La Route fraternelle/12

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La Route fraternelleAlphonse Lemerre, éditeur (p. 47-49).


LE VRAI MOT DIVIN



Eh bien, non, j’avais tort… et j’oubliais en vain
Le principe de tout et le prince des mondes,
Le roi des tendres cœurs et des planètes blondes,
L’Amour : lui seul, lui seul reste le mot divin ;

Car le Pardon guérit, mais c’est l’Amour qui crée ;
En nos blessures, l’un comme un baume descend ;
C’est la goutte de miel sur la goutte de sang ;
Mais l’autre à flots pressés jaillit, sève sacrée.

« Mon Dieu, pardonnez-leur ! » — Longtemps avant le jour
Que cette alme parole eût fleuri l’arbre infâme
De la croix, aux roseaux d’un lac cher à son âme,
Jésus avait appris cette musique : « Amour ! »

Et les douze pêcheurs, même avant d’être apôtres,
Quand l’Évangile exquis de ses lèvres coulait,
Retenaient, douce proie au fond de leur filet,
Ce vocable inconnu : « S’aimer les uns les autres. »


Oui ! quand il rédigeait d’une infaillible main,
De sa future loi les tables de lumière,
Il inscrivit d’abord à la page première,
Ce mot le plus divin, puisque le plus humain,

Amour… aube des cœurs, et des bouches dictame,
Et qui, révélateur suave et triomphant,
Met le premier sourire aux lèvres de l’enfant,
Et les premiers aveux aux lèvres de la femme ;

Amour, froment des saints, breuvage des héros,
Et dont la table auguste au multiple service,
Offre aux Vincents de Paul le mets du sacrifice,
Tout en versant le vin d’extase aux Roméos ;

Amour qui fait courir les ivresses fécondes,
Du Zénith au Nadir, et de l’astre au pistil,
Et d’un enlacement innombrable et subtil,
Rapproche en même temps les âmes et les mondes ;

Amour, verbe vivant de la terre et du ciel,
Qui seul fait tressaillir l’être humain jusqu’aux moelles,
Et des milliers de cœurs sous des milliers d’étoiles,
Seul mot primordial, seul hymne essentiel ;

Universelle joie et vie universelle ;
Et la Volupté pourpre et la blanche Pitié,
De ce splendide Tout ne sont qu’une moitié,
De ce vaste trésor ne sont qu’une parcelle ;


Et quel que soit le nom qu’il prenne tour à tour,
Compassion, Bonté, Fraternité, Clémence,
Ce sont là des ruisseaux faits de son onde immense —
La coupe du Pardon puise au fleuve d’Amour.