La Quittance de minuit/02/12

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Méline, Cans et Compagnie (Tome deuxièmep. 251-284).


XII

L’agonie.


Des heures s’étaient écoulées depuis le retour d’Ellen à la maison de Mac-Diarmid.

La petite Peggy allait et venait de la chambre à coucher dans la salle commune, vaquant aux soins du ménage.

Le valet Joyce avait emmené les bestiaux aux champs.

Mickey et Sam, harassés de fatigue, dormaient sur la paille commune. Owen et Kate s’étaient retirés silencieux et tristes dans le réduit habité autrefois par le vieux Mill’s.

Les autres Mac-Diarmid étaient absents.

Ellen n’avait point quitté le pied de son lit. Elle restait là, immobile et froide comme une statue. Sa mante rouge, qu’elle n’avait point dépouillée, rejetait son capuce en arrière et laissait a découvert le noble visage de l’heiress.

Il y avait sur ce visage une pâleur terne. Les belles lignes de la bouche se détendaient, fatiguées ; quelques plis se relevaient, ébauchant un amer sourire. Nul rayon ne passait à travers les paupières demi-closes.

Autour du front, la magnifique chevelure de la jeune fille tombait, mêlée et humide encore des sueurs de la nuit.

En allant et en venant, la petite Peggy, vive enfant aux traits intelligents et mobiles, s’arrêtait parfois pour contempler sa maîtresse à la dérobée. Son regard devenait bien triste et sa bouche s’ouvrait pour essayer une consolation ; mais elle n’osait pas…

L’heiress ne la voyait point. Tout était confusion et lassitude dans son esprit blessé. Elle ne pensait point ; elle ne sentait point ; c’était comme une morte.

Mais dans cet engourdissement, il y avait une sourde angoisse qui tenait son cœur éveillé à demi, pour le torturer sans cesse et l’écraser.

Elle souffrait. Son agonie lui laissait un sentiment vague de son martyre et ne lui ôtait que le pouvoir de combattre.

La matinée avançait. Peggy avait préparé la table pour le repas de famille, bien que personne ne songeât à y prendre place.

Ellen fit un mouvement faible ; puis ses deux mains placées soulevèrent sa manie et vinrent se poser sur son front qui brûlait.

Elle ouvrit les yeux ; son regard ébahi fit le tour de sa chambre.

— C’était un rêve ! murmura-t-elle. Il me semblait qu’il y avait autour de moi des ténèbres, et, dans les ténèbres, des étincelles éblouissantes… Où donc ai-je vu ces lugubres étoiles qui brillaient, qui s’éteignaient et qui brillaient encore ?…

Sa tête retomba sur sa poitrine.

— Je ne veux pas penser à cela, reprit-elle. C’était un songe affreux !… il faut l’oublier.

Un frisson parcourut tout son corps, et fit trembler les plis de sa mante.

— L’oublier ! répéta-t-elle avec un subit effroi dans la voix ; mais ils criaient : « Mort ! mort ! » C’est bien vrai… Leurs cris sont encore dans mes oreilles… Mon cœur a froid… Je sais bien qu’ils vont le tuer !

Un sanglot déchira sa poitrine, et ses doigts crispés pressèrent son front convulsivement.

— Ellen ! noble Ellen ! dit l’enfant qui s’était agenouillée auprès d’elle, ne pleurez pas ainsi !… Qu’avez-vous, ma maîtresse ?… C’est moi, votre petite Peggy, que vos larmes font pleurer…

Ellen n’entendait pas.

Tout à coup elle se retourna vivement, comme si un aiguillon l’eût piquée par derrière, et regarda son lit.

Son lit n’était point défait.

Elle poussa un grand cri.

Puis ses bras retombèrent le long de son corps.

— Ellen ! ô noble Ellen ! qu’avez-vous ? disait l’enfant en sanglotant.

— Je n’étais pas ici, cette nuit, murmura l’heiress ; où étais-je ?…

— Quanti je me suis endormie, répliqua l’enfant, vous étiez assise sur votre lit, ma maîtresse… et quand je me suis éveillée ce matin, je vous y ai vue encore…

Les yeux égarés d’Ellen se perdirent dans le vide.

— Hier !… ce matin ! répéta-t-elle comme si elle avait taché avec désespoir de ressaisir ses idées fugitives. Cette nuit !… cette nuit !

Elle se leva et gagna d’un pas machinal la fenêtre ouverte ; elle s’y appuya.

Le paysage sur lequel la nuit étendait naguère son voile sombre était de nouveau devant ses yeux. Le soleil de juin versait à flots sa vive lumière et colorait chaudement ces belles montagnes du Connemara que Walter Scott eût prises pour les Higlands de son cher pays d’Écosse.

L’œil d’Ellen, morne et inanimé, glissa sur ces beautés connues ; sa vue ne percevait qu’une sensation confuse de lumière radieuse, jouant dans un espace sans bornes. Les objets se mêlaient au-devant d’elle et brouillaient leurs lignes vogues ; elle ne voyait rien.

Mais l’air frais du dehors frappait son front ardent et emplissait à flots sa poitrine. La vie et la pensée revenaient en elle à son insu ; sa raison renaissait ; sa force s’éveillait.

Elle souffrait davantage, à mesure qu’elle arrivait à entrevoir le vrai.

Au bout de quelques minutes, elle était face à face avec la réalité.

— Le feu ! murmura-t-elle avec épouvante, en regardant au loin les ruines noires de Diarmid ; c’était là-bas qu’était le feu !… Oh ! je me souviens ! les rochers, la grève, la caverne ! je me souviens ! je me souviens !

Durant quelques secondes elle s’affaissa, plus accablée. Mais son beau corps se redressa tout à coup, tandis que son front rayonnait, fort et superbe.

La petite Peggy, qui était toujours derrière elle, tremblante et désolée, se prit à sourire sous ses larmes.

— C’est fini, pensa-t-elle ; voici la noble Ellen guérie !…

Elle joignit ses petites mains, et commença une prière à la Vierge.

Ellen se retourna brusquement. Son regard, éteint naguère, brillait maintenant. Une résolution calme et pensive éclairait la merveilleuse beauté de son visage.

— Je veux voir mon frère Morris, dit-elle. Faites-le prévenir, Peggy.

Peggy interrompit la prière entamée.

— Ma noble maîtresse, répliqua-t-elle, Morris Mac-Diarmid n’est pas à la ferme.

Un nuage passa sur le front d’Ellen. Elle connaissait le cœur de Morris et comptait sur lui.

Elle réfléchit durant quelques instants.

— Et Jermyn ? reprit-elle.

— Jermyn vient de partir avec le grand Mahony de Galway.

À ce nom, Ellen perdit ses couleurs revenues. Son œil se baissa, tandis qu’un tremblement agitait sa lèvre.

— Il n’y a ici que Mickey et Sam qui dorment, poursuivit Peggy ; faut-il les éveiller ?

— Non, répondit Ellen.

Elle retourna vers la fenêtre et considéra la hauteur du soleil.

Puis, sans s’arrêter à réfléchir davantage, elle abaissa le capuce de sa mante sur son front et sortit de la ferme.

Le soleil inondait le versant du Mamturck, mais ses rayons n’avaient pu dissiper encore le voile de brouillard qui couvrait le Corrib.

L’heiress descendit la montagne. Malgré les fatigues de la nuit, elle avait encore son pas rapide et ferme.

Elle traversa le village de Corrib, dont presque toutes les maisons étaient désertes.

Quelques vieillards restaient seulement sur leurs portes, et tous la saluèrent avec respect.

Ellen atteignit les bords du lac, choisit un bateau dans les roseaux et rama de toute sa force dans la direction de Tuam.

À Tuam il y avait eu grande bataille la veille entre les catholiques et les protestants de la ville, soutenus par des orangistes venus de l’Ulster.

Les dragons de la reine avaient fait leur devoir, non point comme l’entendirent trop longtemps les troupes anglaises, mais dans la vérité du mot. Le major Percy s’était mis entre les deux partis rivaux. Il n’avait fait acception ni de protestants ni de catholiques, et les boutiquiers de Tuam lui reprochaient même avec amertume d’avoir traîtreusement empêché ces derniers d’être écrasés par les orangistes vainqueurs.

Comme si la mission d’un soldat de la reine était de protéger les papistes !

Au moment où la petite Su et son frère Paddy arrivaient à Tuam, le major venait de monter à cheval pour se diriger sur Galway, où les élections réclamaient sa présence.

Il laissait derrière lui le lieutenant Peters avec une petite garnison.

Les deux enfants de Gib Roe le rencontrèrent à la tête de sa troupe, sur le point de quitter Tuam.

C’était un fier et beau soldat. Personne ne portait mieux que lui le brillant uniforme des dragons de Sa Majesté. L’écharpe dorée allait bien à sa taille élégante, et la finesse mâle de ses traits ressortait sous le brillant casque d’or.

On pouvait lui reprocher seulement cette froideur immobile qui repoussait l’œil et glaçait le cœur.

Mais ce flegme, qui était au dedans de lui comme au dehors, pouvait être regardé comme un don suprême dans la position où la fortune l’avait placé.

Il était en Irlande où le terrain brûle et tremble, entre deux partis animés l’un contre l’autre d’une haine aveugle, et toujours prêts à s’entre-déchirer. Il fallait qu’il contînt à la fois les catholiques innombrables et les protestants plus rares, mais plus instruits, plus riches et plus tracassiers.

Il fallait qu’il se dressât au milieu des deux camps comme un mur de glace, fatiguant les efforts mutuels et contraires, lassant les haines fougueuses, et préparant lentement la concorde future par l’impossibilité de la lutte.

Il fallait qu’il personnifiât l’équité sous sa forme la plus sensible, afin que tous reconnussent en lui, qui était le représentant de l’Angleterre, une puissance secourable aux bons, terrible aux méchants.

Et il accomplissait ce rôle ardu avec une persistance héroïque.

Il avait contre lui la haine envieuse de son supérieur immédiat, le colonel Brazer, chef militaire du comté de Clare, qui le surveillait incessamment et donnait à chacun de ses efforts une interprétation mauvaise.

Il avait contre lui les orangistes stupides, les protestants plus éclairés, les autorités jalouses, les repealers dont il contrôlait les assemblées, les Molly-Maguires qu’il combattait à outrance, et jusqu’à ses propres officiers, dont l’intelligence subalterne ne comprenait point sa pensée.

Ceux-ci avaient noué avec Brazer une sorte de tacite et perfide alliance. Mortimer était menacé d’en haut et d’en bas à la fois. Il ne fallait point qu’il trébuchât en sa route, car des mains étaient là, prêtes à hâter sa chute comme à l’empêcher de se relever.

Il était seul, absolument seul contre tous. Autour de lui, si loin que pussent aller ses regards, il voyait des haines amoncelées.

Chacun, fort ou faible, lui faisait obstacle dans la mesure de son pouvoir. C’étaient tous les jours cent combats grands ou petits, des coups d’épée et des coups d’épingle. Une nature aussi robuste que la sienne, mais plus fougueuse, y eût perdu le souffle. Pour ne point devenir fou à cette tache, il fallait sa patience froide et son calme inaltérable.

L’homme et la mission se convenaient. La main qui avait choisi Percy Mortimer est habituée à ne se point tromper.

Pour soutiens dans sa lutte épuisante, il avait la discipline anglaise, qui ne sait point fléchir, et l’homme dont le bras tout-puissant supporte la politique des trois royaumes.

Robert Peel l’avait jugé ; il avait confiance en lui ; et lui, comprenant la pensée de Robert Peel, s’y était donné corps et âme.

Mais sous cette enveloppe froide qui était pour le major Percy Mortimer, au milieu de sa difficile mission, une armure indispensable, il y avait un cœur loyal, une franchise chevaleresque et un besoin d’aimer qui, refoulé sans cesse, sans cesse tendait à se faire jour.

Son intelligence haute et positive s’alliait à une grande générosité.

Le terrible chasseur des Molly-Maguires avait fait grâce bien des fois, lorsque nul œil intéressé ne pouvait accuser sa clémence.

Il avait fait grâce, parce qu’il y avait au fond de son cœur une immense pitié pour ce peuple malheureux, courbé sous le fardeau trop lourd de sa misère, et peut-être aussi parce qu’au moment où son épée se levait, il s’était souvenu d’une belle jeune fille qui était de ce peuple et qui l’aimait.

Il aimait Ellen Mac-Diarmid, et son amour ressemblait à l’amour de l’heiress.

C’était une passion incessamment combattue et qui grandissait toujours parmi les luttes muettes du cœur.

Il aimait et il admirait. Il savait la belle âme d’Ellen, dans laquelle il lisait comme en un livre ouvert.

Aux heures rares où les labeurs de sa charge ne le retenaient point, il s’échappait au galop rapide de son cheval ; il gagnait la pointe de Ranach, et, descendant ce sentier rapide où nous avons vu Pat s’engager pour arriver à la plage, il entrait dans la bouche sombre des grottes de Muyr.

C’était là qu’Ellen l’attendait.

Ils échangeaient leurs cœurs ; ils oubliaient en de cours instants de bonheur la longue souffrance.

Et quand Mortimer, regagnant le haut de la montagne, sautait sur son généreux cheval, il était plus vaillant et plus fort. Et quand la noble vierge retournait à pas lents vers la ferme de son père d’adoption, elle avait des souvenirs heureux pour plus d’un jour de tristesse.

C’était un pur et bel amour, tout plein de dévouement et d’oubli. Ils étaient l’un à l’autre, et nulle pensée égoïste ne venait jamais au travers de leur tendresse.

Ils espéraient, parce que l’amour espère toujours. Percy disait que peut-être dans l’avenir leur union serait le premier anneau de la chaîne qui rapprocherait les partis extrêmes. Ellen souriait et disait :

— Dieu le veuille !

Mais c’étaient de vagues espoirs, séparés de la réalité par un abîme. Le vrai, c’est qu’ils s’aimaient ardemment et sans mesure…

Les deux enfants de Gib Roe tenaient, chacun de son côté, la bride du cheval de Mortimer.

Et ils criaient, répétant la leçon enseignée par leur père.

— Oh ! bon seigneur ! six pence, pour le salut de votre vie !

Le major arrêta son cheval, et regarda tour à tour les deux enfants dont les traits amaigris conservaient la naïveté maligne de leur âge.

Su et Paddy souriaient doucement ; ils jouaient leur rôle à ravir, et rien en eux n’annonçait le mensonge.

— Il me semble que je vous ai déjà rencontrés dans le marais, enfants ? dit le major.

— Oh ! Jésus ! oui, certes, Votre Honneur ! répliqua Su.

— Et vous nous avez donné six pence, ajouta Paddy.

— Six pence pour acheter du gâteau d’avoine, mon bon lord !

— Et qui vous envoie vers moi ?

— Oh ! Lord ! Jésus ! s’écria la petite Su, qui nous envoie ?… Personne ne nous envoie, mon bon seigneur !… Si l’on savait que nous sommes venus, nos pauvres corps seraient demain avec les poissons, au fond du Corrib…

— Nous sommes venus, reprit Paddy, pour avoir six pence, mon bon lord, et pour vous sauver la vie.

Le major se tourna vers ses officiers qui souriaient avec mépris et haussaient les épaules.

— Que pensez-vous de cela, messieurs ? demanda-t-il.

— Nous pensons, répondirent tout d’une voix les officiers, que ces petits drôles veulent nous attirer dans quelque embuscade, le long des taillis, qui bordent le Corrib.

— Oh ! non, Vos Honneurs ! s’écria la petite Su.

— Oh ! non, non, répéta Paddy, non, bien sûr !… nous venons vous dire au contraire ou est l’embuscade.

— Il y a donc une embuscade ? dit le major.

— Oui, Votre Honneur… une grande embuscade, où vous resterez tous !

— Vous êtes forts, dit le petit garçon en secouant la tête, et vous avez de longs sabres tranchants… mais ils sont si nombreux derrière les arbres !…

— Vous les avez vus ?

— Oui certes… ils sont venus là au lever du jour, avec des fusils, des pistolets, des haches et tout ce qu’il faut pour tuer les hommes… et ils se réjouissent, parce qu’ils disent qu’aucun de vous ne pourra s’échapper !

Mortimer, toujours impassible, se tourna de nouveau vers les officiers ; ceux-ci semblaient sérieusement intrigués et commençaient à prêter grande attention aux paroles des enfants.

— Qu’en dites-vous, messieurs ? répéta Mortimer.

Les officiers ne souriaient plus avec mépris et ne songeaient point à hausser les épaules.

Ils se consultèrent un instant du regard.

— Il y a de mauvais passages sur le bord du Corrib, dit l’enseigne Dixon.

— Je sais plus d’un endroit, ajouta l’un des cornettes, où une centaine de ces drôles maudits nous donnerait bien du fil à retordre !

— Et ils sont plus de mille ! murmura Su en joignant ses petites mains.

— Plus de deux mille ! appuya le garçon.

— Ni mon frère ni moi nous n’aurions su les compter !

— Je connais peu cette partie du pays, reprit le major d’un ton rapide et froid ; je vous demande votre avis, messieurs, et vous prie seulement de ne point oublier que nous devons être à Galway dans deux heures.

— La route par la chaussée de planches est plus courte que le chemin des lacs, répliquèrent les officiers.

— C’est très-bien, dit le cornette Brown ; mais si les enfants mentaient…

— Oh ! Vos Honneurs !…

— Silence !… Et si l’embuscade était justement le long de la chaussée de planches ?…

— Où diable se cacherait-elle ? s’écria Dixon. Des deux côtés de la chaussée il n’y a qu’une mer de fange… Je suis d’avis, pour ma part, de prendre notre route par le bog.

Les autres se rangèrent à cette opinion.

Mortimer rabattit à ce moment son regard sur les deux enfants qui ne pouvaient pas dissimuler leur joie.

Un soupçon, rapide comme l’éclair, lui traversa l’esprit.

— Nous sommes bien montés, dit-il en observant la petite Su, et bien armés… Il ne faut pas que ces malheureux puissent croire qu’ils nous font peur… Messieurs, nous prendrons le chemin des lacs.

Personne ne répondit parmi les officiers ; le major poussa son cheval ; mais Su et son frère s’attachèrent à la bride en poussant des cris lamentables.

— Oh ! Vos Honneurs ! disaient-ils, oh ! Vos pauvres Honneurs !… vous allez tous mourir ! tous jusqu’au dernier !… mon bon lord ! s’écriaient-ils en s’adressant à Mortimer. Si vous saviez que de plomb et que de fer ils ont mis dans leurs mousquets !… si vous saviez comme ils ont aiguisé leurs haches et leurs faux !… si vous les aviez entendus quand ils disaient : « Voilà vingt-quatre heures déjà que le Saxon maudit a reçu en pleine poitrine la promesse de Molly-Maguire… il faut qu’avant le milieu du jour le Saxon dorme sous l’eau du lac !… »

Cette allusion à ce qui s’était passé la veille dans le parloir du Roi-Malcolm fit impression sur le major, et prêta pour lui aux paroles des enfants une physionomie de vérité.

Il serra le mors et prit la main de Su qu’il attira jusqu’à lui pour l’asseoir sur sa selle.

Il la regarda bien en face et longtemps.

La petite fille soutint ce regard perçant et sévère sans sourciller ; ses yeux ne se baissèrent point ; elle se mit à sourire tout doucement.

— Cette enfant ne ment pas, murmurèrent les officiers d’un ton de conviction profonde.

— Comment se nomme votre père ? demanda le major.

— Nous n’avons plus de père, répondit Su sans hésiter ; notre mère est la vieille Meg de Knockderry, de l’autre côté du lac.

— Et vous connaissez le lieu précis où se tient cette embuscade ?

— Je m’y rendrais les yeux bandés, répliqua le petit Paddy, jaloux de l’attention qui se concentrait sur sa sœur.

— Voulez-vous nous y conduire ? demanda encore Mortimer.

Paddy ouvrit la bouche avec empressement ; puis sa joue devint pourpre.

Il ne répondit rien.

La petite fille n’éprouva pas un seul instant d’embarras.

— Oh ! mes chers lords, dit-elle, ce sont nos cousins et nos oncles qui sont là-bas le long du lac… Si vous saviez où ils sont, peut-être seriez-vous les plus forts… et nous ne voulons pas vous aider à les tuer, Vos Honneurs !

— Si nous vous donnions de l’argent, murmura le major à son oreille.

La petite fille baissa les yeux et secoua son énorme chevelure.

— Beaucoup d’argent ! reprit le major.

Su fit semblant d’hésiter.

— Non ! oh ! non ! s’écria-t-elle après un court silence, j’aime mieux avoir faim… mon petit frère aussi… Laissez-nous, mon bon lord, et suivez la route que vous voudrez.

Mortimer fit glisser la petite fille jusqu’à terre et mit une poignée d’argent dans son tablier.

Les deux enfants poussèrent un long cri de joie.

— En avant ! dit le major qui tourna la tête de son cheval dans la direction du bog de Clare-Galway.

Toute la troupe, qui était composée de cinquante à soixante cavaliers, marcha en bon ordre sur les traces de Percy Mortimer.

Su et Paddy dansaient sur le pavé de la rue…

Une fois hors de la ville, les dragons prirent le grand trot et s’engagèrent bientôt dans le marais qui commence à deux milles de Tuam.

Les enfants les suivaient de loin et leur envoyaient de bruyantes bénédictions.

Ils couraient, les petits sauvages, avec leurs jambes nues et grêles, presque aussi vite que les chevaux.

Et tout en criant : « Dieu vous bénisse, mes bons lords ! » ils ne se faisaient point faute de causer tous les deux bel et bien.

— Ma sœur Su, demandait Paddy, combien vous a-t-il donné d’argent ?

— Je ne sais pas, répondit la petite fille ; qui pourrait compter tout cela ?… Il y a des pièces blanches, larges comme des pence… d’autres qui sont toutes petites et jolies ; oh ! regardez plutôt, Paddy ! mais qui pourrait dire combien tout cela fait de farthings ?…

Et les deux enfants s’arrêtaient essoufflés ; ils s’asseyaient un instant dans le gazon mouillé pour contempler et compter leur trésor.

Puis ils s’élançaient de nouveau sur les traces des dragons, et faisaient éclater de mille manières leur joie enfantine.

Ces hommes qui étaient devant eux et qui leur donnaient cette joie marchaient à la mort.

Mais Su et Paddy n’avaient garde de songer à cela ; ils cabriolaient dans les joncs, ils bondissaient d’une langue de terre à l’autre, et secouaient en courant les longues mèches de leurs cheveux.

Les dragons, qui les avaient perdus de vue durant quelques minutes, les voyaient reparaître tout à coup, riant et sautant.

Cette allégresse naïve leur ôtait toute défiance, et ils allaient sans autre préoccupation que de guider leurs pesants chevaux sur le terrain glissant.

Leur trot ne se ralentissait point.

Au bout d’une heure environ, ils atteignirent l’extrémité de la chaussée de planches.

C’était bien loin encore de l’endroit où nous avons vu les gens de Molly-Maguire à la besogne ; il y avait un grand mille du bout septentrional de la chaussée au cours fangeux du Doon.

Cette partie de la route était aisée comparativement à celle que les soldats venaient de franchir. Le trot des chevaux devint plus régulier et plus rapide ; la troupe, rangée sur deux files, emplissait toute la largeur de la chaussée.

Le major marchait le dernier.

Durant quelques minutes encore, on put voir les deux enfants sautiller par-dessus les flaques d’eau de plus en plus larges, comme des esprits follets.

Puis tout à coup ils disparurent pour ne plus se remontrer.

Les dragons étaient alors bien près du cours du Doon.

Le soleil avait achevé de pomper le brouillard, et la surface plane des bogs s’allongeait en tous sens à perte de vue.

Le major consulta sa montre et murmura une exclamation chagrine.

— Commandez un temps de galop, monsieur, dit-il au cornette Brown ; nous arriverons en retard.

Les chevaux sentirent l’éperon, et leur pas lourd retentit plus pressé sur les madriers qui remuèrent.

La colonne se précipitait impétueusement vers l’endroit fatal.

Le bog présentait, aussi loin que la vue pouvait s’étendre, un aspect de morne solitude ; pas un être vivant ne se montrait sur le vaste tapis de verdure. Seulement, du côté du lac Corrib, bien loin, bien loin, un point presque imperceptible et de couleur rougeâtre semblait se mouvoir.

Les dragons l’aperçurent peut-être, mais il était impossible d’en distinguer la forme et la nature.

Durant deux minutes encore, le galop des chevaux résonna sur le bois solide.

Puis les deux premiers chevaux bronchèrent à la fois.

Les éperons de leurs cavaliers leur donnèrent un élan nouveau ; ils se précipitèrent en avant, bronchant encore, jusqu’à ce que le sol vînt à manquer sous leurs pieds.

Les cavaliers qui venaient ensuite éprouvèrent le même sort, et, comme les premiers, par l’effet de l’impulsion donnée, avaient franchi un assez large espace depuis le premier madrier scié, tous les dragons, sans exception, se trouvèrent engagés dans le piège.

Les chevaux avaient de la fange jusqu’à la sangle, et s’agitaient en soufflant au milieu de l’océan de boue.

Ils s’enfonçaient lentement, et leurs efforts mêmes hâtaient leur perte.

Durant une ou deux secondes, ce fut une scène de tumulte affreux ; les cris et les plaintes se croisaient, mêlés à d’impuissants blasphèmes.

La plupart des dragons étaient tombés en dehors de la chaussée, qui, du reste, présentait maintenant une série de trous assez larges pour engloutir hommes et chevaux.

Dans le premier moment, le danger ne leur apparaissait point sous sa véritable face ; ils se croyaient embourbés tout au plus, et redoutaient seulement une attaque plus ou moins éloignée dans cette position défavorable.

Mais bientôt ils s’aperçurent que leurs chevaux enfonçaient de plus en plus ; la fange délayée arrivait à la selle.

Les cris cessèrent ; il se fit un silence morne.

— Accrochez-vous aux troncs d’arbres ! cria Percy Mortimer, qu’un écart de son cheval avait jeté loin des débris de la chaussée.

Il n’avait point quitté la selle, et au milieu de ce terrible danger, son pâle visage restait toujours froid et calme.

— Accrochez-vous aux troncs d’arbres ! répétèrent cent voix railleuses qui semblaient partir des buissons voisins.

Puis ce fut un long éclat de rire ; puis le silence encore.

Les chevaux enfonçaient ; les selles disparaissaient presque, et les dragons s’étaient mis à genoux sur le dos de leurs montures…

Au loin, du côté des lacs, le point rouge grandissait, grandissait et s’avançait rapidement.

Les dragons crièrent « au secours ! » Les voix moqueuses répétèrent « au secours ! » et chaque fois qu’une plainte s’exhalait au milieu de cette scène de désolation, une plainte pareille sortait des buissons voisins.

C’était comme un écho impitoyablement railleur.

Aux plaintes succédèrent les menaces.

Les dragons armèrent leurs pistolets.

— Feu ! crièrent les buissons.

Les soldats, exaspérés, lâchèrent en effet la détente. Ce fut un peu de bruit ; les amorces mouillées ne purent s’enflammer.

Et les rires invisibles redoublèrent. Et les railleurs, désormais bien assurés que l’agonie des dragons de la reine était impuissante, montrèrent leurs têtes derrière le feuillage.

Il y en avait ! il y en avait ! chaque buisson cachait un groupe.

C’étaient des hommes, des femmes et jusqu’à des enfants.

Patrick Mac-Duff, le bon garçon, s’en donnait tant qu’il pouvait avec sa femme Madge, une douce âme qui le battait ; Pat ne se possédait pas de joie, et Gib répétait en extase :

— Ce sont pourtant les petits qui ont fait cela, les chérubins !

Le géant Mahony montrait son torse tout entier au-dessus des buissons. Il était appuyé sur sa grande hache et regardait le drame assez tranquillement.

Non loin de lui, derrière la touffe voisine, Jermyn Mac-Diarmid se cachait, honteux et brisé par l’émotion. Il voulait ne point regarder et fuir ce tableau qui l’accusait horriblement ; mais ses jambes restaient clouées au sol et ses regards fascinés ne pouvaient point se détacher du pâle et hautain visage de Percy Mortimer.

La petite Su et son frère Paddy, qui avaient rejoint leur père à l’aide d’un détour, étaient là pour assister à la fête ; et comme ils s’amusaient, les chers innocents !

D’où ils étaient et pour des enfants comme eux, le côté grotesque de la scène l’emportait vraiment sur le côté terrible.

Ils ne voyaient que ces hommes rouges, couverts d’or, qui barbotaient dans la fange.

Mais ces hommes enfonçaient sans cesse, et leur agonie faisait des progrès sûrs.

Les chevaux ne pouvaient nager dans ce liquide épais et gras, ils enfonçaient, ils enfonçaient…

La boue se rejoignait maintenant au-dessus de la selle, et l’on ne voyait plus les pieds des dragons qui se tenaient debout.

Quelques-uns avaient réussi à s’accrocher aux troncs d’arbres ; ceux-là étaient momentanément à l’abri.

Mais, pour les autres, tout effort demeurait inutile et n’eût servi qu’à hâter l’instant fatal.

Il fallait attendre la mort.

Le major, qui était le plus éloigné de la chaussée, était en même temps le plus près d’une des langues de terre environnantes ; son cheval avait trouvé pied sans doute au fond du lac de boue, car il cessait de s’enfoncer, et ses efforts l’amenaient, par un mouvement imperceptible, vers le sol ferme.

Mortimer ne semblait point s’apercevoir de cette chance de salut. Le deuil qui l’entourait avait vaincu son froid courage.

Ses bras étaient croisés sur sa poitrine ; son front hautain se courbait ; il s’apitoyait, non point sur son propre sort, mais sur celui de ses soldats qui allaient mourir, et qu’il ne pouvait point défendre.

Une fois le sang monta subitement à sa joue et mit un rouge vif à la place de sa pâleur habituelle. Ses yeux s’étaient baissés en même temps, et l’on eût pu voir sur sa physionomie, animée subitement, le reflet d’une émotion poignante.

Peut-être était-ce la pensée d’Ellen qui venait de visiter son cœur ; peut-être était-ce le dernier adieu prononcé du fond de l’âme à l’heure suprême…

Cela dura un instant, puis les regards du major se tournèrent de nouveau vers sa petite armée à l’agonie. Son front redevint pâle.

Sur ce visage dont la beauté dominait, héroïque, la scène de désolation, les regards de Jermyn restaient invinciblement attachés. Jermyn souffrait presque autant que les soldats à l’agonie. Tout ce qu’il y avait en lui de généreux et de noble se révoltait : sa conscience bourrelée était à la torture.

Et que de haine pourtant parmi ces remords ! Comme il épiait, attentif, une marque de frayeur ou de faiblesse ! Comme il attendait avec d’ardentes impatiences un soupir, un cri, une plainte !…

Rien. Une statue de marbre en face du marteau qui va la briser.

Jermyn haïssait, mais il admirait. Il eût donné sa vie pour la mort de cet homme.

Il se sentait vaincu, même au moment de tuer. Son âme bouleversée jalousait les minutes de calme que son rival allait vivre encore.

Et il songeait à le sauver pour redevenir un instant son égal. Il voulait lui tendre la main pour remonter jusqu’à lui.

Il le voulait ; mais c’était comme un rêve. Il ne bougeait pas.

Ses deux mains s’appuyaient sur le canon de son mousquet.

Il restait là, muet et sombre, et stupéfait de ne trouver qu’amertume au fond de la coupe de vengeance…

Les dragons avaient maintenant de la boue jusqu’aux genoux. Quelques-uns récitaient des prières ; les autres se répandaient en menaces vaines ; d’autres enfin criaient encore au secours.

Aux prières, aux menaces et aux cris de désespoir les Molly-Maguires répondaient par d’implacables moqueries.

La pitié ne venait point.

Ils regardaient cette mort horrible sans que leur vengeance fut assouvie.

Le point rouge cependant avait pris une forme et s’avançait comme un tourbillon, c’était une femme à cheval qui courait en zigzag dans le bog et qui tenait par la bride une autre monture dont le galop la suivait de près.

Elle avait dans la main droite une houssine, et frappait son poney sans relâche.

— Voilà une bonne femme de Knockderry, se disaient les Molly-Maguires, qui vient pour avoir sa part de la danse. Il n’est pas trop tard !

— Hardi, ma belle ! cria la grosse voix du géant Mahony ; au train que vous menez, il vous en restera encore un petit peu.

Et Pat et Mac-Duff et les autres répétèrent en chœur :

— Hardi, ma belle ! poussez, holà ! poussez !

La mante ronge semblait n’avoir pas besoin de ces encouragements ; les naseaux de ses petits poneys soufflaient une fumée épaisse.

Elle dévorait l’espace…

On ne voyait plus que le torse des malheureux dragons qui n’avaient pu s’accrocher aux troncs d’arbres ; cette mort lente, qui venait par degrés et qu’on ne pouvait point combattre, les affolait ; ils agitaient leurs bras dans le vide en poussant des cris insensés.

Quelques-uns, saisis de vertige, s’élançaient à corps perdu dans la fange, et cherchaient à gagner la chaussée à la nage.

Mais la fange les recevait, flasque, inerte, et les engloutissait lentement.

À chaque homme qui disparaissait ainsi, c’étaient derrière les buissons de frénétiques hourras.

Et ces cris de sauvages ivres tombaient comme de poignants reproches sur le cœur de Jermyn Mac-Diarmid. C’était lui qui leur faisait ces féroces allégresses ; c’était lui qui tuait de loin tous ces hommes : l’idée du piège lui appartenait…

Honte ! honte ! l’esprit du dernier des Mac-Diarmid s’engourdissait ; ses yeux ne voyaient plus qu’à travers un brouillard.

La mante rouge passait en ce moment vis-à-vis des Molly-Maguires, dispersés sur les mamelons de terre ferme.

— Allons, commère ! dit Mac-Duff, vous voici arrivée… venez avec nous !

La mante rouge glissa comme une flèche à quelques pieds de lui, au galop de ses deux poneys, et ne répondit point.

Son capuchon rabattu lui cachait le visage. Elle continua sa route vers la chaussée.

Le major, rendu à lui-même par les mouvements convulsifs de son cheval qui sortait peu à peu de sa prison de boue, venait de jeter derrière lui un regard qui lui avait montré la terre ferme à sa portée.

En ce premier moment l’instinct de conversation, qui est au cœur de l’homme le plus vaillant, l’emporta sur toute autre pensée.

Le major était debout sur sa selle ; il tendit ses jarrets pour prendre son élan.

La mante rouge arrivait à cet instant sur la langue de terre qui lui faisait face. Elle s’arrêta court.

— Poussez-le, commère ! cria Mac-Duff ; il est bien là ! empêchez-le d’aborder !

La mante rouge mit pied à terre lestement, et fit entrer l’un de ses poneys dans la vase. Du geste et de la voix elle appela Mortimer.

Celui-ci, quittant la selle de son cheval, sauta sur le dos du poney, qui fit effort, glissa, se reprit, et bondit enfin sur le sol ferme.

La foule rugissante s’élança hors des buissons, et vint jusque sur le bord du Doon.

Impossible de faire un pas de plus en avant !…

— Tirez ! criait-on de toutes parts ; c’est un homme déguisé ! Tirez ! ceux qui ont des fusils !…

Ils gesticulaient comme des forcenés. Une part de leur vengeance leur échappait, et c’était la meilleure.

Quatre ou cinq coups de fusils partirent…

Jermyn seul ne s’était point avancé. Il demeurait immobile sur son tertre.

La toile qui couvrait son visage était mouillée de sueur…

À peine sauvé, le major avait tourné la tête de son poney vers la chaussée, vers le péril.

La mante rouge était en selle sur l’autre cheval. Elle jeta ses deux bras autour de la taille du major, qui n’avait qu’une main pour résister à cette étreinte ; elle l’attira vers elle et le pressa contre son cœur.

En même temps sa voix parla doucement aux poneys qui partirent, rapides comme le vent. Tout cela fut l’affaire d’une seconde.

La foule poussa un long cri de rage.

Les deux fugitifs couraient en zigzag et se tenaient toujours embrassés.

— Tirez ! tirez ! criait-on. Il suffirait d’une balle pour deux !…

Jermyn était le seul dont le fusil restât chargé.

Il rejeta son masque de toile en arrière. Vous eussiez dit le visage d’un fantôme.

Son arme s’abaissa lentement vers les poneys fugitifs.

— Allez, Jermyn ! allez, mon fils !… Ah ! ah !… vous allez voir, vous autres !… Jermyn n’a jamais manqué son coup…

La mante rouge et Mortimer, embrassés toujours et emportés par la course tortueuse des poneys, se présentèrent un instant de profil.

L’âme de Jermyn était dans ses yeux qui flamboyaient.

La foule trépignait de rage et d’impatience.

— Allons ! mon fils, allons !…

Jermyn mit son doigt sur la détente. La bouche du fusil vomit un cône de fumée, et le coup retentit, faible, dans l’immensité des bogs.

Les deux fugitifs semblèrent chanceler à la fois sur leurs poneys. Le vent souleva un coin du capuchon de la mante rouge.

L’arme s’échappa des mains de Jermyn qui tomba sur ses genoux en gémissant le nom d’Ellen…

La foule hurlait triomphante…