Aller au contenu

La Route fraternelle/43

La bibliothèque libre.
La Route fraternelleAlphonse Lemerre, éditeur (p. 185-188).

Jours mélancoliques

AU BORD DES LACS



Amie, ô sœur de route et de pèlerinage,
Où s’attardaient vos pas quand mes pas isolés,
Erraient près de ces eaux où voltige et surnage
L’immortel souvenir de nos jours envolés ?

Où donc vous retenait l’amère destinée
Quand je retournais seul aux grands monts infinis,
Et cheminais au bord des lacs, où l’autre année,
Couple mystérieux, nous cheminions unis ?

À qui donc parliez-vous, quand votre ami fidèle
À la grande Nature a crié votre nom,
Et demandait aux flots berceurs : « Reviendra-t-elle ? »
Et les flots se taisaient ou me répondaient : « Non ? »

À qui donc songez-vous, quand sur la calme grève,
Mes yeux tout attristés et de vous orphelins,
Ont désir de vos yeux, car le poète rêve
Sur les lacs pleins d’azur aux yeux d’infini pleins ?


Et que faites-vous donc, et dans quelle fontaine
S’apaise votre soif par ces longs jours d’été,
Quand je suis altéré de vous, coupe lointaine,
Qui me versiez l’amour et la félicité ?

Ô chère coupe ! ô chère absente ! ô chère amie !
Revenez à l’appel brûlant du voyageur,
Car même au bord des lacs à la face endormie
Je cherche en vain sans vous la paix et la fraîcheur.

Revenez : cette eau bleue à l’éternel sourire
Semble sourire à tous, sauf à l’inconsolé ;
Et vous cherchant partout je ne sais que redire :
« Un seul être nous manque et tout est dépeuplé ».

J’ose le répéter, ce vers que Lamartine
Ayant même tristesse, et dans ces mêmes lieux,
Fit sonner autrefois sur sa lyre divine
Au désert de son cœur sous le désert des cieux ;

Car les humbles parfois ont aussi leur Elvire,
Car vous êtes pour moi l’immortelle au cœur sûr,
Et vous avez daigné suspendre à mon navire,
Femme et Muse à la fois, votre écharpe d’azur.


Lac du Bourget, août 189…