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La Route fraternelle/35

La bibliothèque libre.
La Route fraternelleAlphonse Lemerre, éditeur (p. 159-165).

IV


Les Haltes d’Intimité

Jours de fêtes

LA FÊTE DE LA PETITE SŒUR

À ma sœur J…



Si j’étais près de toi, jeune fille ou fillette,
Pour ta fête aujourd’hui, je voudrais déposer
Dans ta petite main une fleur ou fleurette,
Sur ton front sororal un fraternel baiser.

Mais comme je suis loin de ton gentil sourire,
Je t’offre seulement le bouquet de mes vœux
Dans ces vers ; puissent-ils à tes douze ans sourire,
Et mes humbles quatrains plaire à tes calmes yeux !

Bleus comme un peu de rêve et beaucoup d’innocence,
Bleus comme les bleuets sous les épis dorés,
— Car tes cheveux sont blonds, — ou comme la nuance
Du Rhône qui chez nous déborde à travers prés,

Ces yeux m’ont raconté ton âme matinale,
Ton âme pure encor de faute et de douleur,
Au soleil de la Foi grandissant virginale,
Comme au soleil des cieux s’épanouit la fleur,


Grandissant, jeune lys, sous les mains attentives
De ces femmes de Dieu qui vont la cultivant,
Hospitalières sœurs et mères adoptives,
Dans l’ombre des saints murs et la paix d’un couvent.

Sois-leur reconnaissante ; aux fleurs de leur domaine,
Elles versent rosée et proposent soutien :
Accueille le savoir, cette parure humaine,
Cueille la piété, cet arome chrétien.

Le savoir ! Sois l’élève aux vérités docile ;
Apprends, apprends à lire en l’alphabet du Beau ;
Pour la femme surtout la vie est difficile,
Et le livre est alors un secours, un flambeau.

La piété ! Souvent de ta lèvre enfantine
Fais monter la prière aux pieds de l’Éternel,
Pour ton père d’abord, ô ma pauvre orpheline,
Pour ton père parti le premier vers le ciel.

— Je me souviens toujours que sa mâle tendresse
Pour toi se faisait douce ; et je revois encor,
Quand son front s’inclinait sur ton front qu’il caresse,
À ses cheveux blanchis s’unir tes boucles d’or —

Pour notre mère aussi, qui voulut, cœur de flamme,
Réchauffant tous les siens d’un amour éternel,
Nous dévouer sa vie, et son corps, et son âme :
Sacrifice : vrai nom du rôle maternel !


Pour notre mère morte en la saison suivante,
S’en allant jeune encor et rapportant à Dieu,
Diligente chrétienne et mystique servante,
De sa foi, lampe d’or, l’inextinguible feu ;

— Que Dieu près de l’époux place à jamais l’épouse,
Et que nos cœurs d’enfants, toujours, et tout au fond,
Gardent une tendresse invisible et jalouse
À ces deux endormis du sépulcre profond —

Et pour la grande sœur aimante, autant qu’aimée
De la petite sœur, de ce tardif oiseau
Qui naissait quand notre aile était déjà formée,
Égayant le vieux toit de son jeune berceau ;

Pour tes frères enfin, ballottés par la vie,
Et qui de leur campagne ou bien de leur cité,
Jettent un long regard de regret et d’envie
Vers ton nid de silence et de tranquillité.