La Révolte des Passements

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La revolte des Passemens.

1661



La Revolte des Passemens1.
À Mademoiselle de la Trousse2.

Belle et sçavante de la Trousse,
Mon humeur aujourd’huy me pousse
De vous decrire les combats,
Les regrets et les embarras,
Les retraittes et les tuëries
De mesdames les Broderies,
Des inutiles ornemens,
Des Poincts, Dentelles, Passemens,
Qui, par une vaine despence,
Ruinoient aujourd’huy la France,
Leurs vains efforts et le depit
Qu’elles conceurent de l’edit
Lequel, l’an mil six cent soixante3,
Rendit chacune mecontente ;
De plus, leurs imprecations,
Leurs belles resolutions,
Les desseins de chacune d’elles,
La conversion des Dentelles,
Qui vouloient par devotion
S’enfermer en religion,
Lors qu’une pauvre malheureuse,
Qu’on appelle, dit-on, la Gueuse4,
Sans en craindre le dementy,
Leur fit prendre un autre party,
Où, dès lors qu’elles consentirent,
Bientost après se repentirent
De s’estre mises au hazard ;
Mais il estoit desjà trop tard.
Et, pour punir leur entreprise,
Je crois qu’une telle sottise
Meritoit, comme on fit aussy,
Que l’on leur fit crier mercy.

Il estoit environ les cinq heures du soir lorsque les Broderies, les Points et les Dentelles entendirent parler de la defense des Passemens. Vous pouvez vous imaginer leur surprise, après l’eclat où elles s’estoient vües à l’Entrée, et combien elles se plaignirent de la Fortune de ne les avoir elevées jusqu’au trône que pour les precipiter dans la boüe. Aussi-tost que cette fascheuse nouvelle fut divulguée partout et que le bruit universel luy eust donné une entière croyance, on ne rencontroit plus dans les ruës que des Broderies en carrosse, qui se plaignoient les unes aux autres ; que des Poincts qui dans leur affliction ne prenoient pas seulement la peine de se mettre en linge blanc, et que des Dentelles qui, d’elles-mêmes, s’efforçoient de quitter la toile d’où elles devoient bien-tost estre separées. Il y avoit desjà quelques jours qu’elles deploroient leur malheur, lorsque le Poinct de Gênes, se trouvant dans la compagnie du Poinct de Raguse, du Poinct de Venise5, et de quelques autres, se plaignit en cette manière :

C’est aujourd’huy, noble assistance,
Qu’il faut abandonner la France,
Et nous en aller bien et beaux,
Pour n’estre pas mis en lambeaux.
Ne croyez pas que je me rie ;
Il faut revoir nostre patrie,
À mon gré fort pauvre ragoust,
Pour estre le baille-luy-goust
D’un mary de qui l’œil sevère
Redoute toujours l’adultère,
Ou nous serons mis en prison
Dans quelque maudite maison.
Et toi, pauvre Poinct de Venise,
Tu dois craindre pour ta franchise,
Et que t’en retournant sur mer,
Par un malheur bien plus amer,
Un corsaire, ou bien pis encore,
Ne te traitte de Turc à More ;
Que peut-estre dans le serrail,
Où le jour par un soupirail
Vient le long d’une sarbatane,
Tu ne serve à quelque sultane,
Qui peut-estre, pour ton malheur,
Sera femme du Grand-Seigneur.
Encor si ce coup de tonnerre
Nous fût venu durant la guerre6,
Peut-estre, ma foy, qu’en ce cas
Je ne m’en tourmenterois pas :
En retournant dans ma patrie,
J’eusse fait quelque menterie,
J’eusse dit quelque fausseté,
Que c’eust esté la pauvreté
Et le manquement de finance
Où chacun avoit veu la France
Qui m’eut fait revoir mon pays ;
Et du Danube au Tanaïs,
On auroit cru, par ma sortie,
Que j’eusse quitté la partie,
Au lieu que l’on voit clairement
Que nous sortons honteusement.
Encor pour vous, Poinct de Raguse,
Vous qui n’estes pas une buse,
Il est bon, crainte d’attentat,
D’en vouloir purger un estat.
Les gens aussy fins que vous estes
Ne sont bons que, comme vous faites,
Pour ruiner tous les estats ;
Mais pour nous autres Poincts, hélas !
Et vous, Aurillac ou Venise,
Si nous plions nostre valise,
Et si l’on nous presse si fort,
C’est, je vous jure, bien à tort.

Les autres parlèrent à leur tour à peu près aussi douloureusement que le Poinct de Gênes, lorsque, d’un autre costé, les Broderies ayant esté rendre visite aux Dentelles d’Angleterre, une vieille Broderie d’or, qui avoit desjà veu un autre decry, et qui, ne sçachant plus que devenir, s’estoit mise en tour de lit et puis avoit esté employée à la housse d’un cheval à l’entrée de la Reyne, s’efforça de consoler ses compagnes, en leur parlant de la sorte :

Sans faire la petite bouche
Il est vray, ce decry me touche,
Et m’attaque aussy fort les sens,
Comme à vous autres, jeunes gens :
Car, dites-moi, je vous en prie,
Poinct, Dentelles ou Broderie,
Qu’aurons-nous donc fait à la Court,
Pour qu’on nous chasse haut et court,
Nous par qui la noble jeunesse,
Meprisant toujours la bassesse,
N’avoit point d’autre passion
Que la gloire et l’ambition,
Pour nous seules faisant depence,
Vivoit quasi dans l’innocence,
Et ne faisoit, faute d’escus,
Que fort peu de maris cocus,
Au lieu qu’estant dans l’opulence,
Elle en repeuplera la France ?
Mais ces discours sont superflus :
Mes compagnes, n’y pensons plus,
Et, sans en deviner la cause,
Soyons desormais autre chose,
Et, dans un semblable conflit,
Faisons nous toutes tour de lit :
C’est une agréable corvée ;
Pour moy, je m’en suis bien trouvée.
Là, mille et mille serviteurs
Y viennent compter des douceurs,
Et j’y ai veu plus d’une duppe
Aussi bien que quand j’estois juppe.

Là-dessus, une grande Dentelle d’Angleterre, prenant la parole, dit :

Compagnes, mes chères amies,
Après toutes ces infamies,
Qui doivent bien crever le cœur
À toutes Dentelles d’honneur,
Cette infortune sans seconde
Me fait bien renoncer au monde,
Et me fait connoître assez bien
Que l’éclat du monde n’est rien,
Ce n’est qu’un vent, qu’une fumée
Eteinte plustost qu’allumée,
Et qui, dans chaque occasion,
Se changent en illusion ;
Ses faveurs ne sont que des songes.
Hélas ! qui peut de ces mensonges
Vous rendre compte mieux que moy ?
J’habitois la maison du roy,
J’ai veu toutes ces momeries,
Que l’on nomme galanteries
Au royaume des beaux esprits.
J’ai veu ceux qui gagnent le prix :
Ces grands debiteurs de fleurettes,
Souvent caboches très mal faites,
Debitent d’un air surprenant
Des mensonges à tout venant.
Vous autres, belles Broderies,
Vous avez de ces menteries
Entendu, je pense, ma foy,
Peut-estre dix fois plus que moy ;
Mais encor que cela deplaise,
Je les entendois à mon aise ;
Car peut-on, sans ces deplaisirs,
Satisfaire mieux ses desirs
Que de passer toute sa vie
Dans des lieux qui feroient envie
Aux esprits les plus delicats,
Demeurant tantost sur les bras,
Tantost sur la gorge charmante
De Philis ou bien d’Amaranthe ?
Quel plaisir de toucher à nu
Un beau sein tout nouveau venu !
De baiser les lys d’un visage
Non terni par l’excès de l’age !
De toucher l’embonpoint d’un bras !
Mais à tous ces plaisirs, helas !
Je decouvre bien du meconte.
Un edit nous comble de honte,
Mon cœur en est tout abattu.
Mais quoy ! mon cœur, faisons vertu
Des necessités de la vie,
Et, prenant desormais l’envie
De renoncer à ce plaisir,
Que pourrions-nous, icy, choisir
Qui nous pût estre convenable,
Ou qui pût estre comparable,
Pour ne plus tourner à tout vent,
Comme d’entrer dans un couvent ?

C’estoit assez bien raisonner, ce me semble, pour une Dentelle qui venoit d’un païs où la liberté de conscience n’est pas permise ; et je trouve que pour le peu qu’elle avoit habité en France, qu’elle n’y avoit pas fait un petit progrès. Sa harangue entra si avant dans l’esprit de ses compagnes et les persuada si fortement, qu’elles ne songèrent plus à leur liberté, et qu’elles ne pensèrent plus qu’à faire un bon usage de leur disgrace. Mais les Dentelles de Flandre, ne pouvant pas souffrir une si rude reforme, se contentèrent d’obeir seulement à la rigueur des lois et de se cacher pour jamais aux jeux des hommes. Pour cela elles acceptèrent un party que l’on leur vint offrir de la part des filles ; et, comme elles avoient toujours lié une etroite amitié ensemble, elles ne purent se resoudre de les abandonner, et quelque chose que l’on put dire pour les en detourner ne leur put faire changer la resolution qu’elles avoient prise de se mettre au bas de leurs chemises, quoiqu’on les eût averties que, si ..... qui veut entièrement purger l’Estat de toutes ces superfluitez, les y trouvoit, pour la première fois, on ne repondoit pas de ce qui en arriveroit ; mais que, s’il les y rencontroit pour la seconde fois, elles devroient s’asseurer qu’il les feroit mettre en pièces. Tout cela ne leur put faire changer de pensée ; ce fut plus-tost un aheurtement qu’une resolution, et il n’y eut que le dessein d’estre rebelles quy leur put faire abandonner celuy qu’elles avoient pris de se loger en un poste si avantageux, où elles croyoient estre à l’abry des insultes et des insolences des hommes. Pour les Broderies, elles en voulurent faire chacune à leur teste. La lesine en fit resoudre quantité de devenir ameublements ; d’autres, plus pieuses, prirent dessein de s’employer aux chasubles et aux devants d’autel des eglises. Mais celles qui avoient vieilli parmi les divertissements, ne pouvant pas faire si tost de necessité vertu, resolurent de s’employer aux habits de mascarades, esperant qu’en cet equipage elles pourroient encore estre de tous les plaisirs de la Cour, et se trouver quelquefois aux bals, aux balets, aux comedies et à tous les divertissements du carnaval.

La Dentelle noire d’Angleterre se loua à bon marché à un giboyeur pour lui servir de filets à prendre des becasses dans les bois ; à quoy elle se trouvoit assez propre, dans l’habit où la mode l’avoit mise depuis peu.

Tous les Poincts resolurent de s’en retourner en leurs païs, excepté le Point d’Aurillac, qui fit plus de difficulté que les autres, craignant qu’aussy tost qu’on le verroit de retour, on ne l’employa à passer les fromages d’Auvergne, dont la senteur lui estoit insupportable, après avoir gousté la civette, le musc et l’eau de fleurs d’orange, dont il estoit arrosé tous les matins dans Paris, soit que ce fut pour corriger l’odeur de quelque gousset ou quelque sueur trop aigre, ou pour attirer les amans, comme on amorce les pigeons d’un colombier.

Chacun, dissimulant sa rage,
Doucement plioit son bagage,
Resolu d’obeir au sort,
Ne se voyant pas le plus fort,
Lorsqu’une petite rusée,
Leur donnant une autre visée,
Leur fit bien, dessus ce sujet,
À toutes changer de projet.

Cette petite revoltée s’appeloit la Gueuse, qui arriva d’une petite ville autour de Paris, qui s’en vint comme une enragée faire un vacarme epouvantable ; elle leur dit, quoy qu’elle ne fut pas de si bonne maison, qu’elle avoit le cœur aussi bien placé qu’une autre, et que, quand elle seroit toute seule de son party, elle ne souffriroit pas que de semblables injustices demeurassent impunies ; qu’elle ne sçavoit pas quel refuge elles avoient decidé de prendre, mais que, pour elle, elle n’avoit pas assez d’esprit pour decouvrir où elle pourroit se retirer, puisqu’on ne lui offroit pas même une place à l’hospital ; que, si on la vouloit croire, elle engageoit sa chaînette qu’elle les remettroit toutes dans leur eclat ; qu’au reste, elles ne doivent pas estre si degoustées que de ne vouloir faire alliance avec elle ; qu’elle avoit eu pour le moins d’aussi beaux emplois que les autres, et que, si on s’estoit servi d’elles pour le faste et pour eblouir les yeux, que, pour sa discretion, on lui avoit confié les plus grands secrets des dames.

Tout ce discours rempli d’audace
Fit regarder chacun en face ;
On fut un temps sans dire mot,
Chacun croyant estre un grand sot ;
Puis, rompant ce morne silence,
Chacun, pour dire ce qu’il pense,
Voulant parler à haute voix,
Tous commencèrent à la fois ;
Ce qui causoit un grand vacarme.
Mais après, de crainte d’allarme,
On appaisa tout ce grand bruit ;
Et, comme il estoit desjà nuit,
Chacun, se retirant d’emblée,
Prit lors congé de l’assemblée,
Et, se frappant dedans la main,
Toutes dirent qu’au lendemain
Elles s’assembleroient encore
Dès qu’on decouvriroit l’aurore
Se montrer dessus l’horizon,
Toutes, dedans quelque maison,
Afin de voir plus net qu’un verre
Tous les accidens de la guerre ;
Que la nuit il faudroit resver
À ce qui pourroit arriver.
Cependant ils remercièrent
Madame Gueuse, et la prièrent,
Dedans des accidents pareils,
De leur fournir de ses conseils.
Ainsi finit, comme je pense,
Cette agreable conference.

C’estoit une chose assez agreable à mon gré d’entendre des Dentelles discourir de la guerre, raisonner sur toutes ses difficultez, en prevoir toutes les disgraces, et parler en leur langage sur tous les evenements d’une chose si douteuse. Le lendemain, un Passement qui estoit accoustumé à ne point dormir, pour avoir servy depuis dix ans à la coëffe du bonnet de nuit d’un vieux jaloux, les alla esveiller deux heures plus matin qu’on avoit arresté, et elles se trouvèrent toutes, comme elles s’estoient donné le mot, au logis de Perdrigeon7, croyant que ce devoit estre un lieu de seureté pour elles ; mais elles rencontrèrent la place occupée par les Rubans, qu’elles trouvèrent si bouffis d’orgueil de n’estre pas compris dans l’edit, qu’ils en estoient insupportables, si bien que, ne voulant pas avoir de commerce avec de telles gens, qu’elles ne prenoient que pour des esclaves ou des foux que l’on ne laisse jamais sans estre liez, que la superfluité avoit mis en credit seulement depuis le règne de Louis XIII, et qui ne passoient auparavant que pour des noüeurs d’aiguillettes, à qui on faisoit mettre bien souvent les fers aux pieds, comme à des criminels, elles s’assemblèrent toutes au Vase d’Or, dans la ruë Saint-Denis, où on les receut à bras ouverts.

Là, chacun, parlant à sa teste,
Raisonnoit ainsi qu’une beste ;
Un autre, se tenant debout,
Vouloit mettre son nez partout ;
Tel qui proposoit une affaire
Aussy-tost conclut le contraire ;
L’autre, faisant le rafiné,
Se tourmente comme un damné ;
L’autre, de tout faisant mystère,
Parle, raisonne, delibère.
Enfin, pour le dire inter nos,
Ce n’estoit du tout qu’un cahos.
Mais cependant, foy de Dentelle,
Disoit, pour temoigner son zèle,
Un grand Cravate fanfaron8,
Il nous faut venger cet affront ;
Revoltons-nous, noble assemblée :
J’en ai l’ame trop bourrelée.
Et dit, en jurant par la mort :
Voyons qui sera le plus fort.

Vous pouvez vous imaginer facilement combien ce discours chatoüilla l’oreille de la Gueuse, qui n’aspiroit qu’à la revolte et la sedition. Quelques unes remontrèrent toutes les difficultez qu’il y avoit dans une semblable entreprise, veu que, n’etant plus en credit, elles manqueroient de toutes les choses necessaires ; mais ce doute fut bientost levé par un Poinct, qui asseura qu’il trouveroit credit de deux millions dans Paris, et peut-estre davantage, si on pouvoit voir quelque jour leur entier retablissement.

Il n’en fallut pas davantage
Pour leur augmenter le courage.
Là-dessus, le Poinct d’Alençon,
Ayant bien appris sa leçon,
Poinct qui sçavoit plus d’une langue,
Fit une fort belle harangue,
Remplie de tant de douceurs,
Qu’elle ravit, dit-on, les cœurs.
Chacun temoignoit sa furie,
Lorsque de la Coutellerie
Il leur vint, par un coup du sort,
Dit-on, un très puissant renfort :
C’estoient Mesdames les Espées,
Encor presque toutes trempées
Du noble sang des ennemis.

Ces Espées, après que le port d’armes fut defendu, plus tost que de demeurer inutiles, s’estoient resolües de se raccourcir, c’est-à-dire les Couteaux de devenir couteaux de poche, et les Escotades de se changer en bayonnettes ; et, pour en venir du projet à l’execution, elles s’en alloient toutes ensemble à la Coutellerie, lorsqu’entendant parler de la revolte des Passemens, elles changèrent bien tost de dessein et se resolurent de leur aller offrir leur service. Vous pouvez vous imaginer si on les receut favorablement et si on fit leur composition avantageuse. Premièrement, on leur promit que, si le parti demeuroit victorieux, pas une de toutes celles qui se seroient employées pour leur service ne pendroit plus qu’à des baudriers en broderie ; qu’on les feroit toutes damasquiner à la mode, et qu’elles ne coucheroient plus que dans des fourreaux parfumés. Les Poincts mesme leur promirent, de leur part, de les mettre en si haut credit auprès des dames, qu’elles passeroient desormais, aussi bien que les plumes, pour l’ornement le plus surprenant et le plus avantageux pour leur plaire.

On dit que quelqu’une d’entre elles,
Qu’on disoit venir du Marais,
Leur apprit aussi des nouvelles
De leurs amis les Pistolets.
Tout aussi-tost, de haute lute,
À l’instant même l’on depute
Vers ces ennemis de la paix ;
On les asseura desormais,
Quelque chose qui pût leur plaire,
Tout au moins de les satisfaire ;
Que, s’ils aidoient à les venger,
Et les tiroient de ce danger,
Pour plus grande reconnoissance,
On ne les chargeroit, en France,
Qu’avec des poudres de parfum,
Et quelques anis de Verdun.

Il ne fallut pas grande eloquence pour persuader les Pistolets d’accepter un semblable party. La misère où ils estoient les y fit bien-tost resoudre ; et, comme ils ne voyoient aucune ressource d’autre part, ces propositions leur eblouissant les yeux, ils promirent de faire merveille, ce qui remit le cœur au ventre de bien des Poincts et de bien des Broderies, qui n’auroient autrement accepté la guerre qu’à ecorche-cul. Combien vit-on après cela de Dentelles qui se faisoient toujours blanches de leurs espées ! Pour s’exciter les unes les autres, elles se racontoient les occasions perilleuses où elles s’estoient rencontrées. Telle Dentelle de Flandre disoit avoir fait deux campagnes sous Monsieur le Prince, en qualité de Cravate ; une autre se vantoit d’avoir appris le mestier sous Monsieur de Turenne ; une autre racontoit comment elle avoit esté blessée au siége de Dunkerque, et que, s’il n’y paroissoit plus, c’estoit qu’elle s’estoit fait penser sur le metier. Il se trouvoit mesme une grande Garniture toute entière de Poinct de Raguse qui disoit avoir appris le mestier sous Monsieur de Candale9, lors qu’il commandoit en Catalogne. Enfin on entendoit raconter partout un nombre infini de belles actions. Il n’y en avoit presque pas une qui ne se fût rencontrée à quelque siége, à la journée d’une bataille, et qui n’eust du moins fait deux ou trois campagnes ; et telle Broderie qui n’avoit jamais esté plus loin que du fauxbourg Saint-Antoine10 au Louvre racontoit mille beaux exploits qu’elle avoit faits, tantost sous un tel capitaine, et tantost sous un autre chef.

Ainsi souvent les ridicules,
Rencontrant des esprits crédules,
Se vantent de mille beaux faits,
Et, pour que chacun les honore,
Leurs testes, dignes d’hellebore,
Racontent des combats qu’ils ne virent jamais.

Ce n’est pas une chose rare dans le monde que ces sortes d’extravagances. Combien voyons-nous tous les jours de ces braves jusqu’au degainer ! Combien de ces gens qui se font tenir à quatre, pourveu qu’il y ait quelqu’un pour les separer, et qui ne parlent que de mettre sur le carreau, de casser les jambes et d’abattre un bras, pourveu qu’ils aient perdu l’ennemi de veüe ! Nos Passemens en firent bien de même lors qu’ils virent le renfort des Espées et des Pistolets ; jamais on ne vit de plus grands rodomonds. Une Dentelle d’Angleterre s’ecria là-dessus :

Qu’aurons-nous donc à redouter,
Puisque la Cour reste sans armes ?
Je crois qu’il ne faut pas douter
Qu’elle ne fasse un beau vacarme ;
Mais sans que sa fureur nous donne aucune allarme,
Il la faudra laisser pester.

Cette Dentelle s’imaginoit qu’elle n’avoit plus à craindre que quelque hallebarde ou quelque pertuisanne, dont les coups passeroient d’outre en outre sans l’offencer. Le Poinct de Gênes, qui avoit le corps un peu plus gros, dit qu’il ne s’en mettoit gueres en peine, et qu’il feroit faire des caisses à l’épreuve de la pique et du baston à deux bouts. La Broderie, étant faite en chemise de mail, se mit à siffler quand elle entendit parler de toutes ces difficultez, si bien qu’on ne vit jamais de gens si braves, parce qu’elles s’imaginoient n’avoir plus rien à redouter. Là-dessus il leur vint encore un autre avis, que, pour quelque desordre, on vouloit defendre les mascarades ; ce qui n’encouragea pas peu les Broderies, tant à cause qu’elles voyoient leur beau dessein renversé, que parce qu’elles s’imaginoient que cela renforçoit leur party, et qu’elles s’en pourroient servir d’espions dans leur armée, sans qu’on les pût jamais reconnoistre.

Enfin tout estoit résolu,
Et chacun d’eux, hurlu brelu,
Vouloient demeurer sans oreilles
Si tous ne faisoient des merveilles ;
Et, sans presque avoir contesté,
Ils signèrent tous le traitté,
Qui fut depuis mis en lumière,
À peu près de cette manière :

Aujourd’hui, solennellement
Nous jurons, foy de Passement,
Foi de Poincts et de Broderie,
De Guipure, d’Orfevrerie,
De Gueuse de toute façon,
Que nous voulons mettre à rançon
La Cour du Roy, nostre bon sire,
Et que, ce qui sera le pire,
Nous voulons bannir hautement
Le Conseil et le Parlement,
Pour, d’une honteuse manière,
Avoir voulu faire litière
Tant des plus nobles ornemens
Que de nous autres Passemens ;
Qu’il faut que le diable s’en pende,
Ou qu’on les condamne à l’amende ;
Que pour semblables trahisons,
Pour telles et autres raisons,
Voulant toujours aller grand’erre11,
Nous voulons déclarer la guerre,
Et dire partout hautement,
Que, sans un restablissement
Qui fût d’éternelle durée,
La guerre sera declarée
À tous ennemis du repos,
Et que nous casserons les os
À ceux qui voudront entreprendre
Tant seulement de les defendre.
Ce que nous signons tout entier,
Ce dix-huitième janvier,
Tant les nouvelles Broderies,
Comme celles des Friperies,
Tant les Gueuses, les Agremens,
Comme nous autres Passemens.

Le traitté ayant esté signé, on ne songea plus qu’à choisir un poste avantageux pour les trouppes ; mais il s’emeut quantité de difficultez sur ce sujet. Les uns soutenoient par mille raisons qu’il falloit sortir de Paris, parceque, tant que l’on habiteroit avec ses ennemis, il estoit impossible de se garentir de leurs embusches ; que, si l’on faisoit ce pas en arrière, ce n’estoit que pour mieux sauter, et qu’il valoit bien mieux voir venir l’ennemy à soy que de l’avoir de quelque costé que l’on se tourne. Mais une Dentelle, qui avoit autrefois servy à ....., soustint qu’elle sçavoit par experience que de quitter Paris estoit perdre la partie, et qu’il valoit bien mieux s’emparer du terrain et le disputer, que de l’abandonner sans esperance de le prendre puis après d’emblée ; que, de plus, elle sçavoit bien qu’ils ne manqueroient pas de partisans qui leur donneroient tous les jours de nouvelles forces et de nouvelles lumières des affaires ; au lieu qu’estant hors de Paris, on n’en pourroit sçavoir que par des espions ; et que, le regiment des gardes estant tous les jours à l’affut pour les decouvrir, ils en perdroient autant qu’ils en feroient sortir de leur armée.

Il s’emeut encor une seconde difficulté pour sçavoir si on feroit la guerre ouvertement ; si on mettroit d’abord le siége devant quelque place et si on rangeroit tout d’un coup l’armée en bataille, ou bien si on se menageroit d’avantage, si on ne se contenteroit pas de repousser les insultes, et si on ne se mettroit pas plus-tost en estat de faire une retraite honorable que de s’engager tout d’un coup dans des combats dont le seul appareil seroit capable de les espouvanter. On fut encore partagé sur cet article. Les uns soustenoient que c’estoit trop hazarder que de donner bataille tout d’un coup, qu’il estoit difficile que des trouppes qui n’avoient habité que parmi des femmes fussent si tost aguerries, et que, si elles venoient à la perdre, elles seroient perdues sans resource et ne se rallieroient jamais. Les autres soutenoient que les premiers efforts estoient toujours les plus violents ; que tel qui fournissoit bien une carrière n’estoit pas toujours à l’epreuve d’une seconde, et que les cœurs mal aguerris se ralentissoient assez tost ; que la moindre pluie et le moindre mauvais temps les rendroient toutes moles et sans vigueur ; que, ne combattant pas à force ouverte, on les dissiperoit toutes petit à petit ; que deux millions n’estoient pas suffisans pour faire subsister si longtemps une armée si nombreuse, et que, quand leurs finances seroient épuisées, elles ne voyoient pas à qui elles pourroient avoir recours. Comme elles en estoient à toutes ces difficultés, une d’entre elles, dont je n’ay pu sçavoir le nom, les vint avertir qu’elle avoit pratiqué sous main une affaire d’une haute importance, et que, moyennant une somme assez considerable, elle s’estoit renduë maistresse de la Foire de Saint-Germain ; mais qu’il luy estoit defendu d’en ouvrir les portes publiquement jusques au troisième de fevrier, et que cependant il faudroit faire marcher toutes les trouppes et garnir la place de toutes sortes de munitions. Ce dernier advis les emporta tout d’un coup ; on se resolut que l’on demeureroit dans Paris ; que l’on tiendroit toujours l’armée en bataille, de peur d’être surprises ; que l’on feroit tous les jours des sorties considerables, et que par ce moyen on pourroit se menager sans rien craindre. Là-dessus on donna les ordres necessaires à toutes les trouppes, et on ordonna qu’elles fileroient petit à petit, et que, sans faire aucun bruit, elles se rendroient dans la place ; ce qui fut executé ponctuellement jusqu’au troisième de fevrier, auquel jour le generalissime Luxe, avec la Superfluité et le Vain-Orgueil, qui ne l’abandonnoient jamais, leur firent faire la revue et les rangèrent en bataille, comme vous verrez par la suite.

Mais pendant que ce jour viendra,
Abandonnons un peu la prose
Et discourons sur autre chose ;
Parlons de ce qu’il vous plaira.

Par le dieu qui lance les flames,
Dites-moy pourquoy vos attraits
Ne seront-ils faits tout exprès
Que pour faire enrager nos âmes ?

Vous, pour qui cent cœurs, chaque jour,
Souffrent mille cruelles gehennes,
Vous qui causez toutes leurs peines,
Pourquoi n’aurez-vous point d’amour ?

Quoi ! ny le rang, ny le merite,
Le renom, l’esprit, ny le cœur,
À votre inhumaine rigueur
Ne feront point prendre la fuite ?

Vous voyez où je veux aller ;
Et, comme vous êtes très fine,
Je voy que vous me faites signe
Sur ce fait de ne plus parler.

Tout beau ! Muse trop libertine,
Avez-vous l’esprit de travers ?
Mêlez-vous de faire des vers ;
Vous êtes un peu trop badine.

L’ordre ayant été donné de la manière que vous avez entendu, le colonel Sotte-Despence, qui avoit pris soin de la marche, fit arriver les troupes dans la place par quatre costez differens, afin de donner moins de soupçon de leur entreprise.

Lors, comme j’ai veu dans l’histoire,
On vit arriver à la foire,
Sous de différents estendarts,
Des Dentelles de toutes parts ;
Mais, selon l’ordre expediée,
On marchoit enseigne pliée,
Et, pour faire encor moins de bruit,
L’on n’alloit presque que de nuit ;
De peur qu’on ne demande : Qu’est-ce ?
On n’osa pas battre la caisse,
Et chacun alloit doucement,
Tant le Poinct que le Passement.
Qui pourroit nombrer chaque sorte
De ceux qui vinrent par la porte
Qui prend le nom de Luxembourg ?
Combien par celle du fauxbourg,
Et par les autres moins fameuses ?
Combien il arriva de Gueuses ?
Combien il en vint sourdement,
Combien d’autres plus hautement ?
Pour vous en descrire l’histoire,
Toute l’encre d’une escritoire
N’y pourroit pas suffire encor.
Il en vint dont le pesant d’or
N’auroit pas payé leurs dents creuses ;
Il en vint que le plus souvent
On disoit venir du Levant ;
Il en vint des bords de l’Ibère ;
Il en vint d’arrivez naguères
Des païs septentrionaux12 ;
Enfin il en vint des tonneaux,
Tant de mechante, tant de bonne,
Que le seul nombre m’en estonne.

Quand elles furent toutes arrivées dans la foire Saint-Germain, ce fut un desordre et une confusion epouvantable : chacun vouloit avoir le premier rang ; et comme l’ordre et les dignitez n’avoient pas encore esté decidées, n’ayant jamais esté mises sur le tapis, ils se seroient tous egorgés les uns les autres, et les Pistolets, qui faisoient desjà feu, et qui sçavoient un peu mieux la guerre, alloient faire main basse, si le generalissime Luxe, accompagné de sa suite, ne fût venu mettre l’ordre parmi ces trouppes de nouvelles impressions, qui s’imaginoient que pour estre braves il ne falloit que faire du bruit, et jurer deux ou trois morguiennes pour estre aussi bons soldats que les Allemands. Aussitost qu’ils furent arrivez, ils firent tracer deux lignes pour mettre l’armée en bataille, comme ils avoient desjà projetté. On distribua des quartiers à chaque trouppe, et on chercha le poste le plus avantageux et le moins apparent que l’on pût pour l’artillerie, qui estoit composée de trois cens paires de canons à passemens, tous chargés de quartiers de rondache et de chaisnettes de rubans figurés, ce qui devoit faire un fracas effroyable et emporter les regimens tout entiers. Deux cens Cravates volontaires tenoient la campagne et ne cherchoient partout qu’à faire le coup de pistolet. Ensuite on donna l’aile droite à commander au colonel Raguse, composée de six escadrons, chacun de cent cinquante ballots de Dentelles d’Angleterre, Dentelle façon d’Angleterre, et de Moresse13. L’aisle gauche estoit composée d’autant d’escadrons de neiges14, de Rubans figurés et d’Agremens, et tous estoient commandés par le capitaine Orgoglio.

Le corps de bataille estoit de huit bataillons, tous bordez de deux rangs de Piquots en haye, et soutenus par deux autres rangs de Pistolets.

Le premier estoit composé de cinq à six cens Caisses, toutes l’espée au costé, de Dentelles d’or, et commandées par le capitaine Brocard-d’Or, et portoit pour enseigne un Amour deguisé en broderie, avec de grands canons aux jambes et des rubans jusqu’aux bouts de ses souliers, en sorte qu’avec sa petite taille il ne ressembleroit pas mal à un pigeon trapu, avec cette inscription en haut du drapeau : Ingannator di donne, voulant temoigner que les beaux habits et les riches ornemens estaient pour l’ordinaire ce qui surprenoit le plus les femmes.

Le second estoit composé de quatre cens ballots de Dentelles de Flandre, de Dentelles du Havre, et estoit commandé par le colonel Poinct-de-Gênes, ayant pour enseigne la Reyne de Suède, ayant cette inscription : Famosa per omnes terras.

Le troisième contenoit cinq cens tiroirs de Dentelles de soie noire, commandé par le colonel Brocard-d’Argent, et portait dans son chapeau un diable fort leste, fort poudré et fort affeté, à qui bien des gens faisoient accueil, et un autre tout nud, à qui on donnoit des coups de baston, avec ceste devise : Fa ti vestire, voulant dire qu’au siècle où nous vivons, pour estre receu favorablement, il faut être magnifique, et qu’à moins que d’estre leste il ne faut pas pretendre d’estre consideré dans les compagnies.

Le quatrième estoit composé de trois cens grands coffres de Broderies d’or et d’argent, sous la conduite du colonel Somptuosité ; leur drapeau estoit d’une etoffe precieuse et enrichi de broderie fort relevée, avec ces trois ou quatre mots : Et pour le poil et pour la plume, voulant marquer par là que la broderie estoit necessaire pour la guerre, qu’elle servoit à faire reconnoistre les principaux chefs, et qu’elle estoit aussi de grand usage durant la paix pour se donner quelque entrée parmy le monde.

Le cinquième estoit de huit cens ballots de Gueuses, commandé par le capitaine Parcimonia, et portoit une enseigne assez sale et presque toute en lambeaux, où on lisoit à peine ces mots espagnols : No siempre relumbra el coraçon, qui signifioient en nostre langue que le cœur ne se rencontroit pas plus dans les personnes eclatantes que dans celles qui ne faisoient pas un si grand eclat.

La sixième comprenoit quatre cens caisses de Poincts de Gênes, Poincts d’Aurillac, Poincts d’Alençon, Poincts de Raguse, et quelques autres, qui marchoient sous la conduite d’un etranger nommé Poinct-d’Espagne ; leur enseigne estoit de toille de Hollande toute parsemée d’aiguilles et d’espées sans nombre, avec ces mots : De lago alla spada dura passagio, ce qui vouloit peut-estre signifier que pour eux, qui avoient fait à l’aiguille et qui n’habitoient que parmy les femmes, ils estoient difficiles de s’accoutumer aux fatigues de la guerre.

Le septième contenoit douze cens gros paquets de Boutons à queue, tant de canetille que de soie, commandé par le capitaine Agrément, et dans leur enseigne on voyoit la figure d’un homme, l’espée à la main, qui remettoit dans un sac quantité d’argent, dont une grande partie estoit comptée sur une table, avec cette inscription : Si non auro saltem gladio quærenda libertas.

Le huitième estoit composé de cinq cens quaisses de Dentelles escrües, que le lieutenant du colonel Brocard-d’Or commandoit, et l’on voyoit ces mots ecrits : Gia di Vanita, hor di Marte, e siempre serva, se plaignant de ce qu’elles estoient toujours esclaves, ou de Mars pendant la guerre, ou de la Vanité durant la paix.

Quand toutes ces trouppes furent passées, et qu’elles eurent toutes pris leurs postes sur la première ligne, le generalissime donna des ordres pour faire advancer le reste qui devoit composer la seconde ; mais une petite Dentelle d’un pouce, qui avoit quelque correspondance à la cour, vint advertir un grand Passement de Flandre, avec lequel elle avoit eu quelque intrigue, pour lui avoir autrefois servy de pied, que l’on les venoit attaquer avec tous les canons de l’artillerie, et que, s’ils n’abandonnoient ce poste, deux volées seules estoient capables de les foudroyer. Ce bruit, à quoy elles ne s’attendoient pas, passant aussitost de quaisses en quaisses et de ballots en ballots, jetta une si grande epouvante parmi les soldats Passemens, qu’il fut impossible de les retenir, et que, quelques efforts que purent faire les principaux chefs, ils ne furent pas capables de les arrester : tous se debandèrent avec une telle confusion qu’à moins de rien on n’en vit plus paroistre aucun sur les rangs.

Chacun, pour éviter l’assaut,
Se seroit jette d’un plein saut
Dans une plus noire caverne
Que ne sont celles de l’Averne.
Chacun pour sortir se pressoit ;
Une Dentelle un Poinct poussoit ;
Puis, pour éviter la tüerie,
On voyoit une Broderie
Se voulant pousser par un coing,
Recevoir plus d’un coup de poing.
Un ballot poussoit une quaisse ;
Et tant pour sortir on s’empresse,
Que maints Passemens sur leur dos
Sentirent maints coups de Piquots.
Alors mesdames les Espées,
Voyant qu’elles estoient dupées,
Ayant les esprits mecontens
De s’estre joint à telles gens,
Retournèrent tout en furie,
Tout droit à la Coutellerie ;
Et pour messieurs les Pistolets,
Poussant mille et mille regrets,
Dans le depit qui les accable,
Se donnèrent, dit-on, au diable,
Qu’ils s’en vengeroient un petit.
Pour cela, chez monsieur Petit
Ils firent soudain la retraitte,
Où depuis ils tinrent diète,
Pour plus aisément convenir
De ce qu’ils pourroient devenir.

Le parti des rebelles ayant donc esté dissipé de sorte, toutes ces trouppes epouvantées se retirent avec precipitation, du mieux qu’elles purent, dans les lieux où elles crurent avoir plus de protection, pour y avoir esté autrefois assez bien receües, et elles y demeurèrent quelque temps cachées. Cependant, pour les punir de leur revolte, on proposa de faire rendre un arrest solennel, par lequel on auroit declaré que tous les Poincts serviroient d’oresnavant à faire de la mesche, qui ne seroit employée que pour les mousquets de la compagnie des mousquetaires du roy ; que toutes les Dentelles serviroient à faire du papier, sur lequel on devoit ecrire leur condamnation, pour en envoyer la copie par toute la France ; que toutes les Dentelles de soie, Dentelles escruës, Gueuses et autres sortes de Passemens seroient employées pour faire des cordes, et qu’ainsy elles seroient envoyées aux galères à perpetuité pour servir de chaisnes aux galeriens, la bonté du roy ayant eu quelque pitié du poids et de la dureté de celles qu’il leur avoit veu traisner à Marseille ; que pour toutes les Broderies d’or et d’argent, que parce que par un faux advis on s’imagina qu’elles avoient excité cette sedition, on ordonna qu’elles seroient bruslées toutes vives. Pour les Espées, on les devoit laisser à la Coutellerie, jugeant bien que ce seroit une assez grande punition pour elles ; mais pour les Pistolets, à cause du grand service qu’ils avoient rendu durant l’espace de plus de vingt années, on feroit leur composition meilleure, et on leur offriroit un vaisseau pour les porter en Portugal, où on les assureroit de leur faire trouver un employ.

Ce sanglant arrest, qu’on estoit sur le poinct de publier contre ces rebelles, les obligea de se tenir encore plus cachés que jamais ; il y eut pourtant quelques Broderies et quelques Poincts qui, plus hardis que les autres, se hasardèrent de sortir les soirs en habits deguisez, et s’estant une fois rencontrez avec mesdames les Plumes dans une celèbre mascarade qui se fit sur la fin du carnaval, dont le dessein estoit de representer le Triomphe de l’Amour15, ils renouvelèrent l’etroite amitié qu’ils avoient toujours eu ensemble pour s’estre trouvé dans les mesmes occasions, ayant tous esté employés toute leur vie pour plaire aux dames. Quelques uns d’entre eux, tombant adroitement sur le sujet de leur disgrace, sembloient ne se plaindre pas tant d’estre bannis pour jamais de la societé des hommes, comme de ne pouvoir plus travailler avec les Plumes à de si glorieuses conquestes, quoy que par une fausse humilité ils avoüassent qu’ils ne pouvoient pas pretendre d’y avoir jamais travaillé avec autant de succez.

Ainsi les Poincts, les Broderies,
Gagnèrent, comme on fait souvent,
Par ces adroites flatteries,
Les Plumes, qui vont à tout vent.
Ces ornemens des jeunes testes
Leur promettent desjà mille et mille conquestes ;
Se voyant ainsy caresser,
Et se joignant à ces rebelles,
Protestent desormais de quitter leurs ruelles
Si l’on ne les veut exaucer.

Par ces beaux discours, les Plumes s’engageoient desjà à l’etourdy dans le party de ces miserables ; et je ne doute pas que ces gens qui font tout à la legère ne les eussent servy comme ils leur avoient promis, si l’Amour, qui faisoit lui-mesme son personnage dans cette celèbre mascarade, voyant que toutes ces pratiques lui pourroient apporter de grands dommages pour le retablissement de ses affaires : car, se voyant desjà privé du secours des Dentelles et des Passemens, qui luy avoient rendu de si grands services, il apprehendoit extremement de se voir encore abandonné des Plumes, qui estoient pour lors les seules forces qui luy restoient, et dont il tiroit le plus d’avantage, prevoyant bien que, ne pouvant s’en passer absolument, il seroit contraint d’arracher plustost celles de ses aisles pour les prester aux galans qu’il employoit pour son service, estant absolument impossible qu’ils pussent reussir dans leurs entreprises sans leur aide, et que lui-mesme, après cela, n’en ayant plus, ne pouvant plus voler si haut, seroit obligé de camper sur terre, et de se reduire, comme autrefois, parmy les bergers, ne pouvant paroistre à la cour ny s’elever à de plus hautes conquestes.

Ces considerations le portèrent à rompre la partie qui s’estoit liée, et, pour le faire de meilleure grace, il s’avisa d’offrir luy-mesme aux Passemens d’employer le credit qu’il avoit à la cour pour leur restablissement, les priant de se reposer sur luy du soin et de la conduite de cette affaire ; que la reconnoissance des services qu’ils luy avoient rendus jusques icy l’obligeoit à l’entreprendre, et qu’il ne doutoit pas d’y pouvoir reussir, pourveu qu’ils ne precipitassent rien et qu’ils se gardassent d’irriter la cour de nouveau par leur desobeissance.

Lors, considerant meurement
L’effet de son engagement,
Et que, s’il les vouloit defendre,
Au lieu de leur faire faux bond,
L’utilité qu’il pouvoit prendre,
S’engageant pour eux tout de bon,
Le petit dieu, plein de finesse,
Resolu de les servir mieux,
S’adressa, d’un air plein d’adresse,
Au plus galant des demy-dieux.

Ce n’estoit pas d’aujourd’huy qu’il avoit de secrettes pratiques avecque luy ; ils avoient toujours tant d’affaires ensemble qu’ils sembloient ne se pouvoir passer l’un de l’autre ; mais l’occasion luy estoit d’autant plus favorable qu’il venoit tout de nouveau de le faire ouvertement declarer de son party, en sorte qu’il avoit tout lieu d’esperer un succez favorable à sa requeste. En effet, il ne se trompa pas : nostre demy-dieu fut ravy de lui rendre ce petit service pour le payer de tant d’obligation qu’il luy avoit, en sorte que par son credit il obtint de la cour l’elargissement de quelques-uns de ces miserables que l’on avoit pris prisonniers pour en faire l’exemple des autres, avec l’entière liberté pour tout le reste, dont ils jouissent maintenant en faveur de l’Amour.

Mais après que ce dieu vient de nous faire voir
Le credit qu’il avoit en France,
Pensez-vous qu’il soit temps de faire résistance ?
La plus prude, comme je pense,
Pourroit bien, sans rougir, ceder à son pouvoir ;
Et quoy qu’en vostre humeur altière,
Vous le preniez pour un oyson,
Vous avez beau faire la fière,
Il saura bien un jour vous mettre à la raison.




1. Nous empruntons cette pièce, intéressante pour l’histoire des modes, au Recueil de pièces en prose les plus agreables de ce temps, composées par divers autheurs (quatriesme partie). Paris, Charles Sercy, MDCLXI. Elle doit avoir été écrite par quelqu’un de la société de Mme de Sévigné. La dédicace à Mlle de la Trousse le feroit du moins penser.

2. Elle étoit fille de François le Hardi, marquis de la Trousse, et de Henriette de Coulange, tante de Mme de Sévigné. Après une existence beaucoup moins frivole que la dédicace qui lui est faite ici et que plusieurs couplets de Bussy pourroient le faire croire, elle mourut saintement aux Feuillantines, où elle s’étoit retirée, en décembre 1685.

3. Cet édit porte la date du 27 novembre 1660 ; c’est le même dont Molière a dit par la bouche de Sganarelle :

Oh ! trois et quatre fois béni soit cet édit,
Par qui des vêtements le luxe est interdit !
Les peines des maris ne seront pas si grandes,
Et les femmes auront un frein à leurs demandes !
Oh ! que je sais au roy bon gré de ces descris
Et que, pour le repos de ces mêmes maris,
Je voudrois bien qu’on fît de la coquetterie
Comme de la guipure et de la broderie.

4. Dentelle unie, qui devoit à sa simplicité le nom significatif qu’elle portoit.

5. La mode de ces dentelles d’Italie commença en France à la fin du XVIe siècle (V. Le vray theatre d’honneur et de chevalerie, 2e partie, chap. XL, p. 502), et dura pendant tout le XVIIe. (V. Mémoires de Saint-Simon, édit. in-8º, t. 4, p. 286, année 1704.)

6. Le traité des Pyrénées, signé l’année précédente, avoit mis fin à la guerre avec l’Espagne.

7. Fameux marchand de Paris à cette époque. La vogue de sa maison, consacrée par un passage des Précieuses ridicules, duroit encore en 1692, comme le prouve ce qu’en dit Palaprat dans son Arlequin Phaëton. V. notre Paris démoli, 2e édit., p. 45, chapitre l’Almanach des adresses de Paris sous Louis XIV.

8. Cravate, qui étoit alors un mot nouveau, se mettoit indistinctement au féminin, comme dans la lettre de madame de Sévigné du 22 avril 1672, et au masculin, comme ici. C’est, du reste, avec intention qu’on lui donne ce genre dans cette pièce, où tous les objets de toilette ont un rôle si viril et si belliqueux. On sait, en effet, que la cravate a une origine toute militaire. On en doit la mode et le nom aux soldats croates ou cravates, comme on prononçoit alors, qui servoient dans les armées du roi : ils se garnissoient le cou d’une bande d’étoffe aidant à soutenir sur leur nuque l’amulette qui devoit les garantir des coups de sabre. Ce qui étoit superstition chez eux devint mode et est resté usage chez nous. Dans cette pièce, le cravate de dentelle intervient à la façon guerroyante de son patron, le vrai Croate : nous l’entendrons dire tout à l’heure qu’il a fait deux campagnes sous monsieur le Prince !

9. Louis-Charles-Gaston Nogaret de Foix, duc de Candale, petit-fils du duc d’Épernon, favori de Henri III, avoit été le roi de la mode pendant la minorité de Louis XIV. Il étoit mort, n’ayant que trente-un ans, le 28 janvier 1658 ; mais les modes auxquelles il avoit donné son nom lui avoient survécu. En 1666, quand parut le Roman bourgeois, on parloit encore des chausses à la Candale. V. notre édition de ce livre de Furetière (Jannet, 1854, in-12, p. 73, note), et les Mélanges d’histoire et de littérature de M. Craufurd, Paris, 1817, in-8, p. 186–187.

10. C’étoit le quartier des brodeuses. Madame Dumont, que le comte de Marsan avoit amenée de Bruxelles à Paris, et à qui il avoit fait obtenir le privilége exclusif des ateliers de dentelles, s’y établit à la fin du XVIIe siècle, et ajouta ainsi à la réputation industrielle de ce faubourg, déjà si bien commencée.

11. Erres, en terme de vénerie, se prend pour les traces du cerf. On dit qu’il va hautes erres quand il suit ses anciennes voies, grandes erres ou belles erres quand il va vite. Au figuré, cette expression signifioit faire grande dépense, aller grand train. Montaigne l’employoit, et Voltaire s’en servoit encore. V. sa lettre à M. de Fourmont, 7 septembre 1731.

12. Sans doute les dentelles de Flandres, dont la réputation commençoit.

13. Sorte de dentelle venue « des bords de l’Ibère », comme il est dit plus haut. Elle devoit sans doute son nom aux dessins morisques ou arabesques dont elle étoit ouvragée.

14. Neige, « dentelle faite au métier, de peu de valeur. » (Dict. de Trévoux.) On connoît le beau galand de neige que Gros-René rend à Marinette.

15. Ce passage est curieux, en ce qu’il nous apprend à quelle époque fut donnée pour la première fois cette pastorale en musique, à trois parties, avec intermèdes, que nous pensions dater seulement de 1672, année où elle fut encore représentée devant le roi, à Saint-Germain-en-Laye. Il faut l’ajouter aux deux ballets royaux l’Impatience et les Saisons, que M. Walckenaer pensoit avoir été les seuls qui furent dansés en 1660 et 1661 (Mémoires sur madame de Sévigné, t. II, p. 490).