La Puissance des ténèbres/07

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Traduction par J.-Wladimir Bienstock.
Stock (Œuvres complètes, volume 28p. 166-173).


DEUXIÈME TABLEAU

Le décor change. Intérieur de l’izba au premier acte. L’izba est pleine de gens assis et debout. À la place d’honneur Akoulina et son fiancé. Sur la table, les saintes images et le pain. Parmi les invités, Marina, son mari et l’Ouriadnick. Les femmes chantent. Anicia verse à boire. Les chants cessent.


Scène PREMIÈRE

ANICIA, MARINA, SON MARI, AKOULINA, SON FIANCÉ, UN COCHER, L’OURIADNICK, LES MARIEURS, LE GARÇON D’HONNEUR, MATRIONA, LES INVITÉS.

LE COCHER

Faudrait bien partir ! L’église est loin d’ici.

LE GARÇON D’HONNEUR

Attends un peu ! Le beau-père va venir donner sa bénédiction. Mais où est-il donc ?

ANICIA

Il va venir tout de suite, mes chers. Prenez donc encore un verre… ne me refusez pas.

LA MARIEUSE

Pourquoi ne vient-il pas ? Il y a bien longtemps que nous l’attendons.

ANICIA

Il va venir, il va venir tout à l’heure. Il sera là dans moins de temps qu’il n’en faut à une femme chauve pour se peigner. Prenez donc, mes chers ! (Elle offre du vin.) Il vient tout de suite. Chantez donc, mes belles, quelque chose en attendant.

LE COCHER

On a déjà chanté tout ce qu’on savait. (Les femmes chantent. Nikita et Akim entrent.)



Scène II

Les Mêmes, NIKITA et AKIM

nikita, tenant Akim par la main et le poussant devant lui.

Va, mon père ! Je ne peux pas me passer de toi.

AKIM

Je n’aime pas, vois-tu, ça…

nikita, aux femmes.

Assez, taisez-vous ! (Il regarde tout le monde.) Marina, es-tu ici ?

LA MARIEUSE

Allons, prends l’image et donne ta bénédiction.

NIKITA

Attends un peu ! (Il regarde de nouveau.) Akoulina, es-tu ici ?

LA MARIEUSE

Pourquoi fais-tu l’appel ? Où peut-elle être ? Il est drôle.

ANICIA

Ah ! mes amis, mais il est pieds nus !

NIKITA

Père, tu es ici, regarde-moi ! Chrétiens, mes frères ! Vous êtes tous ici, et moi, me voilà ! (Il tombe à genoux.)

ANICIA

Mon petit Nikita, qu’as-tu donc ? Ô ma tête !

LA MARIEUSE

Eh bien en voilà !

MATRIONA

Je l’ai bien dit, il a trop pris de vin français ! Réveille-toi. Qu’est-ce que tu fais ! (Elle veut le relever, mais il ne fait attention à personne et regarde droit devant lui.)

NIKITA

Chrétiens, mes frères, je suis coupable ! Je veux me confesser !

matriona, le tirant par l’épaule.

Es-tu fou ? Mes chers, il a l’esprit dérangé, il faut l’emmener.

nikita, l’écartant d’un coup d’épaule.

Laisse ! Et toi, père, écoute ! Et d’abord, Marina, regarde ici ! (Il se prosterne devant elle et se relève.) Je suis coupable envers toi ! Je t’avais promis le mariage, je t’avais séduite ! Je t’ai trompée, je t’ai lâchée ! Pardonne-moi, au nom du Christ ! (Il s’incline de nouveau.)

ANICIA

Qu’est-ce que c’est que toutes ces histoires ? Ça ne te va pas du tout. Personne ne te demande rien. Lève-toi ! Assez de farces !

MATRIONA

Oh ! Il est ensorcelé ! Que lui arrive-t-il ? On lui a détraqué le cerveau ! Lève-toi ! ne dis pas de bêtises ! (Elle le tire.)

nikita, secouant la tête.

Ne me touche pas ; pardonne-moi, Marina ! J’ai péché envers toi, pardonne, au nom du Christ ! (Marina se cache le visage et ne répond rien.)

ANICIA

Lève-toi, je te dis, ne fais pas d’histoires ! Voilà maintenant qu’il s’est mis à se rappeler… J’ai honte ! Ô ma tête ! Est-ce qu’il est fou ?

nikita, écartant sa femme, et se tournant vers Akoulina.

Akoulina, c’est à toi que je parle maintenant ! Écoutez, chrétiens, mes frères ! je suis damné ! Akoulina, je suis coupable envers toi ! Ton père n’est pas mort de sa bonne mort. On l’a empoisonné.

anicia, poussant un cri.

Ô ma tête ! Qu’est-ce qu’il fait !

MATRIONA

Il n’a plus sa tête ! Emmenez-le donc ! (On s’approche, on veut l’emmener.)

akim, écartant tout le monde.

Attendez ! Vous, braves gens, voyez-vous… ça… Attendez !…

nikita

Akoulina, c’est moi qui l’ai empoisonné ! Pardonne-moi, au nom du Christ !

akoulina, s’avançant.

Il ment ! Je connais le coupable.

LA MARIEUSE

Qu’as-tu donc ? Reste assise !

AKIM

Oh ! mon Dieu, quel péché, quel péché !

l’ouriadnick

Empoignez-le ! Envoyez-moi le starosta ! Je vais dresser procès-verbal. Lève-toi, viens ici !

akim, à l’ouriadnick.

Eh ! vois-tu, ça… toi… l’homme aux boutons d’argent… ça, vois-tu, attends ! Il va parler… ça.

l’ouriadnick

Toi, mon vieux, ne te mêle de rien. Je dois dresser procès-verbal.

akim

Ah ! quel homme !… Je te dis, attends ! Ne parle pas de procès-verbal, vois-tu, ça… C’est d’une affaire de Dieu qu’il s’agit ici ! Un homme se confesse ! Et toi, ça, tu viens parler de procès-verbal !

l’ouriadnick

Le starosta !

akim

Laisse finir l’affaire de Dieu… Et après, vois-tu, ça, fais ton devoir !

nikita

J’ai encore à confesser, Akoulina, un grand péché envers toi ! Je t’ai séduite… pardonne-moi, au nom du Christ ! (Il s’incline.)

akoulina, se levant.

Laissez-moi ! Je ne veux plus me marier ! C’est lui qui me l’avait ordonné ! Maintenant, je ne veux plus !

l’ouriadnick

Répète ce que tu as dit.

NIKITA

Attendez, monsieur l’Ouriadnick, laissez-moi finir !

akim, enthousiasmé.

Dis, mon enfant, dis tout !… Tu t’allégeras… Confesse-toi à Dieu ! Ne crains pas le monde ! Dieu ! Dieu ! Le voilà !

NIKITA

J’ai empoisonné le père, j’ai séduit la fille, moi, misérable que je suis ! J’avais pouvoir sur elle et j’ai tué son enfant !

AKOULINA

C’est la vérité !

NIKITA

Dans la cave, j’ai écrasé son enfant sous une planche. Il était sous moi… Je l’ai écrasé et ses petits os craquaient. (Il pleure.) Et je l’ai enfoncé dans la terre ! C’est moi qui l’ai fait… moi seul !

AKOULINA

Il ment ! C’est moi qui le lui ai ordonné !

NIKITA

Ne me défends pas ! Maintenant, je ne crains personne ! Chrétiens, mes frères, pardonnez-moi ! (Il se prosterne. Une pause.)

l’ouriadnick

Liez-le ! Votre noce, braves gens, est finie ! (On s’approche de Nikita et on le lie avec des ceintures.)

NIKITA

Attendez ! Vous aurez le temps ! (Il se prosterne devant son père.) Père chéri, pardonne-moi aussi, moi, le damné ! Tu m’as bien averti, quand j’ai commencé à me débaucher, tu m’as bien dit : — « Une fois que la patte est engluée, l’oiseau est bientôt pris ! » Et moi, misérable que je suis, je n’ai pas écouté ta voix et ce que tu as prédit est arrivé ! Pardonne-moi, au nom du Christ !

akim, transporté.

Dieu te pardonnera, mon enfant chéri ! (Il l’embrasse.) Tu ne t’es pas épargné ! Il t’épargnera. Dieu ! Dieu ! Le voilà !



Scène III

Les Mêmes, LE STAROSTA

le starosta, entrant.

Des témoins, il y en a assez ici.

l’ouriadnick

Nous allons l’interroger tout à l’heure ! (On lie Nikita.)

akoulina, s’avançant près de Nikita.

Je dirai toute la vérité. Interrogez-moi aussi.

nikita, lié.

Il n’y a pas à l’interroger. C’est moi qui ai tout fait. C’était mon idée, je l’ai accomplie. Menez-moi où vous voudrez. Je ne dirai plus rien !


FIN