La Route fraternelle/30

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La Route fraternelleAlphonse Lemerre, éditeur (p. 113-116).


DETTES DE CŒUR


I

mon cher rondeau !



Voilà juste vingt ans, ô Petit-Séminaire,
Que je t’ai dit adieu, l’adieu de l’écolier,
Laissant tes maîtres chers à l’aspect débonnaire,
Et tes murs souriants à l’aspect familier ;

Et j’ai vu d’autres murs, et j’ai vu d’autres maîtres,
Et voyageur tenté par d’inconnus chemins,
Et quittant à regret la demeure des prêtres,
J’entrai d’un pas timide aux cités des humains ;

Et voici que j’atteins le tournant de la vie,
Et mes tempes déjà grisonnent… et je sens
Que je ne monte plus par la route suivie,
Et qu’au versant contraire à mon tour je descends !

Mais tout en avançant vers le point d’arrivée,
Je me tourne souvent vers le point de départ ;
Et ta physionomie est dans mon cœur gravée,
Rondeau, séjour aimé que cherche mon regard !


Rondeau, nom poétique et poétique asile,
Dont la façade rit au milieu des prés verts,
Entre l’Isère souple et le Drac indocile,
Au pied des monts géants, de neige recouverts.

Rondeau, qui nous semblais la cage hospitalière,
Et fus pour nous un nid plutôt qu’une prison ;
Et comme des oiseaux chantant dans la volière,
Les petits Dauphinois chantaient dans ta maison !

Que de fois, las du monde, alors je me rappelle
La ruche d’écoliers bourdonnant dans ton sein,
Tandis que nuit et jour en ton humble chapelle,
Quelqu’un de grand bénit ton studieux essaim !

Que de fois j’ai revu, non sans mélancolie,
Tes deux camps où sonnait notre rire enfantin,
Et cette paix du cœur qui jamais ne s’oublie,
Et dans tes murs pieux notre pieux matin !

Et tes processions, chrétiennes théories
Qui vont se déroulant dans les beaux soirs de mai,
Sous l’aile d’un cantique aux notes attendries,
Vers l’agreste Madone en son cadre embaumé !

Et tes classiques jeux, tes grands jeux olympiques,
Où la bannière en main parlaient tes sénateurs :
Un Pindare manquait à ces luttes épiques,
Mais non les Cicérons enflammant les lutteurs !


Mars avait ses lauriers, mais Apollon ses palmes ;
Et quand l’écho bruyant des jeux et des discours
S’éteignait… les rêveurs, fronts mystiques et calmes,
De la Vierge Marie illustraient les concours !

Et c’est pour tout cela, pour l’heureuse alternance
De tes jours de plaisir à tes jours de travail,
Que nous avons de toi si douce souvenance,
Et qu’errantes brebis nous songeons au bercail,

Et qu’en tout lieu jetés par le destin, nous sommes
Et nous restons tes fils, toi qui nous unissais,
Qui prenant des enfants, créais des jeunes hommes,
Par l’âme, bons chrétiens, par le cœur, bons Français !




II

mon vieux lycée



Camarades, salut ! — Salut au vieux lycée ;
Car, jeunes sont les murs, mais vieille est la maison ;
C’est une autre façade à nos regards dressée,
Mais, au fronton, toujours c’est le même blason.

Toujours continuant la tâche commencée,
De nos brillants cadets la verte floraison
S’enrichit par l’étude et s’ouvre à la pensée,
La corolle tendue aux vents de l’horizon.

Ceux-ci, la toque au front, défendront la Justice ;
Ceux-là, l’épée au poing, au cœur le sacrifice,
Comme mourut Bayard mourront au champ d’honneur ;

Les uns serviront l’art, les autres l’industrie…
Mais chacun, de sa gerbe à sa façon glaneur,
En parera demain l’autel de la Patrie !


Mai 1896.