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La Quêteuse de frissons/Chapitre II

La bibliothèque libre.
Éditions Prima (Collection gauloise ; no 94p. 6-11).

CHAPITRE ii

En quête d’un nouveau frisson


Lecteur, compatis au malheur de mistress All’ Keudor, née Geneviève Petit ! Si tu n’as pas l’âme aussi dure que l’oreille de ce bon Charles Maurras, tu es ému par la singulière infortune de la pauvre petite. Réfléchis :

Être emmenée à New-York par un valeureux soldat démobilisé, après avoir perdu son propre père, devant ses yeux, à l’instant même où, par un terrible embrouille­ment pileux, on ne pouvait réussir à perdre autre chose. Se voir ainsi pourvue, dans la vie, d’un soutien que l’on étaie de sa dot et du produit de la vente de la bijouterie paternelle. C’est bien, c’est normal, c’est juste.

S’apercevoir, en arrivant, que son mari avait accou­tumé, pour vivre, de cirer les bottes dans la 32e Avenue, c’est moins bien. Lui acheter un bar dans la 69e ça va mieux ; voir nommer ce bar Au Chat Percé en hom­mage à une rare vertu, c’est très bien.

Mais constater tout d’un coup que le volage époux, vêtu, cette fois, non d’un uniforme mais d’un complet transcendant, bouleverse à Paris le cœur de Linette et reste avec elle, avec aussi une grose part de la dot de la pauvre abandonnée, hé bien ! ça, c’est désastreux, surtout lorsque toute une vie peut s’en trouver brisée et que les cancans vont marcher jusqu’au haut des gratte­-ciel voisins. Pauvre petite quêteuse ! À quand les nou­veaux frissons ?

Et puis, qui est cette Linette ?

— Monsieur John ! Comment est-elle Linette, cette effroyable Linette ?

— Mistress, je n’avais pas vu plus que des yeux tout noirs et des cheveux bouclés et puis, comment vous dites ? Ce qui va dans les niches ? Ah yes ! Des seins gros.

» Aoh ! Et puis des pieds petits, très petits.

— Monsieur John, je vais à Paris. J’ai encore les moyens. Monsieur John, quand le premier bateau ?

— Trois jours, mistress Geneviève, le Paris qui ren­trait à Le Havre. Et le bar ?

— Oh ! monsieur John ! Le bar ! Vous qui êtes libre, quel plaisir vous me feriez en vous en occupant jusqu’à ce que je ramène ce vilain Teddy ! Pouvez-vous ?

— Je pouvais à une condition…

— Laquelle, John ?

— Si Teddy ne revient pas, je garde le bar… avec vous ! S’il revient…

— Alors quoi, s’il revient, mais il reviendra, John !

— S’il revenait, alors, vous serez ma Linette à moi, au moins une fois. Et ce devrait être juste.

— Polisson !

— Pas polisson ! Vous jurer… jurer…

— Allons ! John, je jurerais, mais ce n’est pas bien de votre part, d’exiger un serment.

» John ! Il y a mieux ! Je dirais bien : Moi, Geneviève, je pars… jure. Mais ce serait pour me parjurer : bien entendu. John ! M’aimez-vous ?

— Si je aimais vous ? Mais de toute mon cœur, de tout mon âme, de tout ce qui reste aussi.

— Alors, nous trouvons un gérant pour le bar et vous retournez à Paris, mais avec moi. Ça va ?

— Ça va ? Je ne sais pas, mistress !

— Vous saurez tout à l’heure. Invitez-moi à dîner !

John est heureux. Lui qui, dans ses douze jours de présence à Paris, n’avait pu « faire » que des grues, le voilà devenu, dès son retour à New-York, l’amant d’une bien jolie Française, toute mignonne, toute blonde et qu’il aimait depuis longtemps.

Mais il a solennellement promis d’aller chercher l’époux volage. Oui, solennellement, entre deux baisers, dans les bras de Geneviève. Ils iront tous les deux. Et John appren­dra à devenir digne de son rôle, au retour.

Teddy, tu es cocu, bien cocu, et c’est bien fait.

La chose s’est passée comme ceci :

C’était en cabinet particulier, dans un restaurant bien, au vingt-sixième étage d’une maison de la 24e Avenue. Notre blonde Geneviève, qui est aussi ardente que n’im­porte quelle brune, avait déjà décidé de donner à ce bon John toutes les satisfactions qu’il pouvait désirer.

Et John de profiter de la situation, dès les hors-d’œuvre. Mais comment ? Droit au fait ; quinze secondes et fini. Juste de quoi commencer à exciter Geneviève. On sert le premier service : buffle sauté sauce madère. John s’excite à nouveau. Il n’y a pas avalé la dernière bouchée qu’il « remet ça » ; bouchée, boucher… Quinze secondes et c’est fini.

Après le second service, oui, quatre ou cinq fois, mais toujours quinze secondes…

— John, dit Geneviève énervée, de plus en plus, mais non satisfaite, John ! Vrai ! Tu ne vaux pas Teddy. Tu feras bien de profiter de ton séjour à Paris pour apprendre, si tu veux que je te garde. Ce n’est pas que tu manques de cran. Ton fusil est bien à répétition, mais j’aimerais mieux qu’il fasse long feu. Et puis, et puis… On ne con­somme pas un poulet sans l’avoir fait cuire.

Trois jours après, embarquement sur le Paris. Huit jours après, Paris encore, mais la ville, cette fois. Hôtel Moderne. Deux chambres, bien entendu. Il ne faudrait pas que Teddy sache qu’on l’a trompé. Car on l’aime toujours, le volage Teddy.

Geneviève demande au portier :

— Vous n’auriez pas ici M. All’ Keudor, un Américain

C’était en un cabinet particulier… (page 8).
C’était en un cabinet particulier… (page 8).
C’était en un cabinet particulier… (page 8).

qui était avec monsieur ? Il est resté avec Mme Linette, d’après ce qui m’a été dit.

— Oui, oui ! Je sais, Linette, la femme de chambre ! Voyez, au troisièrne étage, le garçon de service.

Geneviève est tout émue. Pensez ! Si son mari allait passer, tout d’un coup là, devant le bureau du concierge.

John est là, immobile, discret, congestionné d’un désir sans cesse renouvelé, mais de si courte manifestation !

— Mon bon John ! Allez donc voir au troisième étage. Moi, je n’ose pas.

— Yes ! mistress Geneviève.

Et le voilà qui monte pour redescendre bientôt :

— Aoh ! mistress ! Mauvaise nouvelle ! Je avais vu Linette, mais Teddy, il était parti.

— Parti, seul ?

No ! mistress ! Il était parti hier avec Léa, la femme de chambre d’au-dessous qu’il avait prise dans… oui, dans les « water ».

— Ciel ! Dans les « water » ! Mais c’est une habitude ! Et où est-il maintenant ?

— On ne savait pas, mistress Geneviève !

— Quel homme ! Il faut le trouver, John !

Mais ! Allez donc chercher un Américain à Paris, même en disant qu’il tient à New-York un bar dans la 69e Ave­nue, surtout lorsqu’il s’est habillé récemment à la Belle Jardinière, ainsi qu’avait fait sir Teddy ! Un costume de la Belle Jardinière, comme tout le monde !

Il fut convenu que Geneviève chercherait d’un côté et John de l’autre.

Mais, en vérité, John n’était pas extrêmement pressé de ramener son ami à l’épouse impatiente.

Puisqu’il faut tout dire, il estimait que, revenu à Paris, il devait profiter de l’occasion pour s’amuser un peu… et aussi pour apprendre ces modes d’amour si appréciés qu’on lui avait reproché de trop ignorer.

De sorte qu’on le vit en de multiples endroits avec de multiples amies aussi temporaires que peu désintéressées. Mais ces femmes ne lui enseignaient rien, pour ainsi dire, et il s’en tenait toujours à ses quinze secondes, ce qui sem­blait suffire très amplement aux passagères amies.

— Que veut donc cette Geneviève ? réfléchissait-il. Geneviève All’ Keudor ne semblait plus rien désirer de lui, pour le moment, qu’une attentive recherche de Teddy.

Lorsqu’ils se retrouvaient tous les deux, le soir, au restaurant, elle disait :

— Hé bien ! John, avez-vous appris quelque chose ?

— Non, mistress ! Rien et vous ?

— Moi non plus, hélas I

Et le bon garçon, toujours amoureux, proposait des consolations charnelles que l’épouse délaissée refusait obstinément.