La Route fraternelle/3

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La Route fraternelleAlphonse Lemerre, éditeur (p. 9-10).


LES DEUX LIGNÉES

À Monsieur et Madame Delzant.


I


Et Jésus dit : « Remets ton épée au fourreau :
Qui du glaive usera, périra par le glaive. »
Et le glaive pourtant a besogné sans trêve,
Et l’homme, tour à tour, fut victime ou bourreau.

Et Calvin, ce penseur, et Montluc, ce héros,
Des mêmes cruautés servent Rome ou Genève :
Et le brouillard de sang qui, des autels, se lève,
De l’église ou du temple obscurcit les vitraux.

Le monde garde au flanc sa ceinture de haine,
Et d’anneaux en anneaux, meurtre à meurtre, la chaîne
Va du sombre hérétique au rouge inquisiteur ;

Et cependant qu’entre eux la guerre s’éternise,
Ô doux maître incompris, ô pacificateur,
Ton cœur, de siècle en siècle, au calvaire agonise.




II


Mais non, ô Rédempteur, tu n’es pas mort en vain !
Car les justes depuis, sentent dans leur poitrine
Fructifier le pain de ta blanche doctrine,
Et leur sein fermenter sous ton généreux vin ;

Et portant au méchant ton mot d’ordre divin,
Indulgent, inlassé, leur cortège chemine…
Ils parlent, et la joie enrichit la chaumine ;
Ils passent, et la paix fleurit l’âpre ravin,

Et Mélanchton d’Augsbourg avec François d’Assise,
Sur le seuil fraternel d’une idéale église,
Peuvent se rencontrer sans vouloir se bannir,

Car toi le fondateur de l’alme confrérie,
Tu leur as commandé de s’aimer, et d’unir
À l’homme de Sion l’homme de Samarie.