La Question des impôts/04

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La Question des impôts
Revue des Deux Mondes3e période, tome 29 (p. 427-448).
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LA
QUESTION DES IMPOTS

IV.
LES TAXES DIRECTES ET L’IMPOT SUR LE REVENU.

Après avoir, dans les études précédentes, parlé des impôts indirects de consommation et de ceux qui pèsent sur les actes, nous arrivons maintenant aux taxes directes. On désigne ainsi celles qui sont inscrites sur un rôle nominatif à l’adresse des contribuables; elles sont votées chaque année pour une somme fixe, et le montant en est réparti entre ceux qui ont à les payer; elles ne dépendent en général ni du progrès de la richesse, ni de l’état stationnaire ou brillant du commerce : la somme pour laquelle elles sont portées devra, quoi qu’il arrive, rentrer dans les caisses de l’état, sauf des non-valeurs pour un chiffre insignifiant. C’est la partie assurée du budget; elle est comme une dette à échéance. Mais, par cela même que c’est une dette à échéance, à laquelle on ne peut pas se soustraire, et dont le recouvrement est garanti par toute espèce de privilèges, ce genre d’impôt n’a jamais été très populaire. On a beau dire que, dans notre existence sociale, nous contractons des obligations vis-à-vis de l’état, comme vis-à-vis des particuliers, que nous devons avoir à cœur d’acquitter les unes comme les autres, il n’en est pas moins vrai qu’en général on n’aime pas être en présence d’une obligation à date certaine, dont le paiement peut gêner plus ou moins. Et puis les obligations vis-à-vis de l’état ne se comprennent pas toujours bien; on ne se rend pas compte des services qu’on reçoit en échange, on est tenté de les discuter, ou tout au moins d’en trouver le prix trop cher. Quand j’ai acheté un mètre d’étoffe pour me vêtir, ou une maison pour me loger, je vois bien l’avantage que j’en retire, je l’apprécie tous les jours et je ne ferai pas difficulté d’en payer le prix. Mais pour les services rendus par l’état, l’avantage n’est pas aussi facile à saisir. On a toujours une tendance à croire qu’ils profitent plus au voisin qu’à soi-même, et, s’ils doivent être payés avec les revenus de la nation, on voudrait que ce fût sur la fortune des personnes que cela gêne le moins, comme si la réunion en société était une pure association de bienfaisance où les riches doivent payer pour les pauvres. Cet impôt direct qui vient vous chercher à domicile, pour un chiffre déterminé et avec une échéance fixe, a donc quelque chose de désagréable, et l’on comprend parfaitement que, lorsque les états ont besoin de ressources supplémentaires, ils éprouvent quelque répugnance à y recourir. Ils préfèrent les demander sous une autre forme où on les sent moins et qui est en général très productive, je veux parler de celle des impôts indirects.

Nous l’avons dit ailleurs, il y a sur ce point un désaccord complet entre la théorie et la pratique. La théorie soutient qu’il faut prélever les impôts sur la partie fixe et consolidée de la richesse, que c’est la façon de les rendre plus légitimes et plus proportionnels; mais la pratique répond que c’est aussi la manière de les faire peser davantage, et que, l’élément moral jouant un grand rôle dans la production de la richesse, pouvant l’exciter ou la décourager, on a besoin de le ménager beaucoup. En économie financière comme en politique, ce qui paraît le plus logique n’est pas toujours ce qu’il y a de mieux, d’autres choses doivent être prises en considération. Ce qu’il y a de sûr c’est que, malgré les efforts de la théorie, malgré instruction plus répandue, et une notion plus claire des droits de l’état, plus on va et plus on donne la préférence aux impôts indirects sur les impôts directs, la disproportion entre les deux est d’autant plus grande que les pays sont plus riches et plus civilisés. En ce moment même, l’Allemagne, l’Angleterre, la Suisse, ont besoin de ressources nouvelles. A quelle sorte d’impôt les demandent-elles principalement? En Allemagne, M. de Bismarck propose d’augmenter tout simplement la taxe sur le tabac, ce qui ne paraît pas très populaire dans ce pays. En Angleterre, sir Stafford Northcote ne craint pas non plus d’ajouter une surtaxe à ce même impôt, en demandant, il est vrai, un léger supplément à celui du revenu. La Suisse cherche aussi à combler son déficit par des taxes nouvelles sur le tabac, les alcools et les billets de banque. En ce qui concerne la France, nous n’avons pas besoin de répéter ce que tout le monde sait, que sur les 700 millions qui ont été votés depuis la guerre, 600 ont été pris sur les taxes indirectes. C’était trop, et on eût mieux fait d’établir une autre proportion et de peser un peu moins de ce côté. Cela prouve au moins la préférence qu’on avait pour ces taxes, et le sentiment qui régnait qu’elles seraient mieux acceptées que les autres. Nous ne voulons pas revenir sur la question de savoir qui les supporte en définitive, nous croyons l’avoir épuisée dans un travail précédent et avoir démontré que, grâce à la répercussion, les impôts indirects sont supportés par chacun dans la mesure de ses facultés et restent les plus proportionnels de tous. C’est pour cela qu’en fin de compte ils sont entrés si profondément dans les habitudes des pays civilisés : on chercherait en vain à les remplacer par des taxes directes.

Malgré cela, étant donné qu’on a besoin de ces dernières taxes et sans chercher a priori quels peuvent être les effets de la répercussion, il faut examiner si en France les impôts directs donnent tout ce qu’ils pourraient fournir. Je prends d’abord pour exemple l’impôt foncier. Voilà une taxe qui, lors du remaniement des impôts en 1790, a été établie pour être du sixième du revenu, et, comme celui-ci était alors évalué à 1,440 millions, elle devait donner en principal 240 millions. Personne ne contestera que depuis cette époque les revenus des immeubles se sont singulièrement accrus. La dernière évaluation qui ait été faite en 1874 les a portés à près de 4 milliards, 3 milliards 959 millions, chiffre évidemment encore modéré; eh bien, pendant que cette augmentation se produisait, l’impôt foncier ne faisait que décroître ; il a été réduit successivement au principal de plus de 40 pour 100 en vingt-cinq ans, et ne rapporte aujourd’hui que 172 millions au lieu de 240. Voici le tableau des diminutions qui ont eu lieu. Nous l’empruntons au livre de M. Paul Leroy-Beaulieu sur les finances :


En 1797, l’impôt foncier fut réduit à 218 millions.
En 1798, — 207 —
En 1799, — 189 —
En 1802, — 183 —
En 1804, — 174 —
En 1805, — 172 —
En 1819, — 168 —
En 1820, — 150 —


Depuis, par l’application de la loi de 1835 qui a imposé spécialement les nouvelles constructions, l’impôt foncier est remonté à 172 millions. Sans doute, on y a ajouté beaucoup de centimes additionnels, mais ces centimes profitent aux communes et aux départemens qui les établissent et ont pour objet des dépenses qui augmentent encore la valeur des propriétés. Même avec ces centimes additionnels qu’on peut estimer aux deux tiers du principal, la propriété foncière ne fournit guère aujourd’hui plus de 330 millions d’impôts. C’est la douzième partie de son revenu. Autrement dit, elle paie maintenant 8 pour 100, contre 17 pour 100 au moment de la révolution. On ne peut donc pas dire qu’elle soit trop taxée, elle l’est évidemment fort peu, et il n’y a presque pas de pays en Europe où elle ne le soit davantage. Mais ce qui fait la grosse difficulté pour arriver à lui demander plus, c’est l’inégalité de la taxe. Les 8 pour 100 ne sont qu’une moyenne. Si on entre dans les détails, on trouve qu’il y a des terres grevées de 10 à 12 pour 100, et d’autres de 2 ou 3 pour 100 seulement. Cela tient à ce que, l’impôt foncier étant une taxe fixe, répartie chaque année, conformément à des évaluations faites en général il y a plus de cinquante ans, on ne tient pas compte des variations de revenus qui ont eu lieu depuis. Il y a telle parcelle de terre qui était autrefois une châtaigneraie, ou une lande ne produisant rien ou presque rien, et qui aujourd’hui plantée en vignes donne des revenus plus considérables que telle autre terre arable voisine qui n’a pas autant progressé. Comment faire pour remédier à cette inégalité? Comment établir d’abord le même impôt par rapport au revenu, et demander ensuite à l’ensemble de la propriété foncière plus qu’elle ne rapporte aujourd’hui? C’est là le problème à résoudre, et les difficultés sont grandes. Voyons d’abord les objections de principe.


I.

Nous ne nous arrêterons pas longtemps à celle qui consiste à dire que l’impôt foncier a été établi une fois pour toutes, que c’est une redevance fixe qu’on a demandée à la terre, et que si aujourd’hui, après quatre-vingts ou cent ans, on venait tout à coup en changer le chiffre, on porterait atteinte à des droits acquis et on violerait en quelque sorte le principe de la propriété. Toutes les transactions, ajoute-t-on, ont été faites en conséquence de cet impôt. Si vous dégrevez certaines parcelles de terre pour en charger d’autres d’autant plus, vous ne réparez pas une injustice; vous faites purement et simplement un cadeau à qui n’y a pas droit, et ceux que vous grevez davantage peuvent venir vous accuser de changer les conditions de leur contrat, et de diminuer la valeur de leur propriété. C’est une expropriation partielle que vous leur faites subir. En définitive, par suite de ces transactions, il n’y a pour ainsi dire plus personne qui paie l’impôt; tout le monde l’a déduit de son prix d’acquisition, c’est absolument comme si l’état était devenu propriétaire du sol jusqu’à concurrence du produit de la taxe. Pourquoi changer cela, et venir troubler des situations acquises? Personne ne réclame sérieusement : ne quieta moveas, dit le proverbe; c’est le cas de l’appliquer ici. Voilà une des premières objections qu’on met en avant pour ne pas modifier l’assiette de l’impôt foncier. On pourrait tout au plus, continue-t-on, admettre à réclamer ceux qui prouveraient qu’ils paient aujourd’hui plus du sixième de leur revenu, ce qui avait été la base adoptée par l’assemblée constituante. Or, il y en a très peu dans ce cas.

Cette objection, toute grave qu’elle est, ne peut pas empêcher la révision de la taxe foncière. Toutes nos constitutions, et celle de 1791 en particulier, ont déclaré que chaque citoyen doit contribuer aux dépenses de l’état en raison de ses facultés. Cela signifie-t-il que les facultés seront déterminées une fois pour toutes, d’après des évaluations faites à une certaine époque? Évidemment, non. Cela signifie qu’autant qu’on pourra connaître ces facultés à toutes les époques, on y proportionnera l’impôt. On ne l’a pas fait jusqu’à ce jour, à cause des difficultés d’exécution, de l’incertitude où l’on est de pouvoir arriver à des évaluations nouvelles bien exactes ; mais parce qu’on ne s’est point servi du droit, il ne s’ensuit pas qu’il soit périmé. Cela serait contraire à toute justice. L’impôt, nous l’avons dit, doit suivre le progrès de la richesse; c’est là ce qui en fait la légitimité et justifie la plus-value que l’état obtient. Les revenus de la terre seraient donc seuls soustraits à cette règle; cela serait d’autant plus injuste que l’augmentation des produits du sol, de même que celle des autres sources de la richesse, n’est pas due exclusivement aux efforts de ceux qui en profitent, elle est le résultat aussi du progrès général, de l’établissement des routes et des chemins de fer, de la création des canaux, de l’amélioration des ports, de l’extension qui a été donnée aux débouchés commerciaux, toutes choses pour lesquelles l’état a beaucoup fait, et il serait fort extraordinaire qu’il fût le seul à ne pas profiter de la plus-value qui en résulte. Ceux qui ont acheté des immeubles ont dû réfléchir à cela, ils n’ont pas pu croire que l’impôt foncier resterait immuable. Que dirait-on alors à ceux qui sont soumis à un droit de patente pour l’exercice de leur profession et qui ont vu ce droit tripler depuis un certain nombre d’années? pourquoi l’a-t-on triplé, si ce n’est parce que les profits industriels s’étant considérablement accrus, on a pensé qu’il y avait lieu d’y proportionner la taxe? C’est la même raison qui a fait augmenter aussi, il y a quelque temps, le droit de mutation et de transfert sur les valeurs mobilières, c’est celle qui sert enfin toutes les fois qu’on propose des accroissemens de taxe.

On fait une autre objection et on dit : Mais si vous dégrevez les uns et surchargez les autres suivant que le revenu des propriétés se sera beaucoup modifié depuis une certaine époque, vous risquez de donner une prime à la paresse; dans bien des cas, il est vrai, l’augmentation des produits du sol est dû en grande partie au concours de l’état et de la société en général ; mais les efforts intelligens du propriétaire, et l’emploi des capitaux y ont bien aussi contribué. Si vous établissez une surtaxe en raison de cette augmentation, vous faites une chose qui n’est ni juste, ni surtout favorable au progrès, dont vous risquez d’arrêter le développement. On peut répondre que ce qu’on demande est une faveur tout exceptionnelle. Beaucoup des progrès de la richesse, sous des formes diverses, sont dus aussi à l’initiative intelligente des particuliers et à l’emploi des capitaux. Accorde-t-on des immunités pour cela? On peut bien déclarer que momentanément tel immeuble nouvellement construit ou telle terre appropriée à une culture qu’on veut encourager seront exempts d’impôts. Cela ne constitue pas une règle. La règle est que l’augmentation de la richesse, quelle qu’en soit la cause, doit quelque chose à l’état, parce que l’état couvre tout de sa protection. Autant nous trouvons mauvais et empiriques les impôts qui ne reposent pas sur le progrès de la richesse, et qui n’ont de raison d’être que le caprice du législateur, comme ceux de mutation et certains droits d’enregistrement, autant ceux qui sont associés à ce progrès nous paraissent bons et légitimes. Le progrès, en définitive, est l’œuvre commune de la société, le résultat des efforts de tous. Nul ne peut dire exactement la part qu’il y a prise. Or, comme l’état représente tout le monde, il est juste qu’il profite de l’amélioration générale. Ce qui est injuste, ce qui blesse la morale, c’est qu’on soit quelquefois exposé à payer d’autant plus d’impôts qu’on est plus malheureux, comme dans les procédures en expropriation, où abondent les droits de timbre et d’enregistrement. L’impôt est bien alors en raison de la misère. Il en est autrement quand il est associé au progrès; alors il défie toutes critiques, et est conforme à la science.

Etant admis que l’impôt foncier ne doit pas rester immuable plus que les autres taxes, comment le mettre en rapport avec le développement du revenu? Ici surgissent de nouvelles difficultés. On ne peut y arriver, à notre avis, qu’après une évaluation nouvelle de la propriété, faite d’après des données certaines et précises; ce qui entraîne la réfection du cadastre, de cette œuvre gigantesque qui a duré quarante ans et coûté 150 millions. Il n’y a que le cadastre qui puisse faire connaître exactement dans chaque commune la nature des cultures, les changemens qui se sont opérés, le produit actuel du sol, et ce n’est qu’avec ce travail exécuté d’ensemble sur toutes les parties du territoire qu’on sera en mesure d’apprécier ce qu’on peut légitimement demander en plus à la propriété foncière, et faire une répartition plus équitable de la taxe entre les départemens et les communes. Cette réfection du cadastre procurerait encore un autre avantage : elle constituerait selon quelques personnes, et notamment selon l’illustre et regretté M. Bonjean, le grand-livre de la propriété foncière. M. Bonjean a soutenu, dans un discours au sénat resté célèbre, que l’établissement de la propriété en France était aujourd’hui très difficile ; les parcelles ne sont pas suffisamment désignées; il en résulte beaucoup de procès, et c’est une des raisons pour lesquelles la propriété rurale n’a pas tout le crédit qu’elle devrait avoir et dont elle a pourtant si grand besoin. L’état des inscriptions hypothécaires aussi n’est pas facile à vérifier ; il en concluait qu’il fallait refaire le cadastre, non pas même pour y trouver une nouvelle source d’impôts ou pour établir la péréquation, mais seulement pour bien fixer l’état de la propriété foncière. Personne assurément ne peut contester l’utilité d’un nouveau cadastre. L’ancien cadastre, fait comme il l’a été pendant un laps de temps très long et terminé depuis déjà tant d’années, ne donne plus une indication exacte de la propriété rurale en France; beaucoup de cultures ont changé, les bruyères sont devenues des champs arables, les châtaigneraies des vignes, et des marais desséchés ont fait place à des terres, aujourd’hui très fertiles ; seulement, on est effrayé du temps que prendrait la rénovation du cadastre et de la dépense qu’elle entraînerait, et on se dit qu’après tout les résultats qu’elle donnerait ne seraient pas plus immuables que les précédens; de nouvelles inégalités ne tarderaient pas à se produire, et il faudrait encore les corriger. On a songé alors à faire la péréquation et à augmenter l’impôt foncier par d’autres moyens, à de tous les documens que possède l’administration et qui lui servent à se rendre compte du revenu réel de la propriété. On a pensé qu’en consultant les ventes, les baux, et, pour les terres qui sont exploitées par le propriétaire, en prenant pour base le produit de celles de la même nature et dans le même pays, on aurait des informations suffisantes pour arriver à un meilleur établissement de la taxe. Ce travail serait fait assez vite, ne coûterait pas très cher, et on pourrait le renouveler toutes les fois que cela serait nécessaire, en assurant pourtant une certaine durée à chaque évaluation, dix ans par exemple, pour ne pas jeter trop de trouble parmi les contribuables.

Ce procédé serait évidemment plus expéditif que la réfection du cadastre ; mais serait-il aussi efficace ? Quelque bien renseignée que soit l’administration sur le revenu général de la propriété foncière, elle ne l’est pas d’une façon qui défie toute critique sur le revenu spécial de chaque parcelle ; on discuterait toujours avec elle, on contesterait ses chiffres, et il y aurait beaucoup de procès à soutenir avant-que chacun acceptât les résultats de la nouvelle évaluation. Le cadastre présente plus de garantie ; il est fait, et doit être fait par des employés de l’administration qui n’ont pas de parti pris et qui procèdent partout de la même manière ; ils voient les cultures, arpentent les parcelles, reçoivent les observations des intéressés. C’est comme une enquête qui s’ouvre sous les yeux de tout le monde. On en acceptera plus facilement les résultats, quelque désagréables qu’ils puissent être pour ceux qui auront à payer plus d’impôts. Le premier cadastre a demandé quarante-deux ans, de 1808 à 1850 ; mais il y avait alors beaucoup de tâtonnemens, on était moins expérimenté qu’on ne l’est aujourd’hui, on avait moins de moyens d’investigation et de contrôle ; il faut espérer que maintenant, avec une organisation meilleure, ce travail pourrait être refait en peu de temps et coûterait infiniment moins de 150 millions. C’est aussi le sentiment exprimé par M. Paul Leroy-Beaulieu dans son Traité des finances.

Une fois cette évaluation nouvelle accomplie, que pourrait-on demander de plus à la propriété foncière ? Elle paie aujourd’hui au principal moins de 5 0/0 de son revenu, et 8 0/0 au plus avec les centimes additionnels, et cependant elle avait été taxée à 17 0/0. Elle serait mieux en état aujourd’hui de payer ces 17 0/0 qu’à l’époque de la révolution. Nous ne les demandons pas ; cela pouvait paraître équitable en 1790, lorsque l’impôt foncier régularisé succédait aux taxes multiples qui grevaient alors le sol et le pressuraient outre mesure. Le contribuable y gagnait toujours d’être à l’abri des vexations qui accompagnaient l’ancien système de perception. Aujourd’hui, ces 17 0/0 ne seraient plus justifiés. Que l’état obtienne davantage d’un impôt par la plus-value, cela est naturel et légitime, et le reproche qu’on peut faire à celui qui pèse sur les immeubles est précisément de ne rien donner pour cette plus-value. Mais il n’en résulte pas que la quotité de la taxe doive toujours rester la même, quoi que soit le progrès. L’impôt foncier, fixé en 1790 à 240 millions, rapporterait aujourd’hui sur les mêmes bases 680 millions, en dehors des centimes additionnels. Évidemment ce serait trop, et il est juste que la quotité baisse à mesure que la richesse se développe. Il nous paraîtrait équitable, par exemple, que le principal de l’impôt fut porté au minimum à 6 0/0 et qu’il pût arriver avec les centimes additionnels à 9 et à 10 0/0. Ce serait une augmentation d’environ 1/3 ; l’état recevrait 230 millions, au lieu de 172, moins encore qu’en 1790, et avec les centimes additionnels on atteindrait 400 millions. Personne ne pourrait trouver qu’à ce taux, et après une évaluation sérieuse de tous produits, la terre est trop chargée, elle le serait à peine autant qu’elle l’est autour de nous, en Autriche, en Prusse, en Italie et même en Angleterre, si l’on tient compte dans ce dernier pays des taxes locales qui pèsent directement sur les propriétés immobilières.

Aujourd’hui, dans la répartition de l’impôt foncier on comprend à la fois la propriété bâtie et la propriété rurale ; on calcule que la première fournit au contingent à peu près 49 millions sur 172. Jusqu’à la loi de 1835, l’impôt sur les propriétés bâties était établi également sur les anciennes évaluations cadastrales ; les constructions nouvelles n’y ajoutaient rien, et la part qu’elles prenaient au contingent diminuait celle des autres. Depuis 1835, on a assujetti ces constructions nouvelles à un impôt spécial, ce qui a eu pour effet d’augmenter le contingent de la propriété bâtie et de le porter de 32 millions, où il était en 1821, lorsqu’a été arrêté le chiffre principal de la répartition, à 50 millions où il est aujourd’hui. C’est une augmentation d’un tiers en cinquante-cinq ans. Or il est bien certain que le revenu de cette propriété s’est accru dans une proportion beaucoup plus forte ; seulement, comme on a laissé au même chiffre la taxe des anciennes constructions, l’état n’a pas profité complètement de la plus-value. Il serait question aujourd’hui de fixer à 5 0/0 au principal l’impôt des constructions nouvelles au lieu de 1 à 2 0/0 où il est à peu près en ce moment. Le remède serait bien insuffisant et peu logique. A côté d’une construction nouvelle payant 5 0/0 s’en trouverait une ancienne dont le revenu aurait peut-être triplé depuis l’origine, et qui continuerait de payer 1 à 2 0/0. Pourquoi cette différence ? Ce serait aller contre le but qu’on se propose, qui est d’encourager les constructions. Si l’état veut porter à 5 0/0 le principal de l’impôt sur les propriétés bâties, qu’il le fasse au moins pour toutes, il a les élémens d’information nécessaires, et peut-être qu’en généralisant la mesure il pourrait l’adoucir et se contenter de 4 0/0 au lieu de 5 ; il gagnerait toujours un certain nombre de millions.

On a demandé encore que cet impôt, particulièrement en ce qui concerne la propriété bâtie, fût un impôt de quotité et non de répartition ; le premier paraît en effet plus scientifique que le second, avec lui l’état profite mieux de la plus-value que donne l’augmentation de la richesse. Mais, nous l’avons dit souvent, la science n’est pas toujours la dernière autorité à invoquer en économie financière. Avec l’impôt de quotité, la fraude est fort à craindre, personne n’a intérêt à la dénoncer, et le fisc a tout le monde contre lui; avec l’impôt de répartition, au contraire, tout le monde est du côté de l’état, personne n’a envie que son voisin profite à son préjudice, et la répartition se fait équitablement. Le fisc gagne peut-être moins, mais il est sûr de recouvrer son impôt intégralement et sans contestation. Et si la base sur laquelle on l’a établi devient défectueuse au bout d’un certain temps, rien n’empêche de la modifier et de la mettre au niveau du progrès, par une évaluation nouvelle.


II.

Après l’impôt foncier, et selon l’ordre d’importance, vient celui des patentes. C’est assurément de toutes les taxes directes la plus compliquée de beaucoup. On a peine à se reconnaître lorsqu’on veut pénétrer dans les détails. Nous en faisons grâce à nos lecteurs, comme de tous les remaniemens qui ont eu lieu à diverses époques déjà éloignées. Nous dirons seulement que par cet impôt on a voulu atteindre les profits industriels et qu’on l’a fait reposer sur les principes suivans : 1° les industries donnent des bénéfices différens, suivant leur nature : un banquier, par exemple, doit gagner plus qu’un épicier; 2° dans la même industrie, le profit est en rapport avec l’importance de la population au milieu de laquelle on vit ; un cordonnier à Paris est dans des conditions plus favorables qu’à Chartres ; 3° ce profit est encore présumé d’après les locaux qui sont affectés à l’industrie et le nombre d’ouvriers qu’on emploie; 4° enfin le loyer de l’habitation qu’on occupe est aussi un indice des bénéfices. C’est un indice qui n’est pas toujours exact; il a pourtant sa valeur.

Telles sont les règles qui ont présidé en 1844 à la révision de l’impôt des patentes, et, pour en faire l’application, on a divisé les commerçans en trois catégories représentées par les trois premières lettres de l’alphabet. La lettre A comprend la généralité des marchands de détail et de demi-gros; la lettre B la plus grande partie des marchands en gros, commissionnaires, banquiers, etc.; et la lettre C les fabricans et les manufacturiers. Depuis lors rien n’a été changé aux principes, mais on a modifié les détails. Ainsi, à la suite de nos désastres, par différentes lois de 1872, on a obligé les fabricans et grands commerçans à payer le droit entier sur leurs succursales comme sur leur établissement principal; jusque-là ils n’étaient astreints qu’à un demi-droit sur les premières. On a de plus augmenté le droit proportionnel et ajouté 60 centimes généraux au principal, en dehors d’une surcharge spéciale de 3 centimes 1/2 pour remplacer le droit de timbre. Ces 63 centimes 1/2, il est vrai, ont été réduits depuis 1874 à 43.

Les résultats de toutes ces modifications ont été des plus graves. M. Mathieu Bodet, dans un excellent rapport qu’il a fait sur la question au nom d’une commission législative, cite l’exemple d’un constructeur de machines qui avant toutes les lois de 1872 payait pour droits de patente 3,490 francs, et qui après, en 1873, s’est trouvé imposé pour 15,336 francs. L’honorable député est entré dans beaucoup de détails sur l’application de la loi des patentes; nous ne pouvons pas l’y suivre. Nous dirons seulement que son travail, fort intéressant à consulter, avait surtout pour but en révisant les classes d’améliorer la situation des petits commerçans ; c’est moins une diminution de taxes qu’il poursuivait qu’une péréquation qu’il voulait établir. Il concluait pourtant à l’abaissement des centimes additionnels de 60 à 40, qui a eu lieu depuis. Ce rapport n’a pas été discuté, et les choses sont restées dans le même état.

L’impôt des patentes rapporte aujourd’hui en principal 115 millions, et avec les centimes additionnels près de 200 millions. C’est beaucoup assurément et plus que ne donne en Angleterre la cédule D, qui correspond aux mêmes profits. Il est vrai qu’à cette cédule D il faut ajouter un droit qui est en dehors, celui de licence pour certaines industries, et qui produit encore une vingtaine de millions. Mais les deux réunies, la cédule D et la licence, ne donnent pas les 200 millions du droit de patente. C’est plus aussi que ne paie le commerce, sous diverses formes, dans les autres pays. Maintenant est-ce trop par rapport aux profits qu’on veut atteindre? Il faut savoir d’abord que ceux de la grande classe des cultivateurs en sont exempts, on ne sait pas pourquoi, car ce sont des industriels et des commerçans comme les autres, surtout ceux qui louent et exploitent les terres qui ne leur appartiennent pas. Supposons que les bénéfices des industries frappées par la patente soient de 4 milliards, l’impôt à 200 millions représente 5 pour 100, tandis que la cédule D en Angleterre demande en ce moment à peine 1 pour 100, et elle n’a été portée à 5 pour 100 que dans les circonstances les plus graves. On peut donc trouver que l’impôt de la patente est excessif et qu’il y aurait lieu de le réduire. Si encore il était bien réparti ; mais les présomptions sur lesquelles il repose sont des plus trompeuses. Deux négocians placés dans la même ville, exerçant la même industrie et ayant le même nombre d’employés, sont loin souvent de gagner la même somme, et souvent aussi l’industriel de la petite ville, assujetti à un moindre droit, réalise plus de bénéfices que celui de la grande ville, qui paie une patente plus élevée. Comment corriger ces inégalités? Elles sont dans la force des choses, et la loi a prévu tout ce qu’elle pouvait prévoir. On a proposé dans ces derniers temps d’atteindre les bénéfices commerciaux par d’autres moyens, en établissant une taxe sur le chiffre des affaires. On supposait que le bénéfice était en conséquence. Rien n’était plus faux. Tel négociant avec 100,000 francs d’affaires gagnera 50,000 francs, un pharmacien par exemple, et tel autre, pour arriver à ce même bénéfice de 50,000 francs, devra faire pour 1 million de transactions. Au taux de 1 pour 1,000, qu’on proposait, l’un aurait payé 100 francs et l’autre 5,000 francs. Il n’y a pas de présomption ayant une valeur indiscutable qui puisse indiquer le bénéfice d’un commerçant. L’impôt des patentes frappe donc un peu au hasard, et comme le hasard n’est pas la justice, c’est la taxe qui excite le plus de réclamations. Sur cent demandes de dégrèvement qui ont lieu à l’occasion des divers impôts, 40 pour 100 ont rapport à celui des patentes. On ne peut pas proposer de le supprimer à cause du respect qu’on doit avoir pour l’équilibre du budget, et aussi parce qu’il existe depuis longtemps et qu’il est entré dans nos habitudes. Mais on pourrait l’améliorer, en diminuer la quotité et demander la différence à une taxe générale sur le revenu, dont nous allons parler tout à l’heure.

Le tableau A, qui comprend la plus grande partie des commerçans, les petits et les moyens, rapporte à l’état plus de la moitié de la taxe; il renferme les quatre cinquièmes des contribuables. La moyenne de l’impôt payé par chacun d’eux est d’environ 45 francs. Si elle était abaissée de moitié et réduite à 22 francs, immédiatement beaucoup de réclamations cesseraient, on supporterait plus aisément la taxe, avec les inégalités qu’elle présente, lorsqu’on saurait que l’impôt sur le revenu fournit le moyen de corriger un peu ces inégalités et de demander plus à ceux qui peuvent payer davantage.

On discute aussi beaucoup, parmi les impôts directs, celui des portes et fenêtres. C’est un impôt qui est établi sur les ouvertures pratiquées dans les habitations. Il fait une distinction entre les maisons qui ont moins de cinq ouvertures, portes ou fenêtres, et celles qui en ont davantage; les premières sont moins imposées proportionnellement que les autres; il tient compte de la population de la ville ou de la commune où est située l’habitation; enfin il distingue entre les portes cochères, charretières, celles des magasins et les portes ordinaires ; les fenêtres des étages inférieurs sont soumises à un droit plus fort que celles des étages supérieurs. Telle est l’économie de la taxe des portes et fenêtres. Répond-elle bien, avec toutes ces distinctions, au but qu’on se propose d’atteindre ? Cela est douteux.

Il est évident que dans la même ville il peut y avoir pour. les maisons une grande différence de valeur selon les quartiers, et elles sont imposées au même chiffre. Dans le même quartier encore, et avec les mêmes ouvertures, les revenus varient beaucoup. Si on fait des fenêtres plus hautes et plus larges, on peut en diminuer le nombre sans que la maison en soit moins aérée et moins confortable; par conséquent il sera toujours très difficile de rendre cet impôt strictement proportionnel au revenu, et, à ce point de vue, il est très critiquable ; mais on lui fait un autre reproche et qui est certainement pour beaucoup dans l’impopularité qui le frappe, si tant est qu’il soit impopulaire. On prétend que c’est un impôt sur l’air et la lumière, et qu’il est immoral et inhumain de taxer ces choses-là. Ce sont de grands mots avec lesquels malheureusement on égare les populations. L’air et la lumière ne sont pas le moins du monde imposés. Si vous voulez en jouir dehors, personne ne vous demandera rien parce que personne ne vous rend de service; mais si vous les faites pénétrer dans une habitation qui est placée sous la protection de l’état, ce ne sont plus l’air et la lumière que l’on taxe, ce sont des indices de la fortune que l’on saisit. Qu’y a-t-il là d’immoral et d’inhumain? C’est absolument comme pour l’eau. Celle qui coule dans la rivière appartient à tout le monde. Si vous voulez l’y aller chercher vous-même, personne n’a rien à vous demander, mais si vous vous la faites apporter par quelqu’un, ou si une compagnie industrielle est chargée de vous en distribuer chaque jour une certaine quantité dans votre habitation, une rétribution est exigée, et c’est naturel. Supposez que ce soit l’état qui vous la fournisse lui-même, direz-vous qu’il vous fait payer l’eau qui appartient à tout le monde? Non, il vous fait payer le service qu’il vous rend. Il en est de même pour l’air et la lumière. — Ces grands mots dont on se sert pour discréditer une taxe ont l’inconvénient grave d’empêcher l’examen des questions. On entend dire que les choses nécessaires à la vie doivent être particulièrement exemptes d’impôts, qu’il y aurait inhumanité à ce qu’il en fût autrement, et alors, sans y regarder de près, sans chercher au fond quel peut être l’effet d’une taxe sur ces choses-là, on condamne l’idée a priori sur la simple étiquette. Nous voudrions bien pourtant qu’on nous montrât un grand pays ayant un budget en équilibre et de bonnes finances avec les simples taxes somptuaires, ou des taxes directes, n’atteignant pas les choses nécessaires à la vie ; nous n’en connaissons pas, et nous serions curieux de savoir comment, en dehors des impôts de consommation, on nous fournirait les 3 milliards dont nous avons besoin sans bouleverser les conditions économiques de notre pays et sans le ruiner de fond en comble dans le plus bref délai.

Du reste le public, avec son bon sens ordinaire, en a bien le sentiment, car, à part les réclamations qui tiennent à la politique, il accepte assez volontiers les taxes de consommation. Si en Italie on se plaint de la taxe sur la mouture, c’est moins contre l’impôt en lui-même qu’on se récrie que contre la façon dont il est perçu, et qui est plus ou moins inquisitoriale. Il en est un peu de même chez nous de l’impôt des boissons. Ce que le peuple n’aime pas surtout, c’est l’inquisition, autrement il prend assez bien son parti des taxes qui frappent même les choses nécessaires à la vie, si elles sont modérées et se paient par fractions minimes. En veut-on une nouvelle preuve après tant d’autres? On a proposé il y a quelque temps en Prusse de remplacer l’impôt de l’abatage de la viande (c’est bien là une chose de première nécessité) par une augmentation de la taxe sur le tabac. La proposition a été très mal accueillie. Nous ne croyons pas nous tromper en disant qu’en France l’impôt des portes et fenêtres n’est pas aussi impopulaire qu’on le prétend; il représente, en dehors des grandes villes et pour les habitans des petites localités, une dépense par an d’environ 65 centimes par personne. Est-ce là vraiment un impôt excessif dont il y ait lieu de se plaindre? On a demandé qu’il fût réuni à celui qui existe sur les habitations. Nous ne partageons pas cette opinion. Il faut, autant que possible, diviser les taxes pour ne pas les faire trop sentir; si on réunissait l’impôt des portes et fenêtres à celui des habitations, on rendrait la taxe unique très lourde, tandis qu’en les divisant et les laissant l’une et l’autre à des taux assez légers, on est sûr que la répercussion s’en fait aisément et qu’elles retombent en définitive sur tout le monde.

Reste à examiner maintenant la taxe mobilière; celle-là, selon la croyance générale, est plus particulièrement destinée à atteindre le revenu. — On a prétendu qu’à l’origine elle avait été même établie sous la forme progressive. C’est une grave erreur qui s’explique ainsi : l’assemblée constituante, voulant se rendre compte de ce que pouvaient être les revenus mobiliers qu’il s’agissait de frapper, supposa qu’ils devaient être en rapport avec le loyer d’habitation et selon des proportions différentes; elle calcula qu’un loyer de 200 francs représentait le tiers du revenu, tandis qu’un loyer de 8,000 à 10,000 francs n’en était tout au plus que la huitième ou la dixième partie. En un mot, elle partit de cette idée, que plus on était riche et moins on mettait à son loyer, proportionnellement à sa fortune; c’est sur cette base que fut établi l’impôt mobilier. Il était progressif par rapport au loyer, mais il restait proportionnel quant au revenu. Ce mode d’appréciation était plus ou moins erroné, l’expérience a montré qu’il l’était beaucoup, car on n’a pas tardé à le changer; le système actuel consiste à imposer également tous les loyers au marc le franc, sans s’inquiéter du rapport qu’ils peuvent avoir avec le revenu réel. Il est encore très loin de réaliser la perfection, et il donne lieu dans la pratique à beaucoup de choses assez choquantes. Deux individus sont également riches, l’un habite la province, l’autre Paris; le premier a pour 4,000 francs de loyer, le deuxième occupe un appartement qui lui coûte 10,000 francs; ils seront imposés très différemment à la taxe mobilière. Et cependant celui qui ne paie que 4,000 francs sera encore plus riche de toute l’économie qu’il aura faite sur son loyer. Il y a là une inégalité très grande. D’autres inégalités résultent des exigences sociales ou industrielles; beaucoup de personnes sont obligées, par leur situation comme fonctionnaires ou comme commerçans, d’avoir un luxe d’habitation qui ne s’impose pas à d’autres personnes plus riches, mais qui ne sont pas dans la même position. L’avocat, le médecin, le dentiste, pour ne citer que ces professions, sont tenus souvent d’habiter certains quartiers et d’avoir un logement au-dessus de leurs moyens.

Mais la plus choquante de toutes les inégalités est celle qui se produit à l’occasion de l’augmentation des charges. Votre famille vient à s’accroître par la naissance de plusieurs enfans; il vous faut un appartement plus grand, vous ne pouvez pas, pour des raisons diverses, l’aller prendre dans un autre quartier ou monter à des étages supérieurs. Vous êtes obligé de vous agrandir là où vous êtes, en payant plus cher. L’impôt mobilier s’accroît en conséquence et s’ajoute à vos nouvelles charges. On a cherché à faire des distinctions dans certains cas; mais ces cas auraient été si nombreux, si on eût admis toutes les réclamations fondées, que le produit de la taxe en eût été grandement compromis. On a dû y renoncer et maintenir l’impôt tel qu’il est. Malgré cela, il faut le dire, il est encore un de ceux qu’on supporte le plus aisément; il n’est bien lourd que dans les grandes villes et particulièrement à Paris ; partout ailleurs il est assez léger, et personne ne s’en plaint. Les 100 millions qu’il rapporte ne représentent que 1/2 pour 100 du revenu brut du pays, si tant est que ce revenu soit de 20 milliards. Il est vrai qu’il faut en défalquer 4 milliards de profits industriels qui paient déjà l’impôt de la patente, et pareille somme de revenus fonciers qui sont soumis également à une taxe particulière. Mais même après cette défalcation, l’impôt reste encore assez léger, et personne n’y ferait attention s’il était mieux réparti. On a proposé de l’augmenter, de le porter en moyenne à 10 pour 100 des valeurs locatives. On en obtiendrait ainsi environ 160 millions. Ce serait encore moins de 1 pour 100 par rapport au revenu général. Cette mesure ne serait pas bonne, elle ne corrigerait pas les inégalités de la répartition, et ne ferait au contraire que les aggraver au préjudice de ceux qui en souffrent. Ce n’est point ainsi qu’on peut améliorer la taxe mobilière.

Enfin quelques personnes réclament contre la taxe personnelle qui frappe tout individu majeur, jouissant de ses droits civils. On veut voir là un souvenir de la capitation d’autrefois, et on trouve qu’elle frappe très inégalement. En vérité, il faut être bien ombrageux à l’endroit de tout ce qui peut rappeler l’ancien régime pour se récrier contre cette taxe. D’abord, elle n’a rien de la capitation d’autrefois, elle n’est point arbitraire, et pèse sur tout le monde, ensuite elle coûte fort peu, 3 francs en moyenne par personne, et quand on devrait acheter à ce prix la qualité de citoyen et l’exercice des droits politiques, ce ne serait pas trop cher. — Aux États-Unis, dans ce pays très libéral et où règne le suffrage universel, comme chez nous, il faut quelquefois payer jusqu’à 2 dollars pour avoir le droit de voter. L’état aurait bien tort de renoncer à cette taxe; il en tire une vingtaine de millions, et c’est une des taxes qui se perçoivent le plus aisément et qui se sentent le moins, bien qu’inscrite sur un rôle nominatif.


III.

Nous concluons donc au maintien des taxes directes actuelles, sauf les modifications que nous avons indiquées. Ces taxes sont aujourd’hui inscrites au budget eu principal pour 412 millions. Sans doute, ceux qui ont à les payer acquittent encore la plus grosse part des droits de timbre et d’enregistrement, qui figurent pour 634 millions ; ils supportent de même le principal poids des impôts de consommation, puisqu’ils possèdent la plus grande partie du revenu brut sur lequel ces droits retombent, mais il faut attendre les effets de la répercussion et l’incidence définitive ; et en attendant que cette incidence ait eu lieu et que l’impôt soit arrivé à sa destination, il peut y avoir des troubles apportés dans la situation des individus, et de grandes inégalités dans la façon dont chacun est atteint. Pour corriger ce défaut, il nous paraîtrait juste de demander un peu plus aux taxes directes, et nous proposerions à cet effet un léger impôt sur le revenu. Seulement, il devrait être bien entendu qu’il ne s’agit pas là d’une taxe de compensation et de redressement pour ce que les classes inférieures sont censées payer en plus par les impôts indirects ; elles paient comme tout le monde, en proportion de leurs moyens, et rien de plus. Nous croyons l’avoir démontré suffisamment, et si nous demandons un léger supplément aux taxes directes, ce n’est pas pour réparer une injustice, il n’y en a point de commise ; c’est tout simplement pour mieux assurer l’équilibre du budget, et permettre à nos législateurs de remanier celles des taxes qui sont les plus nuisibles au progrès de la richesse.

Un économiste fort spirituel, M. de Molinari, en rendant compte de l’excellent livre de M. Vuitry sur le système financer de la France dans l’antiquité et au moyen âge, disait dernièrement qu’il était fort difficile aujourd’hui encore, de savoir exactement ce que chacun de nous paie d’impôts ; il y a ceux que l’on voit et que l’on sent, et ceux que l’on ne voit pas et que l’on ne sent guère. Il avait raison ; si l’on ne se préoccupe que de l’incidence première, le calcul n’est pas aisé à faire. Mais ce n’est pas là ce qu’il faut chercher, ce qui importe c’est le résultat définitif, et pour celui-là il est facile de le connaître on n’a qu’à rapprocher le chiffre du budget de celui du revenu brut du pays. Si ce budget est de 3 milliards par rapport à un revenu de 20, les ressources particulières de chacun de nous sont atteintes de la même manière, sous une forme ou sous une autre ; nous payons au fisc le septième environ de notre revenu, qu’il consiste en rentes, en traitemens ou en salaire. Voilà la vérité vraie et le dernier mot de la science. La forme de l’impôt n’a d’importance réelle qu’au point de vue du développement de la richesse ; il faut celle qui y nuit le moins, aujourd’hui surtout que nous sommes en présence de la concurrence universelle et qu’il s’agit d’affranchir la production de tous les obstacles qui la gênent. S’il nous était permis de faire une comparaison, peut-être un peu familière, mais qui rendrait bien notre pensée, nous dirions ceci : Quand on veut obtenir d’un cheval de course qu’il développe tous ses moyens, on commence par diminuer le poids qu’il est appelé à porter, on égalise ce poids avec celui des concurrens ; on s’applique ensuite à le bien équilibrer, de façon qu’il ne pèse pas trop sur les parties du corps où il deviendrait le plus incommode. Eh bien on doit agir de même avec les impôts, il faut les alléger le plus possible, et les réparti ensuite sur toutes les branches de la richesse, afin qu’ils n’en écrasent aucune. Telle est, nous ne pouvons trop le répéter, le véritable problème à résoudre, il n’y en a pas d’autre. Et pourquoi, à la fin de ces études, proposons-nous l’impôt sur le revenu ? C’est précisément pour fournir ce moyen d’allègement et arriver à une répartition meilleure.

Maintenant, comment convient-il d’établir cet impôt ? Il faut le généraliser autant que possible, et ne point admettre pour ainsi dire d’exemption ; à cette condition seule on le rendra très léger et très productif, il ne troublera la situation de personne. Avec la grande division des fortunes qui existe aujourd’hui en France, si on en exemptait seulement les revenus inférieurs à 1,200 francs, on mettrait les deux tiers du revenu général en dehors de l’impôt, on atteindrait tout au plus 6 ou 7 milliards sur 20, et pour réaliser 150 millions il faudrait demander 2 ½ pour 100 environ. Ce serait évidemment trop, surtout si on veut laisser subsister les autres taxes directes avec lesquelles celle-ci fait double emploi. Mais, nous devons le reconnaître, la pratique générale est opposée ; on considère cet impôt comme une taxe de luxe et on le fait peser particulièrement sur les riches. En Angleterre, les revenus au-dessous de 2,500 francs en sont affranchis et en Prusse ceux au-dessous de 3,760 francs On croît faire ainsi une chose juste, tous les citoyens devant également l’impôt, à exonérer les uns et à charger d’autant plus les autres ; et quant à favoriser les intérêts économiques, un exemple prouvera le contraire : on prélève en Angleterre par l’income-tax 150 millions par an sur les revenus supérieurs à 2,500 francs, qu’auraient fait de cette somme ceux qui la possédaient si on la leur eût laissée ? Ils l’auraient employée d’une façon quelconque, dépensée pour leurs besoins, ou économisée et prêtée à d’autres qui l’auraient utilisée ; la conséquence dans l’un et l’autre cas eût été une augmentation de travail et de production, se traduisant par un accroissement de salaires et de bénéfices. Mais, dira-t-on, si on demande ces 150 millions directement aux riches, on n’aura pas à les exiger des pauvres, ceux-ci les consacreront également à augmenter le travail et la production, et le résultat sera le même. Cela est ainsi en apparence, mais on en réalité. Les 150 millions que l’on prend sur les revenus supérieurs à 2,500 francs sont plus ou moins nécessaires à la production, ils augmentent le stock des ressources disponibles avec lesquelles elle s’alimente, et le taux de l’intérêt se règle en conséquence. Il en est autrement de la même somme demandée aux taxes de consommation, elle ne sort plus du fonds de réserve destiné à la production, elle est prise lorsque cette production a eu lieu et qu’elle se répand déjà entre les mains des consommateurs, c’est-à-dire lorsqu’elle arrive à destination. C’est comme de l’eau qu’on va chercher à la source ou à l’embouchure d’un fleuve. Dans le premier cas, on risque de la tarir en en prenant très peu, et dans le deuxième, on peut en prendre beaucoup sans qu’on s’en aperçoive.

Il n’y aurait donc pas d’immunités à accorder, excepté aux personnes indigentes et à celles qui sont dans un état voisin de cette indigence. Hors de là, tout le monde devrait payer l’impôt, quel que soit le revenu, qu’il consiste en rentes, bénéfices industriels, traitemens ou salaires, peu importe. Pour le connaître, on s’en rapporterait à la déclaration contrôlée, comme en Angleterre, par des commissions spéciales; dans ces conditions, l’impôt atteindrait peut-être les trois quarts du revenu brut de la France, soit 15 milliards, au taux de 1 pour 100 et il donnerait 150 millions; on pourrait le réduire à 2/3 pour 100 si on n’avait besoin que de 100 millions, il ne serait alors écrasant pour personne, et la perception en deviendrait facile, sans trop de fraude. On n’aurait pas à se préoccuper non plus de la question de savoir s’il fait double emploi avec d’autres taxes déjà existantes, comme l’impôt foncier, l’impôt mobilier et celui de patente. Ces impôts pourraient rester; un seul devrait disparaître, celui qui frappe aujourd’hui le revenu des valeurs mobilières. Celui-là n’aurait plus de raison d’être après l’établissement d’une taxe générale. Autrement, le même revenu se trouverait imposé, non-seulement deux fois, sous des formes différentes, mais deux fois de la même manière.

Maintenant une autre question se pose : faut-il faire une distinction entre les revenus, taxer davantage ceux qui sont spontanés et fixes, comme les fermages et les rentes, et un peu moins ceux qui proviennent du travail, comme les bénéfices industriels, les traitemens et les salaires? On l’a beaucoup demandé, et la question a été fort débattue dans les pays où existe l’impôt du revenu. En Italie, on accorde la distinction, on impose pour leur intégralité les revenus fixes, au six huitièmes ceux qui proviennent du travail et de l’emploi des capitaux, et au cinq septièmes les revenus personnels, comme les traitemens et les salaires. En Angleterre, on ne l’accorde pas, et voici une des raisons pour le refus qui ont été données par les commissaires de l’inland revenue dans un de leurs rapports : « Quelque plausibles que soient, disent-ils, ces théories (celles qui demandent des distinctions), elles prêtent le flanc à des objections pratiques de la plus grande gravité; un impôt sur le revenu, pour pouvoir être maintenu, doit reposer sur des principes très simples et très intelligibles. Les complications et les raffinemens ne seraient pas seulement difficiles, nous pourrions même dire impossibles dans la pratique; mais nous pensons qu’ils cesseraient bientôt de satisfaire le public. En deux mots, après un surcroît d’expérience de treize années, nous ne voyons pas de raison de changer l’opinion exprimée dans notre dernier rapport : que le système présent est le seul dans lequel une taxe puisse atteindre la propriété en Angleterre en passant par le revenu. » La distinction qu’on demande ne serait même pas équitable. En effet, quand on impose les revenus fixes d’un particulier, on les prend tels qu’il les a déclarés sauf contrôle, sans en rien déduire. S’il s’agit d’un industriel au contraire ou d’un commerçant, celui-ci n’est tenu de faire connaître que son bénéfice net, après déduction de toutes les dépenses qu’il devra faire pendant le cours de l’année, même pour son entretien. Par conséquent, si le premier a besoin de tout son revenu pour vivre, il ne lui restera plus rien à la fin de l’exercice, tandis que le second aura économisé ce qui n’aura pas été pris par l’impôt. C’est là une différence essentielle. Soutiendra-t-on que, même avec cette différence, l’égalité n’existera pas encore, que le bénéfice du commerçant est précaire et peut périr demain, tandis que celui du propriétaire subsistera toujours? Cela est vrai ; mais, si l’on veut être logique et aller jusqu’au bout, il faut dire qu’on ne devra pas imposer du tout les bénéfices industriels, car, imposés même à moitié ou au tiers des revenus fixes, ils paraîtront l’être encore davantage. En bonne justice, il n’y a que le traitement des fonctionnaires et les honoraires de toute nature qui devraient être ménagés. Mais ici encore on a le droit de mettre en dehors de la déclaration ce qu’on est obligé de payer pour une assurance sur la vie si on en a fait une, de sorte qu’il dépend de ces contribuables de convertir dans une certaine mesure leurs revenus précaires en revenus solides.

Malgré cela, il faut en convenir, l’impôt du revenu sera toujours difficile à établir en France. Notre pays est celui où l’on obéit le plus aux préventions. On a dit que cet impôt, devant reposer en grande partie sur les déclarations, donnerait lieu à une fraude considérable; cette objection a été adoptée sans examen, et elle a suffi, jusqu’à présent, pour faire écarter le principe même de la taxe. On ne réfléchit pas que cette déclaration dont on se défie tant est déjà la base de beaucoup de nos contributions, et des plus importantes. C’est sur la déclaration, pouvant être contrôlée comme le serait celle du revenu, que sont perçus les droits de mutation, de succession, ceux de douane, l’impôt des boissons, du sucre, etc., etc. La fraude existe sans doute, mais elle est si peu considérable que le fisc aime mieux la subir que de chercher à la réprimer par des moyens vexatoires. Enfin on dit : Gardons-nous de l’impôt du revenu, car il ouvrirait la porte à l’impôt progressif, ce serait le premier pas dans cette voie. M. Casimir Perier a parfaitement répondu à cette objection dans un rapport de 1872. « Le jour, a-t-il dit, où le pouvoir serait entre les mains de gens capables de soumettre le pays à l’impôt progressif, ils n’auraient pas besoin de précédent ou de préliminaires. » Ils l’établiraient en effet, d’un trait de plume, au moyen du rôle des contributions directes, ou par d’autres procédés qu’ils ne craindraient pas de rendre vexatoires. Cette fin de non-recevoir n’a donc aucune valeur, et d’ailleurs en généralisant l’impôt, comme nous le demandons, on écarte le danger. Ce n’est plus une taxe de luxe qu’on met sur les riches, c’est une taxe comme les autres qui pèse sur tout le monde et qui doit rester proportionnelle, il n’y a plus de raison pour qu’elle change de caractère.


Arrivé au terme de ces études, nous avons besoin de résumer les conclusions qu’on peut en tirer. La première, c’est que, l’impôt étant la rémunération des services rendus par l’état, et dont nous profitons tous également, chacun le doit dans la proportion de ses facultés, et par faculté on entend, non-seulement ce qu’on possède de la richesse réalisée et disponible, mais aussi de celle qui se forme tous les jours, et qui se trouve distribuée à tout le monde sous forme de traitemens, de salaires ou de bénéfices industriels. L’état couvre tout de sa protection ; par conséquent, tout lui doit l’impôt. Cela est élémentaire. Maintenant, sous quelle forme l’exiger? On a pris la forme directe pour la fortune déjà réalisée. On s’est adressé à ceux qui la possédaient, et on leur a demandé une part du revenu qu’ils en tiraient; on ne pouvait pas agir de même vis-à-vis de ceux qui ne possèdent rien. Cependant, comme la richesse réalisée est loin de constituer toutes les ressources d’un pays, que celles qui se produisent au jour le jour et se consomment de même sont de beaucoup les plus considérables et que l’état leur accorde également sa protection, il fallait bien qu’elles contribuassent aussi aux charges publiques. On a eu recours pour cela aux impôts indirects; on a présumé à juste titre que chacun consommant en raison de ses facultés, si on mettait une taxe sur les objets de consommation générale on ferait contribuer tout le monde dans une proportion exacte. Alors sont arrivées les objections.

On a prétendu d’abord qu’il était immoral et inhumain d’imposer les choses nécessaires à la vie, comme s’il y avait dans la société des gens qui dussent avoir le privilège de n’être point imposés. Ce privilège existait autrefois en faveur des classes élevées, on l’a aboli et on a bien fait. Voudrait-on le faire revivre pour les classes inférieures? Ce ne serait pas plus juste, et le seul moyen qu’on ait d’atteindre tout le monde, c’est précisément de taxer les objets qui sont d’un usage universel. Mais, dit-on, l’impôt pèse plus sur les pauvres que sur les riches; la consommation des objets taxés n’est pas en rapport avec la fortune. Si j’ai 100,000 francs de rente, je ne bois pas cent fois plus de vin et ne consomme pas cent fois plus de sel que celui qui n’a que 1,000 francs de revenu. Cette objection, qui frappe bien des gens, est plus spécieuse que réelle. Non, les riches ne consomment pas directement beaucoup plus des choses taxées que les pauvres, mais ils les consomment indirectement en les remboursant à ceux dont les services leur sont nécessaires, au tailleur qui leur vend un habit, à l’entrepreneur qui construit leur habitation, aux ouvriers qu’ils emploient sous diverses formes. Et quant à ceux qui ne dépensent pas leurs revenus, qui en économisent une partie qu’ils prêtent, ils retrouvent la taxe dans l’intérêt qu’on leur sert, et qui sera d’autant moins élevé que l’emprunteur aura plus d’impôts à subir. En un mot ces taxes font partie des charges générales de la société, et comme elles sont acquittées par le revenu brut sur lequel nous vivons tous, la part que chacun prend dans ce revenu donne la mesure de celle qu’il a dans l’impôt. L’une est exactement proportionnelle à l’autre. Cela est d’une vérité absolue.

Nous avons fait ressortir encore que les taxes de consommation étaient les meilleures, parce qu’elles se paient aisément, sans décourager personne; elles n’ont qu’un défaut, celui d’exiger beaucoup d’employés, d’être d’une perception assez chère, et de donner lieu quelquefois à des mesures inquisitoriales. Mais ces défauts se corrigent tous les jours, et on les verra disparaître lorsque la moralité publique sera plus développée encore et qu’on pourra compter davantage sur la déclaration des contribuables. Du reste ces taxes sont si bien conformes au progrès, que tous les états qui veulent avoir de bonnes finances s’empressent d’y recourir. C’est de l’empirisme, dira-t-on. Mais de l’empirisme qui réussit si bien et depuis si longtemps ressemble beaucoup à de la vraie science. En un mot : obligation pour tous de payer l’impôt, proportionnalité mieux assurée avec les taxes indirectes qu’avec les autres, et meilleurs résultats économiques obtenus. Tels sont les trois points que nous avons cherché à mettre en lumière dans ces études.


VICTOR BONNET.