La Route fraternelle/18

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La Route fraternelleAlphonse Lemerre, éditeur (p. 59-68).


II


Patriotiques étapes

La Grande Patrie (France !)


À mon ami Th. Joran, enfant de l’Alsace.

L’ARC-EN-CIEL SYMBOLIQUE


Hier, à trois heures, comme le Tzar débarquait, un arc-en-ciel éclaira tout l’horizon.
(Journaux du 7 octobre 1896).
À Paul Bouvier.


I


Quand le vaisseau du Tzar toucha le sol de France,
Soudain, comme un présage éclatant et divin,
Jaillit à l’horizon, qui menaçait en vain,
Un splendide arc-en-ciel aux teintes d’espérance ;

Et l’immense éventail au miroitant tissu,
Allait du yacht en marche à la côte en attente,
Décrivant, sur les flots, comme une arche flottante
Où passerait l’ami par les amis reçu ;

Et les drapeaux de France, heureux de l’éclaircie,
Sous le cintre brillant et providentiel
— C’est un arc de triomphe aussi que l’arc-en-ciel ! —
Donnèrent l’accolade aux drapeaux de Russie.


Ô prodige ! Il semblait qu’une invisible main,
Pour chasser des esprits l’entière défiance,
Étalait, lumineux, le pacte d’alliance ;
Peuples, ne doutez plus : voici le parchemin !

Et sur un vil papier, par quelque scribe infime,
N’était point rédigé le solennel traité ;
Mais tout à coup le texte en était projeté
Sur le livre des cieux par le soleil sublime ;

Comme on dit qu’autrefois, très manifestement,
Le signe de la Paix, entre l’homme et le Juge,
Fut tracé sur les flots décroissants du déluge
Par le même soleil au même firmament.


II

Ô bel arc-en-ciel qui déroules
Ton envergure et ta splendeur
Sur le front étonné des foules,
Es-tu d’en haut l’ambassadeur ?
Viens-tu nous dire que sur l’Arche
Où le monde est toujours en marche,
Sur ce tumultueux bercail
Battu d’une vague éternelle,
La Paix sereine et fraternelle
Va prendre enfin le gouvernail ?


N’est-ce pas le ciel qui t’envoie,
Ô somptueux introducteur,
Pour ouvrir et marquer la voie
À ce somptueux visiteur ?
Et courant léger et suave
Au-devant du navire slave,
N’es-tu pas l’indice certain
Que sur cette proue opportune
Voyage une haute fortune
Sous la tutelle du destin ?

Toute l’Europe est attentive,
Le monde entier reste songeur
Quand débarque sur notre rive
Cet impérial voyageur.
Quel dessein le guide et l’entraîne ?
Vient-il pour l’Amour ou la Haine ?
Ce monarque est-il le féal
De la Justice, et sa pensée
Est-elle à jamais fiancée
À quelque fervent Idéal ?

Vois-tu de ton observatoire
Les peuples-Caïns, criminels,
Dans l’avenir aléatoire,
Égorger les peuples-Abels ?
Ou l’universelle concorde

Qui point comme une aube, et déborde
Les contours du nuage épais ?…
Et sur les pans de ta ceinture
Qu’agite la brise future,
Portes-tu la Guerre… ou la Paix ?

N’es-tu pas l’Iris immortelle,
L’aimable estafette des dieux,
Dont la scintillante dentelle,
Des jours cléments et radieux
Est l’infaillible avant-courrière ?…
Ou n’es-tu qu’un jeu de lumière
Sur la nue au sombre rideau,
Un accidentel phénomène,
Un rayon d’or qui se promène
Au travers de globules d’eau ?

Non, non ! laisse à nos âmes croire
Qu’en ce jour de joie et d’orgueil
— Un de ces jours qui font l’histoire —
Tu t’es glissée au ciel en deuil,
Comme un rire sur la tristesse,
Pour déclarer, ô prophétesse,
Qu’un beau lendemain nous attend,
Et que cette alliance auguste
Promet quelque chose de juste
Et quelque chose d’éclatant.


Oh ! sois le symbole et le signe,
Que Dieu nous rend son amitié,
Et que dans les clauses qu’on signe,
Le ciel est aussi de moitié ;
Sois le témoin qui nous atteste,
Que lui-même le Tzar céleste,
Met sa signature au traité ;
Sois le messager qui nous marque,
De la part du divin Monarque,
Un retour de prospérité.

Ah ! si ce très haut Camarade,
A permis que fût déplié,
Dessus nos pavillons en rade,
Son pavillon irradié,
N’est-ce point pour nous faire entendre,
Que ton prisme joyeux et tendre
Nous est l’aube des jours meilleurs,
Et que tes sept couleurs de rêve,
N’ont apparu sur notre grève
Que pour bénir les trois couleurs ?

Ta bannière septicolore
Du drapeau tricolore est sœur ;
Et venant à sa rive éclore,
N’es-tu pas comme un précurseur
D’un bonheur voguant vers la France ?

Ne donnes-tu pas l’assurance,
Dardant sur elle tes rayons,
Qu’elle peut encor dans l’histoire,
Semblables à ta trajectoire,
Tracer magnifiques sillons ?

La France, au sortir du désastre,
Sut vingt-cinq ans se recueillir —
Mais pour annoncer que son astre
De la pénombre va jaillir,
Tu viens, tu viens du bout du pôle,
Et tu lui jettes sur l’épaule
Ton éblouissant baudrier ;
Et songeant qu’on souffre et qu’on pleure,
Tu sembles dire : « Voici l’heure !
Debout, ô peuple chevalier ! »