La Race future/21

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Dentu (p. 207-214).


XXI.


J’avais depuis longtemps remarqué chez la savante et forte fille de mon hôte ce sentiment de tendre protection que, sur terre comme sous terre, le Tout-Puissant a mis au cœur de la femme. Mais jusqu’à ce moment je l’avais attribué à cette affection pour les jouets favoris que les femmes de tout âge partagent avec les enfants. Je m’aperçus alors avec peine que le sentiment avec lequel Zee daignait me regarder était bien différent de celui que j’inspirais à Taë. Mais cette découverte ne me donna aucune des sensations de plaisir qui chatouillent la vanité de l’homme quand il s’aperçoit de l’opinion flatteuse que le beau sexe a de lui ; elle ne me fit éprouver au contraire que la peur. Cependant de toutes les Gy-ei de la tribu, si Zee était la plus savante et la plus forte, c’était aussi, sans contredit, la plus douce et la plus aimée. Le désir d’aider, de secourir, de protéger, de soulager, de rendre heureux semblait remplir tout son être. Quoique les misères diverses qui naissent de la pauvreté et du crime soient inconnues dans le système social des Vril-ya, toutefois aucun savant n’a encore découvert dans le vril une puissance qui pût bannir le chagrin de la vie. Or, partout où le chagrin se montrait, on était sûr de trouver Zee dans son rôle de consolatrice. Une Gy ne pouvait-elle s’assurer l’amour de l’An pour lequel elle soupirait ? Zee allait la trouver et employait toutes les ressources de sa science, tous les charmes de sa sympathie, à soulager cette douleur qui a tant besoin de s’épancher en confidences. Dans les rares occasions où une maladie grave attaquait l’enfance ou la jeunesse, et dans les cas, moins rares, où les rudes et aventureuses occupations des enfants causaient quelque accident douloureux ou quelque blessure, Zee abandonnait ses études ou ses jeux pour se faire médecin et garde-malade. Elle prenait pour but habituel de ses promenades aériennes les frontières où des enfants montaient la garde pour surveiller les explosions des forces hostiles de la nature et repousser l’invasion des animaux féroces, de façon à pouvoir les prévenir des dangers que sa science devinait ou prévoyait, ou les secourir si quelque mal les atteignait. Ses études mêmes étaient dirigées par le désir et la volonté de faire le bien. Était-elle informée de quelque nouvelle invention dont la connaissance pût être utile à ceux qui exerçaient un art ou un métier ? Elle s’empressait de la leur communiquer et de la leur expliquer. Quelque vieillard du Collège des Sages était-il embarrassé et fatigué d’une recherche pénible ? Elle se consacrait patiemment à l’aider, s’occupait pour lui des détails, l’encourageait par un sourire plein d’espérance, l’excitait par ses idées lumineuses ; elle devenait en un mot pour lui un bon génie visible qui donnait la force et l’inspiration. Elle montrait la même tendresse pour les créatures inférieures. Je l’ai souvent vue rapporter chez elle des animaux malades ou blessés et les soigner comme un père pourrait soigner un enfant. Plus d’une fois assis sur le balcon, ou jardin suspendu, sur lequel s’ouvrait ma fenêtre, je l’ai vue s’enlever dans l’air sur ses ailes, brillantes. Tout à coup des groupes d’enfants qui l’apercevaient au-dessus d’eux s’élançaient vers elle en la saluant de cris joyeux, se groupaient et jouaient autour d’elle, l’entourant comme d’un cercle de joie innocente. Quand je me promenais avec elle dans les rochers et les vallées de la campagne, les élans la sentaient ou la voyaient de loin, ils venaient la rejoindre en bondissant et en demandant une caresse de sa main, et ils la suivaient jusqu’à ce qu’elle les renvoyât par un léger murmure musical qu’elle les avait habitués à comprendre. Il est de mode parmi les jeunes Gy-ei de porter sur la tête un cercle ou diadème, garni de pierres semblables à des opales qui forment quatre pointes ou rayons en formes d’étoiles. Les pierres sont ordinairement sans éclat, mais si on les touche avec la baguette du vril elles jettent une flamme brillante qui voltige et qui éclaire sans brûler. Cette couronne leur sert d’ornement dans les fêtes, et de lampe quand elles voyagent au delà des régions artificiellement éclairées et se trouvent dans l’obscurité. Parfois, quand je voyais la figure pensive et majestueuse de Zee illuminée par l’auréole de ce diadème, je ne pouvais croire qu’elle fût une créature mortelle et je courbais mon front, comme devant une apparition céleste. Mais jamais mon cœur n’éprouva pour ce type superbe de la plus noble beauté féminine le moindre sentiment d’amour humain. Peut-être cela vient-il de ce que dans notre race l’orgueil de l’homme domine assez ses passions pour que la femme perde à ses yeux tous ses charmes de femme dès qu’il la sent de tous points supérieure à lui-même. Mais par quelle étrange fascination cette fille incomparable d’une race qui, dans sa puissance et sa félicité, mettait toutes les autres races au rang des barbares, avait-elle daigné m’honorer de sa préférence ? Je passais parmi les miens pour avoir bonne mine, mais les plus beaux hommes de ma race auraient paru insignifiants à côté du type de beauté sereine et grandiose qui caractérise les Vril-ya.

Il est probable que la nouveauté, la différence même qui existait entre moi et les hommes qu’elle était habituée à voir avaient tourné vers moi les pensées de Zee. Le lecteur verra plus loin que cette cause pouvait suffire à expliquer la prédilection que me témoigna une autre Gy, à peine sortie de l’enfance et à tous égards inférieure à Zee. Mais tous ceux qui réfléchiront à la tendresse de caractère de la fille d’Aph-Lin comprendront que la principale source de l’attrait qu’elle ressentait pour moi était son désir instinctif de secourir, de soulager, de protéger les faibles et, par sa protection, de les soutenir et de les élever. Aussi, quand je regarde en arrière, est-ce ainsi que je m’explique cette unique faiblesse, indigne de son grand cœur et qui abaissa la fille des Vril-ya jusqu’à ressentir une affection de femme pour un être aussi inférieur à elle-même que l’était l’hôte de son père. Quoi qu’il en soit, la pensée que j’avais inspiré une pareille affection me remplissait de terreur. J’étais effrayé de ses perfections mêmes, de son pouvoir mystérieux et des ineffaçables différences qui séparaient sa race de la mienne. À cette terreur se mêlait, je dois le confesser, la crainte plus matérielle et plus vile des périls auxquels devait m’exposer la préférence qu’elle m’accordait.

Pouvait-on supposer un instant que les parents et la famille de cet être supérieur vissent sans indignation et sans dégoût la possibilité d’une union entre elle et un Tish ? Ils ne pouvaient ni la punir, elle, ni l’enfermer, ni l’empêcher d’agir. Dans la vie domestique, pas plus, que dans la vie politique, ils n’admettent l’emploi de la force. Mais ils pouvaient guérir sa folie par un éclair de vril à mon adresse.

Dans ce péril, heureusement, ma conscience et mon honneur ne me reprochaient rien. Mon devoir, si la préférence de Zee continuait à se manifester, devenait bien clair. Il me fallait avertir mon hôte, avec toute la délicatesse qu’un homme bien élevé doit montrer quand il confie à un autre la moindre faveur dont une femme a daigné l’honorer. Je serais ainsi délivré de toute responsabilité ; l’on ne pourrait me soupçonner d’avoir volontairement contribué à faire naître les sentiments de Zee : la sagesse de mon hôte lui suggérerait sans doute un moyen de me tirer de ce pas difficile. En prenant cette résolution j’obéissais à l’instinct ordinaire des hommes honnêtes et civilisés, qui, tout capables d’erreur qu’ils soient, préfèrent le droit chemin toutes les fois qu’il est évidemment contre leur goût, leur intérêt et leur sécurité de prendre le mauvais.