La Quêteuse de frissons/Chapitre III

La bibliothèque libre.
Éditions Prima (Collection gauloise ; no 94p. 11-13).

CHAPITRE iii

Une surprise. Deux surprises


Un après-midi, notre ami John, toujours avide de par­faire son instruction spéciale, s’en fut dans une maison hospitalière aux volets clos qu’un garçon de café lui avait indiquée comme enfermant les plus belles femmes de Paris.

Il s’adressa de suite à la sous-maîtresse de service :

— Aoh ! mistress ! dit-il, je voulais une petite femme douce et intelligente pour apprendre à moi l’amour de Paris !

— Parfaitement, monsieur, je vais vous trouver ça. Entrez donc dans ce petit salon !

Il entra. C’était la classique débauche, c’est le cas de le dire, de glaces. On se voyait multiplié partout, sur la cheminée, aux murs, au plafond et même à terre, aux endroits que ne recouvrait pas le tapis.

Une belle femme blonde, toute souriante, apparut bientôt, enveloppée dans un grand peignoir de soie bleue. Elle s’assit sur le divan au côté de l’Américain qui lui fit part de son désir.

— Oui, mon petit ! Tout à l’heure, mais qu’est-ce que tu payes ?

Le champagne qu’on servit n’était pas mauvais. John en demanda d’autre, ce qui le détennina à boire ensuite du whisky. En attendant la leçon promise, il passa, comme de coutume, son excitation pendant les quinze secondes rituelles. Mais, son bref exercice lui ayant donné soif il rebut assez pour s’endormir bientôt sur le divan.

Ce n’était pas heure d’affluence. On le laissa seul « cuver » ses multiples boissons. Lorsqu’il s’éveilla, un affreux mal de tête le contraignit à aller au plus tôt res­pirer, au dehors, un air pur. Il avait dépensé deux cent cinquante francs et avait seulement appris, une fois de plus, le danger de mêler abusivement diverses boissons alcoolisées.

— Ce sera pour la prochaine fois, dit, en le recondui­sant, la sous-maîtresse à qui il se plaignait.

Comme notre Américain, tout congestionné, tournait le coin de la rue du Château-d’Eau, il aperçut… qui ?

Teddy ! Oui, c’était bien Teddy, dans un élégant com­plet gris et tenant une jeune femme par la taille. John allait-il l’aborder ? Il ne le voulut pas, se trouvant trop mal à son aise, oscillant manifestement et incapable de tenir de cohérents discours. Il suivit donc le couple qui ne tarda pas à entrer dans un hôtel du boulevard de Strasbourg.

Il n’y avait qu’à prendre l’adresse, ce que fit John, avant d’aller absorber plus loin un confortable demi.

Mais, le soir, lorsqu’il voulut donner ladite adresse à Geneviève, il s’aperçut qu’il avait perdu le papier où il l’avait inscrite, ce qui mit mistress All’ Keudor dans une belle fureur.

— Vous n’êtes qu’un maladroit, mon ami, lui dit-elle sans ambages. Sauriez-vous au moins retrouver l’hôtel ?

Il dut avouer qu’il en était tout à fait incapable et qu’au surplus son besoin de dormir était irrésistible.

Le champagne, le whisky, les demis, l’apéritif redoublé et les vins du repas, tout cela joint aux quinze secondes d’amour, avaient fait de notre homme un pauvre malheureux qui vomit dans l’ascenseur de l’hôtel un horrible mélange et que le valet de chambre dut déshabiller avant de le mettre au lit.

— Si seulement, gémissait Geneviève, si seulement c’était moi qui eusse fait la rencontre ! Il aurait vu, ah oui ! Il aurait bien vu, ce monstre de Teddy qui abandonne lâchement son commerce et sa femme !

Et ce fut elle le lendemain. Elle avait pris le métro à tout hasard lorsque à la station Saint-Paul, elle aperçut Teddy dans une voiture de la rame qui stationnait en face. Elle se précipita dans les escaliers ; mais comme elle arrivait sur le quai, le dernier wagon du train cherché disparaissait sous la voûte.

Il n’y avait rien à faire qu’à se lamenter une fois de plus, ce qu’elle fit, le cœur plein cependant d’un bon espoir suscité par la fugitive vision.