La Route fraternelle/42

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La Route fraternelleAlphonse Lemerre, éditeur (p. 181-184).

I

dies dulcedinis


Puisque Dieu rapprocha mon âme de votre âme,
Puisque votre jeunesse et votre vénusté
Étaient l’exquis jardin promis à mon été,
Oh ! soyez la douceur encor plus que la flamme…
La douceur est le fruit suprême que réclame
Mon cœur longtemps meurtri, souvent désenchanté.

II

dies mansuetudinis

Ô ma fleur la plus chère, étant ma fleur dernière,
Ne laissez pas épine ensanglanter ma main ;
Brisez de vos courroux la tige meurtrière ;
Calice harmonieux au pacifique hymen,
Ouvrez-vous ; parfumez, vous encor printanière,
D’un amour sororal mon automnal chemin.

III

dies fortitudinis

Quand le doute mettra votre âme à l’agonie,
Songez que mon amour, dont vous avez douté,
Naquit au bord des mers en un jour d’harmonie,
Grandit au bord des lacs avec les soirs d’été,
Et qu’il ressemble aux lacs par sa paix infinie,
Et qu’il ressemble aux mers par sa pérennité.

IV

dies elysea

Que nos âmes, après leurs tragiques orages,
Achèvent dans le Bien leur voyage d’Amour,
Pour que la mort venue, à l’abri des naufrages,
Méritant d’aborder l’élyséen séjour,
Sur les calmes ormeaux des lumineux rivages,
Ces ramiers au vol las se blottissent un jour.

V

dies siderea

Ô chère, voulez-vous ? à l’heure vespérale
Qui fait le cœur plus triste et plus amer l’exil,
Choisissons une étoile, auberge liliale,
Pour rendez-vous… et loin de ce monde trop vil,
Et ramant du désir, cet aviron subtil,
Voguons vers la patrie hautaine et sidérale.

VI

dies galilea

Dans le pays d’Hérode, époux d’Hérodiade,
Ma sœur, il est un lac où vont incessamment
Les âmes par essaim, les cœurs par myriade,
Plus pur que le Bourget, plus beau que le Léman,…
Car sur tes flots marchait l’incomparable Amant,
Lac de Génézareth ou de Tibériade !

VII

dies ambulationis

Sous les derniers rayons d’un soleil pâlissant,
Nous errâmes parfois dans les grands cimetières ;
Et de Vigny, Musset, ou Guy de Maupassant,
Quand cheminaient vers eux nos ombres coutumières,
Du frisson regretté tressaillaient sous leurs pierres,
Sentant venir l’Amour, l’ineffable passant.

VIII

dies absolutionis

Au tissu de nos cœurs trop longtemps nous brodâmes,
Meurtris et meurtrissants, de trop sanglantes fleurs ;
Mais le baiser de paix absout enfin nos âmes,
Et nos ressentiments jaloux et querelleurs,
Sur nos deux bouches sœurs éteignirent leurs flammes :
Le fleuve du pardon submergea nos douleurs.

IX

dies consolationis

Dans nos heures d’angoisse et de mélancolie,
Écoutant les conseils du divin Guérisseur,
Pour être consolés, consolons, ô ma sœur ;
Plaignons les malheureux que notre mal oublie :
De leur vin d’amertume ôtons un peu de lie,
Et notre vin d’amour aura plus de douceur !

X

dies gratissima

En vous quittant, je vous bénis, ma souveraine !
Car au milieu de tous, seul, vous m’avez choisi
Pour la communion mystique et surhumaine,
Car vous m’avez élu pour vos lèvres… et si
Me tuait par hasard ce wagon qui m’emmène,
Je mourrais plus heureux, vous ayant dit : « Merci. »

XI

dies albissima
Jour de Noël, 189…

Nous, pèlerins d’amour et de douleur, parmi
Les bergers et les rois entrons au pur cortège,
Et portons notre hommage à l’Enfant endormi.
Vois ! déjà notre cœur de son fardeau s’allège ;
Et rien qu’en approchant du pacifique Ami,
Sur nos blessures, vois ! c’est de la paix qui neige !

XII

dies piissima
Jour de Pâques, 189…

Oh ! de ceux de Jésus nous eussions fait partie !
Il eût dans ses filets, pêcheur subtil et beau,
Pris nos deux âmes sœurs, comme une double hostie ;
Et nous eussions été, pour le mettre au tombeau,
Baisant les trous sanglants de son corps, cher lambeau,
Vous, Madeleine, et moi, Joseph d’Arimathie !