La Route fraternelle/14

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La Route fraternelleAlphonse Lemerre, éditeur (p. 51-52).


CRIMES « PASSIONNELS »

À mon ami F. Lhomme.



Tout crime dit « passionnel »
N’a pas le cœur pour origine ;
Et bien à tort l’on s’imagine
Que l’Amour est le criminel.

L’Amour est la bonne torture
Qui s’achève en sérénité
Mais non pas en férocité. —
De ces meurtres contre nature

Est-ce lui qu’il faut accuser,
Ou l’orgueil sot, la chair mauvaise ?
Veux-tu que le baiser t’apaise ?
Épure d’abord ton baiser ;

Et laisse en ton intime plaie
La clémence éclore et fleurir,
Comme on voit au printemps s’ouvrir
Blanche aubépine en rouge haie.


Saignez, saignez sous notre sein,
Blessures tendres et muettes ;
Les grands saints ou les grands poètes
Sortent de vous… non l’assassin.

L’Amour vrai tourne à l’indulgence,
Et non en rancune ou rancœur ;
Et ce doux conseiller du cœur
Éclaire aussi l’intelligence,

Trouant l’égoïste rideau
Si lourd à l’humaine paupière —
Et c’est un porteur de lumière,
Non pas un porteur de bandeau.