La Quittance de minuit/03/11

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Méline, Cans et Compagnie (Tome troisièmep. 189--).


XI

La loge supérieure.
(Suite.)


Après le premier feu des saluts, le révérend John Box se fit présenter à Joshua Daws.

— Je pense qu’il serait urgent, dit-il en se tournant vers l’assemblée, de demander tout d’abord au gentleman comment il entend la question du baptême, controversée entre le révérend Peter Proot et moi.

Peter Proot s’élança hors des rangs, comme un coursier qui sent l’odeur de la poudre.

De même que son rival, il avait sous le bras une énorme Bible dont la tranche portait les marques d’un long et fréquent usage.

— Demandez ! demandez, M. Box ! dit-il. Aujourd’hui comme toujours je suis prêt à soutenir ma thèse.

Il ouvrit sa grande Bible et en fit voler les pages, à l’aide de son pouce, passé sur sa langue préalablement, avec une effrayante prestesse. C’était un homme d’une quarantaine d’années, vif, brun et taillé en soldat. Le doyen de Saint-Pierre, plus âgé de dix ans à peu près, avait une figure quasi vénérable. Son pouce, non moins habile que celui du vicaire, toucha sa langue, et tourna les feuillets de sa Bible avec une égale rapidité. Ces deux révérends étaient là-dessus d’une force incontestable. Déjà ils se mesuraient avec des yeux d’athlètes qui vont entamer un acharné combat, lorsque la grosse voix de Brazer réclama énergiquement bataille ajournée.

Les deux révérends fermèrent leurs Bibles, et regagnèrent leurs places d’un air désappointé.

— Messieurs, dit le colonel, j’ai usé de mon droit d’ancien membre de la loge supérieure, et je vous ai fait convoquer pour avoir votre avis sur une question de haute importance.

— Pas plus importante que le baptême peut-être ! grommela John Box.

— Écoutez ! écoutez !

— Percy Mortimer, reprit Brazer, nous a laissés aujourd’hui dans un cruel embarras !…

— Le misérable modéré ! dit le bailli Payne.

— Le traître !

— Le nécessitaire !

— Écoutez ! écoutez !

— Il mérite bien une punition, n’est-ce pas ?… poursuivit le colonel en adoucissant sa grosse voix jusqu’à la rendre insinuante.

— Oh ! certes !… une punition grave ! répondit-on de toutes parts.

— Eh bien ! messieurs, reprit le lieutenant-colonel qui renfla sa voix, le châtiment est tout trouvé… je viens de recevoir la nouvelle d’un engagement entre les dragons et les ribbonmen… le major a pris la fuite devant l’ennemi… nous pouvons le perdre.

La loge supérieure se frotta les mains à l’unanimité.

— Il a fui, répéta Brazer, fui comme un lâche coquin qu’il est, et, vis-à-vis de tout autre, je n’hésiterais pas à appliquer de mon chef la loi militaire… Mais il a su capter de hautes protections… il me faut votre aide morale, messieurs et honorables collègues…

Le club promit son aide morale.

— Maintenant, dit John Box, je présume que le révérend Peter Proot et moi nous pourrons…

— Quelle est la peine de l’officier qui a fui devant l’ennemi ? demanda le médecin Fitz-Roy.

— La mort, répliqua Brazer.

— Mais s’il ne revient pas ?

— Au bout de quarante-huit heures il sera considéré comme ayant déserté. La désertion met hors la loi… Tout sujet fidèle de sa très-gracieuse Majesté aura le droit de le tuer comme un chien…

Il y eut dans la loge un murmure content.

— Voilà qui est très-bien ! dit le procureur O’Kir ; puissent ainsi tous les ennemis de la foi pure tomber dans le piège !

— J’ai toujours pensé, reprit Mac-Foote, qui n’était pas fâché de se poser en membre influent vis-à-vis de Joshua Daws, j’ai toujours pensé que ce diable d’homme s’entendait parfaitement avec les ribbonmen… Ses blessures, voyez-vous, me paraissent un jeu joué… On ne le tuait jamais, en définitive !

— C’est vrai !

— C’est constant ! Oh ! le scélérat rusé !…

— Il savait fort bien où étaient les Molly-Maguires… et je tiens de bonne source qu’il les faisait prévenir d’avance…

— Je souhaite que Dieu lui pardonne, nasilla le vicaire Peter Proot, mais les hommes ne lui doivent point de pitié !

— Brazer écoutait cela d’un air singulièrement satisfait. Il était jaloux de Mortimer, et, s’il est une passion implacable, c’est la jalousie de la vieillesse vaincue.

— Bien ! bien ! bien ! dit-il par trois fois, je me charge désormais de tout, et j’ose vous promettre que justice sera faite.

— À présent, murmura John Box, il faudrait, je pense, tirer au clair la question du baptême, et savoir…

— Plus tard ! plus tard ! s’écria-t-on.

— Mon opinion est qu’il faut profiter de notre réunion, dit le président Fitz-Roy, pour aviser au moyen de réparer notre échec d’aujourd’hui… James Sullivan, messieurs, en définitive, est-il bien le candidat qu’il nous faut ?

— Non, non, non ! répondit l’assemblée en chœur.

Sur ce point, il n’y eut qu’un avis.

Le comté de Galway demandait à être représenté d’une façon glorieuse, et chacun s’accordait à convenir que Sullivan était tout au plus une médiocrité. Mais qui mettre à sa place ? Ici vingt opinions surgirent.

Le bon avocat Picklock insinua qu’un membre du barreau offrirait naturellement plus de garanties du côté de l’éloquence.

Le procureur O’Kir déclara que la connaissance des affaires était le principal mérite d’un député…

Le docteur Fitz-Roy donna à entendre que l’exercice de la profession médicale impliquait une profonde science du cœur humain. Et quoi de plus nécessaire à un législateur que la connaissance des hommes ?

Knife, le chirurgien, qui n’était pas à cela près d’un calembour, prétendit que sa spécialité lui permettait à tout le moins de tailler dans le vif et de trancher les questions nettement, ce qui fut trouvé médiocre.

L’architecte, le professeur, le bailli, le banquier, les marchands et tous ceux qui pouvaient prétendre à quelque influence, suivirent rondement cet exemple et se mirent en avant.

Quand on compta les suffrages, chacun de ces gentlemen eut sa voix ; quelques-uns allèrent jusqu’à deux voix ; l’alderman Frown eut trois voix, à cause de sa charge.

C’était là une position brûlante ; la loge supérieure bavardait sur un volcan. Il fallait en effet s’expliquer, et toutes ces prétentions personnelles, se heurtant de front, devaient amener une rude mêlée.

La fougueuse opposition des deux révérends écarta tout d’abord le banquier Bullion, parce qu’il était soupçonné de puséisme.

Le banquier Bullion mit son veto à l’élection du procureur O’Kir, parce que cet homme de loi était notoirement anabaptiste.

Algernon Knife, le chirurgien, était dissident ; l’avocat faisait partie de la secte des non-conformistes ; le sous-bailli Munro était quelque peu presbytérien ; le bailli Payne frayait avec des quakers.

Puis venaient de ces sectes sans nom que l’absence d’unité multiplie, et qui arrivent de plein pied au grotesque. Le père du professeur Hull avait été durant soixante ans un membre fidèle de l’Église établie, puis un beau jour il avait lu sa Bible de travers. De ce moment, il accomplit son petit schisme ; son fils, le professeur Hull, était hulliste.

Il y avait des brownistes, ainsi nommés de

Brown, meunier du comté de Clare, qui fonda, vers le commencement de notre siècle, cette secte importante. Il y avait les berristes, partisans du bachelier Berry, qui se faisait fort de rebâtir les doctrines d’Arius.

Chacun avait sa petite croyance, sa secte close, qui ne ressemblait point à la secte de son voisin, et où il était chez lui comme derrière son mur. Dans cette assemblée qui, au premier abord, avait une physionomie tout anglicane, on n’eût trouvé réellement que deux anglicans purs, qui étaient grassement payés pour cela : John Box, doyen de Saint-Pierre, et le vicaire Peter Proot.

Encore les deux révérends étaient-ils gravement en dissidence sur plus d’un point important : John Box voulait, entre autres choses, que le baptême fût donné exclusivement à l’aide d’eau de puits ou de fontaine, et Peter Proot soutenait que l’eau de mer était le liquide le plus propre à conférer ce sacrement.

Un jour on avait cru à la possibilité de paix entre les deux dignes clergymen. Box faisait une concession. Il proposait de se réunir à l’avis de Peter Proot si ce dernier voulait faire distiller son eau de mer. Mais le vicaire avait pour lui des textes accablants ; il dut être inflexible…

Durant une demi-heure, l’assemblée orangiste fut livrée à la confusion des langues. Tout le monde parlait à la fois et parlait pour soi ; personne ne voulait écouter ni entendre. Enfin tous les membres de la loge supérieure s’étant exclus mutuellement et fraternellement, la paix fut faite.

Méthodistes, anabaptistes, presbytériens, dissidents, non-conformistes, puséistes, quakers, brownistes, berristes et hullistes décidèrent qu’ils n’étaient bons à rien et réunirent de nouveau leurs voix sur James Sullivan, mais avec cette restriction que Sullivan devrait s’engager par acte authentique à voter dans le sens des opinions de la loge supérieure. Or Dieu sait si c’était là une œuvre facile ! Si absurde que soit une opinion, il est possible de s’y conformer ; mais la loge supérieure avait autant d’opinions absurdes que de membres.

— Il faut le faire signer, dit le procureur O’Kir, signer bel et bien !

— Et corroborer sa signature ; ajouta le révérend John Box, par un bon serment sur la Bible !

Il ne faut pas abuser des serments !… fit observer le révérend Peter Proot.

Ceci était un des mille casus belli qui tombaient entre les deux clergymen chaque journée.

Mais la voix générale se mit au-devant de leur courroux.

— Il signera, criait-on ; il signera et il jurera ! et il déposera une bonne somme qui sera sa caution !

On battit des mains à cette dernière idée.

— Il promettra, dit le bailli Payne, de provoquer la mise en accusation de Robert Peel, dès la prochaine session.

— C’est peut-être bien fort, objecta Crackenwell qui n’avait point parlé jusque-là.

— C’est à peine assez fort ! riposta aigrement l’avocat Picklock. Robert Peel a parlé dernièrement du barreau dans des termes que je ne veux pas qualifier… c’est un abominable traître !

— C’est l’ennemi mortel de la suprématie protestante, dit John Box d’une voix creuse. Il est vendu à Satan !

— Que n’a-t-il pas fait dans cette année maudite ! reprit le hulliste Hull. Il a soufflé à la chambre des lords cet arrêt infernal qui a remis O’Connell en liberté…

— Il a proposé le bill de Maynooth ! gronda le révérend Proot.

— Il a proposé le bill des collèges ! appuya le révérend Box.

— Il nous a renvoyé Mortimer avec le grade de major !…

— Pour nous humilier et se moquer de nous !…

— Il s’est fait l’allié des whigs !

— L’allié des whigs et des papistes ! Wellington et lui partagent avec O’Connell la rente du Repeal !…

Il y eut un tonnerre de bravos à ces dernières paroles.

Puis le révérend Box poursuivit :

— Sullivan signera l’engagement d’exiger le rétablissement des dîmes ecclésiastiques.

— Et le rappel de l’émancipation catholique, ajouta Peter Proot.

— Ceci est la moindre chose, opina l’assemblée tout d’une voix.

— Au cas où Mortimer parerait la botte que nous allons lui porter, dit Brazer, Sullivan devra s’engager à le faire destituer ignominieusement.

— Et à le dénoncer au gouvernement de la reine !

— Et à le faire pendre !

On en arrivait là toujours.

— Il signera l’engagement, reprit le procureur O’Kir, de maintenir notre code pénal, au moyen duquel nous bridons encore un peu ces coquins de papistes !

— Il signera l’engagement de porter au pouvoir un ministère entièrement composé d’orangistes !

C’était le bon Mac-Foote qui venait de faire cette superbe motion. On faillit le porter en triomphe.

L’assemblée, de plus en plus échauffée, trouvait sans cesse des clauses nouvelles à joindre au cahier des charges du malheureux candidat James Sullivan. Elle demandait la tête d’O’Connell, la tête des principaux partisans du Repeal, la tête de Percy Mortimer, la tête des ministères de la reine et une quantité d’autres têtes ; tout cela en buvant du thé que versaient de vieilles servantes à la mine discrète et respectable. Ils parlaient de sang et de gibet tout bonnement et à petites gorgées ; ils enterraient les personnages les plus illustres du royaume avec la même innocence qu’ils eussent mise à faire leur partie quotidienne de whist ou de backgammon.

La chambre où ils se trouvaient était à quelques pieds au-dessous du sol de la rue ; les fenêtres en étaient fermées hermétiquement, et des lampes y brûlaient pour suppléer à la lumière du jour. Enfin il y avait dans le choix de ce local une affectation de mystère qui cadrait parfaitement avec les momeries de la salle des épreuves. Tout Galway savait que les orangistes s’assemblaient en ce lieu ; leur secret était, dans toute la rigueur du terme, le secret de la comédie.

Or Galway, ce jour-là, était ivre et en train de s’amuser. Au moment où la réunion orangiste arrivait à son plus haut point d’intérêt ; au moment où l’on tuait O’Connell, Robert Peel et bien d’autres, de rudes coups retentirent contre les volets qui fermaient les fenêtres. Un silence profond se fit dans la salle.

Joshua Daws, que cette farce avait d’abord diverti, se prit à regretter sa curiosité. Il regarda autour de lui et vit tous ces honnêtes visages de bourgeois devenir affreusement pâles.

Mac-Foote tremblait tant qu’il pouvait, les deux révérends étaient jaunes de frayeur. Les autres s’interrogeaient de l’œil, guettant une parole rassurante, et n’obtenant qu’un silence épouvanté.

Les coups redoublaient au dehors ; à leur fracas retentissant se mêlaient de confuses clameurs. Il y avait évidemment une innombrable foule rassemblée devant la maison.

— Si nous nous en allions ?… dit le juge Mac-Foote.

— Il n’y a qu’une issue…, répondit le bailli Payne.

Toutes les têtes se courbèrent. Les volets de bois craquaient. On pouvait suivre aisément les progrès de leur destruction, et le moment approchait où ils allaient tomber, brisés, au dedans de la salle souterraine.

Le colonel Brazer se leva et remit sur la table sa tasse de thé commencée.

— C’est un siége ! murmura-t-il, un siége en règle !… Avons-nous des armes ici ?

— Nous avons les poignards des épreuves, répliqua Munro d’un ton plaintif ; nous avons des piques égyptiennes et des épées de bois…

Un long gémissement suivit cette réponse. Joshua Daws commença à trembler pour sa vie.

— Il faut au moins faire bonne contenance, reprit le vieux soldat ; ces coquins de papistes auront autant de peur que vous… et il ne s’agit souvent que de montrer des armes pour n’avoir pas besoin d’en faire usage… À défaut de pistolets et de fusils, messieurs, je vous invite à faire comme moi et à prendre ce que nous trouverons.

Personne n’eut le cœur de répondre. Brazer saisit une lampe et se fit suivre par les deux vieilles servantes, plus mortes que vives. Il se rendit dans la salle des épreuves. La lumière de la lampe éclaira un pêle-mêle de cordages et de poulies, de vieux tableaux, des miroirs et un amas poudreux de décorations théâtrales. C’était l’attirail complet servant à produire ces illusions d’optique qui procuraient de si profondes émotions au pauvre juge Mac-Foote. Brazer prit sans choisir des coutelas de fer-blanc, des piques dorées et des épées de bois, puis il revint dans la salle des séances. Les malheureux orangistes étaient aux abois, les volets ne tenaient plus, et à travers leurs ais à demi brisés on entendait les sauvages clameurs de la foule.

Et la foule criait :

— À mort ! à mort !…

Les deux révérends avaient ouvert leur Bible et récitaient des textes au hasard.

Parmi les autres membres de l’assemblée, les uns se tordaient les mains en criant au secours, les autres s’étaient jetés à genoux et donnaient leurs âmes à Dieu.

Brazer leur fit un petit discours militaire et parvint à les relever un peu. Il distribua tant bien que mal ses armes de parade, et réussit à ranger ses soldats en ligne au-devant des fenêtres. Ils n’étaient pas absolument disposés à vendre chèrement leur vie, mais ils avaient désormais une velléité de faire bonne contenance, afin d’essayer au moins d’effrayer l’ennemi.

Le juge Mac-Foote tremblait au premier rang. Il avait une grande pique égyptienne dont le bois peint était tout couvert d’hiéroglyphes. O’Kir brandissait un poignard de fer-blanc épouvantable à regarder ; Munro, Payne, le professeur hulliste, le médecin et le banquier avaient de grandes et belles épées de bois.

Tout cela présentait un aspect singulièrement belliqueux.

— Éteignez les lampes ! dit Brazer.

Les vieilles femmes soufflèrent les lumières et s’enfuirent en hurlant.

L’instant fatal approchait. Les volets, mis en pièces, tombèrent à l’intérieur avec fracas. Tous les membres de la loge supérieure de Galway fermèrent à la fois les yeux et attendirent la mort. La foule vociférait d’affreuses menaces, mais personne n’entrait dans la salle basse. Les malheureux orangistes, qui n’osaient point ouvrir les yeux, s’étonnaient de cet instant de répit ; ils n’entendaient point le son des souliers de bois sur le plancher de la salle, et nul assiégeant n’avait encore fait irruption dans le lieu sacré de leurs assemblées.

Mais en ce moment un bruit inexplicable se fit, et les orangistes sentirent à leurs pieds une subite fraîcheur.

Les plus hardis ouvrirent les yeux. Ils virent devant les soupiraux des figures grimaçantes qui se démenaient en clamant. La sensation de froid gagnait, gagnait et montait le long de leurs jambes. Le bruit inexplicable continuait de se faire entendre, et les pauvres orangistes, se croyant le jouet d’une illusion, voyaient comme une brillante cascade écumer et se précipiter par leurs fenêtres forcées.

— Ils veulent nous noyer ! s’écria Brazer.

Un immense éclat de rire répondit du dehors à cette exclamation, et la cascade redoubla de vigueur.

En même temps des jets de pompe, roides et admirablement dirigés, pénétrèrent dans la salle souterraine. Avant que les orangistes eussent pu se reconnaître, ils eurent de l’eau jusqu’à l’estomac.

Alors ce fut une déroute plaintive ; les malheureux s’élancèrent tous à la fois vers la porte de la salle des épreuves que Brazer avait eu la précaution de barricader, pour se mettre à l’abri au moins de ce côté.

Au dehors, la foule riait, se pâmait et poussait d’impitoyables huées.

Une chaîne qui rejoignait le puits voisin alimentait la cascade sans cesse. Les pompes, servies par le roi Lew et ses redoutables matelots, jouaient sans relâche, et dans la salle l’eau montait, montait toujours. Les plus petits perdaient plante ; le juge Mac-Foote se mit à nager ; les deux révérends barbotaient à l’envi, sans plus se soucier de disputer sur l’eau de mer et l’eau de puits.

C’était la plus belle et la plus complète épreuve qui eût jamais eu lieu pour les initiés de la loge supérieure. Quand la porte s’ouvrit enfin, il n’y avait pas un adepte qui ne fût à la nage.

L’eau s’écoula par cette large voie, la foule des malheureux orangistes s’échappa de même par cette issue, pataugeant, se poussant et blasphémant comme si elle n’eût point été composée de saints devant le Seigneur. Il y avait dans le cœur de tous une sourde colère. Brazer écumait et grinçait des dents.

Tandis qu’il rentrait dans sa maison, poursuivi toujours par les huées de la foule, il se disait :

— Que Dieu me damne ! ce misérable Percy payera pour tout cela !…