31, 32 du XIVe chapitre de l’Évangile selon saint Luc. Le parti suggéré dans les deux derniers versets peut être suivi par la république avec une entière confiance. » Ces versets sont ceux où il est dit qu’un souverain qui n’a que dix mille hommes à mettre en guerre contre un ennemi qui en a plus de vingt mille doit lui envoyer des ambassadeurs pour demander la paix[10].

Quelques jours après, le soir même du départ du roi, van Hoey revenait encore à la charge avec un aplomb d’autant plus comique qu’il ne se doutait pas du rôle plaisant qu’on lui faisait jouer : « Je pris occasion, dit-il, de peindre aux ministres les horreurs de la guerre avec les couleurs les plus vives et de recommander la paix, et tous ont reçu mes représentations, comme auparavant, avec estime et approbation. On me représenta en même temps que, comme la défiance faisait naître par degrés la guerre, de même la guerre devait nécessairement produire l’inimitié des plus vives. J’ai fait, ajoutait-il enfin naïvement, tout mon possible pour découvrir s’il y avait quelque négociation entre cette cour et celle de Prusse, mais je n’ai reçu d’autre réponse que celle qu’on m’a toujours faite[11]. »

Le conseil si plaisamment donné de suivre les procédés diplomatiques recommandés par saint Luc fut pris au sérieux et appliqué. A la vérité, ce fut l’ambassadeur de France qui prit l’initiative de faire auprès des états-généraux une démarche solennelle, en apparence pour les rassurer, en réalité pour mettre le comble à leur inquiétude, en ne leur laissant aucun doute sur les intentions de son maître. Le 23 avril, le jour même où le roi quittait Versailles, le marquis de Fénelon, de retour après une assez longue absence, demandait audience aux états-généraux et, se rendant au lieu de leur réunion avec tout l’appareil de sa dignité, dans un carrosse attelé de six chevaux, suivi de nombreuses voitures de suite et de toute sa livrée sur pied, il tint, en présence de l’assemblée, un discours qui ne dut pas durer moins d’une heure de lecture. Tous les griefs de la France contre l’Autriche et l’Angleterre y étaient éloquemment résumés ; tous les efforts faits pour ménager la république et la tenir en dehors du conflit engagé depuis trois ans, y étaient rappelés et mis en contraste avec l’insistance et les moyens de toute nature employés, au contraire, par le cabinet de Londres pour l’associer à ses vues ambitieuses.

« Dans le parti, disait l’ambassadeur, que le roi mon maître prend, il aurait voulu pouvoir continuer à pousser ses égards pour Vos Hautes Puissances et leur voisinage jusqu’à se dispenser d’attaquer la reine de Hongrie dans ses possessions des Pays-Bas; mais quel moyen a-t-on laissé à Sa Majesté de s’en abstenir? Comment peut-elle, autrement qu’en prévenant ses ennemis, se garantir de l’usage qu’on ne tarderait pas de faire, pour envahir ses propres frontières, de ces mêmes Pays-Bas qu’elle aurait respectés?.. Le roi peut-il voir cette armée répandue tout le long de ses frontières des Pays-Bas sans se servir de tous les moyens que Dieu lui a mis en main pour se tenir à l’abri d’être envahi en se mettant le premier en campagne? Vos Hautes Puissances pourraient-elles même attendre avec quelque lueur de justice que Sa Majesté s’abstînt d’attaquer ses ennemis d’un côté où elle n’a elle-même aucune sûreté qu’elle ne sera point attaquée?» L’Angleterre pouvait-elle alléguer des raisons aussi légitimes dans sa tentative d’entraîner la république à sa suite et de lui faire partager ses périls? Et ceux qui, dans le sein de la république elle-même, secondaient les vues anglaises, quels pouvaient donc être leurs motifs? « Peut-être en est-il, ajoutait Fénelon, de cachés dont la haine contre la France est le voile, et qui pourront tendre de plus d’une manière au bouleversement intérieur de votre état. Mais je ne m’ingérerai point d’approfondir cette matière, sur laquelle vous devez mieux connaître et mieux sentir que moi ce que vous avez à appréhender... Les annales de votre république indiquent suffisamment ce qu’il ne m’appartient pas de vous rappeler. « — Cette allusion discrète aux périls qu’avaient courus, un siècle auparavant, dans une crise semblable, les républicains d’alors, allait adroitement à l’adresse des républicains du jour. C’était évoquer à leurs yeux le souvenir sanglant des violences populaires qui avaient autrefois porté Guillaume au pouvoir et comme le fantôme du cadavre mutilé des deux de Witt. Enfin le comble était mis à ce mélange habile de caresses et de menaces par l’annonce de son prochain départ que fit, en terminant, l’ambassadeur. Il devait, dit-il négligemment, déposer momentanément sa qualité diplomatique pour aller reprendre son poste de général dans l’armée qui entrait en ce moment même dans les Pays-Bas. C’était mettre la main lui-même sur la garde de son épée[12].

Les magistrats hollandais écoutèrent ce fier langage la tête basse et l’air consterné : pas un mot ne fut répondu; seulement, comme l’ambassadeur se retirait, le secrétaire de l’assemblée s’approcha de lui pour lui demander une copie de son discours revêtue de sa signature: « Est-ce l’usage? dit Fénelon. — Oui, lui dit le secrétaire. — Eh bien! monsieur, comme c’est un monument de la dignité, de la bonne foi et de la probité du roi mon maître, je le signerai, s’il le faut, de mon sang. » Il n’y eut pas plus de réponse écrite que verbale : on se décida seulement à envoyer au-devant du roi un messager, presque un suppliant, et on fit choix, cette fois, pour cette mission, d’un homme de qualité. Le comte de Wassenaer, gentilhomme de bonne maison, qui avait habité Paris et gardé des relations à la cour, fut chargé d’aller trouver Louis XV partout où il le rencontrerait pour le conjurer d’arrêter ou du moins de suspendre sa marche[13],

Parti sans délai, ce fut le 15 mai, au camp de Cysoing sous Lille, que Wassenaer rencontra le cortège royal. Le roi venait d’y arriver depuis plusieurs jours, après avoir visité, en compagnie du maréchal de Noailles, les places de Condé, de Douai, et de Maubeuge. Il était plein d’entrain, d’ardeur, accueilli partout par les soldats comme par les populations avec une satisfaction enthousiaste. A Lille surtout, la réception, préparée avec art par le maréchal de Saxe, fut un véritable délire. Ces mots : « Voilà le roi ! Enfin, nous avons donc un roi! » sortaient de toutes les bouches. Louis, ravi lui-même et comme transfiguré, se prêtait avec complaisance aux regards avides de le voir, aux acclamations dont le bruit inaccoutumé flattait ses oreilles. Accompagné et conduit par Maurice, il visitait le camp, les casernes et les hôpitaux, goûtait le bouillon des malades et le pain du soldat, puis rentrait pour étudier jusqu’à une heure avancée de la nuit le plan des places fortes qu’on se proposait d’assiéger. Jamais son humeur n’avait paru plus gaie; jamais il ne s’était plaint de moins de fatigue.

En même temps qu’on lui annonça la présence du comte de Wassenaer, d’excellentes nouvelles lui étaient apportées du Midi. Le prince de Conti, entrant en Italie par le comté de Nice, avait franchi le Var sans résistance et emporté sous le feu combiné des batteries piémontaises et de l’escadre anglaise la place forte de Villefranche et tous ses magasins. Ce succès, obtenu par un prince de la maison royale, prélude de ceux que Louis se promet- tait de remporter lui-même, en redoublant son émulation, ne le disposait pas à bien accueillir les prières de la république. Il indiqua pourtant à l’envoyé une audience pour le lendemain, mais, sous prétexte apparemment qu’il le connaissait de longue date, il le reçut avec un sans-façon militaire et une absence d’étiquette qui témoignaient plus de dédain que de cordialité : « La porte du roi ayant été ouverte, écrit Wassenaer lui-même, j’y entrai, conduit par l’introducteur, M. de Verneuil. Le roi était assis en robe de chambre et la tête découverte devant une table sur laquelle était une toilette et un fort petit miroir. Sa Majesté était occupée à se laver les mains. Elle me par la avant tous les autres et me dit : — Monsieur de Wassenaer, combien y a-t-il de temps que vous n’avez été en France? — Je répondis qu’il y avait vingt-cinq ans passés. — Vous me trouvez donc bien changé? — Sur ce que je dis que Sa Majesté n’avait encore que douze ou treize ans, il repartit : — Il y a vingt-cinq ans, je ne devais avoir que huit à neuf ans. Les courtisans calculèrent d’abord le temps et trouvèrent que Sa Majesté avait raison[14].)»

Wassenaer dut se mettre alors en devoir de débiter le petit discours qu’il avait préparé et qui exposait en termes assez embarrassés l’objet de sa mission. Il n’ajoute pas dans sa dépêche ce que les mémoires français nous apprennent, c’est qu’il le prononça d’un ton tremblant, en jetant des yeux inquiets sur la foule de courtisans et d’officiers qui l’entouraient. Le roi répondit au contraire d’une voix haute et ferme : «Toutes mes démarches envers votre république depuis mon avènement à la couronne ont dû lui prouver combien je désirais d’entretenir avec elle une sincère amitié et une parfaite correspondance. J’ai fait connaître assez longtemps mon inclination pour la paix ; mais plus j’ai différé de déclarer la guerre, moins j’en suspendrai les effets. Mes ministres me feront le rapport de la commission dont vous êtes chargé, et après l’avoir communiqué à mes alliés, je ferai savoir à vos maîtres quelles sont mes dernières résolutions. » Le bruit se répandit qu’en terminant il avait ajouté : « Et c’est en Flandre que je vous ferai cette réponse. » Les documens officiels ne portent point cette addition, mais ce qu’il ne dit pas en paroles, ses actes se chargèrent de le dire, car, dès le lendemain, il partait pour ouvrir lui-même la tranchée devant Menin, citadelle défendue uniquement par une garnison de quinze cents Hollandais[15].

Le siège fut poussé très vigoureusement et avec un succès d’autant plus rapide que, grâce à la confusion qui régnait dans le camp des ennemis, l’attaque sur ce point déterminé était à peu près inattendue. Ce n’était pas du côté de la Flandre maritime, mais du côté du Hainaut que l’armée austro-anglaise avait concentré ses moyens de défense, d’ailleurs, comme on l’a vu, assez faibles et rendus moins efficaces encore et moins disponibles par la mésintelligence qui régnait entre les généraux des deux nations. Dans le camp français, au contraire, l’harmonie était complète : Saxe et Noailles, marchant de concert, conseillaient et guidaient toutes les démarches du roi. Sous la conduite de ces bons directeurs, Louis parut plusieurs fois dans la tranchée à l’heure et aux lieux les mieux choisis pour être vu des soldats sans être trop exposé de sa personne. Au bout de huit jours, la place capitula et le roi put rentrer à Lille en triomphateur pendant qu’on prenait de nouvelles dispositions pour lui ménager devant Ypres, autre place forte de la même région, un succès pareil. Désormais on pouvait lui dire que la victoire marchait sur ses pas, et le coup d’éclat qu’attendait Frédéric était fait.

Aussi la conséquence se fit-elle tout de suite sentir, aussi bien à Versailles qu’à Francfort, par la conclusion presque immédiate des deux traités encore en suspens. En partant pour l’armée, le roi avait confié la tâche de continuer les pourparlers avec Rottenbourg au cardinal de Tencin et au contrôleur-général Orry, que la crainte de partager le sort d’Amelot ralliait à la politique prussienne et belliqueuse. Derrière ces négociateurs en titre se tenaient, à peine cachées sous un voile très transparent, Mme de Tencin, toujours inséparable de son frère, et la duchesse de Châteauroux, retirée avec ses sœurs à Plaisance, dans la maison de campagne de l’intendant-général Pâris-Duverney. Un échange de courriers presque quotidien entre Lille et Versailles allait chercher ou rapporter les instructions du roi rédigées de concert avec le maréchal de Noailles. Il n’était guère de dépêche ministérielle qui ne fût aussi accompagnée soit d’un billet tendre, daté de Plaisance, soit d’une chronique de la cour écrite de la main de Mme de Flavacourt. Cette sœur cadette des demoiselles de Nesle était la seule dont la vertu fût épargnée par la médisance, et elle devait à cette bonne renommée l’avantage d’être agréable à la reine pendant qu’elle plaisait au roi par la finesse et la grâce de son esprit. Frédéric, de son côté, était tenu au courant des moindres incidens de cette négociation en partie double à Versailles par Rottenbourg, à Lille par Chambrier, qui, comme tout le corps diplomatique, avait suivi au camp le cortège royal[16].

Il ne tarda pas à être évident qu’à mesure que la campagne française paraissait plus active et plus décidée et que Louis XV s’y compromettait plus résolument de sa personne, Frédéric, de son côté aussi, hésitait moins à se prononcer. Ses scrupules comme ses exigences diminuaient à vue d’œil. L’accueil fait aux envoyés flamands surtout le transporta d’une véritable admiration : « Voilà qui est vert et nerveux, s’écria-t-il, c’est parler en roi et en maître. » Tout sembla dès lors céder au désir de mettre sa main dans celle du roi de France et de la serrer d’une assez forte étreinte pour pouvoir l’entraîner ensuite où il lui conviendrait de le conduire. Le 12 mai, il avait déjà fait assez de concessions pour qu’il crût pouvoir écrire lui-même à Louis XV : « Je me flatte que Votre Majesté sera contente de la facilité avec laquelle je me prête aux points qu’elle a paru désirer, et je me flatte qu’elle le sera encore davantage quand je combattrai pour sa gloire et pour le repos de l’Europe. » À cette lettre en étaient jointes deux autres également autographes : l’une était pour le maréchal de Noailles, et, après lui avoir fait compliment sur les talens qu’il avait déployés à Dettingue et que la fortune avait mal récompensés : « Je dois vous avouer, ajoutait-il, que je remarque une différence sensible, dans la façon dont s’explique un roi qui agit par soi-même, de ce qu’il fait lorsqu’il ne se fait entendre que par l’organe de ses ministres... Il n’y a rien de plus capable d’établir une confiance parfaite entre nos cours que la façon sincère et cordiale avec laquelle le roi de France s’explique envers moi. » L’autre missive allait plus droit encore à la même adresse, car elle visait au cœur; c’était à Mme de Châteauroux elle-même que le souverain le plus illustre de l’Europe ne craignait pas d’écrire de sa main royale : « Il m’est bien flatteur, madame, que c’est en partie à vous que je suis redevable des bonnes dispositions dans lesquelles je trouve le roi de France pour resserrer entre nous les liens durables d’une éternelle alliance. L’estime que j’ai toujours eue pour vous se confond avec le sentiment de la reconnaissance. Il est fâcheux que la Prusse soit obligée d’ignorer l’obligation qu’elle vous a; ce sentiment restera cependant profondément gravé dans mon cœur, c’est ce que je vous prie de croire, étant à jamais votre affectionné ami. FREDERIC. » — On prétend que, pour mieux témoigner son affection et sa reconnaissance, Frédéric ordonna en même temps à Rottenbourg de lui envoyer une copie du meilleur portrait qu’il pût trouver de la belle duchesse, ce que l’adroit négociateur eut bien soin de ne pas laisser ignorer à l’original[17].

Dans ces dispositions soudainement devenues plus faciles, tout marcha rapidement, et les difficultés encore subsistantes furent résolues sans peine. Aucune n’avait été élevée, on l’a vu, ni de la part de la France sur l’extension de territoire réclamée par Frédéric en Bohême, ni de la part de Frédéric sur l’accroissement proportionnel que la France prétendait cette fois obtenir dans les Pays-Bas. Les deux souverains échangèrent donc sans discussion l’engagement de ne pas poser les armes avant de s’être réciproquement assuré ces avantages. Mais sur le point qui coûtait le plus à l’un et auquel l’autre attachait au contraire le plus de prix, — l’envoi d’une nouvelle armée française en Allemagne, — on se contenta des deux côtés d’un moyen terme. Frédéric exigea toujours la promesse, mais se résigna à en ajourner l’exécution. Il consentit à attendre le résultat des opérations militaires engagées à la fois et sur la frontière d’Alsace et en Flandre, et ce ne fut que dans le cas, où, comme il y avait lieu de l’espérer, l’armée autrichienne aurait été contrainte à évacuer les bords du Rhin et l’armée anglaise à se replier sur le Hanovre que la France s’engagea, au lieu de les laisser se retirer l’une et l’autre en liberté, à les poursuivre, l’épée dans les reins, jusque dans le cœur de l’empire. En revanche, rien ne put décider Frédéric à se mettre en mouvement avant la date qu’il avait fixée (les derniers jours d’août) et jusque-là il exigea que la nouvelle alliance fût tenue rigoureusement secrète. Cette précaution avait bien encore une apparence un peu suspecte, et des malveillans obstinés auraient pu voir dans ce retard et dans ce mystère l’intention de se tenir encore sur la réserve, jusqu’à ce que la France eût fait la première épreuve de sa fortune : mais le temps des défiances était passé, et le 5 juin, moins d’une semaine après la capitulation de Menin, les signatures étaient échangées, à Paris, entre Tencin et Rottenbourg. C’était, à deux ans de distance, l’anniversaire, jour pour jour, du premier traité qui avait suivi l’occupation de la Silésie, et que la France avait si douloureusement exécuté à Prague, pendant que Frédéric le violait si cavalièrement à Breslau. Si cette coïncidence revint à la mémoire des plénipotentiaires au moment où ils posaient la plume, le Prussien peut-être dut sourire, pendant qu’un nuage passait sur le visage du Français. Quatre jours après, le 9 du même mois, pendant qu’on se préparait au siège d’Ypres et que tout promettait un succès égal, le traité d’union des princes allemands, rédigé par Chavigny, recevait à Francfort une consécration définitive. Là aussi, Frédéric retirait l’une après l’autre toutes ses exigences, à mesure qu’il voyait l’action de la France plus résolument engagée. Sur ce théâtre pourtant, où il sentait les yeux de toute l’Allemagne fixés sur lui, les accommodemens et les concessions semblaient lui coûter davantage. Son orgueil résista même longtemps à la pensée d’admettre la France, à titre de partie contractante, dans la fédération nouvelle, et il ne se rendit qu’à la dernière heure aux instances et à l’ultimatum impérieux de Chavigny. Il convient lui-même dans sa correspondance que, s’il se laissa fléchir, ce fut parce qu’on lui avait dit que cet agent français si habile et qui prenait le ton si haut allait être appelé à la place d’Amelot au ministère des affaires étrangères et diriger ainsi toute l’action politique d’un allié désormais indispensable. Encore, pour ménager les susceptibilités germaniques, fut-il convenu que le nom de la France ne serait pas prononcé dans les stipulations mêmes du traité, et que Louis XV serait seulement invité par un article séparé et secret à y apporter, après coup, sa garantie. La même précaution fut observée dans la rédaction d’une convention particulière conclue entre l’empereur et le roi de Prusse et par laquelle étaient réglées les conveniences de Frédéric, c’est-à-dire la délimitation des territoires que Charles VII, escomptant d’avance la reprise de la Bohême, consentait à détacher de cette conquête en espérance. Ici encore le roi de France ne fut appelé à intervenir que comme témoin des promesses et garant de la bonne foi des parties[18].

Quoi qu’il en soit, malgré ces réserves, l’œuvre antipatriotique tant de fois dénoncée par Marie-Thérèse était de nouveau comsommée : l’Allemagne était une fois de plus partagée en deux camps, dont l’un appelait l’étranger, l’éternel ennemi, dans ses conseils et le provoquait même à violer le territoire sacré du saint-empire. L’ombre de Richelieu allait tressaillir dans sa tombe, tandis que le Rhin revoyait le fantôme de Louis XIV lui-même sous l’armure de son petit-fils. Cette résurrection d’un odieux passé était solennelle; aussi jamais résolution politique n’a suscité plus de controverses entre les contemporains, et n’en engendre encore aujourd’hui de plus vives entre les historiens que celle que prit alors Frédéric. Et, en vérité, pour le héros futur de l’unité et de l’indépendance allemande, le fait d’avoir lui-même pour la seconde fois, après une première et malheureuse épreuve, appelé l’étranger dans sa patrie, constitue bien un grief de quelque gravité et une tache dont sa mémoire a grand besoin d’être lavée. Si la première faute peut être mise sur le compte de l’ardeur irréfléchie d’une ambition naissante, la récidive commise de sang-froid dans la maturité de l’âge et la plénitude de la gloire est plus difficile à justifier. De là un conflit sans cesse renouvelé entre les champions posthumes de Marie-Thérèse et de Frédéric, débat qui se poursuit encore sous nos yeux, après plus d’un siècle écoulé, avec la vivacité des premiers jours. C’est comme un champ de bataille historique sur lequel Autriche et Prusse se rencontrent avec des ressentimens patriotiques aussi vivaces qu’hier encore dans les plaines de Sadowa. Il n’est pas jusqu’aux sages écrivains qui me servent de guides dans ces récits, MM. d’Arneth et Droysen, qui, parvenus à ce point de leur narration, n’échangent à mots couverts des récriminations passionnées. M. d’Arneth, écrivant avant nos malheurs, a le plus beau thème et le plus facile. C’est à ses yeux le crime de Frédéric d’avoir arrêté par une préoccupation égoïste le bras de Marie-Thérèse déjà levé pour rendre à la couronne de Charlemagne les fleurons que lui avait dérobés l’ambition française. M. Droysen relevant le gant dix ans plus tard, quand ce méfait, si c’en est un, n’avait été que trop complètement réparé, éprouve pourtant encore quelque embarras à défendre son client. Il sent le besoin d’énumérer tous les motifs qui ont pu faire croire à Frédéric qu’il était mis en défense légitime, et en droit de préserver à tout prix le fruit encore mal assuré de sa première victoire. La faute est donc à Marie-Thérèse d’avoir poursuivi obstinément des revendications stériles et laissé échapper ainsi la magnifique compensation qu’elle aurait pu s’approprier sur le Rhin aux applaudissemens de toute l’Allemagne. D’autres écrivains enfin, plus libres d’esprit et jugeant de plus haut, n’hésitent pas à considérer l’appel fait par Frédéric à la France à cette heure critique comme un des incidens passagers du grand duel qui commençait ce jour-là entre deux puissances entre qui le partage était impossible ; combat singulier dont en définitive l’unité allemande a été le glorieux résultat. C’est une de ces feintes retraites, une de ces marches en arrière, qui, dans un jour de bataille, peuvent être rendues nécessaires par les accidens de terrain, et qu’on n’a pas le droit de reprocher au vainqueur quand, en définitive, il a su assurer par là le succès de la journée[19].

Nous laisserons, si le lecteur le permet, les patriotes allemands vider entre eux ce débat dont le spectacle est pour nous plus douloureux qu’intéressant. Je me bornerai seulement à faire remarquer que si Frédéric, par égard pour une opinion nationale déjà très en éveil, reculait devant le fâcheux effet moral de la signature de la France insérée dans une convention entre princes allemands, il n’éprouvait du moins pas plus de scrupule que d’hésitation à en infliger à ses compatriotes toutes les conséquences matérielles sous la forme des maux inséparables d’une invasion à main armée. S’il eût tenu en quelque manière à les ménager, il aurait peut-être pu se contenter de l’appui indirect que lui aurait prêté une attaque dirigée par la France contre les alliés étrangers ou les possessions non allemandes de l’Autriche. Mais, loin de là, l’entrée des bataillons français, tambour battant et mèche allumée, sur le territoire allemand, c’est cela même dont il faisait le point capital et presque la condition sine qua non de la nouvelle alliance. Même après l’affaire conclue, il ne perdait pas cet objectif de vue, et il ne songeait qu’à faire par avance le plan de campagne de l’armée envahissante, qu’il chargea Rottenbourg d’aller porter à Lille; il allait même jusqu’à désigner d’avance, pour l’exécuter, le général le plus à son gré.

Un visiteur de distinction, qui vint le trouver à Pyrmont deux jours après la signature du traité, le trouva tout entier livré à cette préoccupation. C’était un officier supérieur français dont le nom a déjà figuré dans ce récit, l’ancien maréchal-général-des-logis de l’armée de Prague, Mortagne, un des fidèles de Belle-Isle, qui, n’ayant pu s’entendre avec son successeur, s’était fait attacher, en qualité de général auxiliaire, à l’état-major de Charles VII. Dépêché de Francfort en mission temporaire au camp royal, Mortagne, à son retour, ne crut pas pouvoir passer auprès de Pyrmont, où Frédéric achevait sa cure, sans venir saluer le protecteur de son ami. Frédéric, craignant sans doute qu’un entretien confidentiel avec un officier qui venait de quitter Louis XV ne trahît le mystère qu’il tenait à garder encore, ne le reçut pas en audience publique, mais lui donna rendez-vous dans un bois voisin de la petite cité thermale, où il vint le trouver à cheval, sans escorte. L’entretien prit tout de suite une telle tournure que Mortagne n’eut rien de plus pressé que d’en écrire le soir même à Metz pour en donner avis à Belle-Isle. Le roi, disait-il, se croit certain de pouvoir enlever Prague par surprise, mais il voudrait être sûr que, si le prince Charles revient l’y chercher, les Français se mettront à ses trousses pour le poursuivre. « Il est inquiet qu’on ne le laisse et qu’on ne fasse la paix sans lui quand il aura levé le bouclier. Mais, après cela, il se rassure sur la parole du roi, qu’il compte sacrée, comme la sienne le sera aussi... Il m’a beaucoup demandé si le roi paraissait prendre goût à la guerre et quel était l’esprit de l’armée. Je lui ai dit là-dessus tout ce qu’il y avait à dire et lui ai rappelé ce que j’ai entendu moi-même dire à plusieurs grenadiers lorsque j’étais à Verviers. Le roi passant, ils dirent : « S. D., nous ferons de la besogne avec ce b....-là! Il n’a qu’à nous mener. » Le roi m’a alors demandé de vos nouvelles, comment vous vous portiez et ce que vous faisiez. Je lui ai dit que vous vous portiez bien et qu’il me paraissait que vous étiez en panne ; sur quoi il me dit : « Est-ce qu’il y a toujours une cabale contre lui? JN est-il pas bien avec le roi? » Je lui dis que vous étiez tout au mieux et bien aussi avec tous les intimes. « Pourquoi donc n’a-t-il pas, dit-il, le commandement de l’armée du Rhin? car que veut-on faire de M. de Coigny? » Je lui répondis que j’avais lieu de croire qu’on vous y désirait, mais qu’on avait des égards pour M. de Coigny. « Voilà des égards bien mal placés. » Je lui répondis : « Votre Majesté pourrait les faire cesser. — De tout mon cœur, répondit-il[20]. »

En réalité, Frédéric n’avait pas attendu le conseil de Mortagne pour donner à Rottenbourg l’ordre de mettre tout en œuvre afin de rapprocher Belle-Isle des régions du pouvoir et de lui faire attribuer le commandement de l’armée du Rhin; c’était, en d’autres termes, chercher à se procurer à lui-même le lieutenant qu’il désirait. Rottenbourg, rapidement passé maître en fait d’intrigues de cour et connaissant tous les êtres du palais, n’eut garde d’aller frapper à la porte du cabinet royal, où il aurait risqué de rencontrer quelque successeur ou quelque rival de Belle-Isle. Il trouva plus simple et plus sûr de faire entrer à sa suite le protégé de son maître dans le boudoir de la favorite, et ses lettres nous montrent avec quelle adresse et quelle assiduité il s’y appliquait.

Dès le 26 avril, il écrivait à Belle-Isle lui-même en le consultant sur un des points du traité : « Le jour où j’ai vu notre duchesse, j’ai été une bonne heure avec elle; nous avons beaucoup parlé de vous, et il m’a paru qu’elle s’intéresse à ce qui nous regarde et connaît bien votre mérite. » Et, deux jours après : « La duchesse m’a parlé de vous; j’ai été une heure avec elle et vous êtes dans son esprit on ne peut mieux. » Enfin le 23 mai : « Le roi mon maître m’a envoyé une lettre pour Mme la duchesse notre amie ; il lui a écrit que j’avais à lui parler : elle m’a prié de venir la voir demain. Vous sentez bien, monsieur, que nous parlerons un peu de vous. Je lui demanderai son avis, et si elle trouve convenable que je dise au roi combien Sa Majesté désirerait, pour la cause commune et le bien de la chose en général, vous voir à la tête de l’armée qui doit agir en Allemagne. » Malgré ces assurances, il est douteux que cet habile homme eût eu l’art de dissiper complètement les préventions de la beauté régnante contre l’ami de la sœur qu’elle avait supplantée si, par un de ces retours si fréquens dans les cours, il n’eût trouvé un appui inattendu au sein du triumvirat même qui avait remplacé Belle-Isle dans la faveur royale[21].

Il arrivait, en effet, à cette coalition de courtisans ce qui est l’histoire de tous les rapprochemens du même genre que nous voyons dans nos assemblées parlementaires : le succès une fois obtenu, on se disputait les dépouilles. Ce n’était pas sans une alarme jalouse que Tencin avait vu partir Noailles seul avec le roi pour rester pendant toute la durée d’une longue campagne dans cette position confidentielle et privilégiée dont un adroit ambitieux pouvait aisément tirer un profit égoïste. Les correspondances de l’armée, en particulier celles de Richelieu, qui suivaient et notaient tous les progrès de cette intimité suspecte, n’étaient pas de nature à calmer son inquiétude. Noailles, écrivait-on, mettait de l’affectation à ne pas laisser faire au roi un pas sans lui, et le roi à l’appeler publiquement son Mentor et son Turenne. Tant que dura la négociation prussienne, Tencin avait au moins la compensation d’en être chargé à lui seul et pouvait s’en promettre tout l’honneur; mais il ne tarda pas à apprendre que Noailles, laissant entendre (ce qui était vrai) qu’il avait été consulté sur tous les points délicats, s’attribuait aussi le mérite du succès diplomatique et s’en laissait faire les complimens. Le bruit même se répandit qu’en récompense il allait être appelé au ministère des affaires étrangères, laissé jusque-là intentionnellement vacant ; pour le coup, c’en était trop, c’était la résurrection du despotisme de Fleury remis entre des mains plus vigoureuses. A tout prix, il fallait prévenir cette confiscation du pouvoir, et parmi les moyens à mettre en œuvre, le plus simple était de chercher à Noailles un compétiteur sur le champ de bataille. Belle-Isle était le seul sous la main : on dut naturellement songer à lui.

Aussi voyons-nous, à partir de ce moment, se révéler dans toutes les correspondances une intimité subite, plus vive probablement que désintéressée, entre Tencin et Belle-Isle. On pourrait croire même à certains indices que cette communauté soudaine visait à d’autres intérêts encore que la politique, car à chaque lettre adressée par le cardinal à celui qu’il appelle : mon grand maréchal, est joint un petit bulletin du cours des rentes sur l’Hôtel de Ville, et le petit-fils de Fouquet, supposé par hérédité compétent en ces matières, est consulté sur les opérations à faire pour profiter de leurs oscillations. L’essentiel, pourtant, est bien toujours de faire rendre à Belle-Isle une position digne de sa faveur passée, où il puisse rallumer quelques lueurs de sa popularité éteinte et retrouver le chemin du cœur du roi. Rottenbourg est approuvé d’avoir pensé que la belle duchesse était seule capable d’opérer cette résurrection de la faveur qui, dans les cours, tient du miracle; mais des conseils plus raffinés encore jugèrent qu’elle-même ne pouvait opérer cette merveille que de près, en personne, en parlant à l’oreille du roi et en interrompant les conférences politiques et militaires par des tête-à-tête d’un autre genre[22].

Dès lors il fut résolu qu’à tout prix il fallait que Mme de Châteauroux trouvât moyen de rejoindre le roi; d’ailleurs, faire lever sur ce point l’interdit mis par le maréchal de Noailles, c’était lui infliger un premier échec qui préparait la voie à d’autres. Quant à la duchesse elle-même, dès que le projet lui fut connu, d’assez froide qu’elle était restée jusque-là aux insinuations de Rottenbourg, elle devint toute de feu et ne pouvant se tenir d’impatience. De fait, elle se morfondait à Plaisance, excédée d’ennui, dans la retraite, et n’osant aller braver à Versailles des regards méprisans que la présence du maître ne serait plus là pour surveiller et contenir. Livrée d’ailleurs à une ardeur ambitieuse, qu’elle prenait peut-être elle-même pour un amour véritable, elle éprouvait tous les tournions de l’absence, elle s’inquiétait de tout : des nominations faites sans son concours à la cour et à l’armée et dont les titulaires pouvaient lui paraître animés de mauvais sentimens contre elle; de la légèreté naturelle au cœur du roi, de sa correspondance avec sa sœur de Flavacourt, dont elle ignorait le contenu ; des mille pièges que le hasard et la liberté des camps pouvait tendre à la fidélité d’un amant. « Parlez-moi franchement (écrivait-elle à Richelieu dans une orthographe qui était celle de toutes les belles dames du temps), le roi a-t-il l’air d’être occupé de moi? En parle-t-ii souvent? S’ennuie-t-il de ne me pas voir? Vous pouvez fort bien démêler tout cela. Pour moi, j’en suis très contente, l’on ne peut pas être plus exact à m’écrire, ni avec plus de confiance et d’amitié ; mais je n’en tirerais nulle conséquence, le moment où l’on vous trompe est souvent celui où l’on redouble de jambes pour mieux cacher son jeu... Il faut que je sois présente, car c’est tout différent... En vérité, cher oncle, je n’étais guère faite pour tout ceci, et de temps en temps il me prend des décourage mens terribles ; si je n’aimais pas le roi autant que je fais, je serais bien tentée de laisser tout là. Je vous parle vrai, je l’aime on ne peut davantage; mais il faut que je prenne part à tout, c’est un tourment continuel, car cela m’affecte plus que vous ne croyez. C’était si antipathique à mon caractère qu’il faut que je sois une grande folle pour m’être venue fourrer dans tout cela. Enfin c’est fait, il faut prendre patience... Arrangez tout comme vous voudrez, pourvu que nous allions, car je sens qu’il faut que je me rapproche[23]. »

Toute la question était de trouver un prétexte honnête pour une équipée qui ne l’était guère. Ce fut une dame du plus haut rang, une mère de famille, qui se chargea de le fournir. La princesse douairière de Conti, dont le fils commandait en Italie, était une femme d’esprit, très ambitieuse pour tous les siens, à qui on persuada aisément qu’elle ne nuirait pas à leurs intérêts, en se compromettant un peu pour deviner et prévenir les désirs secrets du roi. Sa fille venait d’être mariée récemment au jeune duc de Chartres, que son service retenait à l’armée. Les nouveaux époux, séparés dans les premiers jours de leur union, se montraient très épris l’un de l’autre. La princesse annonça que, leur rapprochement important au bonheur futur du ménage, elle conduirait elle-même sa fille à Lille, et, par occasion, elle proposa de faire route avec elle à plusieurs dames, parmi lesquelles elle comprit, avec Mme du Roure, d’Egmont et de Bellefond, les duchesses de Châteauroux et de Lauraguais. Elle avait compté, sans doute, que le motif vertueux du voyage, conforme aux pieux sentimens de la reine, ferait passer sur la nature suspecte et mélangée de la compagnie. Personne, cependant, ne s’y méprit. « On voit bien tout de suite, dit le chroniqueur Barbier, qu’il s’agit de commencer une cour de femmes à l’armée du roi. » Aussi, quand il fallut aller demander à la reine un agrément dont une personne de la qualité de la princesse ne pouvait se passer, l’explication n’eut pas lieu sans quelque embarras. « La princesse de Conti, dit Luynes, a dit à la reine qu’elle savait bien les discours qu’on tenait dans le public,.. qu’on disait qu’elle menait avec elle Mme de Châteauroux et de Lauraguais, mais qu’il n’y avait pas de proposition faite de sa part ni de celle de ces dames, ni rien de concerté. » La reine n’ayant rien répondu, son silence passa pour un consentement.

A leur tour, les deux duchesses, qui n’avaient pas encore paru à Versailles en l’absence du roi, durent pourtant se décider à quitter, un jour au moins, Plaisance, pour venir prendre congé. La reine eut encore le bon goût de les recevoir avec une politesse sans affectation, de les retenir, comme d’ordinaire, au jeu et à souper, et pendant plusieurs heures que dura la visite, elle ne leur fournit pas une seule occasion d’ouvrir la bouche sur le sujet dont tout le monde s’entretenait derrière elles. Elle jouissait avec une malice innocente de leur confusion. — « Mme de Châteauroux, dit encore Luynes, avait l’air assez embarrassé pendant le jeu et après le souper. Pour Mme de Lauraguais, elle ne s’embarrasse pas si aisément. La reine leur parla à toutes deux et fit très bien. » — La patience n’échappa à la douce princesse que quelques jours après, lorsque la sœur du duc de Chartres, la duchesse de Modène (qui habitait Paris pendant que ses états d’Italie étaient envahis) fit, à son tour, demander la permission de rejoindre sa mère. Irritée alors d’être si souvent obligée de savoir ce qu’il lui convenait d’ignorer, Marie Leczinska répondit avec vivacité : « Qu’elle fasse son sot voyage comme elle voudra, cela ne me fait rien[24]. »

En conséquence, le 6 juin, une gondole à six places, contenant les deux dames avec une de leurs amies et leurs femmes de chambre, prenait la route de Lille, où, de poste en poste, des relais étaient préparés. Elles débarquèrent dans une maison attenant à celle du gouvernement, où logeait le roi, et dans laquelle leurs appartemens les attendaient. Toutes ces dispositions avaient été prises par le duc de Richelieu à l’insu du roi, qui, se tenant toujours prêt à partir pour Ypres, d’un jour à l’autre, voulait avoir l’air de tout ignorer. Dès le lendemain cependant, il soupait chez sa maîtresse et reprenait toutes ses habitudes comme à Choisy ou à Versailles.

L’intrigue avait donc réussi à souhait et Richelieu avait tout l’honneur d’avoir pourvu à tout et préparé, sans rien dire, toutes les facilités matérielles. Mais ce que l’adroit courtisan, dans l’atmosphère factice et corrompue où il vivait, n’avait pu prévoir, c’était la réprobation publique qui se manifesta aussitôt et le murmure général qui s’éleva aussi bien dans le camp que dans la cité. Si Tencin et Richelieu s’étaient imaginé que Louis XV, en mêlant l’amour à la guerre, prendrait aux yeux des peuples quelque chose de l’alliance héroïque et romanesque de Henri IV, ils ne durent pas tarder à reconnaître combien les temps et les mœurs étaient changés et combien le prestige royal déjà affaibli était désormais impuissant à prévenir les justes sévérités de l’opinion. Le blâme fut universel : les tristes détails de la vie passée du roi, qu’on s’efforçait d’oublier, revinrent aussitôt en mémoire. L’émotion fut grande d’abord dans les populations flamandes, chez qui le sentiment religieux était, comme de nos jours encore, à la fois vif et austère. On leur avait parlé vaguement du raffinement de libertinage qui avait fait passer les amours royales d’une sœur à l’autre, dans la même famille. Elles crurent voir le scandale vivant et réalisé, et sous leurs yeux, dans la présence des deux duchesses toujours inséparables l’une de l’autre, car le bruit se répandit (et il circulait déjà à tort ou à raison à Paris) que leur intimité n’était due qu’à un odieux partage auquel avait consenti la nouvelle maîtresse, plus facile encore et plus vicieuse que sa sœur aînée. Une caserne qui attenait à leur demeure ayant été frappée de la foudre, on vit là un avertissement du ciel, d’autant plus mérité qu’on prétendait (ce qui, assure le duc de Luynes, était faux) que le roi venait de faire tout récemment ses dévotions aux fêtes de la Pentecôte,

Il semble que les corps de garde, où d’ordinaire on ne se pique pas de vertu, dussent se montrer plus accommodons, mais probablement on jugea, entre militaires, que le roi n’avait pas encore assez payé de sa personne pour se passer toutes ses fantaisies ; peut-être aussi le maréchal de Noailles, piqué du peu de compte qu’on tenait de ses sages conseils, ne prit-il pas assez de soin de cacher sa désapprobation. Toujours est-il que l’armée se montra aussi mécontente que le peuple : «Il n’y a pas, écrivait le maréchal de Saxe, un capitaine d’infanterie qui n’en parle (de Mme de Châteauroux), et celui qui a fait le sacrifice de la faire venir le paiera cher. » — Des huées, assaisonnées de grossiers quolibets, accueillaient partout les duchesses sur leur passage, et, le soir, elles entendaient répéter en chœur, sous leurs fenêtres, une vieille chanson soldatesque dont les deux premiers vers (les seuls qu’on puisse citer) :


Non, madame Enroux,
J’en deviendrai fou,


rimaient au nom de Châteauroux,

L’impression était trop vive pour ne pas être bientôt connue à Paris, où les instigateurs de l’expédition, qui ne s’y attendaient pas, s’en montrèrent fort contrariés. On essaya, pendant quelques jours, d’empêcher les bruits fâcheux de se répandre en arrêtant à la poste les lettres de l’armée qui en apportaient les échos; et, en même temps, Tencin faisait dire à Mme de Châteauroux qu’il fallait qu’elle s’appliquât à regagner le public et lui en indiquait le moyen, suivant lui, infaillible, qui n’était autre que de répandre des charités, d’aller régulièrement à la messe et d’y paraître avec une grande modestie. Quelques esprits plus libres et ne doutant de rien essayaient au contraire de payer d’audace et de tout justifier avec effronterie : « Voyez le sot préjugé, dit d’Argenson dans son Journal, de combattre des plaisirs qui ne font tort à personnel » Enfin, quand il devint impossible d’arrêter les mauvaises langues, on se résigna à mettre tout le scandale sur le compte des indiscrétions du maréchal de Noailles. « il faut bien, écrivait Mme de Tencin à Richelieu, que le maréchal de Noailles parle sans ménagement contre le voyage de Mme de Châteauroux, puisque toutes les lettres qui viennent de l’armée ne sont pleines que de murmures contre ce voyage, et l’on remarque, ce que j’avais prévu, qu’il est plus désapprouvé à mesure que ceux qui le désapprouvent sont plus ou moins attachés au maréchal. » — C’était une manière d’aigrir le roi contre son nouveau favori en le représentant comme le censeur et le trouble-fête de ses plaisirs[25].

Mme de Châteauroux (il faut être juste pour tout le monde) fit tête à l’orage avec une certaine noblesse. Elle tint surtout à honneur de faire voir qu’elle était venue non pour distraire ou endormir, mais pour exciter, au contraire, l’ardeur militaire qu’elle seule avait su réveiller chez le roi. Elle lui apportait l’aiguillon de l’amour, non la langueur de la volupté. Le départ annoncé pour Ypres ne dut pas être retardé d’un seul jour : « Prenez vos arrangemens au plus tôt, écrivait le 11 juin Louis XV au maréchal de Noailles, car le beau temps le demande à cor et à cri, et, quoiqu’il fasse très beau et très bon ici, je suis prêt à partir aussitôt que ma présence pourra être de la plus petite utilité. » effectivement le 16 il arrivait au camp, et, le 25, un courrier apportait à Lille la nouvelle que la place avait capitulé.

La duchesse entonna alors un véritable chant de triomphe ; c’est son œuvre, ne pourrait-elle pas elle-même, sur place, aller en partager l’honneur? Qui oserait encore l’insulter après un tel exploit? — « Assurément, cher oncle, écrit-elle, que voilà une nouvelle bien agréable et qui me fait grand plaisir. Je suis au comble de la joie: prendre Ypres en neuf jours, savez-vous bien qu’il n’y a rien de si glorieux ni de si flatteur pour moi, et que son bisaïeul, tout grand qu’il était, n’en a jamais fait autant? Mais il faudrait que la suite se soutînt sur le même ton et que cela allât toujours de cet air-là. Il faut l’espérer, et je m’en flatte, parce que vous savez qu’assez volontiers je vois tout en couleur de rose et que je crois que mon étoile, dont je fais cas (et qui n’est pas mauvaise), influe sur tout. Elle nous tiendra lieu de bons généraux et de ministres. Il n’a jamais si bien fait que de se mettre sous sa direction... Mme de Modène meurt d’envie d’aller voir l’entrée du roi dans Ypres, elle voulait que je le demanda (sic) au roi; je n’ai rien fait, parce que je ne sais pas s’il ne vaudrait pas mieux que je n’y alla pas (sic) parce que, comme nous avons dit ensemble, si vous vous ressouvenez, avant notre départ, qu’il fallait que je fus (sic) reçue avec distinction ou n’y point aller, et je le pense... Dites-moi ce que vous en pensez et au plus vite[26]. »

C’était chanter trop tôt victoire ; avant que cette lettre eût reçu de réponse et pendant que la duchesse n’attendait qu’un signal pour aller partager les triomphes de son amant, un événement inattendu venait jeter le trouble et la confusion dans cette campagne, jusque-là si heureusement et si méthodiquement poursuivie qu’on l’aurait prise pour une parade bien exécutée. Tandis qu’on ne pensait qu’à la soumission de la Flandre, au désappointement de l’Angleterre, aux ridicules terreurs de la Hollande, le prince Charles de Lorraine, à la tête de quatre-vingt mille Autrichiens, trompant la vigilance de ce vieux Coigny dont Frédéric se méfiait à si juste titre, passait le Rhin entre Mayence et Philippsbourg et s’avançait à grandes marches vers l’Alsace. Ce coup de théâtre changeait tout. Il ne s’agit plus pour le roi de France d’aller recevoir en vainqueur les clés des cités aisément conquises : c’est l’honneur de sa couronne, c’est l’intégrité de son royaume qu’il lui faut défendre de cette main encore si peu accoutumée à tenir l’épée. On ne lui avait fait connaître de la guerre que les émotions qui donnent du prix à la victoire. Elle lui apparaît tout d’un coup sous son aspect le plus redoutable, celui de la conquête et de l’invasion.


II.

« Il faut avouer, disait Frédéric à Valori, dans un de ses derniers entretiens, en lui parlant des princes ecclésiastiques d’Allemagne, que vos prêtres sont d’étranges gens... Mais, si vous voulez que je vous parle à cœur ouvert, il faudrait entrer chez eux d’un autre ton que vous ne faites et vous montrer irrité de leurs mauvais procédés; car je vous avertis qu’ils ne font que sonner le tocsin contre vous et l’empereur dans toute l’Allemagne. »

Frédéric avait raison de donner aux agens français l’éveil sur les desseins de ces prélats couronnés, dont il avait lui-même plus d’un motif personnel de se méfier. En effet, tandis qu’à Francfort on s’occupait de former une coalition militaire dont la France était l’âme et dont le roi de Prusse devait être le commandant, un travail contraire était poursuivi par l’Autriche avec le même succès, au nom de la foi menacée, auprès des princes ecclésiastiques, et, comme les plus considérables de ces souverains mitres tenaient sous leurs lois les deux rives du cours inférieur du Rhin, c’était à leur connivence qu’était dû le passage inopiné du fleuve par le prince Charles et l’invasion du territoire français qui en était la suite.

J’ai déjà eu plus d’une fois l’occasion de décrire dans quel état d’alarmes et d’incertitude avaient vécu, depuis le commencement de la guerre, à Trêves, à Mayence, à Cologne, les archevêques électeurs placés entre les puissances rivales, comme entre l’enclume et le marteau, et partagés entre la crainte que leur inspirait leur puissant voisin de France et leur sympathie invétérée pour l’apostolique maison d’Autriche. Belle-Isle, au jour de son entrée triomphale, avait profité du premier de ces sentimens. Marie-Thérèse, depuis nos défaites, rentrait en pleine jouissance et possession de l’autre. A leur penchant naturel pour la pieuse princesse se joignaient, chez ces fidèles serviteurs de l’église, une méfiance trop bien justifiée contre le prince philosophe qui s’était emparé sans scrupule d’une province catholique, et le remords d’avoir indirectement, par leur vote dans l’élection impériale, contribué à son succès. Les victoires inespérées de l’Autriche étaient attribuées par eux à l’intervention de la main divine. « On voit bien que ce n’est point en vain, disait l’électeur de Trêves au résident français, que Dieu est appelé dans l’Écriture le Dieu des armées, et c’est de lui, et non de vos arrangemens diplomatiques, que la paix pourra venir. »

Ce n’était pas la moins étrange conséquence de ces scrupules de conscience que de rapprocher ceux qui les éprouvaient de la protestante Angleterre et de leur faire accepter, et même rechercher, les subsides d’un parlement où le papisme était en horreur. Telle était pourtant la complexité de la situation créée par le mélange des intérêts religieux et politiques en Allemagne que, dès la fin d’avril, plusieurs traités étaient secrètement intervenus entre le cabinet anglais et les princes évêques, en particulier ceux de Cologne et de Mayence, en vertu desquels le concours de leur petit contingent militaire et la libre entrée de leurs états étaient assurés à la ligue austro-anglaise, moyennant le paiement de sommes considérables prélevées sur le trésor britannique. Ces arrangemens devaient rester ignorés jusqu’au jour où ils pourraient être mis à exécution sans trop de péril pour les personnes ou les possessions des prélats, et la raison d’état mettant, à ce qu’il paraît, leur conscience à l’aise sur le devoir chrétien de la sincérité, aucun d’eux ne faisait difficulté d’opposer aux questions qui pouvaient leur être faites à cet égard les dénégations les plus formelles. — « L’électeur m’a juré hier, écrivait l’agent français à Trêves, qu’il n’avait aucune connaissance du traité survenu entre l’Angleterre et les évêques de Mayence et de Cologne, il me l’a juré au moment où il venait de recevoir le bon Dieu. » — Le ministre français à Francfort, Blondel, envoyé tout exprès auprès des deux évêques pour vérifier les bruits qui circulaient, n’obtint pas en réponse à ses interrogations directement posées des assurances moins positives. — « Est-il vrai, dit-il à l’évêque de Cologne (propre frère, on se le rappelle, de l’empereur), que vous ayez traité avec le roi de la Grande-Bretagne? — C’est faux, dit l’électeur. — Parlons franchement, dit en souriant Blondel, ne serait-ce pas avec l’électeur de Hanovre? — Pas davantage. » — Mais Blondel dut remarquer que ces réponses étaient faites d’une bouche pincée et d’un ton sec et dur qui ne présageait rien de bon.

A Mayence, mêmes protestations et plus explicites encore de la part du prélat, même méfiance de la part du diplomate. Blondel ayant cru remarquer un mouvement inusité dans la ville, une artillerie plus forte et plus nombreuse que d’ordinaire sur les remparts, des provisions plus abondantes dans les magasins que n’en exigeait l’effectif des troupes épiscopales, en un mot, tous les signes de l’attente et de l’arrivée prochaine d’une force étrangère, exprima à l’archevêque ses soupçons. — «-Pour qui me prenez-vous? dit celui-ci; il faudrait que la tête m’eût tourné pour vouloir, dans la faiblesse où je suis, faire le don Quichotte, contre mon devoir envers l’empereur, l’impératrice et mon électorat... Si vous trouvez dans ma ville des magasins autres que ce qui est indispensable pour la subsistance de ma cour, je vous les donne. Voilà le vrai sur ma parole de prince, de prêtre, d’archevêque et d’électeur. Je ne tolérerai le passage du Rhin ni au-dessus, ni au-dessous de Mayence. » — Ce qui n’empêcha pas que, le 2 juillet, le prince Charles de Lorraine faisait jeter un pont à Wassenau, sous le canon même de la ville, employant à ce travail des charpentiers et des bateliers du port, sans que l’évêque, qui prétendait avoir tout ignoré, essayât aucune résistance. — « Des représentations tant que vous voudrez, dit-il à Blondel, mais pour des hostilités, je suis votre serviteur[27]. »

L’opération du passage du fleuve, tentée en même temps par un autre corps autrichien en amont de Mannheim n’ayant, comme on peut le voir, rien de tout à fait imprévu et n’ayant pas duré moins de trois jours à accomplir, rien n’eût été si aisé, si les précautions eussent été bien prises, que de s’y opposer, et de la faire même tourner au grand dommage de ceux qui l’entreprenaient. Mais, par une disposition fâcheuse, Coigny avait confié la garde des points les plus voisins du Rhin à l’armée impériale commandée par le général de Charles VII, le maréchal de Seckendorff, tandis qu’il se réservait à lui-même la défense de l’entrée de l’Alsace. Seckendorff, pauvre capitaine assez mal servi par ses troupes, se laissa prendre au dépourvu, perdit la tête, et au lieu de résister pour garder ses positions jusqu’à l’arrivée de Coigny qui lui en envoya l’ordre à plusieurs reprises, se mit précipitamment en retraite. Les Autrichiens avancèrent alors sans obstacle par cette route de Wissembourg et de Woerth, dont tous les postes nous sont aujourd’hui si douloureusement connus. Coigny, craignant d’être coupé de l’Alsace, se porta à leur rencontre ; mais tout ce qu’il put faire, ce fut de se frayer lui-même la route jusqu’à Haguenau, laissant derrière lui, sans défense, les gorges des Vosges. C’était l’entrée de la Lorraine, terre natale et patrimoine héréditaire des aïeux du prince Charles, qui, s’y croyant attendu par beaucoup d’amis de sa famille, s’apprêtait à y rentrer en triomphateur. C’était aussi, nous ne le savons que trop, le grand chemin de Paris. Aussi conçoit-on qu’exalté par ce succès inattendu, le prince écrivît à son frère avec une effusion de joie : « Enfin nous voilà donc en Alsace ! » de même qu’il écrivait la veille à l’archiduchesse sa femme : « Quand vous saurez que j’ai passé le Rhin, n’attendez plus de mes nouvelles que de Paris[28]. »

Les courriers qui annonçaient ces désastres, se suivant avec rapidité, arrivèrent à Louis XV au moment où, pendant qu’on achevait sans lui le siège de la ville de Furnes, il faisait une tournée d’inspection militaire dans les ports de la Manche, passant de Boulogne à Calais et à Dunkerque. L’émotion, comme on peut penser, fut grande autour de lui ; mais tous les témoignages s’accordent à reconnaître qu’il fut seul à ne pas la ressentir ou du moins à n’en rien témoigner. Il était clair qu’il fallait, au plus tôt, détacher un corps de l’armée royale pour venir en aide à l’Alsace envahie, et fermer la porte de la Lorraine menacée, ce qui rendait nécessaire de suspendre provisoirement en Flandre toute action offensive; mais rien n’eût été si simple que de confier ce détachement soit à Saxe, soit à Noailles, tandis que le roi serait resté avec l’autre partie de l’armée pour veiller sur les résultats déjà acquis et attendre les événemens. Ce fut, en effet, le plan proposé par Noailles, toujours inquiet de n’exposer à aucun hasard la majesté royale. Mais Louis XV ne voulut pas même entendre parler de cette disposition prudente. Dès qu’un point du territoire français était entamé, il déclara hautement que c’était lui et lui seul qui voulait en chasser l’étranger. Dans les grands jours de périls, le corps d’élite qui portait le nom de la maison du roi devait figurer au premier rang et le roi ne laissait à personne l’honneur de le commander, a C’est le roi, écrit le ministre de Prusse, Chambrier, en apprenant à Frédéric cette généreuse décision, qui a voulu aller sur le Rhin, et quand il en a parlé au maréchal de Noailles pour la première fois, il lui a dit qu’il n’avait qu’à faire ce qu’il fallait pour exécuter son dessein, mais que son parti était pris. Le maréchal de Noailles en fut d’abord un peu fâché, tant parce que le roi avait pris cette résolution sans le consulter, que pour conserver ici, en y restant, la grande faveur qu’il y a, aussi bien que sa supériorité dans les opérations militaires et pour ne pas se mettre en contrariété de conseils et d’idées avec les maréchaux de Coigny et de Belle-Isle, qui voudront chacun se faire valoir tant qu’ils pourront, principalement le dernier, qui brûle d’impatience de remonter sur sa bête, et qui est le seul qui puisse tenir tête au maréchal de Noailles ; aussi ce dernier devient-il jaloux facilement pour peu qu’il s’aperçoive que le premier est consulté[29]. »

Si ces mauvais sentimens traversèrent un instant l’esprit de Noailles, on lui doit la justice de dire qu’il n’en laissa rien percer dans l’action, et qu’ils s’effacèrent rapidement de son âme : car, envoyé sur-le-champ, en avant, à Metz, pour préparer l’arrivée du roi, de concert avec Belle-Isle (qui y commandait), il rendit tout de suite et avec effusion hommage à l’excellence des mesures que, dans ces premiers momens de trouble, son collègue avait déjà prises, pour courir au plus pressé et arrêter à tout risque les progrès de l’invasion. « Je dois justice, écrivait-il, à M. le maréchal de Belle-Isle, et je serais bien fâché de ne pas la rendre à qui elle est due : il n’a négligé aucune des dispositions qu’on pouvait faire... Je n’entrerai point, ajoutait-il pourtant (en se hâtant de reprendre le ton de supériorité qui convenait à un commandant supérieur) dans des détails, qui, pour le moment, peuvent rouler principalement sur MM. les maréchaux de Coigny et de Belle-Isle, car ils en rendent compte eux-mêmes directement et ce serait fatiguer Votre Majesté par d’inutiles répétitions. Mon intention, sire, si Votre Majesté l’approuve comme je l’en supplie, est de laisser en général à leurs soins tous les détails, ce qui ne pourra que contribuer à entretenir la paix et l’union si nécessaires au bien de son service et me donner en même temps plus de liberté et de facilité pour ne m’occuper que de l’objet général et avoir par là le temps de réfléchir avec plus de naturel[30]. »

Noailles avait d’autant plus de mérite à faire valoir les services de ses rivaux, qu’il trouvait la situation plus mauvaise encore qu’on ne la lui avait dépeinte. Par l’ordre de Belle-Isle, quelques bataillons, confiés au duc d’Harcourt, avaient bien été immédiatement dirigés sur les défilés des Vosges pour en défendre l’entrée et tendre la main au maréchal de Coigny, qui promettait de se maintenir à Haguenau ; mais Coigny, après quelques jours d’arrêt, trouvant la situation de Haguenau faible et impossible à défendre, prit le parti de rétrograder encore et de se retirer sous le canon de Strasbourg. Dès lors, les deux corps français étaient séparés, Coigny confiné dans un des coins extrêmes de l’Alsace, tandis que d’Harcourt restait complètement en l’air, à la porte de la Lorraine, avec une force insuffisante pour résister même un jour à une attaque du prince Charles. D’un moment à l’autre, on s’attendait à voir le prince apparaître, et ses partisans, dans toutes les cités de la Lorraine, commençaient à se remuer. La terreur était telle dans la province que le roi Stanislas, qui la gouvernait, crut devoir quitter précipitamment son palais de Lunéville pour aller chercher lui-même un refuge à Metz, tandis que la reine sa femme prenait avec la même hâte le chemin de Versailles en emportant toutes ses pierreries. L’arrivée de l’armée royale était donc urgente et il n’y avait pas un instant à perdre. Noailles ne dissimula pas au roi que, s’il persistait à venir lui-même, il fallait faire la campagne en vrai soldat, à grandes marches et léger de bagages, en laissant derrière lui l’appareil royal : — « Je dois prévenir Votre Majesté, lui disait-il, sur la nécessité de se débarrasser des gros équipages, sans quoi il deviendrait impossible de faire le mouvement que l’objet militaire exige, indépendamment de la difficulté de pourvoir aux subsistances dans les pays où votre armée pourra se porter et qui auront déjà été foulés par notre armée et par celle du prince Charles. »

La lettre trouva Louis déjà, en route, et, de Reims, il répondait sans s’émouvoir : « J’ai bien de l’impatience d’être à Metz et de conférer avec vous, et M. de Belle-Isle, qui sait aussi bien que vous ma façon de penser. Je saurai me passer d’équipage, s’il le faut, l’épaule de mouton du lieutenant d’infanterie me nourrira facilement[31]. De la même plume il écrivait à l’empereur : « Monsieur mon frère et cousin, aussitôt que j’ai reçu la nouvelle que l’armée autrichienne avait surpris un passage sur le Rhin, je pris la résolution de m’y rendre en personne et je suis bien aise d’en faire part à Votre Majesté. Quelque espérance que j’eusse de faire de plus grands progrès dans les Pays-Bas, je les sacrifie volontiers à ce que l’intérêt de la cause commune, et, en particulier, celui de Votre Majesté, exigent dans les circonstances présentes[32]. »

Il ne fallait pas moins que ce noble langage pour rendre un peu de cœur en Allemagne à tous ceux qui, venant de nouveau de lier leur destinée à celle de la France, éprouvaient la cruelle surprise de la voir elle-même tout d’un coup retombée dans l’extrême péril et menacée dans son existence. L’effroi était général : il semblait qu’une fois encore l’aide de Dieu, toujours invoquée par Marie-Thérèse, se déclarait miraculeusement en sa faveur. À Francfort, le pauvre empereur tremblait à la lettre de tous ses membres, croyant à tout moment qu’une escouade autrichienne allait l’enlever dans son palais. Ceux des confédérés de la nouvelle union qui n’avaient pas encore envoyé leur ratification hésitaient à donner leur dernière signature : « Le fanatisme de la maison d’Autriche reprend, écrivait Chavigny, le passage du Rhin menace de tout emporter, et les tièdes et les timides suivent le flot. » — Telle est pourtant, dans une heure critique, la puissance d’une résolution hardie, que l’annonce de l’arrivée du roi suffit à remonter tous les courages : Louis XV, à son tour, apparut aussitôt comme le sauveur envoyé du ciel. — « Voilà qui change totalement les affaires, écrivait Blondel, le bouleversement était en faveur de la reine de Hongrie et immanquable si la résolution eût été différée… Tous les sujets de Sa Majesté partageront la gloire qu’elle s’acquiert par toute l’Europe d’une démarche si grande et si généreuse… — Quel spectacle, ajoutait Chavigny, le roi donne à toute l’Allemagne I Je vous laisse à penser si je me complais dans toute la gloire qui l’environne[33]. »

Mais qu’allait faire et qu’allait penser Frédéric ? C’était la question douteuse et toujours au fond pleine d’angoisse, car l’altitude mystérieuse qu’il gardait encore, même depuis le traité conclu avec la France, autorisait au fond tous les soupçons. « Si ma chemise savait ce que je veux faire, disait-il à ceux qui l’interrogeaient sur le but de ses préparatifs, je l’arracherais à l’instant de mon corps. » Ce silence, si rigoureusement gardé quand le secret ne paraissait plus nécessaire, n’était-il pas une précaution prise pour rester jusqu’à la dernière heure maître de changer ses résolutions ? Et, devant le revirement de la fortune, n’allait-il pas se retourner lui-même ? L’imprévoyance de Coigny ne pouvait-elle pas servir à une défection nouvelle d’aussi bon prétexte que l’avaient été autrefois les fautes vraies ou prétendues du maréchal de Broglie ? Au même moment, d’ailleurs, on apprenait que l’ambassadeur de Louis XV à Saint-Pétersbourg, La Chétardie, s’étant fait, par sa fatuité et ses prétentions, une sotte querelle avec l’impératrice, venait de recevoir ses passeports, et l’on pouvait craindre que Frédéric, pour se dispenser d’agir, n’éprouvât ou ne feignît la crainte que, s’il prenait en ce moment trop ouvertement parti pour la France, le déplaisir de la princesse ne s’étendît jusqu’à lui[34]. On resta quelques jours dans cette incertitude partagée par Louis XV lui-même, malgré les flatteries et les caresses dont les agens prussiens ne cessaient de le combler. Mais ce fut, à la surprise générale, la résolution contraire qui fut annoncée. Frédéric fit savoir que le péril urgent de son allié, loin de l’arrêter, le décidait à jeter le masque et que, devançant de quelques semaines l’époque qu’il avait fixée pour son entrée en campagne, il se mettait immédiatement en mesure de faire, dès les premiers jours d’août, son apparition en Bohême. Tant de générosité était chez lui si peu coutumière qu’elle trouva encore au premier moment quelques incrédules. « Mon cousin, écrivait Louis XV au cardinal de Tencin, je ne sais si on vous a mandé quelque chose du roi de Prusse : nous avons plus lieu d’être content de lui; le passage du Rhin l’a déterminé à entrer en Bohême dès le 15 du mois prochain. A la fin de ce mois, nous en serons plus sûr[35]. »

Frédéric, dans ses Mémoires, a donné plusieurs explications de cette détermination soudaine : d’abord la plus simple, celle dont il se fit honneur en la prenant : le désir de venir en aide à un allié en péril. Mais, comme si ce dévoûment chevaleresque était le genre de mérite dont il tenait le moins à se parer aux yeux de la postérité, il en ajoute tout de suite une autre. Il eut, dit-il, la crainte que la France, épouvantée, se décidât à accepter les conditions de paix que l’Angleterre, par l’intermédiaire de la Hollande, ne cessait de lui offrir et qu’alors il se trouvât seul en face d’une armée autrichienne toute prête et victorieuse, qui ne manquerait pas de se retourner contre lui et de le relancer en Silésie. La vérité qui perce dans ses correspondances, c’est que l’entrée du prince Charles en France, loin de contrarier ses desseins, entrait pleinement dans ses vues et les servait en quelque sorte à souhait : c’était la principale armée autrichienne qui s’éloignait de la frontière de Bohême et s’engageait de l’autre côté d’un grand fleuve dont le passage, toujours dangereux, lui rendait le retour difficile. Jamais occasion ne fut plus favorable pour le coup de surprise qu’il méditait. Connaissant le prix du temps, il n’était pas homme à laisser échapper un instant si propice pour attendre le complément de quelques préparatifs qui pouvaient encore lui manquer. S’il eût hésité, d’ailleurs, à hâter ses mouvemens, la résolution de Louis XV, cette fois encore, entraînait la sienne. Ce qu’il avait toujours craint, n’était-ce pas que la France, se contentant de faire ses propres affaires dans les Pays-Bas, ne lui laissât porter à lui seul le poids de la guerre en Allemagne ? Ce qu’il avait toujours réclamé, n’était-ce pas que le gros de l’armée française fût porté vers la frontière allemande, de manière à être entraîné à la franchir à un jour donné pour la suite des opérations militaires ? Mais que cette armée arrivât là où il la désirait, commandée par le roi lui-même, c’était un idéal que, dans ses vœux les plus ambitieux, il n’avait jamais rêvé. Il obtenait ainsi au centuple le gage qu’il avait toujours demandé de l’énergie et de la fidélité de la France. Ce n’était pas, en réalité, Frédéric qui allait à Louis XV, c’était Louis XV qui venait à Frédéric.

Aussi son parti fut pris sur-le-champ, et quand Podewils, qui ne s’attendait à rien de pareil, qui ne connaissait pas même le texte du traité français, essaya quelques objections embarrassées, jamais l’infortuné conseiller n’avait été si malmené. « Êtes-vous sûr, disait le timide ministre, de la sincérité de la France et de la fermeté de la Russie ? Et si l’un ou l’autre vous manque. Votre Majesté peut s’embourber tellement qu’il pourrait lui en coûter même ses états héréditaires. Pour sauver l’empereur qui se noie, faut-il vous mettre à l’eau vous-même ? » Le roi ne lui répondit qu’en lui remettant le projet de manifeste qui devait précéder son entrée en Bohême, et en lui enjoignant de le tenir prêt pour l’impression. « C’était un de ces cas, dit-il dans l’Histoire de mon temps, où il faut savoir se décider, et où le parti le plus dangereux qu’on peut prendre est de n’en prendre aucun[36]. »

Mais en faisant connaître à Louis XV et au maréchal de Noailles cette résolution décisive, de combien de flatteries adroites à l’adresse du souverain et du ministre, de combien d’excitations ardentes à une action immédiate et énergique il a soin de l’accompagner : « Je bénis mille fois le roi votre maître, écrivait-il à Noailles, de la résolution qu’il a prise de se mettre à la tête de ses troupes… Plus il mettra de vigueur et de nerf dans ses opérations, et plutôt ses alliés seront obligés de chanter la palinodie. Les Hollandais me reviennent comme les grenouilles de la fable : ils avaient une bûche pour roi durant le ministère du cardinal, ils ont assez importuné les dieux pour qu’ils méritent d’avoir une cigogne… S’il n’avait tenu qu’à moi, vous auriez pris vingt villes dans cette campagne et gagné trois batailles. » — Et à Louis XV : « Monsieur mon frère. Votre Majesté agréera les félicitations que je lui fais du fond du cœur. Vous surpasserez dans peu la réputation de votre aïeul, et l’Europe voit avec étonnement, et une partie avec beaucoup d’envie, que la nation française est ce que son roi veut qu’elle soit... Qu’il est beau de voir l’empressement avec lequel Votre Majesté vole au secours de ses peuples, après avoir montré d’un autre côté combien il est dangereux de l’avoir offensée ! La promptitude de ses mouvemens est admirable : elle ordonne, et une armée disparaît de Flandre pour tomber tout d’un coup sur le prince Charles. Je n’oserais dire à Votre Majesté que ses coups d’essai sont des coups de maître, mais personne ne m’empêchera de le penser ainsi. »

Puis à chaque lettre de félicitation est jointe, sous forme de note ou de commentaire explicatif, un plan de la campagne qu’il faudra adopter lorsque, les Autrichiens une fois chassés d’Alsace, il s’agira de les poursuivre en Bavière, en même temps que les Anglais en Hanovre, où ils ne sauraient manquer de se retirer aussi. C’est l’offensive, toujours l’offensive qu’il faudra prendre : la défensive a jusqu’ici tout perdu. C’est Condé, c’est Catinat, c’est Luxembourg qu’il faut imiter. L’habile homme de guerre n’oublie rien, ni le nombre d’hommes qu’il faudra employer dans chacune de ces expéditions, ni la route qu’on devra suivre — « Si, après le départ du prince Charles, vous ne faites d’abord marcher après lui un corps suffisant de vos troupes, vous ne ferez que de l’eau claire, et vous pouvez compter que, si vous n’envoyez pas vingt ou vingt-cinq mille hommes dans le pays de Hanovre, toute notre affaire est au diable. » — Vient ensuite régulièrement un post-scriptum traitant du général qu’on devra choisir, et c’est toujours Belle-Isle qui est indiqué comme celui qui, connaissant le mieux l’Allemagne, peut le plus sûrement y conduire une armée. Parfois aussi le penchant irrésistible au sarcasme et à l’ironie reprend le dessus, et l’incorrigible railleur laisse entendre que ses complimens ne seront tout à fait sincères que quand ils auront été assez mérités pour faire oublier les fautes passées : « J’attends les nouvelles (de vos progrès), écrit-il au maréchal de Noailles, avec impatience, car si l’on compte la retraite que les Français ont faite depuis deux ans de Deggendorf jusqu’aux montagnes des Vosges, elle surpasse tout ce que l’histoire nous apprend en ce genre, et si vous allez en avant de même, vous serez au mois de décembre aux portes de Belgrade. » Enfin, trouvant que l’écriture était impuissante pour communiquer l’intensité de son ardeur et la multiplicité de ses pensées, il se décida à envoyer à Metz son principal confident militaire, le maréchal de Schmettau, pour recevoir Louis XV et concerter avec Noailles et Belle-Isle l’ensemble des mesures à prendre. Le même jour, il donnait ordre à son ministre auprès de Marie-Thérèse de quitter Vienne après avoir annoncé que le danger que courait l’empereur l’obligeait, en qualité de membre du corps germanique, à prendre les armes pour sa défense[37].

Schmettau arriva à Metz la veille du jour où on attendait le roi, qui y fit son entrée le 4 août, au milieu des acclamations enthousiastes de la population. Sa marche, qui nous paraîtrait bien lente aujourd’hui, semblait très rapide, alors que, pour concentrer et transporter cinquante mille hommes, les moyens de célérité dont nous disposons n’existaient pas. On avait doublé la paie du soldat, qui, de grand cœur, doublait aussi sa journée de marche. On éprouvait tant de joie, après avoir si longtemps souffert d’obéir à un mineur en tutelle d’un vieux prêtre, à voir enfin à sa tête un homme et un guerrier! Le bruit de l’alliance avec le roi de Prusse s’étant répandu, le parallèle des deux souverains était dans toutes les bouches. Tous deux étaient jeunes, aimés de leur peuple et de leur armée. Tous deux marchaient à la victoire ; si Frédéric avait sur Louis quelque avance en fait d’exploits et de renommée, c’était une distance qui serait bientôt regagnée. La comparaison, pénible naguère, n’avait plus rien dont l’amour-propre national dût souffrir.

Ainsi raisonnaient les spectateurs qui voyaient passer le cortège royal dans cet appareil militaire, si propre à enflammer les imaginations populaires; mais ceux qui regardaient de plus près, dont l’œil était plus ouvert ou l’esprit plus prompt à la critique, faisaient déjà à voix basse plus d’une remarque et se racontaient à l’oreille plus d’une anecdote qui tempérait l’enthousiasme. « Les dames suivent-elles? » demandait dès le premier instant le duc de Luynes dans son Journal. Et me de Mailly, devenue dévote et presque prude, faisait plus crûment la même question : « Les vivandières en sont-elles? » disait-elle à la vieille maréchale de Noailles. Et quelques jours après, Luynes se répondant lui-même : « Les dames, dit-il, suivent le roi; elles ne marchent pas le même jour, mais elles se trouvent à toutes les stations. » effectivement, Mme de Châteauroux (on le sait déjà dans l’armée, et le peuple va l’apprendre) a voulu être aussi du voyage, et personne n’a eu le courage de l’avertir qu’elle gâtait l’effet des plus généreux conseils en s’y associant trop ouvertement. Elle et sa sœur suivent l’armée à un jour de marche et rejoignent le roi toutes les fois qu’il doit s’arrêter pour prendre quelques heures de repos. A chaque station, un rendez-vous discret est ménagé par les soins du duc de Richelieu. Mais une fois par malheur, à Laon, Louis XV a été aperçu sortant d’un de ces tête-à-tête mystérieux et des mauvais plaisans qui l’ont reconnu l’ont salué du cri de : « Vive le roi ! » Pour fuir cette ovation importune, il a dû se réfugier, au grand dommage de la dignité royale, dans un jardin voisin par une porte trop étroite pour y passer à l’aise. A Metz enfin, après l’arrivée, l’intimité devient tout à fait apparente : car Mme de Châteauroux va loger en face du palais même occupé par le roi, dans une maison destinée aux principaux officiers, et que, soi-disant pour les besoins du service, on a fait communiquer avec la demeure royale, par une galerie eu planches qui traverse la rue. Les passans, surpris, n’ont pas de peine à deviner à quel genre de service est destiné ce passage improvisé[38].

Ceux qui, peu de jours après, auraient suivi à la trace Frédéric entrant en Bohême ne l’auraient trouvé ni en quête de ces distractions déplacées, ni exposé à de si tristes mésaventures ou à de si fâcheux commentaires. Pour celui-là, une fois que l’heure du combat avait sonné, la pensée même du plaisir ne traversait plus son esprit. La différence des deux hommes aurait suffi à elle seule pour faire présager la fortune contraire des deux règnes.


DUC DE BROGLIE.


CORRESPONDANCE.


Nous recevons des éditeurs de la Correspondance politique de Frédéric le Grand la communication suivante :

On lit dans un article de la Revue des Deux Mondes du 1er avril 1884, article intitulé : l’Ambassade de Voltaire à Berlin et signé : Duc de Broglie (p. 529) :

« Les modernes éditeurs des Papiers politiques de Frédéric ont retranché avec soin de leur publication tout ce qui pouvait rappeler la négociation prétendue de Voltaire; son nom même n’est pas prononcé dans leur recueil, et ils ont poussé le scrupule, je dirais volontiers la pruderie, jusqu’à faire disparaître de plusieurs lettres des paragraphes où ce nom figurait. »


Cette allégation est absolument inexacte. Cela ressort du fait suivant. Dans le recueil intitulé Politische Correspondenz Friedrichs des Grossen, le nom de Voltaire, ainsi qu’on peut le constater à première vue par les tables des matières de chaque volume, revient dans les tomes II, IV, VIII, IX et X. Loin de retrancher avec soin tout ce qui pouvait rappeler la négociation prétendue de Voltaire, les éditeurs ont renvoyé expressément (vol. II, p. 413) aux pièces contenues dans l’édition académique des Œuvres de Frédéric le Grand. Il est vrai que, dans la Correspondance politique (vol. II, p. 410), on a supprimé, dans une seule lettre, le passage final relatif à Voltaire, ce passage n’offrant aucun intérêt politique; mais, dans ce cas aussi, on a renvoyé en note à la page de l’édition académique des Œuvres de Frédéric le Grand, où cette lettre est reproduite tout au long.


La Commission de l’Académie royale des sciences, chargée de la publication de la Correspondance politique de Frédéric le Grand.

MAX DUNCKER, J.-G. DROYSEN, H. V. SYBEL.


Voici la réponse de M. le duc de Broglie :

Monsieur le directeur.

Vous avez bien voulu me communiquer une réclamation qui vous a été adressée par MM. les membres de la Commission de l’Académie royale de Berlin, chargée de la publication de la Correspondance politique de Frédéric le Grand, au sujet d’un passage de l’article que j’ai publié dans la Revue des Deux Mondes sous ce titre : l’Ambassade de Voltaire à Berlin.

Je vous remercie de cette communication, qui me permet, en rectifiant quelques termes peut-être trop absolus dont je m’étais servi, de confirmer par le témoignage même de MM. les éditeurs des Papiers politiques du grand Frédéric les remarques que je m’étais permises sur un point de leur publication.

J’avais fait observer, en effet, non sans quelque surprise, qu’aucun document relatif à la négociation suivie par Voltaire à Berlin, en septembre 1743, ne figurait dans le recueil des Papiers politiques de Frédéric II. MM. les éditeurs rappellent qu’ils ont renvoyé par une note expresse ceux qui voudraient prendre connaissance des pièces touchant cette négociation à l’édition des Œuvres académiques de Frédéric. C’est précisément ce que j’avais dit. Je n’ai jamais prétendu, en effet, que MM. les éditeurs eussent fait disparaître ces pièces, imprimées depuis longtemps, mais seulement qu’ils n’avaient pas cru devoir leur faire l’honneur de les comprendre parmi les Papiers politiques qu’ils publiaient.

J’avais affirmé de plus que MM. les éditeurs avaient fait disparaître de plusieurs lettres des paragraphes où le nom de Voltaire figurait. MM. les éditeurs affirment qu’ils n’ont fait cette suppression qu’une seule fois dans une seule lettre. J’ai donc eu tort de me servir du pluriel au lieu du singulier.

Mais voici mon excuse. La lettre en question (celle dont MM. les éditeurs ont retranché un paragraphe relatif à Voltaire) est adressée au comte de Rottenbourg, général au service de Prusse, employé par Frédéric II à diverses négociations, et ami de Voltaire.

Or, il existe dans l’édition académique des Œuvres de Frédéric (t. XXV) une collection complète des lettres de Frédéric à ce comte de Rottenbourg, et j’ai pu me convaincre que MM. les éditeurs des Papiers politiques ont extrait de ce recueil, pour les reproduire dans le leur, presque toutes les lettres échangées pendant les mois d’août et de septembre 1743, en excluant toutes celles où le nom de Voltaire était prononcé, sauf, bien entendu, celle où a été opérée la suppression dont ils conviennent.

Ce n’était donc pas la suppression d’un paragraphe dans une lettre, mais la suppression de plusieurs lettres entières que j’aurais dû signaler au public.

Quant au motif qui a dicté à MM. les éditeurs ces retranchemens, si je me suis mépris à cet égard, je suis encore plus excusable, car il était impossible de deviner celui qu’ils allèguent et encore aujourd’hui j’ai peine à en apprécier la valeur.

Le paragraphe qu’ils ont retranché, disent-ils, n’avait aucun intérêt politique.

J’admettrais volontiers cette raison si, dans le reste de leur publication, ils avaient procédé uniformément de la même manière et retranché tout ce qui ne présentait pas un caractère politique.

Mais ils sont bien loin d’avoir observé cette règle. Je trouve, par exemple, dans ce même mois de septembre 1743, une lettre adressée à ce même comte de Rottenbourg, qu’ils ont insérée tout entière, sans aucun retranchement, et qui contient cette phrase :

J’espère que nous aurons un baladin et une cabrioleuse, sans quoi notre opéra aurait l’air un peu déshabillé. (Pol. Corr., t. II, p. 414.)

Ce baladin et cette cabrioleuse présentaient-ils un intérêt politique? Et s’ils n’en présentaient pas, pourquoi avoir traité Voltaire plus rigoureusement qu’eux?

Recevez, monsieur le directeur, l’assurance de ma considération très distinguée.


DUC DE BROGLIE.

  1. D’Arneth, t. II, p. 343. — Robinson à Carteret, 27 avril 1744. (Correspondance de Vienne. — Record Office.)
  2. D’Arneth, t. II, p. 546.
  3. D’Arneth, t. II, p. 285. — Robinson à Carteret, 17 avril 1744. (Correspondance de Vienne. — Record Office.) — Coxe, Pelham Papers, t. I, p. 455. — L’Angleterre insista, au dire de Coxe, pour que le prince Charles eût le commandement en chef de toutes les troupes réunies, blended in one mass; elle ne put l’obtenir.
  4. Coxe, Pelham Papers, I, 455-460. — Droysen, t. II.
  5. Droysen, t. II, — Hyndford à Carteret, 3 février, 31 mars, 7 avril 1744. (Correspondance de Prusse. — Record Office.)
  6. Frédéric à Hyndford, 21 avril; — à Chambrier, 22 avril 1744. — (Pol. Corr., t. III. p. 105-106.)
  7. Eichel à Podewils, 19 mai. — Frédéric à Andrié, 29 mai 1744. — (Pol. Corr., t, III, p. 145, 158.)
  8. La Ville à Amelot, 2, 20 mars, 16 avril 1744. (Correspondance de Hollande. — Ministère des allaires étrangères.)
  9. Voltaire à Amelot, 14 décembre 1743, 15 janvier 1744 et passim. (Correspondance de Hollande. — Ministère des affaires étrangères.)
  10. Dépêche interceptée de van Hoey, 24 avril 1744. (Correspondance de Hollande. — Ministère des affaires étrangères.)
  11. Ibid., 27 avril.
  12. Discours du marquis de Fénelon aux états-généraux. — Mémoires de Luynes, t. VI, p. 228.
  13. Fénelon au roi, 21 avril. — La Ville à Amelot, 7, 19 mai 1743. (Correspondance de Hollande. — Ministère des affaires étrangères.) — Droysen, t. III. p. 262.
  14. Dépêche, interceptée de Wassenaer, 20 mai 1744. (Correspondance de Hollande.— Ministère des affaires étrangères.
  15. Mémoires de Luynes, t. V, p. 442, t. VI, p. 239.
  16. Mlle de Tencin à Richelieu, 24 mai 1744. (Collection déjà citée.)
  17. Frédéric à Louis XV. — Au maréchal de Noailles et à la duchesse de Châteauroux, 12 mai 1744. — (Pol. Corr., t. III, p. 128, 131.)
  18. Chavigny au roi, avril, mai 1744, passim. (Correspondance de Bavière. — Ministère des affaires étrangères) — Frédéric à Rottenbourg et à Klingsgraeff, 13 mai 1744. (Pol. Corr., t. III. p. 136-138.)— Droysen, t. II, p. 273.
  19. Droysen, t. II, p. 297 et suiv. — D’Arneth, t. II, p. 399 et suiv.
  20. Mortagne à Belle-Isle, 7, 11 juin 1744. (Correspondance de Prusse. — Ministère des affaires étrangères.)
  21. Rottenbourg à Belle-Isle, 26 et 30 avril, 23 ruai 1744, (Correspondance de Prusse. — Ministère des affaires étrangères.)
  22. Tencin à Belle-Isle, 26 avril 1744 et lettres suivantes. (Correspondance de Prusse. — Ministère des affaires étrangères.) — Sur la jalousie de Tencin et de Noailles, voir la Correspondance imprimée déjà citée. — Lettre de Tencin à Richelieu, 23 mai 1744 et suiv.
  23. Lettres autographes de Mme de Châteauroux à Richelieu, conservées à la bibliothèque de Rouen, 3 juin 1744.
  24. Mémoires du duc de Luynes, t. V, p. 439, 463, 466. — Journal de Barbier, t. II, p. 396.
  25. Mémoires de Luynes, t. v, p. 470. — Correspondance du cardinal et de Mme de Tencin avec Richelieu, 7, 19, 23 juin 1744, p. 341, 349, 359. — Journal de d’Argenson, t. IV, p. 103.
  26. Apostille du roi à une lettre du maréchal de Noailles du 11 juin 1744. Rousset, I. II, p. 149. — Lettre autographe de Mme de Châteauroux à Richelieu, 27 juin 1744. (Bibliothèque de Rouen.)
  27. Correspondance de Trêves, 11 juin, 12 août. — Correspondance de Cologne, 10 juin. — Correspondance de Mayence, 29 mai, 2 juillet 1744 et passim. (Ministère des affaires étrangères.) — Droysen, t. II, p. 287.
  28. D’Arneth, t. II, p. 549. — Les opérations militaires qui suivirent le passage du Rhin sont racontées en détail dans l’Histoire de mon temps de Frédéric.
  29. Chambrier à Frédéric, 23 juillet 1744.
  30. Le maréchal de Noailles au roi, 29 juillet 1744. — Rousset, t. II, p. 147-148.
  31. Le roi à Noailles, 31 juillet 1744. — Rousset, t. II, p. 474.
  32. Le roi à l’empereur, 16 juillet 1744. (Correspondance de Bavière. — Ministère des affaires étrangères.)
  33. Blondel à Lapone du Theil, 26 juillet 1744. (Correspondance de Mayence.) — Chavigny à d’Argenson. (Correspondance de Bavière, 15 et 24 juillet 1744. — Ministère des affaires étrangères.)
  34. L’incident qui amena le renvoi du marquis de La Chétardie de Saint-Pétersbourg lui étant resté tout personnel et n’ayant pas eu de suite, je me dispense de le comprendre dans ce récit. On en trouvera tout le détail dans le piquant ouvrage de M. Albert Vandal, intitulé : Louis XV et Elisabeth de Russie.
  35. Le roi à Tencin, 20 juillet 1744. (Correspondance de Bavière. — Ministère des affaires étrangères.)
  36. Droysen, t. II, p. 291, 292.
  37. Pol. Corr., t. III, p. 179, 209, 220, 226, 230, 233, 215, 240.
  38. Mémoires de Luynes, t. VI, p. 27, 30, 47.— Journal de d’Argenson, t. IV, p. 106. — Mme de Tencin à Richelieu, 20 juillet 1744.